Solstice d’hiver

Bonjour,

je trouve enfin le temps, en ce jour de solstice d’hiver, d’écrire quelques lignes sur ce blog délaissé depuis… septembre dernier! Un trimestre sans écrire un seul billet, un triste record (mais peut-être n’est-ce pas un record? Je suis si irrégulier…). Il y avait pourtant tant de choses à raconter, de colloques, de conférences, de soutenances de thèses à signaler, je les ai laissés passer sans mot dire… Mea culpa. Le temps et l’énergie m’ont manqué. La faute en partie à ce premier semestre si chargé en cours et obligations de toutes sortes. J’essaierai de faire mieux au second semestre de cette année universitaire.

C’est donc avec un brin de retard que je veux saluer deux événements importants, dont je veux au moins garder la trace sur ce blog. Le premier, c’est la cérémonie de remise des diplômes des masters, qui s’est déroulée le 28 novembre dernier. Il y avait là rassemblés la plupart des étudiants et étudiantes de l’UFR Arts et Médias de la Sorbonne-Nouvelle auxquels les responsables de formation ont remis le précieux parchemin, symbole d’un parcours réussi au sein de notre établissement. Certains esprits chagrins boudent cette cérémonie, trop « étatsunienne » à leurs yeux, sorte de Halloween universitaire… Mais on peut y voir plutôt l’occasion pour ces néo-diplômé.e.s de se retrouver, saluer leurs enseignant.e.s, venir une dernière fois à l’université où ils et elles auront passé, dans l’ensemble, de bons moments… Il n’était qu’à voir la joie des présent.e.s. pour être rassuré sur le bien-fondé de la démarche, qui n’est pas si courante dans les universités françaises. Maintenant, le plus dur reste à faire : se lancer sur le marché du travail, trouver un poste qui plaise, entamer sa carrière dans un contexte plus que morose. J’espère au moins que la formation qu’ils et elles ont reçue leur servira dans ce parcours du combattant qui commence.

Une partie de la promo 2025 du master Géopolitique de l’art et de la culture

Un autre événement heureux : la soutenance de thèse de l’une de mes doctorantes, Akvilé Kabasinskaité, autrice d’un travail remarquable sur l’image de la Lituanie en France au XXe siècle. La soutenance, qui a eu lieu à la Maison de la Recherche de la Sorbonne-Nouvelle le 1er décembre dernier, s’est très bien passée, grâce à un jury à la fois exigeant et bienveillant, grâce surtout à la qualité de la thèse qui fera date non seulement dans l’historiographie de la Lituanie, mais aussi dans la réflexion internationale sur les guerres d’influence. La lutte entre propagande et contre-récit que se livrent la Russie et les pays européens est, hélas, un sujet très actuel…

Le jury rassemblé autour d’Akvilé (de gauche à droite : Cécile Vaissié, Paul Gradvohl, Laurent Martin, Bruno Nassim Aboudrar, Julien Gueslin)

Je publie ici le rapport que j’ai remis en tant que directeur de la thèse, qui n’est qu’une partie du rapport final. Comme il est d’usage, ce rapport est écrit à la troisième personne du singulier.

Laurent Martin prend la parole, pour dire tout le plaisir et la fierté qui sont les siens de voir arriver à soutenance une étudiante qu’il suit depuis de nombreuses années. Après une licence de médiation culturelle, parcours « Images et audiovisuel », Akvilé avait intégré en 2015 le master Recherche du département de Médiation culturelle de la Sorbonne-Nouvelle, l’ancêtre de l’actuel master de Géopolitique de l’art et de la culture qu’il codirige avec Bruno Nassim Aboudrar. Elle faisait, déjà à cette époque, beaucoup de choses à côté de ses études, ce qui l’avait conduite à soutenir tardivement, en 2019, son mémoire de master, qui portait sur « la méthodologie de construction des films documentaires » et qui avait obtenu une excellente note. Ses activités professionnelles tournaient autour du cinéma documentaire, avec, déjà, un intérêt affirmé pour la mémoire, l’histoire et les archives audiovisuelles de la Lituanie.
Dans la foulée de cette soutenance de juin 2019, Akvilé lui faisait part de son souhait de s’inscrire en doctorat, sur un sujet d’abord très axé sur le cinéma puis infléchi vers une histoire plus générale des représentations françaises sur la Lituanie au XXe siècle. La discipline de Laurent Martin étant l’histoire, il avait recommandé une inscription en histoire ; mais Akvilé choisit une inscription en études européennes et internationales, ce qui convenait aussi. La composition du jury, pluridisciplinaire, témoigne du fait que cette thèse est tout autant une thèse d’histoire que de relations internationales, qu’elle une thèse d’histoire des relations internationales, à la croisée de l’histoire culturelle, de l’histoire des médias et de l’histoire politique. C’est en histoire qu’Akvilé Kabasinskaité était inscrite l’université de Kaunas.
Car il restait à lever un obstacle de taille. Laurent Martin n’était pas (n’est toujours pas) un spécialiste de la Lituanie ou des pays de l’ex-empire soviétique. De là l’idée, qui s’imposa rapidement, de mettre en place une cotutelle avec un collègue lituanien exerçant à l’université de Vytautas Magnus à Kaunas, ce qui fut fait en octobre 2019. Outre la compétence de ce collègue, Akvilé bénéficiait là-bas d’une bourse doctorale de trois années qui lui permit de se consacrer quasiment à plein temps à ce travail. Il était entendu que la thèse serait rédigée en anglais, afin de permettre une lecture croisée par les deux codirecteurs.
Pendant quelque temps, cet arrangement à la fois institutionnel et intellectuel fonctionna à la satisfaction de toutes les parties. Akvilé vivait entre Kaunas et Paris, explorait les archives lituaniennes et les archives françaises, accumulait une importante documentation, écrivait ses premiers articles. Et puis, les relations avec le directeur lituanien se dégradèrent, au point de faire douter Akvilé de sa capacité à continuer cette thèse. Il y eut un moment difficile à traverser, aggravé par les exigences posées par l’université de Kaunas d’une soutenance précipitée, à l’issue des trois années du contrat doctoral, soit en 2023 au plus tard.
Il a été décidé, avec l’accord et le soutien de l’Ecole doctorale, de rompre la cotutelle et de rapatrier intégralement la thèse d’Akvilé à Paris. Elle a surmonté le découragement qui avait ralenti voire stoppé l’avancée de la rédaction, elle s’est remise au travail et a rendu à son directeur, au fil de l’année 2025, plusieurs centaines de pages, avec un manuscrit définitif rendu le 10 septembre. Il était encore possible de prévoir une soutenance avant la fin de l’année civile. Laurent Martin a alors constitué un jury, trouvé une date commune grâce à la bonne volonté de tous et toutes. Il exprime sa reconnaissance envers tous les collègues qui ont accepté de participer à ce jury et de lui trouver une place dans leur emploi du temps surchargé, en particulier les deux collègues qui ont rédigé en un temps record les pré-rapports, M. Gradhvol, Mme Davoliute, qui ont permis que cette soutenance puisse avoir lieu.
En tant que directeur de thèse, il assume les imperfections et peut-être les défauts de cette thèse, tout en créditant son autrice de ses qualités et en lui laissant l’entière responsabilité de ses propos. A tout le moins, il tient à dire qu’il s’agit d’une thèse au sens plein du terme, c’est-à-dire qui défend une position et l’étaye aussi fermement que possible.
Cette thèse, quelle est-elle? D’abord, que la disparition de l’Etat de Lituanie en tant qu’Etat indépendant au lendemain de la Seconde Guerre mondiale n’a pas signifié sa disparition en tant que projet politique ni en tant que réalité culturelle, ce qui explique la rapidité de sa résurgence dès que les conditions géopolitiques l’ont permis, au tournant des années 1990. Ensuite, que les autorités d’occupation soviétiques ont tout mis en oeuvre pour empêcher cette résurgence, qu’elles ont construit un récit justifiant cet escamotage historique et que ce récit a été relayé à l’étranger par toute une série d’acteurs qui y trouvaient intérêt. Enfin, que la France constitue un observatoire particulièrement intéressant pour saisir la façon dont la propagande fonctionne, qu’elle a été un champ de bataille où se sont affrontés récits et contre-récits autour de l’existence même d’une nation lituanienne et de son droit à l’indépendance.
Le plan est logiquement chronologique, articulé autour de temps forts :
1e partie 1945 à 1953 : la Lituanie cesse d’exister comme pays indépendant, elle disparaît des préoccupations des médias et des responsables politiques français, qui ne reconnaissent cependant pas l’annexion soviétique, inaugurant une position ambigue entre sympathie pour la cause lituanienne (et défense du droit international), d’une part, et volonté de ménager une puissance essentielle pour les grands équilibres européens et mondiaux.
2e partie, la plus longue chronologiquement, 1953-1987 : d’un dégel à l’autre, en quelque sorte : de la détente qui a suivi la mort de Staline aux dernières années du glacis soviétique, une période marquée par la tentative de l’URSS de normaliser l’occupation de la Lituanie mais aussi par la structuration d’une résistance externe, en exil (pas seulement en France, bien entendu) à la fois religieuse, culturelle et politique, qui fait exister la Lituanie en dehors de ses frontières, entretenant l’espoir d’une renaissance. La Lituanie existe dans les représentations médiatiques et politiques françaises, mais folklorisée, marginalisée, englobée dans un ensemble plus vaste, « pays de l’Est », pays de la Baltique…
3e partie, la fin des années 1980 et le début des années 1990, quand le pays recouvre son indépendance à la faveur de l’effondrement du système soviétique. La Lituanie retrouve une forme de visibilité, à l’occasion d’abord des manifestations pacifiques réprimées brutalement par l’occupant, puis à travers la reconnaissance apportée au processus d’indépendance par les autorités françaises.
Un épilogue fait le pont entre cette période et celle que nous vivons, marquée par le retour de l’impérialisme russe et les menaces qu’il fait peser sur les frontières orientales de l’Europe, l’Ukraine en premier lieu.
Ce que cette thèse démontre de façon très convaincante par une étude basée sur un ensemble très vaste et composite d’archives et de documents de toute nature et par une écriture très vivante, qui sait construire un récit, a le sens des titres et de la mise en intrigue (la compétence de la réalisatrice de films affleure à plus d’un endroit), ce que, donc, Akvilé montre avec clarté, c’est que la quasi-disparition de la Lituanie de l’actualité, des préoccupations, de l’imaginaire du public français a été le fruit d’une politique délibérée de la part de l’occupant soviétique et de ses relais français pour faire de la question lituanienne une non-question, pour légitimer l’occupation et l’oppression, pour travestir celles-ci sous les dehors avenants d’un progrès social et humain. Qu’il y a moins eu oubli qu’effacement.
Et que cet effacement s’est heurté à la volonté patiente, acharnée, longtemps souterraine, de la diaspora lituanienne (dont l’écho portait jusqu’en Lituanie même) pour maintenir vivante la réalité nationale. La culture a été une arme dont s’est servi l’occupant pour nier l’existence d’une nation lituanienne, à coups d’expositions et de festivals folkloriques, de films, d’émissions de radio et d’articles de presse ; mais elle a aussi été un arme aux mains de la résistance lituanienne à l’étranger qui a créé des journaux, édité des livres, créé des oeuvres pour contredire le récit soviétique, dans un combat très dissymétrique entre un fort et un faible, mais où l’on s’aperçoit que le fort ne l’est pas tant que ça et que le faible peut l’emporter s’il fait montre de courage et de persévérance.
On ne saurait mieux montrer le lien très étroit qui existe entre culture et politique et combien les guerres qui se livraient hier comme celles qui ont lieu aujourd’hui sont des guerres de l’information, des guerres mémorielles, des guerres culturelles pour imposer ou contester un récit, des représentations, une vision de l’ordre international. Ses travaux, qui comblent une lacune historiographique importante sur l’histoire de la Lituanie, rejoignent par ailleurs un courant de recherches actuelles très dynamique, représenté en France par des chercheurs comme David Colon, Christian Lequesne ou Frédéric Charillon – pour ne citer que des auteurs français – qui s’intéressent aux enjeux de censure, de propagande, de diplomatie culturelle et publique, de story telling, de soft power et d’image branding, d’influence, en somme de géopolitique de la culture.
Cet intérêt, elle le manifeste non seulement par ce travail important et imposant qu’elle nous donne aujourd’hui, mais aussi par ses multiples activités d’autrice, de réalisatrice, de commissaire d’exposition, d’enseignante. Elle a déjà publié plusieurs articles et communiqué autour de ses travaux, elle a réalisé le commissariat d’exposition de « Leçons de démocratie : 100 ans de relations lituano-françaises » à l’occasion de la saison de la Lituanie en France, elle préside une société qui développe des films et projets transnationaux liés à l’histoire culturelle tout en assurant la rédaction de la newsletter « Lituanie-France : histoires connectées », elle a co-réalisé trois documentaires, elle a enseigné à l’Inalco avant, prochainement, d’enseigner à la Sorbonne-Nouvelle, etc., elle est devenue elle-même l’un des personnages influents de l’histoire qu’elle raconte, l’une de ces intellectuelles qui éveillent ou réveillent les consciences tout en se faisant experte d’un domaine appelé à prendre une grande importance dans les années à venir : celui de de la guerre des récits.
Laurent Martin formule pour conclure un souhait, celui de voir ce travail important rapidement publié, moyennant les inévitables amendements à la suite des remarques, questions, critiques et conseils formulés par les membres du jury.

