Du rayonnement à l’influence : histoire de la diplomatie culturelle française

Bonjour,

dans une semaine débutera le colloque international sur l’histoire de la diplomatie culturelle françaises à la MSH Paris Nord. Les préparatifs sont entrés dans la phase finale, ce qui est assez excitant mais aussi épuisant, tous ceux qui ont organisé des colloques de ce type me comprendront.

Voici le dernier état du programme qui, jusqu’à la veille de l’événement, restera provisoire :

Du rayonnement à l’influence
Histoire de la diplomatie culturelle française, XIXe-XXIe siècles

Mercredi 4 mai MSH Paris Nord

matin (9h30-12h30) : communications de 25 mn, président de séance Laurent Martin

9h30 accueil

9h45 présentation et bienvenue

10h-10h30 Philippe Lane : La diplomatie culturelle de la France: une longue tradition historique (Etudes et rapports 1922-2022) (Philippe Lane est Professeur des Universités Émérite de l’Université Rouen Normandie, et a été Vice-Président « Relations Internationales » de cette Université. Il a également occupé les fonctions de Délégué Général de l’Alliance française en Australie, Attaché de Coopération Universitaire au Royaume-Uni, Conseiller de Coopération et d’Action Culturelle en Jordanie. Il est l’auteur de publications sur la diplomatie culturelle et scientifique de la France, en langue française, anglaise, et arabe.)

Résumé : L’objectif de cette Conférence d’ouverture de notre Colloque est de porter un regard rétrospectif sur les nombreux rapports et études qui ont abordé la question de la diplomatie culturelle française depuis un siècle. La discussion qui suivra, le colloque lui-même viendront utilement compléter ce premier aperçu. La diplomatie culturelle et scientifique de la France a constamment fait l’objet d’une attention continue de la part des institutions en charge de la mettre en œuvre et de la promouvoir. Même si toutes les préconisations n’ont pas été suivies, parfois même rejetées, il n’en est pas moins vrai qu’elles contribuent à donner des éléments de proposition à l’action des services de coopération et d’action culturelle ou de coopération scientifique, celles des Instituts français et Alliances françaises, et plus largement à nos institutions en charge de l’influence française à l’étranger. Du rayonnement à l’influence, notre diplomatie culturelle s’est développée selon une logique exposée et préconisée dans ces rapports et études qui ont jalonné son histoire, ses projets et ses bilans. Si ces rapports et études n’ont pas toujours été suivis des faits, il n’en reste pas moins qu’ils donnent de précieuses indications sur l’évolution du regard institutionnel sur les pratiques de coopération dans les domaines culturels et scientifiques. En effet, Ils traduisent une double attention des institutions et des acteurs, celle d’un volontarisme public institutionnel de promotion de la coopération internationale, et celle d’une continuité historique de l’action des opérateurs engagés dans les échanges multilatéraux. S’y retrouve ne longue tradition historique enrichie par un nécessaire renouvellement des politiques et des méthodes : convergences institutionnelles et nouvelles cohérences thématiques d’interventions manifestent ce souci d’un nécessaire renouvellement de cette diplomatie culturelle.


10h30-11h Charlotte Faucher : L’Association française d’action artistique, 1922-1945 (Charlotte Faucher est docteure en histoire et chercheuse Marie Skłodowska-Curie à Paris 3 Sorbonne-Nouvelle. Entre 2018 et 2022 elle a bénéficié d’un contrat postdoctoral financé par la British Academy à l’Université de Manchester où elle a aussi enseigné. Son premier livre, Propaganda, Gender, and Cultural Power: Projections and Perceptions of France in Britain c. 1880–1945, vient de paraître chez Oxford University Press. Elle a publié un article sur la professionnalisation des Françaises dans la diplomatie culturelle entre 1900 et 1940 dans English Historical Review. Avec Ludivine Broch, elle co-dirige le séminaire d’histoire contemporaine de la France à l’Institute of Historical Research de Londres.)

Résumé : Cette communication revient sur l’origine de l’Association française d’expansion et d’échanges artistiques (AFEEA) créée en 1922 dans le contexte des discussions sur la pertinence du maintien des politiques extérieures de propagande qui avaient émergées pendant la Première Guerre mondiale. En 1934, l’AFEEA devient l’Association française d’action artistique (AFAA) puis prend le nom de Culturesfrance en 2006 et d’Institut francais en 2010. Placée sous la houlette du ministère de l’Instruction publique et des Beaux-arts, l’AFEEA coopère avec le Service des Œuvres Françaises à l’Étranger du ministère des Affaires étrangères, mais aussi avec des individus et entités privées (personnalités du monde des arts et de la finance ainsi qu’associations indépendantes de l’Etat). Cette variété du financement et du personnel de l’AFEEA laisse, beaucoup plus que dans les services ministériels en charge de diplomatie culturelle à cette époque, la place aux femmes, qu’elles soient philanthropes, artistes ou issues de l’élite politique française et étrangère. Ainsi, en plus d’examiner les politiques culturelles mises en place par l’AFEEA et l’AFAA, nous nous proposons de réfléchir au genre de la diplomatie culturelle à cette période. Enfin, notre communication analysera la situation délicate de l’AFAA durant la Seconde Guerre mondiale en questionnant la mémoire institutionnelle de celle-ci. Une telle démarche permet non seulement de dialoguer avec les études historiennes sur le résistancialisme, mais contribue également à notre connaissance de la présence culturelle française hors de France entre 1940 et 1944. Nous espérons que les grandes lignes de notre communication – en particulier l’intervention des ministères dans les politiques culturelles extérieures, la coopération public-privé, la diplomatie culturelle durant les guerres mondiales, et le genre – fassent écho à certaines des problématiques sur lesquelles les participant·es du colloque vont revenir tout au long des trois jours. Cette communication s’appuie principalement sur les archives de l’Association française d’expansion et d’échanges artistiques déposées au Centre des Archives diplomatiques du ministère des Affaires étrangères de La Courneuve, ainsi que sur quelques rapports diplomatiques allemands.


11h-11h15 pause

11h15-11h45 Benjamin Benoit : L’adaptation au changement d’un réseau culturel centenaire : paradoxe de la réforme et outils de gestion (Benjamin Benoit est maître de conférences en sciences de gestion et du management à l’Institut d’administration des entreprises de l’Université de Perpignan. Il a servi pendant dix ans au sein du réseau de coopération et d’action culturelle français, en Europe et en Asie. Il est l’auteur de publications scientifiques relatives au contrôle de gestion, notamment de l’ouvrage « La fabrique d’un contrôle de gestion. Le Réseau de coopération et d’action culturelle français à l’étranger » paru en 2019 chez L’Harmattan, collection Management Public.)

Résumé : L’histoire de la diplomatie culturelle française est marquée par le changement et ses capacités d’adaptation. Depuis la création du secrétaire d’État aux Affaires étrangères en 1589, un mouvement d’expansion porté par un principe d’universalité s’est illustré avec des missions d’exploration en Afrique à partir de 1844, la fondation de l’Institut français du Caire en 1880 ou encore la création d’un service des écoles et des œuvres françaises à l’étranger en 1909. L’essor de la diplomatie française, jusqu’à devenir le troisième réseau diplomatique, s’observe aussi par le développement progressif sur les cinq continents d’un dispositif singulier, réseau de réseaux, largement méconnu du contribuable français qui le finance : le Réseau de coopération et d’action culturelle français à l’étranger, communément appelé Réseau culturel, fort de 5 000 agents en poste au sein de 131 services culturels dans les ambassades, 98 Instituts français, 310 espaces et antennes Campus France et 22 instituts de recherche à l’étranger. Né dans la réforme et issu de l’ordonnance 45-675 du 13 avril 1922 créant une Direction générale des relations culturelles au sein du ministère des Affaires étrangères (MAE), le Réseau culturel s’est largement développé au cours du siècle dernier et a bénéficié, en termes de moyens, d’une volonté politique non seulement de rayonnement en faveur de la francophonie et de la francophilie mais aussi d’influence dans un débat d’idées, de valeurs et d’enjeux économiques sur l’échiquier mondial. Le premier sommet de la Francophonie qui avait accueilli à Versailles en 1986 trente-trois chefs d’État ou de gouvernement illustre cette volonté. Les réformes, dans un souci de modernisation et de rationalisation de l’action publique, sont depuis nombreuses et incessantes. Dans cet esprit, on peut rappeler la fusion des ministères des Affaires étrangères et de la Coopération en 1998, la réforme de la coopération qui avait créé en 1999 la Direction générale de la coopération et du développement, à laquelle a succédé la Direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats en 2009, ou encore la loi du 27 juillet 2010 relative à l’action extérieure de l’Etat créant notamment les ÉPIC Campus France, Institut Français et Expertise France. Comme le rappelle son site, le MAE : « a engagé en 2008 un processus de réforme dont les axes ont été fixés dans le cadre du processus de révision générale des politiques publiques (RGPP) et du livre blanc sur la politique extérieure de la France, publié en juillet 2008. Cette réforme a permis de renforcer la lisibilité et l’efficacité de la diplomatie d’influence française » (www.diplomatie.gouv.fr/fr/le-ministere-et-son-reseau/operateurs-du-maedi/). Il faut également mentionner l’influence de la mise en œuvre de la LOLF (Loi organique relative aux lois de finances promulguée en 2001) qui a conduit le ministère a revoir ses procédures de gestion et mettre notamment en place le contrôle de gestion du Réseau culturel. Décider des réformes est certes nécessaire mais encore faut-il que le changement soit opéré, et cela au bénéfice de l’organisation et de ses parties prenantes. La question qui anime cette communication est déterminante quant au développement et à la poursuite de la mission du Réseau culturel puisqu’il s’agit d’étudier la possibilité de la réforme. En d’autres termes, y a-t-il un espoir dans la réforme ?

11h45-12h30 discussion

déjeuner 12h30-14h

après-midi (14h-18h)

Atelier 1 (acteurs et structures de la diplomatie culturelle française dans le monde) : communications de 15 mn, président de séance Philippe Lane


. Arthur Diolez : La diplomatie culturelle française à l’épreuve du bilatéralisme: la Maison franco-japonaise (1924-1939) (Professeur certifié en histoire-géographie. Diplômé d’un Master recherche Histoire contemporaine des Relations internationales et des Mondes étrangers à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.)

Résumé : L’ambassadeur français au Japon, Paul Claudel, déclara en 1924 avoir fondé un établissement au « caractère original et complexe ». La Maison franco-japonaise de Tokyo se distinguait, en effet, de tous ses confrères du réseau culturel français à l’étranger. La Maison franco-japonaise n’était pas seulement un établissement culturel de recherche française comme à Rome ou à Athènes mais elle portait aussi l’ambition de bâtir une relation bilatérale entre les deux pays. Son fonctionnement et ses missions en étaient le parfait exemple. Elle était administrée par les Japonais et sa vie scientifique était du ressort des Français. Elle avait pour objectif d’être à la fois une vitrine culturelle française au Japon et à la fois un lieu de recherche français sur le Japon. Cette communication cherchera à comprendre comment cette structure originale fut possible et quelles furent ses conséquences sur la diplomatie culturelle française au Japon pendant l’entre-deux- guerres. Cette institution bilatérale par son fonctionnement et sa mission était loin d’être une évidence. La genèse de la Maison franco-japonaise date du début du XXe siècle à une époque où la culture française était minorée par les élites japonaises par rapport à celle de l’Allemagne et des Anglo-Saxons. La Société franco-japonaise de Tokyo, regroupant les Japonais francophiles, militait pour la fondation d’un centre culturel français. Ce projet a été ensuite repris pendant la Première Guerre mondiale par l’ambassadeur français à Tokyo Eugène Regnault qui souhaitait fonder un institut culturel français au Japon selon le modèle florentin. L’idée d’un établissement bilatéral franco-japonais était plus tardive et naît sous l’impulsion des Japonais francophiles au début des années vingt. Accepté avec une certaine réticence par le nouvel ambassadeur Paul Claudel, l’établissement est inauguré en 1924. Cette communication, après avoir raconté les prodromes de la Maison franco-japonaise s’attachera également à comprendre le fonctionnement au sein de l’institution. Après son inauguration en 1924, la réciprocité institutionnelle et intellectuelle restait à construire : Qui allait diriger l’institution ? Les Français ou les Japonais ? Comment allait fonctionner la collaboration intellectuelle ? Enfin, il semble nécessaire d’enquêter sur les Japonais francophiles à qui on doit la bilatéralité de cette institution. Lors de cette communication, j’esquisserai un portrait de cette élite et je chercherai à comprendre leurs motivations à l’égard de ce projet culturel. Cela permettra d’entrevoir à travers cet exemple la naissance d’une réciprocité dans les échanges culturels entre le Japon et la France.


. François Drémeaux : Georges Dufaure de la Prade ou le splendide isolement de la diplomatie culturelle française à Hong Kong (1926-1934) (François Drémeaux est enseignant-chercheur (ECER) à l’université d’Angers (TEMOS UMR 9016) et il est également Visiting Assistant Professor à l’université de Hong Kong.)