C’est, en effet, tout le bien que je souhaite désormais à Akvilé : que son travail soit publié dans une version aussi proche que possible du manuscrit original, afin qu’il puisse être diffusé très largement. Il faudra aussi prévoir des articles et des interventions. Le travail de thèse est achevé, un autre travail commence, pas moins ardu à sa manière : celui de faire connaître ce travail.

Akvilé prêtant le « serment du docteur »

J’ai par ailleurs participé à (et présidé) deux autres jurys de thèse, toutes deux remarquables, l’une, de Noam Alon, sur le Palais de Tokyo (une thèse de muséologie sous la direction de François Mairesse), l’autre, de Florès Giorgini, sur les intellectuels brésiliens face aux décolonisations africaines et asiatiques entre 1945 et 1964 (une thèse d’histoire sous la direction conjointe d’Olivier Compagnon et d’Alexandre de Freitas Barbosa). Des milliers de pages à lire en quelques semaines, en plus des autres tâches, c’est aussi cela, le travail d’un universitaire. Et je n’en m’en plains pas vraiment, quand les travaux sont de qualité comme ce fut le cas cet automne.

J’ai aussi pris beaucoup de plaisir et d’intérêt à écouter les conférences organisées dans le cadre du programme Université Cultures Ouvertes que j’ai pris en charge à la rentrée. Ce fut passionnant et je regrette seulement que ces conférences n’attirent pas un public plus nombreux, en particulier venant de l’extérieur de l’université. Il faudrait être beaucoup plus entreprenant dans la communication de ces rencontres mais, là aussi, le temps me manque pour cela. Au moins ai-je la satisfaction de constater que le public qui se déplace repart content et que nous avons au second semestre un programme tout aussi alléchant qu’au premier :

22/01 Benjamin DEMASSIEUX « Enlever et violer : de la poésie antique tardive à #MeToo »
 
05/02 Emilie VERGER « Être artiste et femme au XXe siècle »
 
19/02 Bruno Nassim ABOUDRAR « Occidentalismes : peindre à l’européenne dans le monde »
 
12/03 Emmanuelle GUERIN « Qui décide du bon usage du français? Ce que norme(s) langagière(s) veut dire »
 
26/03 Catherine TREILHOU-BALAUDÉ « Shakespeare en peinture et en musique »
 
09/04 Xiyin ZHOU « Le problème du Soi : un aperçu à travers l’histoire de la littérature chinoise »

Vivement la rentrée du second semestre! En attendant, je vous souhaite à tous et à toutes de bonnes vacances, de belles fêtes et, d’ores et déjà, une excellente année 2026!

LM

Palestine : la force et la faiblesse d’un symbole

Bonsoir,

ce soir, 22 septembre 2025, la France, par la voix de son président Emmanuel Macron, va reconnaître l’Etat de Palestine à la tribune de l’ONU. Certains, nombreux, diront que cela vient bien tard, après 151 pays (sur 193 membres de l’ONU) qui l’ont déjà fait ; d’autres diront qu’il aurait fallu encore attendre que soient réunies des conditions pour l’heure non remplies, à commencer par la libération de tous les otages encore entre les mains du Hamas. Et d’autres encore penseront qu’il aurait fallu que cette reconnaissance n’arrive jamais car la Palestine n’existe pas en tant qu’Etat et n’existera jamais. La plupart en tout cas s’entendront pour dire que cette reconnaissance est avant tout symbolique, au double sens du terme. Parce qu’elle porte un message, affirme une position de principe ; et parce que cette reconnaissance ne changera rien, à court terme du moins, sur le terrain.