Résumé : Cette intervention propose d’explorer deux pistes : tout d’abord, constater la portée extrême- orientale (et hors empire) limitée des politiques de diplomatie culturelle française dans l’entre-deux- guerres, en prenant pour exemple la colonie britannique de Hong Kong ; ensuite, décrire le réseau des initiatives locales portées par un consul particulièrement actif, Georges Dufaure de la Prade, en insistant sur les effets de ses projets. Collègue de Paul Claudel et ami d’Alexis Leger (Saint-John Perse), Georges Dufaure de la Prade est un consul lettré, poète à ses heures, convaincu que le rayonnement culturel de son pays représente l’avenir de son métier. Il est titulaire du poste de Hong Kong entre 1926 et 1934 et marque l’entre-deux-guerres par son dynamisme en matière de diplomatie culturelle. Loin des initiatives du Quai d’Orsay – dont il s’inspire néanmoins –, loin des circuits organisés à l’étranger pour les artistes et les savants de son époque et, enfin, isolé entre l’Union indochinoise qui développe ses propres politiques culturelles et le Sud de la Chine relativement imperméable à toute forme de diplomatie après 1925, le diplomate français parvient, malgré tout, à mettre en place une véritable diplomatie culturelle via l’ouverture d’une bibliothèque française, la diffusion de journaux ou l’organisation de conférences. Il s’appuie notamment sur les œuvres des missionnaires catholiques français, pourtant réticents à promouvoir la langue française dans le cadre de leurs activités. Il se repose également sur un réseau immatériel, et parfois même désincarné, où les colons britanniques se révèlent les meilleurs avocats de la culture française. Pour Dufaure de la Prade, ces projets représentent, bien entendu, un outil de rayonnement pour la France, mais il s’agit aussi d’un ciment national pour rapprocher les éléments très différents qui constituent la communauté française (ou francophone) de la colonie. Isolé en territoire britannique, Georges Dufaure de la Prade parvient, en quelques années, à fédérer un réseau efficace et à susciter de riches initiatives, transformant le profil du poste consulaire ; preuve que la diplomatie culturelle est aussi, et surtout dans le cas présent, une affaire de volonté et de personne. Les analyses présentées, issues en majeure partie de dépouillements aux archives diplomatiques de Nantes et de La Courneuve, ne se limitent pas au temps – relativement court, 8 ans – de Dufaure de la Prade à Hong Kong. C’est aussi l’occasion de réaliser des constats au sujet de la situation avant lui et de voir ce qui perdure après son passage.


. Jérémy Léger :  »A machamartillo. » Maurice Legendre, intellectuel catholique au service de présence culturelle française dans l’Espagne franquiste (1940-1955) (Jérémy Léger, professeur agrégé d’histoire, doctorant en histoire à l’EHESS-CRH (UMR 8558, ED 286), membre scientifique de la Casa de Velázquez jeremy.leger@casadevelazquez.org)

Résumé : « A machamartillo ». Maurice Legendre, intellectuel catholique au service de la présence culturelle française dans l’Espagne franquiste (1940-1955). Normalien, agrégé d’histoire et de géographie, devenu hispaniste en consacrant une thèse de doctorat à la région estrémègne des Hurdes, Maurice Legendre (1878-1955) appartenait à une grande génération d’intellectuels et d’universitaires formés sous la III e République. Il eut cependant un parcours professionnel atypique, en pas- sant l’essentiel de sa carrière en Espagne. Installé à Madrid depuis la fin des années 1910, Maurice Legendre devint le bras droit de l’archéologue Pierre Paris (1859-1931), fondateur et premier directeur de la Casa de Velázquez, institution française à l’étranger à laquelle il fut lié jusqu’à sa disparition et dont il prit la tête en 1940, nommé par le gouvernement de Vichy. Dans la nécrologie signée- par l’historien Robert Ricard, dans le Bulletin Hispanique du premier trimestre de l’année 1955, l’auteur revient à l’envi sur l’engagement politique – conservateur – et religieux – catholique – que l’hispaniste a toujours assumé et même revendiqué fermement – « a machamartillo ». Au travers de son Journal de la C.V. qu’il a tenu pendant une décennie, entre 1945 et 1955, Maurice Legendre relate son quotidien et ses activités et rencontres comme directeur de la Casa de Velázquez et intellectuel implanté en Espagne depuis un quart de siècle et introduit dans la bonne société madrilène. Conservé avec soin dans les archives de la Casa de Velázquez, les trois cahiers du journal de « Don Mauricio », comme on l’appelait outre- Pyrénées, éclairent ses relations avec les milieux culturels, diplomatiques et politiques dans l’Espagne du premier franquisme. Entre 1940 et 1955, comme directeur de l’école, Maurice Legendre fut un acteur incontournable de la diplomatie culturelle française, initialement en repli, dans l’Espagne franquiste. Ses sympathies national-catholiques en facilitèrent un nouvel essor, dans un climat concurrentiel, dont la conclusion fut la reconstruction – posthume – du palacete de l’école française, au cœur de la cité universitaire de Madrid, inauguré en 1959. « Catholique a machamartillo », comme le répétait Robert Ricard dans sa nécrologie, Legendre fut également un infatigable promoteur de pèlerinages en Espagne, dont celui du sanctuaire de Nuestra Señora de la Peña de Francia, où il repose aujourd’hui. Dans cette courte intervention, à la suite de Jean-Marc Delaunay, nous nous proposons de voir comment Maurice Legendre, acteur de relations cultuelles et culturelles transnationales, mit à profit ses réseaux personnels et professionnels, en faveur de la restauration de la présence culturelle française en Espagne, après la destruction matérielle de la Casa de Velázquez pendant la guerre civile.


. Gildas Lusteau : Les acteurs de la diplomatie culturelle : le cas des alliances françaises et des instituts Confucius (Gildas Lusteau est directeur de l’Alliance Française de Chengdu depuis 2019. Après l’obtention de son doctorat portant sur le thème de la Responsabilité Sociétale desOrganisations en Chine (Université de Strasbourg), il a été directeur de l’Institut Confucius des Pays de la Loire (2016-2019).

Résumé : En 1883, dans un contexte de compétition entre les grandes nations, l’Alliance française est créée à l’initiative d’un comité de fondateurs riche de personnalités telles que Jules Verne ou Louis Pasteur. Bien avant ses voisins européens, la France a pris la mesure de l’importance de faire rayonner sa langue et sa culture à travers cet exemple du concept de « soft power », forgé par le chercheur américain Joseph Nye à la fin des années 1980. La France peut se targuer d’un dispositif exceptionnel de 832 Alliances françaises (AF) réparties à travers 131 pays au service de 490 000 apprenants de français. Si ce réseau demeure unique au niveau européen, un autre pays s’est largement inspiré de son modèle pour construire son propre établissement culturel. Il s’agit de la Chine, dont le premier Institut Confucius a ouvert en novembre 2004 à Séoul. Fort d’un développement fulgurant et multidimensionnel, le réseau mondial chinois compte désormais 550 Instituts Confucius (IC) et 1 172 classes Confucius établis dans 162 pays. Ces dernières années, AF et IC font face à difficultés d’ordre structurel. La Fondation des Alliances Françaises a adopté en 2019 de nouveaux statuts visant à repréciser son périmètre d’action et à adapter son organisation. Côté chinois, le Hanban, agence gouvernementale affiliée au ministère de l’Education en charge du programme des Instituts Confucius, a annoncé en 2020 la création de la Chinese International Education Foundation, donnant davantage de poids aux universités chinoises partenaires dans la gouvernance et par conséquent fragilisant le financement des instituts. En outre, malgré ses lourds efforts, notamment financiers, la Chine peine à convaincre et son indice de popularité et d’opinion positive est en chute constante dans un grand nombre de pays depuis 15 ans, l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012 et plus la récente crise sanitaire de la Covid-19 accélérant ce phénomène. Notre étude vise à comprendre les contextes à la fois historique et politique de création de ces organes de diplomatie culturelle et de diplomatie de la langue en mesurant l’influence exercée par l’Alliance française sur la conception du modèle des Instituts Confucius. Une approche comparatiste nous permet d’analyser le développement et les principales différences organisationnelles des Alliances françaises et des Instituts Confucius. Enfin, nous entamons une réflexion sur les objectifs et l’efficacité des approches adoptées par les AF (approche prospective) et les IC (approche rétrospective, ou rétrograde) dans leur rôle de promotion de la langue et de la culture, ainsi que sur leur capacité à évoluer, innover et à réinventer leurs axes d’influence au fil du temps.


. Nicolas Peyre : Le cinéma et le réseau culturel. Des cinémathèques aux salles numérisées, une diplomatie culturelle renouvelée (Université Toulouse Capitole (Idetcom), enseignant-chercheur et ancien attaché culturel et audiovisuel.)

Résumé : Le cinéma est un des moyens de l’influence de la France à l’étranger qu’il soit soutenu par Unifrance dans le cadre commercial ou par l’Institut français Paris (IFP) et le réseau culturel pour sa diffusion non commerciale. Les modalités de cette diffusion non commerciale ont évolué et nous analyserons plus précisément le rôle des cinémathèques créées au sein des services de coopération et d’action culturelle (SCAC). L’objectif était la circulation régionale des films acquis par le ministère des Affaires étrangères en déposant des copies 35 et 16mm « sur place » dans les SCAC. Jusqu’en 2002-2003, plusieurs cinémathèques ont pu être actives au Sénégal, en Jordanie, en Thaïlande, en Inde, au Mexique, en Argentine, au Maroc et au Brésil. Les copies déposées par exemple dans les locaux du SCAC à Buenos Aires étaient ensuite prêtées aux partenaires du poste diplomatique dans le Cône sud. Pour plusieurs raisons liées notamment au stockage, aux coûts d’envoi des copies et au passage au numérique, le réseau culturel a ensuite bénéficié de nouvelles modalités pour cette diffusion cinématographique. L’influence française dans ce secteur a dû en effet s’adapter. L’Institut français Paris a ainsi proposé d’autres supports que le film mais c’est l’adaptation au numérique qui a véritablement permis à la diplomatie culturelle de se renouveler. L’IFP a créé la plateforme de téléchargement IFcinéma et pilote avec le centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) un programme de numérisation de salles du réseau culturel. Cette évolution nécessaire des modalités d’action était « un passage obligé » pour espérer toujours maintenir une stratégie d’ influence par la diffusion cinématographique.

. Eva Telkes-Klein et Chloé Rosner : Le Centre de recherche français de Jérusalem présente la préhistoire israélienne : exposition itinérante en France et en Israël. (Chloé Rosner, CRFJ / UMR TEMPS 8068, historienne de l’archéologie en Palestine et en Israël, ses projets postdoctoraux s’organisent autour des thèmes suivants : les archives de l’archéologie (bourse d’excellence MESRI/INHA – 2022/2023) en Palestine/Israël et l’histoire de la préhistoire et des relations franco-israéliennes dans ce domaine en Israël. Eva Telkes-Klein, Centre de recherche français de Jérusalem, historienne des milieux intellectuels dans la France des XIX° et XX° siècles, avec un intérêt particulier pour les figures du biologiste Maurice Caullery (1869-1958) et de l’épistémologue Émile Meyerson (1959-1933)

Résumé : Avec l’exemple d’une exposition scientifique organisée à l’occasion d’un événement politique pour présenter les travaux des archéologues français en Israël, cette communication montre comment s’articulent recherche archéologique française à l’étranger, collaborations internationales et diplomatie culturelle.

Atelier 2 (diplomatie culturelle française et monde anglophone) : communications de 15 mn, présidente de séance Janet Horne

. Pauline Georgelin : French cultural diplomacy in Australia during the 1st World War (Pauline Georgelin is an independent researcher from Melbourne, Australia. Her research interests include the history of French-Australian Relations, and the cultural history of the First World War.)

Résumé : Australia’s participation in the First World War was predicated upon its position as a dominion of the British Empire. Britain’s reasons for going to war, particularly Germany’s invasion of Belgium, remained central in Australian pro-war discourse. However, as the conflict continued, France took on a greater prominence as the reason to continue the war. In Australia, pro-war debates and patriotic rhetoric featured France as the embodiment of heroism, its culture a source of inspiration. This role of French culture and identity in strengthening support for the war became even more crucial after 1916 when Australian society was deeply divided over the conscription debate. Thus, promotion of French language and culture was linked to patriotism and became an intrinsic part of Australia’s wartime cultural mobilisation. This paper will consider how the public discourse was shaped and influenced by France’s diplomatic representatives in Australia. The Vice-Consul in Melbourne and the Consul-General in Sydney each had strongly held views regarding how to best implement the policy of cultural diplomacy. As they imposed – or attempted to impose their vision, their methods and motivations sometimes created tensions with the Alliance Française, which had established a presence in Melbourne in 1890, and in Sydney in 1899. In this paper I present two case studies drawn from the archives of the French Ministry for Europe and Foreign Affairs. They demonstrate the dynamic and sometimes problematic relationship between the French consuls in Sydney and Melbourne with the Alliance Française. In each case, the Alliance Française’s role was contested, and the consuls attempted to mould and even compete against the Alliance’s function as the major instrument for the dissemination of French language and culture. In this paper I hope to shed light more broadly on how French cultural diplomacy was implemented abroad, and show that even in Allied Countries, support for France was not taken for granted, but instead was monitored and actively influenced.

. Lotfi Ben Rejeb : Américains pour la Plus Grande France dans l’entre-deux-guerres: la question coloniale dans le diplomatie culturelle du Comité France-Amérique (Associate Professor (History of the United States), University of Ottawa, Canada.)

Résumé : If American leaders confidently greeted the 20 th century as the American century, France, not a nation to be sidelined, entered the new century as Greater France – la Plus Grande France – boasting the second largest colonial empire in the world, a force to be reckoned with. Whereas la Nouvelle France in North America had failed the test of time as a trading post and in the public imagination (Voltaire had dismissed it as “quelques arpents de neige” in Candide), the settler colonies of la Plus Grande France were meant to have staying power as an extension of la patrie. But imperial peers were rather reluctant to recognize the new global stature France claimed especially after the humiliation of being diminished of Alsace-Lorraine in the War of 1870. Great Britain, who had defeated France out of her first empire, continued to challenge France’s aspirations to a second empire in Africa and Asia. British and American travelers in the 19 th and early 20 th centuries routinely denigrated French colonial policies as exceedingly oppressive and self-serving, and at the Versailles peace conference of 1919 France faced a new challenge when Woodrow Wilson called for colonial reforms, international inspections of colonies, and the preparation of colonial peoples for self-determination. In this context, aggravated by the German threat and the Great War, France’s global stature and colonial practice became, more than ever before, a key element of French cultural diplomacy and image making, planting the empire as an intrinsic part of the French nation and destiny. After reaching une entente cordiale with Britain in 1904 which settled colonial disputes as part of a larger strategic agreement, France focused her attention on the United States and worked on reviving the memory of the old alliance of 1778 and developing an ambitious, multi-faceted cultural diplomacy through various channels and means. This unprecedented effort included the colonial question as a cornerstone and devolved the task of promoting it to le Comité France-Amérique [CFA], a newly created, powerful, semi-official organization dedicated to public diplomacy and propaganda in the Americas, mainly in the United States. The archives of the CFA have been lost. When the Germans occupied Paris in 1940, the archives were hidden in Royat near Clermont-Ferrand, but they have failed to reappear. This may explain why the CFA is rarely mentioned in histories of French foreign relations, why it is hard sometimes to pinpoint its agency, and why the subject of this study has remained a largely uncharted territory. Still, it is possible to piece together a reasonably informed picture of the CFA’s activities by assembling relevant French and American sources downstream. This study documents the cultural diplomacy of the CFA from its inception in 1909 to the late 1930s as it undertook the task of defending French colonialism, promoting colonial North Africa as a precious possession and a potent symbol of French power, publicizing the idea that the advancement of colonial subjects depends on French governance and culture rather than on independence from France, and upholding Greater France as not only a competent imperial power but also an indispensable one in an era of rising fascism. Distinctively, the CFA reached to the American public in English, via dependably Francophile and highly influential Americans, and through American publications and media. Remarkably also, the CFA engaged in cultural diplomacy in reverse by leveraging American opinions and symbols to promote the imperial identity of Greater France among the French themselves. This was an important aspect of the CFA’s work for it could not escape the irony of selling a global imperial nationality abroad while the French nation itself lacked conviction about it. It therefore made double use of cultural diplomacy in a calculated effort to stimulate the French out of their indifference or hostility to the colonial idea, and it did so in two ways: by recycling the American testimonies at home as a mark of international approval and support from the most powerful country at the time, and by publicizing forceful cultural symbols from the history of American expansionism as models worthy of replication. The study concludes with an evaluation of the CFA’s work and a reflection on the production of knowledge it managed to generate in the United States as well as in France.

. Suzanne Langlois : Les possibilités du cinéma éducatif français aux Etats-Unis (1935-1941) (Suzanne Langlois est docteure en histoire, chercheuse et professeure agrégée émérite du Collège universitaire Glendon, la faculté bilingue de l’Université York de Toronto (Canada) où elle a enseigné l’histoire de l’Europe contemporaine et l’histoire mondiale au vingtième siècle. Spécialisée en histoire politique et culturelle de la France, elle a publié sur la mémoire historique de la Résistance française par le cinéma et sur la propagande filmée des Nations unies à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elle poursuit ses travaux sur les ressources de ce patrimoine visuel pour la recherche en histoire.)

Résumé : Les années 1930 représentent un point tournant dans le développement d’une culture du film des deux côtés de l’Atlantique alors qu’un processus de légitimation sociale rehausse le statut du cinéma dans la culture moderne. À partir de 1933, la réflexion et les actions du Service des Œuvres françaises à l’étranger (SOFÉ) élaborent une diversification plus équilibrée de l’offre culturelle en incluant désormais les médias de masse – radio et cinéma. Les efforts du SOFÉ contribuent à inverser la perception négative de la France aux États-Unis qui s’était aggravée durant les années 1920. À partir de travaux sur la diffusion du film français à New York avant et durant la Seconde Guerre mondiale, cette communication examine le domaine du cinéma éducatif français distribué aux États-Unis à plus grande échelle, à la fois en salles commerciales et dans les vastes circuits non commerciaux. Pour cette présentation couvrant les années 1935 à 1941, les domaines privilégiés du cinéma éducatif français sont la pédagogie, la santé, la langue et plus largement la culture, et le tourisme. Les lieux ouverts au matériel éducatif français sont nombreux et diversifiés ; les réalisateurs et distributeurs tirent avantageusement profit de l’environnement cultu- rel étatsunien et d’une conjoncture politique favorable.

. Michel Rapoport : La reprise des échanges culturels franco-britanniques au sortir de la Seconde Guerre mondiale (1944-1949) (Professeur honoraire d’histoire contemporaine, Université Paris-Est Créteil, spécialiste de l’histoire de la Grande-Bretagne contemporaine et des relations et transferts culturels franco-britanniques.)

Résumé : Si durant la guerre, la colonie française de Londres anima une vie culturelle dans la capitale et les grandes villes anglaises, et que du côté britannique, on s’interroge sur la reprise de relations culturelles entre les deux pays, il faut attendre la fin de la guerre pour que les échanges culturels entre la France et la Grande-Bretagne retrouvent un cours « normal ».
Quels sont les acteurs ? Du côté britannique, la conduite de la diplomatie culturelle est de la responsabilité du Foreign Office et d’une institution créée peu avant la guerre, le British Council, en charge de la propagande culturelle, qui installe son service parisien au lendemain de la libération. Du côté français, les choses sont plus complexes, les centres décisionnels étant multiples. A côté de ces centres décisionnels, d’autres institutions cherchent à jouer leur propre partition, cherchant à échapper à une tutelle extérieure.
Quels sont les champs d’activités privilégiés ? La reprise des échanges scolaires et universitaires apparaît prioritaire. Les échanges artistiques sont aussi privilégiés : expositions, concerts, représentations théâtrales. Le livre occupe aussi une place importante dans les circulations entre les deux pays. Cependant l’organisation de ces échanges ne se fait pas sans se heurter à des obstacles. Les Britanniques refusent la venue d’artistes ayant eu des relations avec l’occupant ou s’étant engagés au service de Vichy. Le respect d’une stricte parité dans l’échange peut être aussi un frein. Les conditions de circulation des personnes (question des visas, des taux de change) peuvent aussi être un obstacle, tout comme les structures propres à certains échanges, ce qui est le cas pour le livre.
Vers une institutionnalisation des échanges culturels franco-britanniques
En s’appuyant sur l’exemple de structures régulant la diplomatie culturelle avec d’autres pays, le Royaume-Uni souhaite établir une convention entre les deux pays. Une fois les réticences françaises levées, s’ouvre un long cycle de négociations qui aboutissent, en 1948, à la signature d’une convention culturelle franco-britannique, à l’image de celles signées antérieurement par le Royaume-Uni avec le Brésil et la Tchécoslovaquie. Le cadre des relations franco-britanniques est désormais fixé pour plusieurs années.

. Ludivine Broch : Le train de la reconnaissance aux Etats-Unis en 1949 (Ludivine Broch est Senior Lecturer en histoire à l’Université de Westminster, Londres et travaille beaucoup autour de la seconde guerre mondiale. Son premier livre Vichy, les cheminots et la Shoah a été publié en 2016 avec Cambridge University Press et traduit en français avec Tallandier. Son dernier article ‘Colonial subjects and citizens in the French internal resistance, 1940-1944’ est sorti avec French Politics, Culture and Society. Elle travaille actuellement sur la re-publication en anglais des mémoires du résistant Francesco Nitti, et sur plusieurs projets liés à la gratitude dans l’après- guerre qui mettent en relief le lien entre les émotions et les relations internationales.)

Résumé : Début 1949, les Français ont envoyé 49 anciens wagons décorés aux États-Unis. Ces wagons quittent Le Havre en Janvier 1949 sur le Magellan, et arrivent quelques semaines après à New York, le 3 février. Là, ils sont accueillis avec parades et fanfares avant d’être dispersés dans chaque Etat américain. Si ceci semble déjà être un énorme projet, notamment logistique, ce ‘Train de la Reconnaissance’ est encore plus considérable, car chaque wagon était rempli de centaines de lettres et d’objets : des vases ; des peintures ; des dessins ; des poupées ; des médailles ; des pipes ; des papiers de cigarette ; des broches. En tout, 52,000 objets personnels que des hommes, femmes et enfants français avaient choisis de donner pour montrer leur reconnaissance aux américains pour leur aide pendant et après la seconde guerre mondiale. Du côté américain, l’accueil dans chaque capitale d’Etat est très médiatisé, suggérant un succès éclatant de la diplomatie « grassroots ». Comment comprendre cet énorme geste de reconnaissance, qui semble particulièrement disproportionné lorsqu’on considère la situation économique encore difficile de la France en 1949 ? Dans mon intervention, je cherche à mieux comprendre le Train de la Reconnaissance en l’insérant dans l’histoire diplomatique culturelle franco-américaine. En première partie, le rôle des acteurs diplo- matiques – ministères et consulats, mais aussi associations Franco-Américaines et ‘femmes du monde’ – qui le placent dans un réseau d’échanges culturels très bien établi entre les deux pays. En deuxième partie, en soulignant les liens importants avec d’autres traditions diplomatiques dans ces rapports franco-américains, où les messages ainsi que les objets et les géographies se retrouvent. Mais le ‘succès’ du Train doit aussi être questionné : si le Train fait, sur le coup, grand effet, il part vite à l’oubli. Ce n’est que quelques décennies plus tard qu’on en reparle aux États-Unis; là, le Train ne se fait pas tant messager de la culture Française, mais plutôt le miroir d’une certaine version de l’histoire des États-Unis.

. Gabriele Slizyte : propagande diplomatique, management et artiste citoyen : l’association française d’action artistique et les musiciens français aux Etats-Unis. (Violoniste et musicologue, Gabriele Slizyte prépare sa thèse à l’EHESS (« Propagande diplomatique, management et artiste citoyen : l’Association française d’action artistique et les musiciens français aux États-Unis (1922-1970) », sous la dir. de Rémy Campos). Titulaire d’un Master de Musicologie à Sorbonne Université (sous la dir. de Catherine Deutsch), d’un prix d’Histoire de la musique au Conservatoire de Paris (CNSMDP) et d’un DNSPM de violon, elle a présenté ses travaux à diverses conférences en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Italie et aux États-Unis. Gabriele Slizyte est soutenue par The Ryoichi Sasakawa Young Leaders Fellowship Fund (Sylff), la Fondation de France (Prix Monique Rollin de Musicologie 2018) et la Fondation Nguyen Thien Dao. Elle bénéficie d’une bourse d’études du Centre international Nadia et Lili Boulanger et d’un soutien du Lithuanian Council for Culture.)

Résumé : En 1922, soucieux d’utiliser les arts comme une vitrine officielle, l’État français a créé puis financé l’Association Française d’Action Artistique (AFAA) avec pour but d’assurer l’expansion artistique de la France à l’étranger. L’AFAA constitua, dès le début, une « révolution » car pour la première fois :« une administration publique a[vait] l’utile courage et la clairvoyante audace de s’adresser directement à l’initiative privée en lui demandant de soutenir de toutes ses forces et des tous ses moyens une entreprise d’intérêt national dont p[ouvait] résulter pour le monde un accroissement de beauté et pour la France un accroissement de prestige ». (Notes sur l’Association Française d’Expansion et d’Échanges Artistiques…,1923, p. 36). Placée sous tutelle du ministère des Affaires étrangères mais bénéficiant également du pa- tronage de ministère des Beaux-arts, l’AFAA est reconnue d’utilité publique et bénéficie par la suite non seulement des subventions ministérielles mais aussi d’aides privées comme celles des personnalités artistiques et aristocratiques (le Tout-Paris) ou de la Banque de France. L’organisme, géré par des hauts fonctionnaires ainsi que par des membres donateurs, est amené à examiner les aides financières sollicitées par des artistes souhaitant partir en tournée à l’étranger, notamment aux États- Unis.Pour organiser leurs tournées outre-Atlantique, les musiciens français ont aussi utilisé les services d’agents ou d’imprésarios français et américains comme Arthur Judson de Columbia Artists Management qui a souvent créé le lien entre l’AFAA et des salles de concerts américaines. En nous appuyant sur les versements de l’AFAA des archives du ministère des Affaires étrangères de la Courneuve, sur les comptes rendus des assemblées générales de l’AFAA, ses budgets, mais aussi sur des sources collectées aux États-Unis, nous analyserons le rôle précis de l’AFAA dans la carrière des musiciens entre France et États-Unis et la façon dont son action s’articule au marché du concert américain. Par ailleurs, nous examinerons un des aspects les plus exemplaires de la politique de diffusion artistique menée et financée par la France dans la première moitié du XXe siècle.

16h30-17h pause

17h-18h Table ronde : Quels autres modèles de diplomatie culturelle dans le monde? (animée par Pierre Buhler avec : Laurence Auer, Abdesselam Aboudrar, Robert Lacombe, Mariko Oka-Fukuroi)

Jeudi 5 mai MSH Paris-Nord

matin (9h-12h30), communications de 25 mn, président de séance François Chaubet

Accueil 9h

9h15-9h45 Anne Sigaud : L’image de la France. La propagande touristique dans les années 1920, une politique publique (Anne Sigaud est chargée de recherche au musée départemental Albert-Kahn. Elle achève un doctorat en histoire contemporaine à Sorbonne Université (SIRICE), sous la direction d’Olivier Forcade. Ses travaux portent sur l’histoire de l’influence sous la IIIe République. Ses champs d’analyse particuliers sont : les relations entre réseaux publics, privés et parapublics et la notion de propagande.)