Sur le terrain, c’est toujours la loi du plus fort et celle du talion qui s’appliquent, avec toute la violence dont est capable une armée surpuissante à l’égard de populations civiles. L’estimation du nombre de morts à Gaza est d’environ 64 000 morts, de plus de 160 000 blessés ; 85% des victimes sont des civils. Aux morts par bombardements s’ajoutent désormais les victimes d’une famine organisée par Israël. A Jérusalem et en Cisjordanie, l’apartheid qui sévit depuis des années à l’encontre des Palestiniens est encore monté d’un cran, enfermant des centaines de milliers de personnes dans une prison à ciel ouvert, les livrant presque sans défense à la violence des colons et de l’armée. S’agissant de Gaza, une controverse juridique et politique opposent ceux qui estiment qu’est perpétré un génocide à ceux qui estiment cette qualification inappropriée. Quant à moi, qui ai longtemps été réticent à employer ce terme si connoté, si chargé de sens, surtout à l’encontre d’un peuple qui fut victime du plus grand génocide de l’Histoire, je me sens désormais obligé de l’utiliser, devant l’accumulation des preuves accablantes qui démontrent l’étendue des pertes humaines, des destructions matérielles et l’intention chaque jour plus claire d’en finir avec le peuple palestinien en tant que tel. Les accusations de crime de guerre et de crimes contre l’humanité, plus évidentes à établir, ne sont pas moins graves.

Il est clair que, devant une telle tragédie, le geste accompli par la France ne pèse pas d’un grand poids ; et sans doute y entre-t-il une part de calcul politique et de mauvaise conscience, après avoir si fortement affirmé le soutien à Israël après les massacres du 7 octobre et avoir, par la suite, protesté si timidement devant la surréaction israélienne. Mais il n’en était pas moins moralement nécessaire et, peut-être, politiquement utile, si l’isolement dans lequel s’enferme Israël oblige un jour un autre gouvernement à changer de politique.

Ce jour paraît encore lointain. Il y faudra une action internationale de même nature que celle qui fit plier le gouvernement raciste d’Afrique du Sud, dans les années 1980/1990. Rupture des relations diplomatiques, arrêt de toute livraison d’armes, sanctions économiques, boycott sportif et culturel, poursuites contre ses dirigeants devant les tribunaux internationaux… Il est à craindre, cependant, que les mêmes mesures ne produisent pas les mêmes effets, pour deux raisons : tant qu’Israël pourra compter sur le soutien indéfectible des Etats-Unis, il pourra mépriser les sanctions internationales ; et les Arabes ne représentent qu’une fraction minoritaire sur le territoire contrôlé par l’Etat hébreux, contrairement aux Noirs d’Afrique du Sud. Mais tant que la pression internationale n’augmentera pas significativement sur Israël, ce pays ne verra aucun intérêt à dévier de sa politique d’épuration ethnique. De ce point de vue, la position des gouvernements des pays arabes sera déterminante ; elle paraît, pour l’heure, bien timide. Verbalement offensives à l’égard d’Israël pour contenter leur opinion publique chauffée à blanc, les dictatures du Proche et du Moyen-Orient se gardent cependant de prendre des mesures trop sévères pour ne pas mécontenter le grand protecteur américain.

Non, contrairement à ce qu’affirme le gouvernement israélien, la France et les autres pays qui ont choisi de reconnaître l’Etat de Palestine ne « récompensent » pas les terroristes du Hamas ; la France ne fait que tenir une promesse de justice vieille de quarante ans (voire qui remonte à 1948) et toujours remise à plus tard. Pas plus qu’elle n’alimente ainsi sur son sol l’antisémitisme, qui ne croît qu’à proportion des exactions commises impunément par Israël. Je doute qu’une « solution à deux Etats » soit encore envisageable à l’heure où 500 000 colons israéliens s’installent sur les terres palestiniennes avec la bénédiction de leur gouvernement ; et peut-être d’autres solutions, telle qu’un Etat à deux nations aux droits égaux, relèvent elles aussi d’une douce utopie. Mais la politique du fait accompli pratiquée depuis des décennies par Israël, accélérée avec l’arrivée de Benjamin Netanyahu, surtout depuis le 7-octobre, n’amènera une paix juste et durable ni pour les Palestiniens ni pour les Israéliens – ce sera la paix des cimetières pour les uns, et la violence terroriste sans fin pour les autres. Nous avons besoin d’espoir.

LM

RENTRÉE DES CLASSES

Bonjour,

voici donc venue l’heure de reprendre le chemin de l’université. Regrets pour l’été et les vacances trop vite passés, impatience de retrouver étudiants et collègues pour une nouvelle année d’enseignement et de recherche. Le contexte est toujours aussi angoissant, la guerre à nos portes, la crise politique dans le pays, l’extrême-droite qui se tient en embuscade, le sentiment d’une forme de délitement contre laquelle on se sent impuissant. Gardons-nous cependant de tout pessimisme excessif. D’abord parce que le pire n’est jamais sûr, ensuite parce que, même s’il survenait (à moins d’une catastrophe vraiment majeure contre laquelle tout effort serait vain) nous aurons encore la ressource de nous battre pour faire valoir nos idéaux.

En attendant, plusieurs rendez-vous et manifestations scientifiques rendent cette rentrée bien intéressante. Par ordre chronologique, je mentionnerai d’abord le grand colloque organisé à la Sorbonne-Nouvelle, « La Fabrique de la diplomatie », qui aura lieu sur le site de Nation les 5 et 6 septembre prochains. Grande opération de communication du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, c’est l’occasion de venir écouter des intervenants sur des thèmes qui touchent à l’action extérieure de la France. J’y serai le vendredi 5 pour présenter, avec mon ami François Chaubet, notre livre paru l’an passé sur l’histoire de la diplomatie culturelle française. Voici le programme complet et la plaquette de présentation du MEAE :

Le 15 et 16 septembre, c’est à la Fémis, la grande école du cinéma, qu’aura lieu une autre manifestation intéressante, consacrée à l’histoire de l’IDHEC, l’Institut des Hautes études cinématographiques, créée en 1943 et qui fut intégrée à la Fémis en 1988. Institution majeure du paysage cinématographique français, l’école connut un destin mouvementé que ce colloque explorera durant deux jours. Voici le programme :

Fin septembre aura lieu le congrès de l’Association pour le développement de l’histoire culturelle (ADHC). Comme chaque année, il se tiendra le dernier samedi du mois, soit, cette année, le 27 septembre, sur le Campus Condorcet, (Cours des Humanités 93322
Aubervilliers Cedex – Centre de Colloques, rez-de-chaussée salle 50 – Métro Front Populaire). Nous aurons le plaisir d’entendre le matin une conférence de Marie-Madeleine Mervant-Roux sur les croisements entre histoire du son et histoire du théâtre et l’après-midi une table ronde sur « Histoire populaire, histoire du populaire ». Voici le programme complet :

J’anticipe un peu sur octobre avec, d’une part, les deux journées d’étude qui porteront sur les rapports entre médias, censure et liberté d’expression, à l’occasion du quarantième anniversaire de l’ONG Reporters sans frontières. La première journée aura lieu (je l’espère, car à l’heure où j’écris ces lignes, je n’ai toujours pas de confirmation de l’administration…) à l’université de la Sorbonne-Nouvelle, le 13 octobre, de 14h à 18h30 et la seconde le lendemain, de 14h à 18h, à la Contemporaine, la bibliothèque et le centre d’archives attachés à l’université de Nanterre. Voici le programme :

Il sera possible de suivre les communications et les échanges à distance. Une inscription est nécessaire, vous trouverez le formulaire à cette adresse : https://docs.google.com/forms/d/e/1FAIpQLSeoMlnuW3VxlosfttmsivMTxm2ZI5oYPSopfCY_4OgZl513PA/viewform?usp=header

C’est également en octobre que commencera le cycle de conférences de l’Université des Cultures Ouvertes (UCO), l’université populaire de la Sorbonne-Nouvelle. Ce programme, qui existe depuis plusieurs années, propose des conférences ouvertes à tous, le plus souvent données par des enseignants-chercheurs de l’université, sur les thèmes les plus divers. Façon de montrer que l’université sait s’ouvrir à un public non étudiant et être un lieu d’échanges et de savoir pour l’ensemble de la société! Vous pourrez trouver le programme des conférences du premier semestre à cette adresse : https://www.sorbonne-nouvelle.fr/universite-des-cultures-ouvertes-2025-886409.kjsp?RH=1507209118733

Voilà, c’est tout pour le moment, mais c’est déjà pas mal. Je vous souhaite à toutes et tous une excellente rentrée universitaire et une année pleine de belles découvertes!

LM

Quelques lectures pour l’été

Bonjour, j’espère que, vous qui me lisez, vous vous apprêtez à déconnecter, à décrocher, à vous barrer, quelque part, loin, proche, avec vos proches, ou seul, pour vous ressourcer, vous retrouver, vous reposer. L’été est vraiment arrivé et je vous le souhaite reposant et intéressant, je vous souhaite de vraies bonnes vacances, aussi incongru, voire scandaleux, ce souhait pourrait-il apparaître aux yeux et oreilles de ceux qui, à Gaza, à Kuyv et ailleurs, dans tant d’endroits dans ce monde en souffrance, ne connaissent pas ce luxe que nous trouvons, ici, tout naturel.

En guise de viatique, et pour clore une année universitaire qui fut, comme toujours, assez intense, je publie dans ce dernier post avant les grandes départs quelques articles rédigés par des étudiants et étudiantes du master de géopolitique de l’art et de la culture de la Sorbonne-Nouvelle. Il s’agit d’articles dits de « vulgarisation », qui présentent en quelques pages l’essentiel d’une recherche effectuée pendant deux ou trois années.

Certain.e.s. ont déjà soutenu leur mémoire de recherche, d’autres le feront en septembre, tous et toutes achèvent leur parcours universitaire et seront bientôt lâché.e.s dans la jungle, pardon, la nature, à la recherche d’un emploi. Pendant deux années, ils ont eu la possibilité de lire et d’écrire sur un sujet de leur choix, un luxe, encore, mais de l’esprit, que l’Université permet – pour combien de temps encore? Car ce luxe est menacé, de toutes parts : par les restrictions budgétaires, le grand appauvrissement de l’enseignement supérieur et de la recherche en SHS ; par les facilités nouvelles offertes par les intelligences artificielles génératives, qui permettent déjà, si on le veut, de faire rédiger par ces entités électroniques tout ou partie de ce travail intellectuel. Gain de temps, certainement, au prix d’une perte tout aussi certaine de ce qui fait l’intérêt de ce type de travail, l’acquisition et la maîtrise de connaissances et de compétences, la structuration d’une pensée, le développement d’un esprit critique et politique, la créativité. Est-on prêt à abandonner tout cela, pour gagner quelques semaines? J’espère que non mais peut-être suis-je un vieux crabe qui s’accroche désespérément à quelques idées obsolètes en attendant d’être emporté par la prochaine marée…

En attendant, je vous conseille de lire ces articles, qui témoignent, eux, de la créativité, de l’enthousiasme, de la curiosité des étudiants du master que j’ai l’honneur de codiriger avec mon compère et ami Bruno Nassim Aboudrar. Ils vous feront voyager, réfléchir, découvrir, ils vous donneront peut-être envie d’en savoir plus sur les réalités qu’ils décrivent – et, dans ce cas, n’hésitez pas à me le faire savoir, je pourrai vous mettre en contact avec leurs auteur ou autrice. Il ne s’agit que d’une partie des textes reçus, tous et toutes ne m’ont pas accordé l’autorisation de les publier ici, c’était d’ailleurs leur droit le plus strict. Mais ces quelques textes, très illustrés, donnent au moins un aperçu de la variété et de la richesse des thématiques traitées. Les voici, dans un désordre assumé.

Bonne lecture, donc, et à bientôt!

LM

Risa Terada « Tradition et innovation. Métiers d’art en France et artisanat traditionnel au Japon »

Marta Pascual Ferrer « Les voix du silence » (sur la censure de la musique)

Aurore Seibert « Le cinéma à l’ère anthropocène : les films de fiction français et américains face à la crise écologique (1970-2024)

Morgane Douchin « Le pouvoir de l’art comme outil de réappropriation culturelle en Australie »

Louise Millerand « Quand la culture est politique : les lieux culturels alternatifs à Paris et à Buenos Aires »

Garance Ampe « Art Afro et Porteno »

Ange Cipriani « La renaissance de la culture kazakh au 21e siècle »

Justine Marquis « Erasmus, de 1987 à nos jours »

Retour de Belgrade

Bonjour,

dans une actualité toujours aussi désespérante, quelques heures joyeuses sont toujours bonnes à prendre, et ce fut le cas la semaine passée, à l’occasion d’un séjour de trois jours à Belgrade, l’ex-capitale de l’ex-Yougoslavie qui n’est plus que la capitale de la Serbie depuis le dernier épisode de cette longue et tragique série des guerres balkaniques. J’étais invité par l’Institut français, dirigé pour encore une poignée de semaines par Stanislas Pierret (personnage étonnant et attachant), à présenter une conférence sur la diplomatie culturelle française. C’est surtout ma collègue Aleksandra Kolakovic, de l’Institut d’études politiques, rencontrée voici trois ans à l’occasion du colloque sur l’histoire de la diplomatie française, qui a tenu à ce que je vienne ici rencontrer celles et ceux qui s’intéressent à la France, à sa diplomatie et à sa culture. Et ils sont encore relativement nombreux, même si le français, ici comme (presque) partout en Europe et dans le monde, recule devant l’anglais – d’ailleurs, j’ai prononcé ma conférence en anglais, pour me faire comprendre d’un auditoire qui ne se pâme plus par réflexe en entendant la langue de Molière et de Malraux…

L’après-midi, je participais (toujours en anglais) à un atelier sur la recherche et l’enseignement dans le domaine de la diplomatie culturelle à l’Institut culturel, en compagnie de chercheurs et chercheuses rassemblés par Alexandra, Vesna Adamovic (cheville ouvrière depuis des années de la coopération universitaire franco-serbe) et Caroline Sotta (à gauche sur la photo), attachée culturelle à l’Institut. Celle-ci était surtout soucieuse de savoir comment donner un coup de jeune à la vieille amitié franco-serbe, forgée dans le feu de la Première Guerre mondiale, amitié à laquelle (exemple unique au monde, je crois) est consacré un monument imposant, installé depuis 1930 dans le parc de Kalemegdan.

La photo est incomplète car l’autre face du monument n’est pas moins intéressante que celle que je montre ici : aux frères d’armes français et serbes s’ajoute la France nourricière, l’institutrice auprès de laquelle la jeune nation serbe aspirait à s’éduquer… Quatre-vingts ans plus tard, les bombes de l’OTAN tombaient sur la tête des Serbes, avec l’accord et la participation de la France, dans le contexte de la guerre fratricide entre les peuples yougoslaves. Cette « trahison » n’est pas oubliée (d’autant que toutes les traces des bombardements n’ont pas été effacées) mais on me dit, et je le crois, que les Serbes, dans leur majorité, gardent affection et respect envers la France.

L’ancien ministère de la Défense serbe, dans son état actuel.

Le rêve yougoslave, nul ne l’a mieux incarné que Josip Broz Tito, l’inamovible chef d’Etat de la république de Yougoslavie de 1953 à 1980, date de sa mort. En compagnie d’Alexandra, j’allai visiter son mausolée, sur la colline aux fleurs qui domine la ville, et en profitai pour visiter l’intéressant musée de l’histoire de la Yougoslavie attenant, auquel le grand homme qui repose à côté fait un peu d’ombre (les responsables du musée s’évertuent à persuader les donateurs et visiteurs qu’il n’est pas seulement un musée à la gloire de Tito, sans parvenir à convaincre). L’histoire du panslavisme balkanique est compliquée, traversée de mille querelles qui échappent au profane ; nous connaissons mieux (du moins pour ceux qui étaient de ce monde dans les années 1990) à quoi il a abouti, cette guerre qui a déchiré la nation yougoslave, avec son cortège de massacres, de crimes de guerre et contre l’humanité, ses épurations ethniques (le terme a été inventé à cette occasion). Le musée nous explique peu de choses sur les racines de cette guerre, encore moins sur son déroulé ; il préfère s’attarder sur ce qui l’a précédée, les pages glorieuses de la Yougoslavie d’après la Seconde Guerre mondiale, l’épopée des non-alignés, dont la Yougoslavie du camarade Tito fut le porte-drapeau. Les photos des rencontres internationales de la jeunesse, des projets grandioses, de l’amitié entre les peuples donnent une idée positive de ce que fut cette utopie internationaliste, à distance des camps atlantiste et soviétique. L’envers du décor est moins présent, même s’il affleure à travers les témoignages du culte de la personnalité qui a entouré Tito jusqu’à sa mort et au-delà.