Résumé : Au sortir de la Première Guerre mondiale, la France s’inquiète de sa reconstruction, de sa compétitivité économique et du maintien de sa place dans le monde. Parmi les moyens du redressement et de l’influence, un secteur économique et une forme d’action publique émergent comme innovants et porteurs de promesses d’efficacité : le tourisme et la propagande. D’autre part, les années de conflit ont fini par imposer le cinéma comme un vecteur de discours et de représentations incontournable. En s’institutionnalisant, tourisme et propagande deviennent des politiques publiques. Le ministère des Travaux Publics réforme l’Office national du tourisme créé en 1910, en renforce les moyens et lui confie en 1919 une mission de propagande. Le ministère du Commerce et de l’Industrie, très offensif en fait de développement économique, porte ses propres propositions en matière de propagande touristique. Enfin, au ministère des Affaires Étrangères, le Service des œuvres françaises à l’étranger créé en 1920 pour adapter le rayonnement national aux nouveaux enjeux et nouvelles modalités d’action de l’après-guerre, comporte une section touristique qui assure la diffusion à l’étranger du matériel de propagande, notamment cinématographique. Bien que manifestant l’intention de s’impliquer fortement, l’État poursuit cependant l’habitude contractée avant la guerre de collaborer étroitement avec des opérateurs privés, tant en termes d’initiative que de mise en œuvre. Nous postulerons que, s’agissant de la propagande touristique, si l’État est contraint de perpétuer ces usages, c’est bien lui qui toutefois est le moteur et le garant de la cohérence de cette action publique sectorielle, et ce plutôt du fait du ministère des Affaires étrangères. Nous nous attacherons d’abord à identifier les différents acteurs de la propagande touristique, étatiques et non étatiques. Nous verrons ensuite, en nous concentrant particulièrement sur le support cinématographique, quelle image d’elle-même la France cherche à diffuser à l’étranger, en vertu de quels impératifs conjoncturels et de quelles directives politiques. Nous reviendrons pour conclure sur la notion de politique publique, en distinguant politique touristique et propagande touristique et en positionnant au sein de la chaîne le ministère des Affaires étrangères par rapport aux autres services de l’État et aux intervenants parapublics et privés. Nous partirons de 1920, année de la création du Service des œuvres françaises à l’étranger, pour aboutir à 1933, année du projet de loi Dariac sur la propagande d’État.

9h45-10h15 François Mairesse : Les musées, outils de la diplomatie culturelle française (François Mairesse est professeur à l’Université Sorbonne nouvelle (CERLIS, CNRS, ICCA). Co- directeur du Master Musées et nouveaux médias, il est titulaire de la Chaire Unesco pour l’étude de la diversité muséale et son évolution.)

Résumé : Si le musée est la plupart du temps évoqué en tant qu’institution permanente au service du patrimoine et de l’éducation, il a très rapidement joué un rôle diplomatique, lors de visites présiden- tielles ou dans le cadre d’échange d’expositions. Les pouvoirs en place ont fort logiquement perçu l’intérêt de cette institution particulière, de sa concrétisation monumentale et de son influence sur les publics aussi bien nationaux qu’internationaux. Les pays les plus directement associés à l’invention du musée moderne, notamment la France, ont naturellement tiré parti de cet avantage pour utiliser cet outil à des fins diplomatiques. Si l’on songe d’emblée, à notre époque, au Louvre d’Abou Dhabi, la mise en place de cette relation singulière entre musée et diplomatie est bien plus ancienne.

10h15-10h45 discussion

10h45-11h pause

11h-11h30 Marcella Frisani : Moderniser la diplomatie du livre, construire un marché mondial de la traduction: enjeux et conditions sociales d’une reconversion (France, 1948-1989) (Marcella Frisani est docteure en sociologie, associée au CSE-CESSP (EHESS). Elle s’intéresse aux circulations d’ouvrages comme biens symboliques, entre échanges culturels internationaux, marchés éditoriaux et politiques publiques. Sa thèse, dirigée par Gisèle Sapiro, discutée en 2019 et intitulée Le livre et le drapeau, est une enquête sociohistorique portant sur la diplomatie française du livre, réfléchissant au cas spécifique du Royaume-Uni (1945-2013).

Résumé : Circulant d’un espace national à l’autre par le biais de la vente de droits étrangers, les ouvrages ne s’inscrivent pas exclusivement dans un espace marchand et culturel mais ils intègrent également le système des relations interétatiques [Sapiro 2008, 2012 ; Frisani 2014, 2019]. La présence de « bureaux du livre » au sein des services diplomatiques et culturels de la France implantés à l’étranger, constitue la trace d’un investissement étatique dans le domaine du livre. Ces structures sectorielles, ancrées sur le terrain, soutenues par des budgets annuels et portées par des acteurs institutionnels, participent depuis la fin des années 1980 de la construction localisée d’un marché mondial de la traduction. Néanmoins, la cause du livre français à l’étranger pensée sous l’angle de son traitement institutionnel, demeure insuffisamment explorée en tant qu’objet scientifique. Nous souhaitons alors interroger l’espace des relations culturelles internationales au prisme de la relation entre l’État français et les éditeurs [Ory 1991, Surel 1997, Mollier 2008], afin d’objectiver les enjeux de définition d’une politique du livre entre l’après-guerre et les années 1970. À l’appui d’une enquête sociohistorique menée aux Archives Diplomatiques de la Courneuve, nous retraçons les conditions d’émergence de la traduction comme modalité de circulation internationale des œuvres. Son élévation au rang de catégorie légitime d’intervention publique [Dubois 1999] dans le cadre d’une stratégie de modernisation de la diplomatie culturelle et son imposition à la fin des années 1980 au nom de la réciprocité des échanges, sont alors restituées. Tout en mobilisant la théorie des champs de Pierre Bourdieu [Bourdieu 1984, 1994], nous montrons que la transition à la politique de la traduction est loin d’être un fait spontané, conséquence d’une graduelle intégration des marchés. Se construisant contre la défense du livre français exporté en langue originale et s’inscrivant dans des luttes institutionnelles, l’adoption de cette stratégie constitue un acte symbolique de rupture permettant de réinventer la domination culturelle dans la globalisation.

11h30-12h Madeline Badecarré : Postcolonial literary diplomacy : the uses of African literature

Résumé : Since decolonization the French cultural network abroad has invested heavily in literacy campaigns on the African continent. Literacy as cultural diplomacy galvanized a variety of French institutional actors who sent tens of thousands of coopérants to teach in newly independent African countries, donated massive amounts of French books, and set up lending libraries to spread the French language. But beyond the promotion of basic literacy, the role of literature in French cultural diplomacy efforts in Africa remains to be adequately parsed by scholars. More specifically, I contend that the encouragement of Francophone African literary production – specifically through amateur writing contests – has been a key tool of the French cultural network on the continent. In this presentation I will start by tracing back the history of these diplomatic literary prizes to before decolonization and consider their evolution since. I will use results from a database on prizes awar- ded to African writers, interviews with actors involved in these contests, the literary texts produced for the prizes, as well as archival material to interrogate why the French Ministry of Foreign Affairs, consular services in Africa as well as local branches of the Alliance Française and the Instituts Français (formerly CCF) see literature as a force in diplomacy and end with a reflection on what forms of authorship this model might have inspired.

12h30-14h déjeuner

12h-12h30- discussion

après-midi (14h-18h)

Atelier 3 (diplomatie artistique) : communications de 15 mn, président de séance Bruno Nassim Aboudrar

. Victoria Marquez Feldman : Vichy envoie une exposition d’art en Argentine : Cinco Siglos de historia a travers del arte de Francia (1941) (Doctorante Contractuelle – Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – Centre de Recherche d’Histoire de l’Amérique Latine et du Monde Ibérique (CRALMI) – Mondes Américains UMR 8168 – UFR 09 : École d’histoire de la Sorbonne)

Résumé : Le 14 juillet de 1939 ouvrait ses portes à Buenos Aires l’exposition La peinture française de David à nos jours, organisée par le service diplomatique français à travers de son Service des Oeuvres à l’Étranger (SOFE). Conçue dans un climat d’extrême tension politique en Europe, cette exposition, destinée à circuler dans plusieurs pays de l’Amérique du Sud, marque le début de l’utilisation des expositions artistiques en tant qu’instrument diplomatique de la France en Amérique Latine. En 1941, après la changement de régime, une autre exposition d’art français est organisée par le SOFE à Buenos Aires : Cinq siècles d’art français. Même si celle-ci avait été prévue par le gouvernement français avant l’Occupation, le gouvernement de Vichy décide de porter le projet néanmoins, afin de faire preuve de bonne foi et d’intérêt pour la culture. La mise en place de cette exposition se fait sous l’égide du directeur du Musée des Arts Décoratifs de Buenos Aires, M. Ignacio Pirovano, fonctionnaire et collectionneur qui avait été aussi membre du comité organisateur de l’exposition de 1939. Mais la vraie continuité entre De David à nos jours et l’exposition de 1941 est incarnée notamment par la figure de Marcel Peyrouton, ambassadeur français en Argentine entre 1936 et 1939, revenu en poste en juillet 1940. Le retournement idéologique de Peyrouton est un enjeu clé pour comprendre le déroulement de ces expositions et leur réception dans le milieu local, que nous analyserons à travers de la lecture de sa correspondance et de ses mémoires, Paroles françaises d’Argentine, qui ont été préfacées pour rien d’autre que le maréchal Pétain. Cette exposition témoigne de l’intérêt du régime de Vichy en l’Argentine et de la pertinence du maintien des relations diplomatiques avec ce pays, même dans une situation de difficulté économique et politique. L’Argentine, pays stratégique pour l’Europe au niveau d’approvisionnement de matières premières, choisit la neutralité au long de la Deuxième Guerre mondiale jusqu’à 1945. Si au début du conflit le gouvernement se rapprochait des Alliés, en juillet 1940 le président Ortiz est remplacé par Ramón Castillo, son vice-président, un militaire aux sympathies fascistes. Cependant, si à l’époque le gouvernement argentin est idéologiquement afin à celui de Vichy, il faut se demander quelle est la réception de l’exposition de 1941 dans le milieu local, où l’opinion publique s’incline fortement vers les Alliés et la France de De Gaulle. À travers de l’analyse de sources de presse et des archives di- plomatiques, nous essayerons de reconstruire l’histoire de cette manifestation culturelle, qui demeure un exemple peu connu de la réappropriation du patrimoine artistique français par le régime de Vichy, à l’autre bout du monde.


. Maxime Georges Métraux et Léa Saint Raymond : « Au service de la France ? » : séquestre et circulation de la collection Matsukata (1944-1959) (Léa Saint-Raymond dirige l’Observatoire des humanités numériques de l’ENS-PSL et le parcours « marché de l’art » de l’École du Louvre. Sa thèse d’histoire de l’art, récompensée du prix 2019 du musée d’Orsay, est parue chez Classiques Garnier sous le titre À la conquête du marché de l’art : le Pari(s) des enchères, 1830-1939. Maxime Georges Métraux est historien de l’art, membre de l’équipe de la galerie Hubert Duchemin et chargé d’enseignement à l’université Gustave Eiffel. Il a notamment été commissaire scientifique de l’exposition Chic Emprise : Cultures, usages et sociabilités du tabac du XVIe au XVIIIe siècle, en 2019, au musée du Nouveau Monde de La Rochelle.)

Résumé : En décembre 1944, la collection du japonais Kojiro Matsukata fut placée sous séquestre par l’État français, les œuvres d’art qui la composaient considérées comme des « biens ennemis ». S lon la formule de Germain Bazin, conservateur au musée du Louvre, ce fut « un enrichissement inespéré, beaucoup plus important que tout ce que nous avons récupéré en Allemagne ». Composée de 58 sculptures et 336 tableaux, mais aussi de plusieurs aquarelles et dessins, parmi lesquels des œuvres de Van Gogh, Gauguin, Courbet, Monet ou encore Rodin, la collection Matsukata constitua un enjeu géopolitique majeur entre la France et le Japon. Elle suscita de nombreux débats, aussi bien internes que diplomatiques, pour construire une paix durable tout en assurant l’enrichissement des musées nationaux, mais également le rayonnement international de la France.Cet ensemble extraordinaire contribua particulièrement à cette dernière fonction et joua un rôle déterminant dans les diverses stratégies liées aux expositions organisées par l’Association française d’action artistique. La collection Matsukata fut incontestablement une vitrine de la France jusqu’en 1958. Très peu de catalogues mentionnèrent néanmoins clairement la provenance des œuvres en question, si bien qu’un décalage apparut entre les circulations « réelles », décrites dans les archives, et les circulations « officielles » des catalogues. Cet écart témoigne d’un certain effort de propagande, au service d’un récit national glorieux, que cette communication se proposera d’étudier. Le dévoilement – ou non – de (l’ancien) caractère privé des œuvres constitua un enjeu géopolitique crucial aussi bien pour la France que pour le Japon. Entre 1944 et 1959, la plus ou moins grande transparence sur le pedigree de cette collection témoigna ainsi de divers choix diplomatiques. Cette présentation reviendra en outre sur la fin mouvementée de ce corpus extraordinaire réuni par Matsukata, depuis son séquestre jusqu’à sa dispersion définitive en 1959, entre les musées français et le musée national d’art occidental de Tokyo. Après son intégration partielle dans les collections publiques, l’histoire étonnante de cet ensemble d’œuvre n’en resta pas moins un sujet sensible, aussi bien sur les cimaises des musées que dans les expositions temporaires à l’étranger. À travers l’étude de cette collection, c’est tout un pan de l’histoire de la diplomatie culturelle française et des actions de l’AFAA qui seront ainsi analysées grâce à de nombreuses archives inédites.