Un autel électrique à la mémoire de Tito, fabriqué par un ouvrier.

J’ignore quelle place conserve Tito dans la tête et le coeur de la jeune génération. En tout cas, celle-ci ne voue pas le même culte à son lointain successeur, Aleksandar Vucic, c’est le moins que l’on puisse dire. Du moins la jeunesse étudiante qui, depuis des mois, défie le pouvoir et défile dans la rue, réclamant la fin de la corruption et des réformes en profondeur. Les universités sont bloquées, les manifestations presque quotidiennes. Les contre-manifestations aussi, organisées par le pouvoir qui n’hésite pas à payer des gens pour qu’ils viennent « spontanément » manifester en sa faveur. Mais Vucic, comme tous les populistes de la région, bénéficient d’une popularité réelle, surtout parmi la population rurale et peu éduquée, qui se sent délaissée, à l’écart de la croissance économique qui bénéficie avant tout aux élites et à la population des grandes villes. L’élection du populiste Karol Nawrocki en Pologne ce week-end est venue rappeler qu’il s’agit d’un mouvement de fond qui ne retombera pas de lui-même. Il y a d’ailleurs aussi des accents populistes et dégagistes dans les manifs étudiantes de Serbie et tous les manifestants ne brûlent pas d’amour pour Bruxelles, Paris ou Berlin, loin s’en faut. Mais la plupart rejettent les pratiques autoritaires et la corruption qui règnent en Serbie. Ce qu’ils veulent? Retrouver une forme de souveraineté. Plus facile à dire qu’à faire quand on est un pays de sept millions d’habitants qui frappe à la porte de l’Union européenne tout en regardant avec envie ou dégoût du côté des Etats-Unis ou de la Russie…

L’université, bloquée et couverte de messages hostiles au gouvernement.

De cela aussi, il a été question dans les discussions avec les collègues rencontrés à Belgrade, et la France est également admirée pour son esprit frondeur, turbulent, pour sa capacité à descendre dans la rue pour défendre ses droits et en réclamer d’autres. L’esprit de révolte, ou de révolution, produit d’exportation culturelle? Ou comment le mythe – et la réalité – du Français râleur peut devenir, de façon inattendue, un élément du softpower à la française…

LM

L’ambassade de France

Quelques annonces de printemps

Bonjour,

le printemps est arrivé, depuis quelques jours (pas forcément évident, à regarder par la fenêtre, mais le calendrier est irréfutable) et, déjà, cent fleurs s’épanouissent, comme disait le camarade Mao.

Affiche de propagande issue de la collection de Stefan Landsberger

Je vous propose un bouquet d’annonces, un peu disparate mais néanmoins séduisant, en espérant que vous y trouverez votre bonheur. Il n’a pas l’ambition de l’exhaustivité, seulement celle de la diversité.

Je commence par la plus urgente. Dans trois jours, les 28 et 29 mars prochains, les doctorant.e.s. de l’Ecole doctorale MAGIIE de la Sorbonne-Nouvelle proposent un séminaire de deux jours sur « le parcours du doctorant » à la Maison de la Recherche de la Sorbonne-Nouvelle, 4 rue des Irlandais dans le 5e arrondissement de Paris. Ce parcours du doctorant prenant parfois l’allure d’un parcours du combattant, il est sans doute bon (et réconfortant) que les premiers et premières concerné.e.s. fassent part aux aspirant.e.s. doctorant.e.s. de leur expérience, de leurs doutes et difficultés mais aussi de leur bonheur à réfléchir, lire et écrire sur un sujet qui leur tient à coeur. Voici le programme de ces journées :

Deux autres initiatives étudiantes sont à signaler. D’abord, la création, en février, au sein du master de Géopolitique de l’art et de la culture que je codirige à la Sorbonne-Nouvelle, d’une association nommée Sphère Culture. Selon ses responsables, son but est de favoriser les relations entre étudiantes et étudiants du master, entre les promos de première et deuxième année et de favoriser la création d’un réseau professionnel, à travers les évènements organisés et le réseau alumni.
Sphère Culture organisera principalement des cycles de rencontres et des ateliers thématiques, ainsi que des évènements culturels (sorties muséales, pièces de théâtre, etc), associés à une forte présence sur les réseaux sociaux, dans le but de relayer les recommandations culturelles de chacun.e et de faire lien.

Parmi les premières opérations de Sphère Culture, les reco’culturelles : des posts Instagram dans lesquels les étudiant.e.s. peuvent parler de leurs coups de coeur culturels (expo, festival, pièce, film, lecture, podcast) et les partager avec les autres.

Vous pouvez suivre les activités de l’association sur Instagram (@sphere.culture) et Linkedin (Sphère Culture). Bravo et longue vie à cette association qui rendra le master de Géopolitique de l’art et de la culture de la Sorbonne-Nouvelle encore plus attractif!

Ensuite, une journée d’étude organisée le 4 avril prochain par d’autres étudiant.e.s. du département de Médiation culturelle de l’USN, mais cette fois du master Musées et nouveaux médias. Sur le thème « Virtuels ou vertueux? Les musées face au numérique », les mastérant.e.s célébreront à l’Orangerie du musée Carnavalet, dans le 3e arrondissement de Paris, le dixième anniversaire de la création du master en échangeant avec des experts du domaine sur les enjeux de l’inclusion, de la profession muséale, et de l’IA, à l’ère du numérique.

L’inscription gratuite se fait via ce lien :
https://my.weezevent.com/virtuels-ou-vertueux-les-musees-face-au-numerique

La veille, le jeudi 3 avril donc, le mouvement Stand Up For Science organise une deuxième journée de mobilisation nationale, construite localement, et ouverte à toutes celles et ceux qui défendent les sciences, la liberté académique, le rôle de l’université et de la recherche dans la société. 
Stand Up For Science s’est construit en France en solidarité avec les scientifiques (au sens le plus large du terme) aux États-Unis, en Argentine et partout où la liberté académique est menacée. Depuis, le mouvement s’est élargi. Une tribune, qui sert de manifeste, est parue dans le journal Libération :
https://www.liberation.fr/idees-et-debats/stand-up-for-science-et-apres-20250320_PAEXRBEBOFHK5FRZLAGXCUFUIM/

Elle s’appuie sur un constat simple : face aux crises démocratique, économique, sanitaire, climatique et environnementale, produire, transmettre et préserver les savoirs est une nécessité. Cela n’est possible que si les savoirs sont pensés et défendus comme un bien commun. Vous pouvez signer mais aussi diffuser largement autour de vous cette tribune— elle est ouverte à toutes les citoyennes et tous les citoyens :
https://standupforscience.fr/tribune/

Le mouvement Stand Up For Science propose une journée d’action plurielle, selon des modalités à inventer de manière adaptée aux contextes locaux, aux moyens disponibles et aux formes d’engagement possibles. Il invite toutes celles et ceux qui participent à faire vivre les savoirs à s’emparer de la journée du 3 avril : lieux d’enseignement et de recherche, associations, collectifs étudiants, établissements scolaires, bibliothèques, centres culturels et sociaux, syndicats, médias, citoyennes et citoyens. Il invite les établissements de recherche et d’enseignement supérieur, qui ont annoncé leur soutien à Stand Up For Science ou souhaiteraient le faire, à la banalisation de la journée du 3 avril, la participation active de tous les personnels, et la mobilisation des étudiantes et des étudiants (conférences, médiation scientifique, manifestations, performances, etc.). Pour rappel, la banalisation peut être demandée auprès des présidences des universités, de leurs conseils d’administration, des directions des facultés, instituts, ufr ou laboratoires de recherche.  


Cette journée doit refléter la diversité des engagements de Stand Up For Science, à travers des initiatives comme :

StandUpForScience, pour rendre visibles les attaques contre les sciences et la liberté académique,

PrintempsDesCampus, pour mobiliser les personnels, étudiantes et étudiants sur les campus,

PrintempsDesSciences, pour investir l’espace public à travers des événements de méditation scientifique et de dialogue avec la société civile,

GetsUpStandUp, pour donner de la visibilité aux engagements multiples du mouvement, à travers des manifestations ou performances pour la démocratie, l’accès aux savoirs, leur diffusion et leur indépendance,

NousSommesLesSciences, pour affirmer notre engagement commun pour des sciences au service de toutes et de tous.

Pour participer à l’organisation locale d’évènements, rejoindre une initiative ou simplement suivre les actualités de la mobilisation, il suffit de rejoindre le mouvement sur http://www.standupforscience.fr.
Pour que ce mouvement décentralisé et pluriel prenne de l’ampleur, il est crucial de réunir rapidement les coordinations locales existantes et d’en faire émerger là où elles manquent: dans chaque ville, chaque établissement voire nationalement autour d’engagements communs. Pour celles et ceux qui souhaitent utiliser des visuels Stand Up For Science, ils sont disponibles ici: https://standupforscience.fr/logos-affiches-flyers/. 


Screenshot

Encore deux autres annonces et j’en aurai (provisoirement) fini.

De nouveaux épisodes du podcast Histoires culturelles sont disponibles sur votre plateforme favorite. Histoires culturelles est un podcast qui explore les mondes de la culture, de la fabrique des œuvres aux musées, des objets du quotidien aux imaginaires médiatiques, des avant-gardes aux icônes pop. Une production du Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines et du Comité d’histoire du ministère de la Culture, sous la responsabilité d’Anaïs Fléchet.

Pour sa deuxième saison, le podcast Histoires Culturelles s’intéresse aux lieux de la culture. Ateliers d’artistes, maisons d’écrivains, studios d’enregistrement, centres culturels et de formation, scènes officielles ou alternatives, les lieux créent du sens, des pratiques et des sociabilités artistiques. Chercheurs, témoins, conservateurs nous en racontent l’histoire.

Derniers épisodes mis en ligne: 

Episode 3 : Les Centres Culturels de Rencontre. L’Institut mémoire de l’édition contemporaine
Episode 4 : Les Centres Culturels de Rencontre. Le domaine de Chaumont-sur-Loire et l’Abbaye royale de Fontevraud
Episode 5 : L’atelier d’artistes. Pratiques et imaginaires de la création, du romantisme à nos jours.
Episode 6 : Un atelier à soi : les femmes-artistes et leurs ateliers

Des épisodes réalisés par Anaïs Fléchet, Laurent Martin et Ivanne Rialland avec l’association Siméa. 
Avec la participation de Laurence Brogniez, Chantal Colleu-Dumond, Catherine Gonnard, Goulven Le Brech, Nathalie Léger et Sébastien Tardy et toujours de nombreux documents d’archives.

Voici les liens pour y accéder

AMAZON MUSIC : https://music.amazon.com/podcasts/f1193894-2d34-4697-b906-3a2503566f33/histoires-culturelles
APPLE PODCAST : https://podcasts.apple.com/fr/podcast/histoires-culturelles/id1697167127
SPOTIFY : https://open.spotify.com/show/0JPFj0LL9bIUyDMtkd7obC
DEEZER : https://www.deezer.com/fr/show/1000092995

Un autre lieu où se conserve et se fabrique la culture, qui aurait pu faire l’objet d’un épisode de ce podcast Histoires culturelles : la Bibliothèque nationale de France. Celle-ci publie chaque année un appel à chercheurs et chercheuses afin de s’associer le concours de jeunes chercheurs et chercheuses pour l’étude et la valorisation de ses collections, en priorité celles inédites, méconnues ou insuffisamment décrites. Le statut de chercheur associé ou de chercheuse associée, attribué pour une durée d’un an à compter du 1er octobre, offre un accueil et un accompagnement dans un département de la BnF, avec un accès facilité aux collections.

L’appel est en ligne depuis début février, et jusqu’au 2 mai : https://bnfaac2025.sciencescall.org/

La BnF accorde également des bourses de recherche sur ses collections, dotées d’une somme allant de 10.000 à 15.000 euros, grâce à la générosité de mécènes et donateurs. Pour l’année 2025-2026, quatre bourses seront attribuées :
une bourse Paul LeClerc-Comité d’histoire de la BnFsur l’histoire de la Bibliothèque et de la constitution de ses collections;
une bourse Mark Pigott pour les humanités numériques ;
une bourse de la Fondation Louis Roederersur l’histoire de la photographie ;
une bourse Alexandre Tzonis et Liane Lefaivresur l’architecture et son environnement.

Je me permets d’attirer votre attention sur la bourse Paul LeClerc-comité d’histoire de la BnF( https://bnfaac2025.sciencescall.org/resource/page/id/4). Depuis 2018, le Comité d’Histoire de la BnF propose une bourse de 15 000 euros visant à soutenir un travail portant sur l’histoire de la BnF et de ses collections. Cette bourse est soutenue depuis 2022 par Monsieur Paul LeClerc. Les candidates et candidats sont libres de proposer leurs propres sujets ou de choisir parmi ceux proposés par la BnF dans le domaine « Histoire de la BnF & de ses collections ». Les sujets peuvent relever de l’histoire administrative, de l’histoire des publics et des usages, de l’architecture, du personnel, des traitements bibliothéconomiques (classification, conservation, numérisation), de l’histoire des représentations sociales, etc. Une attention particulière sera portée aux projets portant sur l’histoire des collections et leurs provenances.

Voilà, j’espère que dans ce bouquet d’annonces printanières, l’une au moins vous intéressera assez pour vous donner le désir d’y aller voir de plus près. N’hésitez pas à me faire part d’autres événements que je pourrai relayer ici.

A bientôt,

LM

Lettre ouverte aux Hystériques*

Aujourd’hui, à 16 heures, j’étais comme prévu à l’amphi BR06 de l’université de la Sorbonne-Nouvelle, où devait se tenir la rencontre avec Jack Lang. Celui-ci avait déjà décommandé sa venue de peur d’être violemment pris à partie, mais j’étais quand même sur place pour discuter avec les étudiant.e.s. qui l’auraient voulu. L’amphi était vide. Vide comme un cerveau de censeur.

Entretemps, l’asso des Hystériques, comme elles/ils se nomment elles/eux-mêmes (tout en s’offusquant qu’on les nomme ainsi, c’est compliqué) avait fait parvenir une « lettre ouverte » aux instances de l’université pour réclamer de nouveau la déprogrammation de cette rencontre. Comme j’y suis nommé, et interpellé, je me sens tenu d’y répondre dans ce nouveau billet. Certes, mon modeste blog n’a pas la puissance de feu des réseaux sociaux, mais enfin, j’essaie de compenser la quantité par la qualité. Et puis, l’attention que m’ont porté ces personnes a gonflé les chiffres de fréquentation de ce blog – c’est l’effet paradoxal bien connu de la censure.

Je les remercie donc, et les félicite. Eh oui, je vous félicite, chères/chers Hystériques* : vous avez gagné! Lang n’est pas venu. La rencontre a été annulée. Vous avez fait la preuve de votre capacité à mobiliser des étudiant.e.s., à utiliser les réseaux, vous avez bloqué des portes, occupé le terrain. Vous avez montré votre pouvoir. Bravo. Vous pourrez sabrer le mousseux ce soir. Mais cette victoire est en trompe l’œil. En réalité, vous avez perdu, et à plusieurs titres.

D’abord, symboliquement, vous avez montré de quel côté était l’intolérance, la censure, le refus de débattre. Symboliquement, votre défaite est écrasante. Ensuite, vous avez perdu une occasion de poser à cet homme des questions dérangeantes auxquelles il aurait pu répondre, vous avez perdu une occasion d’apprendre et de réfléchir – et lui aussi, par votre faute, a perdu une occasion, celle de vous entendre, de vous comprendre. Vos questions et vos critiques n’étaient pas toutes illégitimes, loin s’en faut. Il ne les entendra pas. Chacun s’enfermera derrière les murailles de ses convictions, dans le confort douillet de sa bulle informationnelle et idéologique.