. Frédéric Gaussin : L’AFAA et la musique dans l’entre-deux-guerres (Membre de l’IReMus (Sorbonne Université / CNRS umr 8223), Frédéric Gaussin est docteur en musicologie, ancien conseiller pédagogique à l’Indiana University Jacobs School of Music (Bloomington).

Résumé : Créé pendant la Grande Guerre par le sous-secrétariat aux Beaux-arts, le Comité de propagande artistique, rebaptisé Service de décentralisation artistique en mai 1917, s’emploie à « répandre la musique, le théâtre, les arts plastiques français » dans les « pays neutres ou alliés » afin s’assurer le soutien de leurs opinions publiques tout en « faisant échec au germanisme » dans le domaine des « productions de l’esprit ». Gouvernée dès l’origine parle pianiste et chef d’orchestre Alfred Cortot (1877-1962), alors professeur au Conservatoire national, cette cellule pionnière en matière de diplomatie culturelle se charge en particulier d’organiser des concerts – « son effort principal », que facilitent aussi d’évidentes considérations linguistiques. Maintenue en 1918 sous la forme d’un Service d’action artistique à l’étranger, celle-ci cède bientôt la place à une association de droit privé dite d’expansion et d’échanges artistiques fondée « sous le patronage du Ministère des Affairesétrangères », plus ambitieuse et bien structurée, dont la musique est l’une des « armes de conquête » privilégiées. Entre 1922 et 1938, sous l’impulsion de son directeur Robert Brussel (critique musical au Figaro, intime de nombreux compositeurs, ancien collaborateur de Cortot), l’AFAA parraine, organise, subventionne ainsi plusieurs milliers de récitals, aussi loin qu’en Amérique et en Asie, mais d’abord sur le vieux continent où le Quai d’Orsay entend affermir les relations qu’il établies sur la base des traités de paix conclus depuis l’armistice. A la fois agence artistique, agence de voyages et agence de propagande étatique, l’AFAA charge les interprètes français les mieux choisis de ternir le prestige de l’Allemagne et de « soutenir la cause de la France » en chaque point où elle juge nécessaire d’agir, donc de réunir un public. Quels musiciens recrute-t-elle dans ce but ? Quel répertoire défendent-ils ? A l’initiative ou avec l’autorisation de quelles instances ? A quel point comprennent-ils la nature politique des tournées qu’ils acceptent de mener sous ses auspices ? S’y engagent-ils avec opportunisme, avec sincérité ? Suivant quel itinéraire ? Quel accueil la presse, les mélomanes étrangers ou nationaux leur réservent-ils ? Documentée par une masse de sources largement inexploitées (MAE, BnF), cette aventure collective exigea la mobilisation d’un réseau gigantesque d’institutions locales et de bonnes volontés.

. Coline Desportes : Les échanges artistiques entre la France et le Sénégal sous la présidence de L.S. Senghor : dialogue et négociations postcoloniales sur le terrain des arts (1960-1980) (Doctorante à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (CRAL) et chargée d’études et de recherche à l’Institut National d’Histoire de l’art. Ma thèse en histoire de l’art, dirigée par Anne Lafont, s’intitule provisoirement : Tisser un art national au Sénégal : tapisseries des manufactures sénégalaises des arts décoratifs de Thiès sous la présidence de Léopold Sédar Senghor (1960-1980) Récemment, j’ai collaboré à la création de la cartographie en ligne des collections d’objets d’Afrique dans les musées français Monde en musée et publié mes premiers travaux dans les revues Critique d’art et Politique africaine.)

Résumé : Si certains aspects de la diplomatie culturelle française à destination des pays d’Afrique francophone comme l’usage des livres et de la littérature ou le soutien exceptionnel apporté par la France au Festival mondial des arts nègres de 1966 sont bien connus, les nombreuses expositions artistiques qui furent organisées à Dakar n’avaient jusqu’à présent pas fait l’objet d’une étude. À partir des archives diplomatiques des ministères français des affaires étrangères et de la coopération et du poste diplomatique de Dakar, cette communication propose d’analyser ces expositions dans le contexte de la guerre froide, de la mise en place de la coopération et de la politique culturelle de Léopold Sédar Senghor (1960-1980). L’étude des archives me permettra de mettre à jour les différentes négociations culturelles qui eurent lieu entre les deux pays, à l’heure du changement de para- digme. Alors que L. S. Senghor accède au pouvoir, il attribue à la culture au sens le plus large, un rôle fondamental. Alors que la théorie de Négritude élaborée dans ses jeunes années s’est reconfigurée, adoptant un tour résolument politique et humaniste, L.S. Senghor souhaite voir advenir la « Civilisation de l’Universel » qu’il définit comme l’ensemble des cultures du monde, complémentaires et originales. Dans cette entreprise, la France apparait comme son premier partenaire. Le gouver- nement français est sollicité pour apporter son aide financière, mais également appelé à s’impliquer de manière symbolique. Cette coopération culturelle entraîne de nombreux malentendus, points d’achoppements et reconfigurations dont les agents français (conseillers culturels, agents des musées de France, artistes) sont à la fois témoins et acteurs. Je me concentrerai en particulier sur les aspects stratégiques d’un cycle d’expositions d’artistes dits de « l’École de Paris » à Dakar (Chagall, Picasso, Soulages) – dont l’exposition Picasso en cours au musée des civilisations noires de Dakar célèbre les cinquante ans – et sur l’exposition Art sénégalais d’aujourd’hui qui eut lieu au Grand Palais à Paris, en 1974.


. Lucie Haguenauer : La coopération artistique entre la France et l’Argentine (le prix Braque, 1963-2020) (Magistère en Histoire (Paris 1 Panthéon-Sorbonne) et Magistère en Commissariat d’art (Université Tres de Febrero, Buenos Aires), est depuis 2009 Adjointe de l’attaché culturel à l’Institut Français d’Argentine/ Ambassade de France.)

Résumé : Le service culturel de l’Ambassade de France en Argentine crée en 1963, sous l’impulsion du jeune attaché culturel Jack Ligot, le Prix d’art visuel appelé « Prix Braque », en collaboration avec les deux principaux musées du pays : le Musée d’art moderne de Buenos Aires et le Musée national des Beaux-Arts. Alors que la scène artistique locale vit un moment d’effervescence avant-gardiste, le Prix récompense et expose des artistes visuels argentins, liant durablement la scène argentine contemporaine à la France. En s’appuyant sur un système de bourses pour créer des résidences d’artistes en France, il propose dès sa création un outil tout à fait innovant pour la coopération culturelle. Il reformule le traditionnel voyage de l’artiste en Europe de la fin du XIXe siècle, tout en créant un événement artistique et en prônant la réciprocité des échanges. Le Prix Braque met donc sur pied une coopération durable et profonde dont la notoriété est fondée sur le soutien aux jeunes esthétiques contemporaines.
Conçu comme un instrument d’influence sur le territoire argentin à l’heure où l’horizon new yorkais prend le dessus de la scène artistique parisienne, il est une autre facette de l’ambition française aux Amériques. Le Prix Braque évolue au gré des aléas de l’histoire politique, sociale et culturelle de l’Argentine entre 1963 et 2020. Chahuté en 1968, lorsque les artistes accusèrent les organisateurs de censure, relancé en 1979 en pleine dictature militaire, il s’enracine dans l’histoire culturelle argentine grâce au rôle des acteurs français en poste, alors même que les enjeux politiques et diplomatiques transatlantiques menacent sa pérennité.
Le succès du prix, qui se mesure à son enracinement dans le paysage artistique local, doit autant à l’engagement institutionnel et à ses acteurs, qu’aux liens informels tissés au cours des voyages, des résidences, des expériences de vie. C’est ce maillage riche et vital qui renouvelle perpétuellement la scène artistique et culturelle, et l’image que la France projette en dehors de ses frontières.
Cette contribution s’appuie sur une recherche historique menée dans le cadre d’un Master II à l’Université Nationale de Tres de Febrero (UNTREF, Buenos Aires) et ayant donné lieu à une exposition (60 œuvres, 40 artistes), « Premio Braque 1963-1997 » réalisée au Musée de l’Université nationale de Tres de Febrero, d’avril à août 2017.

. Fabien Bellat : Les ambassades, architecture et diplomatie culturelle française (Fabien Bellat est docteur en histoire de l’art, Université Paris X, maître de conférences associé et chercheur au laboratoire EVCAU, ENSA Paris-Val de Seine. Derniers livres publiés : Ambassades françaises du XX° siècle, éditions du patrimoine, Paris, 2020, Douchanbé, palimpsestes urbains au Tadjikistan, Galda Verlag, Berlin, 2022.)

Résumé : La diplomatie nécessite des lieux appropriés, pour bien accueillir les échanges officiels et les réceptions culturelles. Le rééquipement entrepris par le Ministère des Affaires étrangères – par la construction concertée d’ambassades dans nombre de nations – dès le début du XX° siècle entendit apporter des solutions concrètes à ces attentes. Aussi le Quai d’Orsay affronta-t-il sans cesse les mêmes questions. Quelles formes symboliseraient le mieux la France voire la pensée républicaine ? Ou comment intégrer avec tact la culture du pays hôte ? Les réponses proposées par les architectes et dirigeants successifs résument une véritable histoire de la diplomatie culturelle. En soi, les ambassades constituent une représentation tangible de la France. Au Canada, Eugène Beaudouin trouva un compromis entre tradition et modernité, exaltant à la fois le Québec francophone et les avancées sociales du Front populaire. Au Brésil, Le Corbusier aurait dû bâtir une ambassade dialoguant avec la nouvelle capitale brésilienne elle-même héritée de ses propres théories esthétiques. En Pologne, l’assez classique ambassade de l’entre-deux guerres fut remplacée par un manifeste du sens français de l’innovation technologique, signé par Bernard Zehrfuss. En Corée, l’appel à un architecte coréen montra une rare acceptation de la qualité des bâtisseurs locaux. Aux Etats-Unis, les divers projets pour l’ambassade soulignèrent les mutations géopolitiques du milieu diplomatique. En Allemagne la nouvelle ambassade prit en compte les objectifs tacites de la réunification. De plus, sa vision renouvelée du design intérieur affirma la France en pays toujours essentiel dans la diffusion de tendances neuves. De la décennie 1900 jusqu’à nos jours, le Quai d’Orsay a suivi les évolutions mondiales, adaptant en retour les choix architecturaux. Face aux contraintes variées, en fonction de territoires et cultures souvent fort différents, chaque ambassade chercha à déployer une image appropriée de la France. Une ambassade n’est pas qu’un objet figé : elle sert d’abord d’outil essentiel au bon fonctionnement de notre diplomatie dans tous ses usages, culturels comme politiques.

Atelier 4 (éducation et francophonie) : communications de 15 mn, président de séance Yves Bruley

. Dragos Jipa : La mission universitaire française en Roumanie (1919-1948) (Dr. Dragos Jipa est enseignant-chercheur au département de langue et littérature françaises de l’Université de Bucarest et membre du Centre Régional Francophone d’Études Avancées en Sciences Sociales (CEREFREA) de Bucarest.)

Résumé : Après la Grande Guerre, dans le contexte de la réalisation de la Grande Roumanie, les autorités de Bucarest font appel à la France pour une aide à la modernisation du système d’enseignement en vue d’une meilleure consolidation nationale. En réponse à cette demande, en 1919, une mission universitaire dirigée par Lucien Poincaré signe une convention concernant le personnel mis à disposition par le Gouvernement français. En 1924, un Institut Français de Hautes Études est ouvert dans la capitale pour coordonner la diplomatie culturelle de la France et connaît son apogée sous la direction d’Alphonse Dupront, dans les années 1930. Pendant ce temps, dans les provinces roumaines, et notamment dans celles qui avaient appartenu aux empires austro-hongrois et russe, la responsabilité du « rayonnement » est assurée par une quarantaine de professeurs qui enseignent dans les lycées et animent des bibliothèques et des conférences pour le public local. Leur activité est sujette à plusieurs contraintes : les directives de l’Institut qui mettent en œuvre la politique du Service des Œuvres ou de la DGRC, les règles élaborées par les autorités roumaines qui rédigent les programmes scolaires et qui doivent aussi payer une partie de leur rémunération, les attentes des notables des différentes villes. Au gré des changements politiques (basculement du pays vers l’extrême droite), les représentants de la France s’insèrent dans le contexte local et essaient de continuer leurs activités. Après la Deuxième Guerre Mondiale, l’équipe est rajeunie par Philippe Rebeyrol, mais le nouvel élan de la diplomatie française est arrêté par les autorités communistes, qui inter- disent en 1948 l’enseignement français en Roumanie et expulsent les professeurs. À la différence d’une histoire de la diplomatie culturelle qui se concentre sur ceux qui allaient devenir de « grands hommes » (comme Alphonse Dupront ou Roland Barthes), notre contribution se propose d’explorer l’activité de ces professeurs inconnus qui, loin de la capitale, représentent pour les élèves et leurs parents les agents du « rayonnement » de la France. Comment ce « rayonnement en province » se construit-il au quotidien ? Quelles sont les pratiques et les solutions que ces professeurs trouvent pour répondre aux demandes de l’Institut, ainsi qu’au contexte politique local et national ? Les congrès organisés à Bucarest, en 1947 et 1948, quand le pays tombe sous l’emprise soviétique, seront pris comme points de départ pour essayer une histoire de cette mission universitaire, entre les attentes des directeurs de l’Institut et les possibilités des professeurs détachés en province.