Plus fondamentalement, cette défaite est collective. Nous avons tous perdu, l’Université a perdu, et je ne parle pas seulement de la Sorbonne-Nouvelle. L’Université, dont le nom dérive de l’universalisme, qui devrait être un lieu ouvert, un lieu de débat et de savoir, s’est transformée par la grâce d’une pétition en forteresse et en prison où règne la police de la pensée.

Dans cette lettre ouverte qui m’est en partie adressée, une question de fond est posée : « l’université existe-t-elle pour représenter ses étudiant·es ? Reflète-t-elle les valeurs de celleux qui refusent que la faculté devienne une tribune pour une personnalité que plus d’un millier de signataires estiment illégitime dans ce cadre ? D’après nous, c’est de toute évidence son rôle. »

Nous sommes là en profond désaccord. Une université n’a pas à représenter ses étudiants (ni ses enseignants, d’ailleurs). Elle n’a pas à se dire de droite, de gauche ou du centre. Elle est un lieu de confrontation intellectuelle et toutes les idées et toutes les personnes, à partir du moment où elles ne tombent pas sous le coup de la loi, y ont droit de cité, droit de parole. Et je défendrai aussi bien le droit d’une Marine Le Pen à venir s’y exprimer que celui d’un Jean-Luc Mélenchon. La liberté d’expression n’est pas à géométrie variable. Et la censure ne cesse pas d’être une censure parce qu’elle se pare des atours de la gauche ou d’une noble cause.

On attribue, probablement à tort, à Voltaire, une belle pensée sur la liberté d’expression : « Je ne partage pas vos idées mais je me battrai pour que vous puissiez les exprimer »(quelque chose comme ça, je cite de mémoire). On peut aussi penser à cet arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme qui date de 1976 et que j’aime à rappeler dans mes cours sur la censure. Appelée à juger d’une affaire de presse en Grande-Bretagne, la Cour avait estimé que « La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve des restrictions mentionnées, notamment dans l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, elle vaut non seulement pour les informations ou les idées accueillies avec faveur, ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’Etat ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’y a pas de société démocratique. »

C’est cet arrêt qui avait servi, notamment à débouter les plaignants qui poursuivaient en justice Charlie Hebdo pour avoir publié les caricatures de Mahomet. Il me semble parfaitement adapté au cas présent.

Cette liberté d’expression et sa traduction dans l’espace académique sont attaquées de toutes parts. De la droite ou de l’extrême-droite, cela était attendu. De la gauche ou de l’extrême-gauche, ce l’était moins. Mais, foin de théorie politique, quand tout un tas de personnes semblent mues avant tout par une indignation morale qui leur tient lieu de pensée. Contre cette intolérance et la censure qui en découle, je continuerai de me battre avec mes faibles moyens.

J’ai conscience, au terme de ce court billet d’humeur, de n’avoir pas répondu à d’autres points intéressants soulevés par cette affaire ou par la lettre ouverte (qui porte décidément mal son nom) à moi partiellement adressée. Ce sera pour un autre billet ou pour un cours, par exemple sur la politique culturelle de Jack Lang. Car voici un autre effet positif de la censure : c’est qu’elle me fouette les sangs et me pousse à descendre dans l’arène. Pour cela aussi, soyez remercié.e.s, chères/chers Hystériques*.

LM

Nous vivons une époque hystérique

Bonjour,

trois mois sans écrire un billet, même selon mes standards, c’est beaucoup. La faute à pas le temps, pas l’envie, pas l’occasion… Je la trouve, cette occasion (à défaut de temps, l’envie est là) dans la venue à l’université de la Sorbonne-Nouvelle, jeudi prochain, 13 mars, de l’ancien ministre de la Culture et toujours président de l’Institut du monde arabe, Jack Lang.

Cette photo, récupérée sur le site de RFI, est, dans les circonstances présentes, d’une ironie cruelle. En effet, alors que nous souhaitions le faire revenir à la Sorbonne-Nouvelle dix ans après son dernier passage dans le cadre de la Semaine des Arts et Médias, et de nouveau pour lui donner l’opportunité de parler de sa vie entre culture et politique (lui qui, depuis maintenant plus de soixante ans se bat, certes avec des réussites diverses, pour mettre la culture à la portée du plus grand nombre dans un esprit de pluralisme), voilà qu’une pétition circule dans cette « université de toutes les cultures » pour appeler à la déprogrammation de son intervention.

Lancée à l’initiative d’une association étudiante nommée « les Hystériques » et qui se définit comme « féministe / queer », cette pétition (qui a quand même recueilli quelque 500 signatures, paraît-il) lui fait grief d’avoir, d’une part, signé, en 1977, une autre pétition, celle-ci publiée dans Le Monde, demandant la libération d’adultes accusés d’avoir eu des relations sexuelles avec des mineurs, d’autre part, d’avoir pris position en faveur d’artistes accusés d’agressions sexuelles ou de pédocriminalité tels que Roman Polanski ou Woody Allen.

Il est inacceptable, estiment les pétitionnaires 2025, « qu’une institution comme la Sorbonne Nouvelle, se félicitant de promouvoir la diversité, l’inclusion et la justice sociale, offre une tribune à une personnalité dont les actions ont ignoré ces mêmes valeurs. En tant qu’étudiant.es, ainsi qu’en tant qu’activistes féministes et queer, nous nous élevons contre cette décision et réclamons l’annulation de la venue de Jack Lang à cet événement. »

« Un mot, un geste, un silence », en effet!

La signature de cette pétition en 1977 était certainement une erreur, Jack Lang l’a reconnu et s’en est excusé. Il convient cependant, même si la jeunesse d’aujourd’hui est fâchée avec l’histoire, de la replacer dans un contexte historique dans lequel il était de bon ton, dans une certaine gauche, de ruer dans les brancards de la « morale bourgeoise », de promouvoir une liberté sexuelle presque sans limites, de rompre avec les normes tant morales que pénales qui paraissaient d’un autre temps. Ce qui faisait le plus débat dans les années 1970, notamment du côté des mouvements homosexuels mais pas seulement, c’était la discrimination concernant l’âge de la majorité sexuelle. On considérait l’enfant ou l’adolescent comme capable de consentir au plaisir, sans s’interroger sur l’emprise que pouvait exercer sur lui l’adulte, sans questionner la relation de pouvoir qui pouvait exister entre eux, et cela alors que la lutte contre le Pouvoir était justement au coeur de la rébellion soixante-huitarde. Ce n’est qu’à partir des années 1990, à la suite d’une série de faits divers sordides, que l’indulgence touchant à la pédophilie a peu à peu disparu, laissant la place à une forme de sacralisation de la pureté enfantine. Le terme de pédocriminel a remplacé celui de pédophile, sans souci excessif de la nuance.

Rappeler ces faits n’est pas excuser ou dédouaner Jack Lang – pas plus que les personnalités qui ont également signé cette pétition ou d’autres de la même encre à cette époque, les Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Louis Aragon, Françoise Dolto… C’est expliquer qu’on a changé d’époque et que ce qui était perçu comme admissible dans le sillage de mai 68 ne l’est plus aujourd’hui, et tant mieux. Cela justifie-t-il aujourd’hui l’ « annulation » de Jack Lang? Il est permis d’en douter.

Comme il est permis de douter que son soutien à des artistes accusés et parfois condamnés dans des affaires d’agressions sexuelles le rende complice de leurs actes. Sa position, que l’on peut contester, est qu’il convient de séparer l’homme de l’artiste, et les oeuvres du jugement moral (ou pénal) porté sur leur auteur. Il ne s’agit pas d’oblitérer les fautes ou les crimes de ces artistes, mais de ne pas réduire leurs oeuvres à ces comportements que la morale ou le droit réprouve. Ou alors, cachons les tableaux de Picasso qui s’est mal conduit avec ses femmes, ne lisons plus Rimbaud parce qu’il trafiquait des armes, ni Villon qui a trempé dans de sombres histoires de meurtre… Je rejoindrais assez, même si elle a été très critiquée, la philosophe Carole Talon-Hugon qui dénonçait le moralisme radical de certain.e.s activistes qui conduit à une relecture intégriste de l’histoire de l’art ; elle estime en revanche que l’évaluation morale peut faire partie de l’évaluation globale d’une oeuvre, pourvu que l’on ne réduise pas cette dernière à cela (voir notamment, de cette autrice, L’Art sous contrôle, 2019). On peut, par ailleurs, vouloir continuer à apprécier la valeur esthétique d’une oeuvre et ne pas pour autant approuver que soit officiellement honoré, par des prix ou des récompenses, son auteur s’il s’est mal comporté « dans la vie ».