. Silke Mende : La francophonie républicaine et la diplomatie culturelle française dans la première moitié du XXe siècle en Syrie et au Liban (Silke Mende est titulaire de la chaire d’histoire moderne et contemporaine (19e-21e siècles) à l’Université de Münster. Elle est chercheuse associée au Centre d’Histoire de Sciences Po de Paris ainsi qu’au Centre Marc Bloch de Berlin dont elle était directrice adjointe entre 2019 et 2021. Ella a publié en 2020 : Ordnung durch Sprache. Francophonie zwischen Nationalstaat, Imperium und inter- nationaler Politik, 1860-1960, Berlin/Boston, 2020.)

Résumé : Mon intervention examinera la politique linguistique comme un pilier central de la « diplomatie culturelle » française. Elle propose une analyse de la genèse de la Francophonie en tant que projet politique à partir de la fin du 19e siècle. Nous nous pencherons sur l’exemple de la politique linguistique de la France en Syrie et au Liban dans le contexte de son mandat SDN.
J’argumenterai que la genèse de la Francophonie représente tout d’abord un projet profondément républicain, porté par des acteurs de la société civile naissante s’alliant aux institutions politiques, académiques et universitaires pendant la consolidation de la IIIe République. Ce dispositif d’acteurs, de discours et de pratiques se résume sous la notion de « Francophonie républicaine ». Bien qu’elle se transforme tout au long des décennies suivantes, cette constellation continue à influencer profondément la politique linguistique ainsi que la diplomatie culturelle de la France jusqu’aux années 1960, qui marquent une forte césure dans l’histoire de la Francophonie avec notamment la décolonisation.La deuxième partie étudiera un cas concret de la « Francophonie républicaine » en action : la politique linguistique de la France pendant son mandat SDN en Syrie et au Liban. Nous tenterons ainsi de retracer les constellations et réseaux sur place, et analyserons les transferts et circulations ainsi que les interactions avec la « métropole ». Dans cette perspective, mon intervention se comprend comme une contribution à une histoire internationale et diplomatique renouvelée de plusieurs façons. Elle soulignera l’importance de la coopération entre des acteurs de différents domaines, dont des groupes non-étatiques, et insistera sur le poids des interactions entre sphères « intérieure » et « extérieure ». Dans ce sens, elle s’inspirera de l’histoire croisée ainsi que de la New Imperial History.

. Akhésa Moummi : Mettre en lumière la diplomatie éducative par le quotidien scolaire ? Regards croisés sur le fond Métral et sur les archives de la Mission Laïque Française (Doctorante en Études Politiques à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (LIER-FYT, UMR 8065 & CéSor, UMR 8216) et doctorante associée à l’Institut Français du Proche-Orient, antenne de Beyrouth (UMIFRE 6/USR 3135).

Résumé : Cette communication se propose de penser les pratiques de diplomatie éducative au ras du quotidien scolaire, à partir d’archives orales collectées par Jean Métral dans le cadre d’une recherche sur la minorité allogène française au Liban. À partir de ces entretiens menés en 1975 avec, entre autres, des acteurs de la présence de la Mission Laïque Française (MLF) au Liban dans la p riode post-mandataire (notamment dans les années 1960-1970), ce sont les modalités et les conditions d’action de la France au Liban qui seront interrogées. C’est ici la parole d’enseignants, d’élèves ou de personnels de direction qui sera au cœur de mon propos, afin d’envisager la diplomatie culturelle dans
les traces qu’elle laisse sur le quotidien scolaire. Pour penser les relations franco-libanaises et la fabrique d’une diplomatie éducative de la France au Liban, le lycée de Beyrouth, bateau amiral de la MLF au Liban, apparait comme un point d’observation intéressant. La question de l’équivalence entre baccalauréat français et baccalauréat libanais, celle du rôle de cet établissement et du public qu’il accueille, celle aussi de la défense d’une francophonie au Liban seront les thèmes
privilégiés de cette réflexion. Je me propose ainsi de mettre en lumière la richesse de ces archives orales en ethnographe et en politiste ; en faisant des ponts entre problématiques évoquées en 1975 et enjeux qui resurgissent dans mon propre travail ethnographique au cours de cette année scolaire 2021-2022. In fine, c’est le projet de la MLF au Liban et ce qu’il éclaire des relations franco-libanaises qui sera interrogé. Des archives institutionnelles de la MLF pourront aussi être mobilisées pour étoffer cette argumentation.

. Cem Savas : La diplomatie de la langue et l’autre francophonie : une étude rétrospective sur les enjeux et défis de l’influence française en Turquie (Cem Savaş est Maître de Conférence au Département francophone de Science Politique et Relations Internationales, Université Yeditepe, Istanbul, Turquie. Ses domaines d’intérêt sont la politique étrangère française, les approches géopolitiques, les théories des Relations Internationales et les études européennes.)

Résumé : L’objectif de cette communication est de découvrir les enjeux historiques de l’influence française en Turquie à travers l’étude d’une francophonie atypique. Depuis la fin du 19e siècle, la France poursuit une politique d’influence par le biais des armes culturels tels que l’art, la littérature, le vaste réseau mondial composé par des Instituts culturels à l’étranger, des lycées français ou Alliances françaises. Concernant l’Empire ottoman, le réseau de l’action culturelle française présente une pluralité d’initiatives entreprises au Levant : les congrégations religieuses ; les réseaux laïcs comme l’Alliance française ou de la Mission Laïque ; le soutien des initiatives singulières comme le Lycée Galatasaray (1868) par le sultan. Cette spécificité s’explique en effet par le fait que l’Empire ottoman a été l’un des pays influencés mais non colonisés par la France. Allié politique et partenaire économique de l’Empire ottoman, la France a notamment tissé de multiples liens culturels par de multiples écoles francophones. Dans la Turquie contemporaine, pays héritier de cette influence francophone, le français conserve aujourd’hui un « pôle éducatif d’excellence » composé d’établissements bilingues et filières universitaires francophones, d’où le pouvoir d’attractivité de la langue française. Cette étude se concentrera précisément sur la situation sui generis de l’influence de/par la langue française en Turquie tout en prenant en compte une problématique de continuité et divergence par rapport à l’Empire ottoman. De ce point de vue, la Turquie, « pays non-francophone » au sens institutionnel du terme correspond bien à la catégorie des pays issus de l’« autre francophonie ». Outre l’espace du français comme langue maternelle et/ou langue administrative, cette autre francophonie englobe des pays où le français n’est pas la langue officielle, mais qui contiennent des minorités francophones avec un grand nombre d’élèves ou étudiant(e)s qui apprennent le « français comme langue étrangère ». La Turquie où le français reste avant tout une langue de culture et d’enseignement en demeure un bon exemple. En se basant sur les domaines d’Histoire et de Relations Internationales, cette communication cherche à expliquer les principaux dynamiques de l’espace francophone turc à travers les défis de la diplomatie d’influence française.

. Céline Barzun : Contribution des écoles françaises au Maroc à la politique publique d’influence culturelle (Doctorante en sociologie, Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques, UMR 8019 unité mixte de recherche de l’Université de Lille et du Centre national de la recherche scientifique.)

Résumé : La France possède un réseau scolaire à l’étranger unique au monde. En 2022, ce réseau scolarise près de 380 000 élèves dans 552 établissements implantés dans 138 pays.
Malgré son importance tant pour la scolarisation des Français de l’étranger que pour le rayonnement de la langue, de la culture à l’étranger et la formation des élites étrangères, ce réseau a fait l’objet de très peu de recherches. Nous proposons donc une contribution à ce colloque en nous focalisant sur le réseau des écoles françaises du Maroc, pays qui occupe une place à part dans la francophonie en raison de son ancien statut de protectorat français mais surtout de par les relations privilégiées que les deux pays entretiennent.Le cas marocain est exemplaire du fait que le rayonnement culturel est l’un des piliers du développement économique et commercial et contribue à de bonnes relations politiques et diplomatiques. Le royaume chérifien comporte en 2021 près de 10 % des élèves du réseau de l’enseignement français à l’étranger, soit 46500 élèves scolarisés dans 45 écoles. La France est le premier partenaire économique et commercial du Maroc, son premier bailleur de fonds ainsi que son premier investisseur étranger. Comment les écoles françaises contribuent-elles à la politique d’influence culturelle française au Maroc ? Quelles transformations connaissent-elles pour répondre aux nouvelles stratégies de la diplomatie culturelle française ?
Pour répondre à cette problématique, notre approche sera sociohistorique et sociopolitique. Nous nous appuierons sur la littérature scientifique, les textes officiels et 36 entretiens semi-dirigés avec des acteurs du réseau au Maroc : directeurs, conseillers et directeurs pédagogiques, et parents d’élèves. Il s’agit de retracer l’évolution de leur public mais aussi de la coopération de la France et du Maroc pour s’arrêter aux missions de ces établissements et à leur place dans la formation des élites marocaines ainsi qu’à leur contribution à la politique d’influence culturelle française.
Le passage par une école française marque la trajectoire scolaire et professionnelle ainsi que les futures relations des Marocains avec l’Hexagone.Le réseau scolaire français au Maroc, dont l’une des transformations les plus visibles touche le nom des écoles souvent rebaptisées « écoles françaises internationales », révèle les mutations de l’enseignement français à l’étranger et les nouvelles stratégies de la diplomatie culturelle française. La France ne prétend plus être porteuse d’une mission de civilisation universelle mais prend la mesure de la concurrence des autres pays et adopte une posture d’ouverture aux autres cultures.

. Nataliya Yatsenko : La diplomatie linguistique de la France et l’enseignement du français dans les universités soviétiques pendant la Guerre froide (1960-1980) (Après avoir enseigné pendant plusieurs années la langue française dans une université moscovite, Nataliya Yatsenko est actuellement doctorante en histoire contemporaine à l’Université de Paris (laboratoire Identités, Cultures, Territoires). Sa thèse porte sur l’enseignement du français dans les facultés soviétiques de 1939 à 1979.)

Résumé : La présente communication propose d’analyser le monde complexe, pluriel et souvent contradictoire de la diplomatie française de la langue et de sa réception en URSS et, plus particulièrement, dans les établissements de l’enseignement supérieur, dans la deuxième moitié du XX e siècle. Pour cela, nous nous appuierons sur les sources archivistiques françaises (du Ministère des Affaires Etrangères et de l’Ambassade de France en URSS) et russes (des Ministères des Affaires Etrangères de l’URSS, de l’Enseignement supérieur de l’URSS et de l’Instruction publique de la Russie Soviétique), aussi bien que sur les entretiens effectués avec les acteurs de la diplomatie, à savoir, lecteurs et assistants français en URSS et enseignants de français soviétiques. Dès l’ouverture progressive de l’URSS après la mort de Staline en 1953, la diplomatie française de la langue s’intensifie avec l’ambition de couvrir tout le territoire de l’Union Soviétique et de toucher des milieux plus larges que ceux des professionnels soviétiques du français et de leurs étudiants. Mais ce projet de diffusion et de rayonnement se heurte immédiatement aux intentions des autorités soviétiques de contrôler la population et de limiter son accès à l’information, notamment en provenance des pays occidentaux capitalistes. Dans ces circonstances si défavorables de réception, comment évaluer l’efficacité et les résultats de la politique culturelle menée par la France ? On constate, pour le côté français, la recherche de voies parallèles ou une manière personnelle d’aborder les cas difficiles ; pour le côté soviétique, une autonomie plus ou moins importante en fonction des villes et des statuts des acteurs ou l’intérêt professionnel des enseignants qui prime sur l’idéologie communiste. Or, ces pratiques ne mèneraient-elles pas finalement à des résultats inattendus que les négociations diplomatiques n’envisageaient pas forcément ? Nous supposerions plutôt que le cadre des accords culturels officiels entre les deux pays, pouvant sembler parfois peu fécond, permet sur la longue durée d’établir des liens avec des francophiles et francophones soviétiques et d’assurer la présence culturelle de la France dans l’espace très encadré des institutions
universitaires soviétiques.

16h30-17h pause

17h-18h Table ronde : quel avenir pour la diplomatie culturelle française? (animée par Matthieu Peyraud avec Eva Nguyen Binh, Yves Bigot, Gaëtan Bruel, Yannick Faure)

Vendredi 6 mai

matin (9h-12h30) : communications de 25 mn, présidente de séance Charlotte Faucher

9h accueil

9h15-9h45 Janet Horne : l’Alliance française dans le « Sud global » des années 1950-1960 (Professor in Foreign Langues, University of Virginia, USA)

Résumé : Cette intervention cherche à comprendre la spécificité de l’Alliance Française dans la panoplie des outils et initiatives culturelles françaises à l’œuvre dans le sud global des années 1950 et 1960, notamment en Afrique « anglophone », l’ancien Congo belge, et en l’Amé- rique Latine.