A vrai dire, ces problématiques sont riches et complexes et mériteraient un vrai débat, une libre discussion, et l’université devrait être le lieu par excellence pour ce type de débat. Sauf que les « hystériques », comme ils/elles se nomment eux/elles-mêmes ne veulent pas discuter, ne désirent pas débattre. Ce qu’ils/elles veulent, c’est annuler, déprogrammer, interdire, censurer. Et s’arroger pour l’avenir un droit de regard sur le choix des intervenants (« Nous demandons la mise en place d’un comité de consultation incluant des associations féministes, queer et antiracistes dans le processus de sélection des intervenants futurs »). A quand un vote (à main levée, bien sûr) pour choisir ses enseignant.e.s en fonction de leurs opinions politiques, de leur religion ou de leur couleur de peau? « Quand on voit des groupes dits progressistes tenir un discours d’extrême droite par rapport aux oeuvres, il y a de quoi être effondré », écrivaient les responsables de l’Observatoire de la création, lié à la Ligue des droits de l’homme, dans un article l’an passé. On en est là, en effet, dans cette charmante époque que nous vivons.

Bien sûr, jeudi, je serai là, aux côtés de Jack Lang, pour affronter la meute « hystérique ».

LM

                                                                                   

Meilleurs voeux!

Bonjour, et bonne année 2025 à toutes et tous. J’espère que vous allez bien, que vous êtes épargné par la vague de grippe qui frappe la France, que vous n’êtes pas actuellement en Californie du côté de Los Angeles, que vous n’étiez pas au Tibet début janvier, etc. Le monde va mal, je ne vous apprends rien. D’autant qu’aux catastrophes naturelles s’ajoute la folie des hommes qui, elle, ne connaît pas de trêve. À quelques jours du retour à la Maison-Blanche d’un fou furieux, cette nouvelle année semble prendre un mauvais départ.

La nef des fous (ou allégorie de la gourmandise) par Hieronymus Bosch, vers 1500-1510, musée du Louvre

Dans cet océan de misères et de bêtises, il est précieux de pouvoir se raccrocher à quelques figures lumineuses, quelques hommes et femmes d’exception dont la conduite inspire. C’est le cas d’un collègue malheureusement et prématurément disparu, Serge Saada, auquel nous rendrons hommage mercredi prochain, 15 janvier, dans l’université de la Sorbonne-Nouvelle où il exerça son métier d’enseignant pendant une vingtaine d’années.

Homme de théâtre et de musique, écrivain à ses heures, Serge était une belle personnalité, très appréciée de ses collègues comme de ses étudiant.es., un homme doux, bienveillant, curieux de tout, un enseignant hors pair, un enseignant en or. Je l’ai côtoyé quelques années comme collègue au sein du département de Médiation culturelle, je ne peux pas dire qu’il était devenu un ami car nous nous connaissions peu, mais j’étais attiré, comme beaucoup, par la chaleur humaine que dégageait cet homme sympathique. Son livre Et si on partageait la culture? publié en 2011 aux éditions de l’Attribut, comme ses activités au sein de l’association Cultures du coeur, témoignent de sa volonté de rompre avec une Culture au singulier et en majesté, une culture intimidante voire méprisante, au profit d’un dialogue, d’une appropriation personnelle, d’un apprentissage basé sur le respect de toutes les différences.

À l’heure où tant de murs s’érigent, au sein d’un même pays ou entre les pays, pour défendre intérêt et identités supposément menacés par l’Autre, l’exemple de cet homme qui n’avait de cesse de construire des ponts entre les individus et les communautés doit nous inspirer. L’humanisme est une vieille lune aux yeux de certains ; et peut-être s’agit-il d’un autre type de folie que de vouloir persévérer dans ce combat d’arrière-garde. Mais Erasme, qui fit l’éloge de la folie à peu près au moment où Bosch peignait sa nef des fous, fut aussi l’un de nos premiers humanistes européens. Folie douce contre folie furieuse, l’alternative est toujours d’actualité.

Le programme de la journée d’hommage à Serge Saada :

Censure… vous avez dit « censure »?

Un de mes doctorants, Emilio, qui commence un travail sur la diaspora artistique vénézuelienne, me fait part d’une prochaine rencontre organisée par l’Association France pour la Démocratie à Cuba (AFDC) le vendredi 6 décembre prochain à 19h. Elle prendra la forme d’une conversation entre l’écrivain et traducteur Jorge Ferrer et la psychologue et psychanalyste Cristina Díaz, à propos du livre de Jorge Ferrer Entre la Russie et Cuba. Contre la mémoire et l’oubli  aux éditions Ladera Norte. Jorge Ferrer passa presque une décennie à Moscou, d’où il revint non pas convaincu des bienfaits du modèle communiste mais épris de liberté. Après avoir participé au collectif Paideia, il fut contraint à l’exil et se réfugia à Barcelone. Ce livre témoigne de son parcours et de ses réflexions sur « l’art et la censure à Cuba », thème de la rencontre.

Voir les informations pratiques ici : https://www.mal217.org/fr/agenda/l-art-et-la-censure-a-cuba-5c26ebe1

On voudrait espérer qu’à cette date, nous aurons de bonnes nouvelles d’un autre écrivain, Boualem Sansal, détenu depuis une semaine en Algérie sans que le motif de son arrestation à sa descente d’avion à Alger ait pour le moment été communiqué et sans que lui-même ait pu donner signe de vie. La presse évoque ses prises de position sur le contentieux qui oppose l’Algérie et le Maroc quant au Sahara occidental (il serait accusé d’« atteinte à l’unité nationale et à l’intégrité territoriale du pays » et d’« incitation à la division du pays) mais le vrai motif est à chercher du côté de sa dénonciation ancienne et résolue du pouvoir algérien, dont il dénonce depuis vingt-cinq ans la corruption et l’incompétence.

Rappelons que, selon l’ONG Amnesty International, l’Algérie connaît depuis plusieurs années « une érosion continue des droits humains à travers la dissolution par les autorités de partis politiques, d’organisations de la société civile et de médias indépendants, ainsi que la multiplication d’arrestations et de poursuites arbitraires fondées sur des accusations de terrorisme forgées de toutes pièces », selon les termes de Amjad Yamin, directeur régional adjoint pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

Les milieux littéraires et politiques français ont, avec une rare unanimité, pris la défense de l’écrivain franco-algérien (il a été naturalisé cette année), rappelant qu’il s’est également élevé avec courage contre l’obscurantisme islamiste. Que ses propos aient été repris voire récupérés par l’extrême-droite française, toujours prompte à dénoncer tout ce qui vient du sud de la Méditerranée, ne doit pas égarer : il a toujours pris le parti de l’intelligence et de la liberté contre toutes les oppressions et, pour cela, nous lui devons admiration et soutien.

L’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, lors d’un événement littéraire à Nice, le 1er juin 2024. (ERIC DERVAUX / HANS LUCAS / AFP)Screenshot

La censure est décidément un thème éternel que l’actualité ne cesse, hélas, de renouveler… Je donnerai jeudi prochain, 28 novembre, à 14h, dans l’un des amphithéâtres de la Sorbonne-Nouvelle (rue de Saint-Mandé dans le 12e arrondissement de Paris) une conférence sur ce thème dans le cadre de l’Université des cultures ouvertes – un beau cadre, ouvert, justement, à l’inverse de tous ces murs, ces barreaux et ces portes de prison derrière lesquels on enferme ceux qui osent défier l’autoritarisme.

Puisque j’en suis aux annonces personnelles, je participerai aussi, le 6 décembre, à une journée d’étude organisée par la revue Culture et Recherche à l’Ecole nationale des Beaux-Arts de Paris (il sera question des rapports entre sciences sociales et politique culturelle en France) ; et le 11 décembre à un séminaire de l’EHESS (campus Condorcet, à Aubervilliers, centre des colloques, salle 50) sur un thème proche (quelle place pour l’histoire dans la construction de l’Etat esthétique?). Je ne sais pas quand je trouverai le temps pour préparer tout cela, dans un semestre toujours aussi chargé en cours, séminaires et réunions de toutes sortes… Mais je trouverai.

LM

Bienvenue sur le blog de Laurent Martin, professeur d'histoire à l'université de Paris 3 Sorbonne-Nouvelle, membre du laboratoire ICEE, libre penseur..