9h45-10h15 François Chaubet : Diplomates culturels au sein du MEE. Vocation, professionnalisation et politisation (1980-2022). (Professeur d’histoire à l’université de Paris X Nanterre)

Résumé : Depuis le rapport Rigaud (1979), la diplomatie culturelle française a tenté de réformer ses dispositifs. Cependant, et en dépit d’une rhétorique traditionnelle maintenue sur l’importance de cette politique publique, on peut analyser une certaine incapacité à opérer de grands changements du fait à la fois de contraintes budgétaires et de la difficulté à opérer de vrais changements stratégiques. Depuis une quinzaine d’années cependant, on peut indiquer une nouvelle approche de la diplomatie culturelle française quand on observe le nouveau rôle des Conseillers culturels et de coopération (Cocac). A la fois plus professionnels et plus politisés, ces diplomates culturels mettent en œuvre une nouvelle diplomatie culturelle française, dite diplomatie d’influence, et leur rôle témoigne d’un vrai renouveau de celle-ci. En effet, le Cocac est devenu le vrai coordinateur politique de l’équipe culturelle au sein d’une ambassade. A cette fin, la direction du MAE nomme dans ce poste des diplomates de carrière et non plus des détachés du ministère de l’Education comme le voulait la tradition depuis 1949. La spécialisation culturelle devient désormais un choix possible et valorisé du cursus honorum de la carrière diplomatique. Cette valorisation du métier de Cocac s’inscrit parfaitement dans la stratégie dite de diplomatie d’influence. Par ailleurs, cette fonction attire les bons éléments du Quai en vertu de la diversité des tâches (du management à la conduite de projet), de leur caractère concret et local où, en dépit de faibles budgets initiaux, il est toujours possible d’entreprendre et de réaliser. Cette réhabilitation de la fonction culturelle s’accompagne, malgré tout, d’interrogations pendantes sur les bonnes façons de faire de la diplomatie culturelle. La question de l’efficacité de cette action publique reste toujours lancinante même si les indicateurs de performance ont introduit, depuis le début des années 2000, des éléments qui rassurent. Celles de la dispersion des tâches et de la nécessité d’une forme de formation continue sont également toujours à l’ordre du jour. Au total, on constate donc une évolution non négligeable de la diplomatie culturelle française, aussi bien de son objectif stratégique majeur que de ses façons de faire et d’envisager la fonction de diplomate culturel.

10h15-10h45 discussion

10h45-11h pause

11h-11h30 Laurent Martin : Le ministère de la Culture, l’autre diplomatie culturelle (1959 à nos jours) (Professeur d’histoire à l’université de la Sorbonne-Nouvelle, membre du laboratoire ICEE et du Comité d’histoire du ministère de la Culture. Dernier ouvrage paru : Géopolitiques de la culture (avec B. N. Aboudrar et F. Mairesse), Armand Colin, 2021.)

Résumé : Historiquement, c’est le ministère des Affaires étrangères qui conduit la politique culturelle extérieure de la France. Pourtant, le rôle du ministère de la Culture dans l’animation de cette politique est allé croissant depuis sa création, en 1959, jusqu’à nos jours. Si le ministère est dépourvu d’un service des affaires internationales jusqu’en 1978, une diplomatie culturelle parallèle et « personnelle » est assurée par André Malraux qui prend plusieurs initiatives d’envergure au cours de son mandat. Par ailleurs, dans les années 1960 et 1970, le Service des études et recherches du ministère, dirigé par Augustin Girard, mène une active politique internationale qui, quoique plus discrète, n’en apparaît pas moins rétrospectivement importante dans la construction d’une légitimité du ministère à l’international. Une deuxième période s’ouvre en 1978 avec la création du Service des affaires internationales et l’arrivée rue de Valois du ministre Jack Lang, très tourné vers l’étranger. Se met alors en place une politique culturelle extérieure très active qui conduit parfois le ministre de la Culture à entrer en rivalité avec celui des Affaires étrangères. Dans les années 2000, plusieurs réorganisations administratives, auxquelles s’ajoutent de nouvelles missions et tutelles mais aussi le dynamisme de certains opérateurs traditionnels renforcent la capacité du ministère à intervenir dans le champ de la diplomatie culturelle. Quelle signification le ministère de la Culture donne-t-il à cette action, se reconnaît-il dans la logique de la diplomatie d’influence développée depuis quelques années par le MEAE ou propose-t-il une autre vision, que l’on pourra juger tantôt concurrente tantôt complémentaire?

11h30-12h Anne-Laure Riotte : L’Union européenne comme lieu d’apprentissage et de diffusion des « bonnes pratiques »: le cas de l’Institut français (doctorante en science politique au Centre d’Etudes et de Recherches de Sciences Administratives et Politiques (CERSA), Université Paris-Panthéon-Assas et ATER à l’Université Paris Sorbonne Nord.)

Résumé : Bien que n’ayant pas de compétence en matière culturelle, l’Union européenne (UE) peut s’avérer être un forum investi ou privilégié par certains acteurs et institutions culturels. Cela peut être le cas de l’Institut français. Ce dernier fait partie, entre autres, du réseau culturel français à l’étranger œuvrant ainsi pour la coopération et l’action culturelle de la France. Cette institution déploie ses actions à l’échelle européen à travers des projets soutenus par l’UE ou à travers la coordi- nation de projets régionaux en Europe. Cette communication souhaite alors explorer l’évolution de l’Institut français à l’échelle européenne et également les tensions engendrées par la spécificité à la fois du secteur culturel et de l’échelle européenne.Afin d’analyser la trajectoire de l’Institut français en Europe et au sein de l’UE, l’argument se concentre tout d’abord sur son histoire, sur ses missions et ses liens avec le gouvernement français concernant la diplomatie culturelle de la France. Ce papier examine alors les interactions entre l’institution et ses audiences, entendus comme « tout individu ou collectif qui observe une organisation de régulation et peut la juger » (Carpenter, 2010). Récemment intégré dans le réseau culturel, l’Institut français doit répondre à ses audiences institutionnelles, ses ministères de tutelle par exemple, pour gagner en légitimité. Il doit faire ses preuves en tant qu’opérateur pivot de la politique culturelle extérieure de la France. La deuxième partie de la communication s’intéresse aux liens entre l’Institut français et l’UE. L’institution peut ainsi utiliser cette ou ces coopérations pour démultiplier ses actions, contribuant ainsi à une certaine mobilité « souvent bilatérale et relativement flexible que les programmes communautaires ne sont pas en mesure d’appuyer » (Autissier, 2016). L’accent est ainsi mis les dynamiques engendrées par la rencontre entre l’Institut français et ses partenaires européens ou encore entre l’Institut français et les réseaux européen donc EUNIC. A défaut d’avoir une politique culturelle au sens de policy, l’UE peut favoriser le développement d’une polity culturelle européenne. Enfin, cette communication s’intéresse aux enjeux qui sous-tendent l’action de l’Institut français en Europe et leurs conséquences. Plaidant pour un renforcement du rôle de la culture dans les relations extérieures de l’Union européenne, l’Institut français participe à la coopération technique et au soutien à des actions de coopération internationale faisant de l’Union européenne un terrain d’apprentissage fertile. Les défis contemporains du secteur de la culture – changement climatique, crise sanitaire, conflits armés– sont communs à tous et dépassent les frontières nationales. Ils engendrent alors des approches et récits communs créant des synergies qui se fondent dans une certaine dynamique multilatérale que l’institution va travailler.

12h-12h30 discussion

12h30-14h déjeuner

après-midi (14h-16h30)

Atelier 5 (diplomatie culturelle française dans le monde) : communications de 15 mn, président de séance Nicolas Peyre

. Océane Sailly : La diplomatie culturelle française dans les pays du Golfe : approche historique (1963-2020) (Doctorante sous la direction du Pr. Alain Quemin, Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 ED 267 – CIM)

Résumé : Présenté comme le « premier musée universel du monde arabe », le Louvre Abu Dhabi est l’un des projets phares – avec la création de la Sorbonne Abou Dhabi (2006) et, plus récemment, l’accord de coopération franco-saoudien pour le développement du site archéologique d’Al-Ula (2018) – de la diplomatie culturelle française dans le Golfe , une région marquée par la présence britannique depuis 1819 et américaine depuis les années 1930. Si le Golfe a longtemps constitué en France le « parent pauvre des recherches historiques sur le Moyen-Orient contemporain » (Tuchscherer, 2016), des travaux récents ont contribué à éclairer l’histoire de la présence française dans la région, notamment sous l’angle des politiques coloniales (Chantre, 2018) et de la diplomatie d’entreprise (Wursthorn, 2012, 2017, 2019). Un pan de cette histoire demeure cependant encore trop méconnu, celui de la diplomatie culturelle. Il est pourtant significatif que le premier accord bilatéral mis en oeuvre par la France dans la région après la Seconde Guerre mondiale fut un accord de coopération culturelle et technique. Signé le 7 juillet 19632 entre l’Arabie saoudite et la France, celui-ci posa le cadre d’une coopération qui s’est ensuite généralisée à l’ensemble du Golfe, aidée en cela par le déploiement d’un double réseau culturel constitué, d’une part, des services de coopération et d’action culturelle des ambassades, des instituts français, des instituts français de recherche à l’étranger et, d’autre part, des alliances françaises. Les récents projets franco-émirien et franco-saoudien peuvent alors être lus comme les résultats de la diplomatie culturelle française mise en œuvre dans la région dès les années 1960 et 1970. Dans le cadre d’une recherche doctorale sur la diplomatie culturelle française dans les pays du Golfe, nous proposons pour cette communication, réalisée essentiellement à partir des archives diplomatiques de La Courneuve et de Nantes et des entretiens avec les acteurs du réseau culturel, de présenter le volet historien de nos recherches. Il s’agira alors d’établir une périodisation en identifiant les dates clés et différentes étapes de la création et de l’évolution du réseau culturel français dans la région ainsi que de la coopération culturelle, scientifique et technique entre la France et les pays du Golfe depuis les années 1960 jusqu’en 2017. Le rôle des acteurs oeuvrant sur le terrain, en premier lieu desquels les diplomates culturels et acteurs privés, sera particulièrement mis en avant.


. William Guéraiche : Repenser les critères d’appréciation de la diplomatie culturelle française aux Emirats
(Professeur associé à l’Université de Wollongong Dubai et directeur du master de Relations internationales. Ma vision de la diplomatie culturelle est celle d’un universitaire mais aussi celle d’un acteur engagé (élu conseiller des Français de l’étranger de 2014 à 2021).

Résumé : En examinant à partir des Emirats arabes unis la diplomatie culturelle de la France dans ce pays, quels sont les critères d’appréciation de cette dernière et comment diffèrent-ils de la vision institutionnelle élaborée de Paris ? Depuis le passage Laurent Fabius au ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères, la diplomatie culturelle est pensée comme un pilier de l’économie française à l’étranger. Elle soutient ainsi la « diplomatie globale » ou plus simplement la « diplomatie économique ». Or, ce lien qui n’est pas naturel entre des domaines d’activité et de compétence différents mérite d’être repensé en dehors de la fabrique du discours officiel. Si le triptyque Louvre AD-Sorbonne University AD-Pavillon français de l’Exposition Universel 2020 est parfaitement modulable dans le contexte de diplomatie globale, qu’en est-il exactement de l’influence française dans un pays hors du « champ » ? L’usage du français pourrait être, à l’instar des autres pays de la franco- phonie (les EAU ont rejoint la francophonie en 2020) le mètre-étalon de l’amitié franco-émirienne. Les écoles sont le principal vecteur de la langue. Toutefois qui fréquente ces écoles et comment l’influence se sédimentarise-t-elle dans des réseaux de pouvoir ? Autrement dit, la fréquentation des écoles française ou plus exactement rattachées au réseau de l’enseignement du français à l’étranger renseigne sur le rôle de la France à l’étranger. Une autre manière de penser l’influence culturelle de la France serait de renverser la perspective. Comment les Emiriens, les différentes communautés vivant à Dubai et Abu Dhabi, perçoivent-ils la culture française aux Emirats ? Trouver des critères objectifs d’appréciation n’est pas facile mais peut-être nécessaire pour avoir une vision non française d’une diplomatie culturelle introuvable.


. Anne Monier : La diplomatie culturelle française : un écosystème à la frontière du public et du privé? L’exemple de la donation Rockefeller (Anne Monier est docteure en sciences sociales (ENS / EHESS) et chercheuse à la Chaire Philanthropie de l’ESSEC. Spécialiste de philanthropie transnationale, elle a notamment publié Nos chers Amis Américains (PUF, 2019).

Résumé : Le 2 Mai 1924, John D. Rockefeller Jr. écrit une lettre au Président Poincaré afin de lui faire part de son intention de faire un don de 1 000 000 dollars pour la restauration du Château de Versailles, du Château de Fontainebleau et de la Cathédrale de Reims. Ce don, John D. Rockefeller Jr. le considère non seulement comme un acte de générosité, mais aussi comme un geste diplomatique, visant à améliorer les relations culturelles entre la France et les Etats-Unis. Se mettent alors en place des échanges réguliers entre Rockefeller (et ses conseillers) et plusieurs acteurs culturels et politiques français et américains. Le processus du don – de l’annonce officielle aux célébrations lors de la finalisation des restaurations – prendra plusieurs années et sera facilité par le travail d’intermédiation de nombreux acteurs culturels de l’époque – architectes en chef, directeur des Beaux-Arts (ancêtre du ministère de la Culture), élus, mais aussi diplomates (nous pensons en particulier au rôle crucial de Jean Jules Jusserand, fondateur de l’Alliance Française, et alors Ambassadeur de France aux Etats-Unis). Ces intermédiaires participeront à un véritable travail de diplomatie culturelle pour plaider, auprès de Rockefeller, la cause des institutions culturelles françaises affaiblies par la guerre, faire remonter toutes les informations, mais aussi pour pacifier et fluidifier les relations parfois complexes entre donateurs et récipiendaires. Cette communication se fonde sur un travail de recherche qui s’appuie sur l’analyse des archives du RAC (Rockefeller Archive Center) à New York, qui rassemblent tous les documents liés aux dons des Rockefeller à la culture française (lettres re- çues et envoyées, memoranda, photographies, rapports de suivi des travaux de restauration, procès- verbaux de réunions, télégrammes etc.). Cette communication vise à mettre en avant la diversité des acteurs qui, au sein du réseau culturel français, participent à cette diplomatie culturelle, que nous pourrions qualifier de « philanthropique » à l’occasion du don Rockefeller, et à montrer ainsi que l’imbrication du public et du privé, très présente aujourd’hui sur la scène diplomatique, a une histoire longue. Nous présenterons ainsi l’écosystème des acteurs qui participent à cette « diplomatie culturelle philanthropique », en soulignant le rôle central de l’Ambassadeur Jusserand. Nous évo- querons le travail de valorisation de la culture française effectué par ces acteurs pour accompagner le processus de donation. Et nous montrerons comment ces acteurs vont contribuer aussi à fluidifier les relations, à traduire culturellement, et à dépasser les différences, jouant ainsi un véritable rôle de « passeurs ».

. Patrick Romuald Jie Jie : Historicité, bilan et perspectives des alliances culturelles Franco-camerounaise: instruments de vulgarisation de la culture française (titulaire d’un Ph.D en histoire culturelle. Il exerce actuellement, comme enseignant-chercheur à l’Université de Bertoua (département d’histoire de l’Ecole Normale Supérieure). Très intéressé par l’histoire culturelle, il est auteur de plus de dix articles scientifiques qui concernent le patrimoine culturel ancien et nouveau.)

Résumé : Les alliances culturelles Franco-camerounaises au centre de notre communication, sont de véritables instruments de vulgarisation de la culture française au Cameroun. Elles émanent de la matérialisation des accords de coopération culturelle signés entre le Cameroun et la France en 1960 et renouvelés le 21 février 1974. Au nombre de cinq (05) au départ (Alliances franco-camerounaises de Bamenda, Buea, Dschang, Garoua et Ngaoundéré), elles sont réduites à deux alliances fonctionnelles et homologuées (celles de Dschang et Garoua). Les Alliances Franco-camerounaises ont pour objectifs de développer les activités culturelles locales. Elles contribuent notamment à une meilleure connaissance mutuelle entre la France et le Cameroun
par un développement des échanges culturels et linguistiques ; à la promotion de la lecture (bibliothèque) ; au développement des activités culturelles (expositions, théâtre, musique, danse, cinéma, ateliers de pratiques artistiques et littéraires) ; à l’instauration du débat
d’idées ; à associer davantage les jeunes camerounais à la vie culturelle. Trente ans après leurs ouvertures au Cameroun, il est nécessaire d’évaluer même seulement à mis parcourt, l’action de ces instruments de vulgarisation de la culture française, en insistant sur les réalisations et
les difficultés. De cette étude, il est apparaît que les Alliances Culturelles françaises au Cameroun ont vulgarisé la culture française à travers la formation des couches sociales les plus vulnérables, le développement des activités culturelles, mais aussi le recyclage du personnel enseignant. Toutefois, de nombreuses difficultés entravent leur fonctionnement.

. Françoise Ged, Marlène Ghorayeb, Emilie Rousseau : Le programme présidentiel des 150 architectes France/Chine (Françoise Ged : architecte, HDR, chercheure associée au Centre Chine Corée Japon (UMR 8173) responsable de l’Observatoire de l’architecture de la Chine contemporaine à la Cité de l’architecture et du patrimoine ; thèmes de recherches : développement urbain chinois, politiques patrimoniales en Chine, architecture contemporaine chinoise. francoise.ged@citedelarchitecture.fr
Marlène Ghorayeb, architecte, urbaniste, HDR, chercheure au CRH-LAVUE UMR7218 CNRS, ENSAVS, Professeure à l’Ecole Spéciale d’Architecture ; thèmes de recherches : transferts culturels, circulations des savoirs et des savoir-faire.
marlene_ghorayeb@esa-paris.net
Emilie Rousseau : diplômée en chinois et en urbanisme, coordonne depuis 2003 les programmes de coopération de l’Observatoire de l’architecture de la Chine contemporaine à la Cité de l’architecture et du patrimoine.
emilie.rousseau@citedelarchitecture.fr)

Résumé : Le 18 mai 1997, le président de la République française Jacques Chirac, lors d’un discours « sur le partenariat industriel et commercial franco-chinois, sur les relations économiques entre l’Europe et la Chine et sur la sécurité internationale », [invitait ] cinquante futurs ou jeunes architectes chinois à venir en France pour compléter leur formation, mener des missions d’études ou encore pour s’associer avec des cabinets d’architectes français au service de projets communs. Par-delà l’architecture et l’urbanisme, l’aménagement du territoire peut être aussi un champ particulièrement stimulant de coopération entre nos deux pays. Le succès du programme l’a amené à porter le nombre total d’invitations à 150 jusqu’à 2005. En 2022, 25 ans après le lancement de ce programme présidentiel, quels récits et quelle histoire en retenir ?
En Chine comme en France, l’expression des Trente glorieuses évoque une période de construction urbaine intense sur trois décennies, l’une commençant en Chine quand l’autre s’est achevée depuis une bonne dizaine d’années en France. Au début des années 1990, la construction était officiellement présentée comme le moteur de la croissance chinoise pour les décennies à venir. En 2001, l’entrée de la Chine à l’Organisation Mondiale du Commerce marque le début d’une mondialisation accélérée des échanges. La même année, ses candidatures pour l’organisation des Jeux Olympiques à Pékin en 2008 et de l’Exposition Universelle à Shanghai en 2010 sont validées, marquant une reconnaissance internationale de la capacité à organiser de tels évènements pour lesquels la planification urbaine et l’architecture sont des enjeux nationaux, dans un climat d’ouverture socio-économique et politique.Nous proposons une mise en perspective des contextes pour comprendre les effets de ce programme présidentiel, les initiatives éventuelles qu’il a suscitées, les réponses aux enjeux alors identifiés. Quels réseaux en France et en Chine ont été mobilisés pour mettre en place un programme transversal et interdisciplinaire, quels éléments ont permis d’en susciter l’intérêt en France et d’en assurer le prestige dans une Chine a priori attirée par le milieu anglophone ? Quels en ont été les effets en Chine et en France, quel rayonnement a-t-il produit dans l’aménagement du territoire, l’architecture, l’ urbanisme mais aussi dans l’ enseignement, la recherche, la pratique professionnelle et l’expertise ? Quelles interactions entre milieu professionnel et milieu académique ont été suscitées ? De quelle manière l’héritage de ce programme, si apprécié par l’ouverture qu’il a provoquée aussi bien entre la France que la Chine, qu’entre milieux professionnels en France, est-il encore vivant actuellement ?

Atelier 6 (diplomatie culturelle française en Europe) : communications de 15 mn, président de séance François Mairesse

. Louis Clerc : Clichés et réseaux. La diplomatie culturelle française dans les pays nordiques, 1900-1940 (Louis Clerc est professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Turku, Finlande.)

Résumé : Les pays nordiques (pour les besoins de cet article, le terme désigne le Danemark, la Suède, la Norvège et après 1918 la Finlande) présentent un bon exemple de petits Etats périphériques dans le cadre de la diplomatie culturelle française. Comme objets de l’action culturelle des agents du ministère des Affaires étrangères, ils partagent certaines caractéristiques : forte importance des acteurs sur le terrain, contacts avec des réseaux faits de personnes privées et d’acteurs publics, importance des relations culturelles dans un cadre de relations peu développé, irruptions régulières du politique dans les questions culturelles, vision de ces pays dans un contexte large (lutte contre l’influence allemande, relations avec la Russie, compétition avec la Grande-Bretagne, etc). Ces pays sont toutefois très différents entre eux : la France a un passé de relations culturelles susceptible d’être employé dans le cas de la Suède et du Danemark, mais la Norvège et surtout la Finlande sont des terres vierges où tout ou presque est à construire. La présentation reviendra rapidement sur ces caractéristiques mais aussi sur ces différences, au travers surtout du regard des agents du ministère des Affaires étrangères sur place, cherchant à mettre au jour des règles générales de l’action culturelle française dans des petits Etats.

. Lorenzo Delgado : « Qui lit français, achète français». La France et l’Espagne, de la politique culturelle à la coopération scientifique et technique (Lorenzo Delgado Gómez-Escalonilla est Chercheur du Conseil supérieur de la recherche scientifique en Espagne. Ses travaux au cours des dernières années se sont concentrés sur les domaines des relations internationales entre l’Espagne, les États-Unis et la France au XXe siècle; les transferts scientifiques et éducatifs; la diplomatie publique et l’assistance militaire étrangère pendant la guerre froide.)

Résumé : La France a joué un rôle très important pour l’Espagne dans le domaine culturel pendant la première moitié du XXe siècle. La forte implantation dans ce domaine que disposait la France en Espagne, avec une structure dense formée par des instituts de culture, des écoles et des centres de l’Alliance Française, aux côtés de la Casa de Velázquez à Madrid, lui assurait une place privilégiée dans la formation des élites. Après l’instauration du régime franquiste, le rayonnement français a surmonté graves tensions bilatérales, surtout pendant la Seconde Guerre mondiale et dans l’après-guerre.
Dès la fin des années 1950 et au cours de la décennie suivante, la politique française s’est orientée vers l’objectif de guider son voisin du sud vers sa réincorporation progressive en Europe, tout en améliorant sa position sur un marché en expansion. Dans ce contexte, la coopération scientifique et technique a commencé à connaître une impulsion croissante. Si l’enseignement du français et de sa culture était un moyen essentiel pour «préparer les élites de demain», la multiplication des contacts dans le domaine de la coopération technique et scientifique prenait de plus en plus d’importance. Face à une action culturelle encore pertinente mais plus ancrée dans le passé que projetée vers l’avenir, la coopération scientifique-technique et la formation du capital humain ont représenté pour l’Etat et les entreprises françaises un atout beaucoup plus pratique et adapté à des intérêts spécifiques.
La collaboration antérieure a été approfondie et élargie au cours du procès de transition politique espagnole á la démocratie. Du côté français, les objectifs prioritaires étaient de fidéliser un marché pour ses techniques et produits, et d’influencer le changement politique dans le pays. La coopération scientifique et technique s’est imposée parmi les dirigeants politiques français comme un moyen d’action chez son voisin méridional. Au début des années 1980, l’Espagne deviendra le pays européen qui recevra les plus de ressources du ministère français de Recherche et de la Technologie.

. Adrien Houguet : Evolution et résonance de la coopération franco-allemande en matière d’action culturelle en Russie (Adrien Houguet est un chercheur franco-allemand dans le domaine de la diplomatie culturelle. Ses intérêts se concentrent sur les activités artistiques des instituts culturels français et allemands, en particulier dans l’ère post-soviétique. Récemment, il a commencé une étude le projet d’institut culturel franco-allemand de Bichkek. Il intervient fréquemment dans des conférences internationales et a écrit des articles scientifiques en anglais, français, allemand et russe. Adrien Houguet a également publié des recueils de poésie.)

Résumé : Avec la chute de l’Union Soviétique de nouvelles perspectives se sont ouvertes pour l’Allemagne et la France en Europe de l’Est, notamment en matière d’action culturelle et artistique. La promesse d’une maison commune de l’Oural à l’Atlantique a aussi changé les buts et les modalités de la diplomatie culturelle dans cet espace. Plus encore que la promotion d’une meilleure connaissance mutuelle entre les peuples européens, c’est la volonté de renforcer l’idée d’Europe et ses valeurs démocratiques qui était visée par les initiatives d’échanges culturels entre les pays européens. En Russie contemporaine, l’Allemagne et la France ont poursuivi des objectifs similaires : il ne s’agit pas seulement de promouvoir sa culture nationale, mais de créer des espaces d’échanges et de créations culturels avec les partenaires russes. Aussi, les acteurs des différents États-membres de l’Union Européenne ont progressivement intensifié leurs échanges afin de coordonner leurs différentes activités culturelles sur le territoire russe. Le couple franco-allemand fait ici figure de pionnier dans une potentielle future diplomatie culturelle européenne. Toutefois, depuis la crise pandémique, la montée des tensions politiques lors de ces dernières années et la guerre en Ukraine, nous sommes en mesure de se demander si les coopérations culturelles vont pouvoir perdurer. Sur le moyen terme, le projet de la maison commune européenne apparait plus que jamais comme une chimère. À défaut d’améliorer la situation politique, les liens culturels incarnent encore la forme incompressible du partenariat entre la Russie et le reste de l’Europe en attendant de jours meilleurs.

. Aleksandra Kolakovic : Reassemble of the Eternal Friendship at the 21 st century: the French Cultural Diplomacy in Serbia and the Western Balkans (Dr. Aleksandra Kolaković est historienne et associée de recherche principale à l’Institut d’études politiques (Belgrade, Serbie). Elle dirige le projet: La France et les Balkans occidentaux: héritage du passé et intégration européenne, mis en œuvre conjointement par l’Institut d’études politiques et la Sorbonne Paris IV dans le cadre de la coopération bilatérale entre la Serbie et la France dans le domaine de la recherche scientifique et technique – « Partenariat Hubert Curien » (PHC). En outre, elle gère (du côté serbe) le projet: Renforcement et perspectives de l’enseignement supérieur dans les Balkans occidentaux, réalisé conjointement par l’INALCO, l’Institut d’études politiques, la Fa- culté de droit, l’Université de Sv. Kliment Ohridski à Bitola et la Faculté de philologie de l’Université du Monténégro à Nikšić. Les principaux domaines d’intérêt académique d’Aleksandra sont l’histoire intellectuelle, l’histoire des idées, l’histoire politique et culturelle, la culture de la mémoire, les identités, la diplomatie culturelle, ainsi que la politique culturelle et éducative.)

Résumé : L’objectif de cet article est d’explorer, de détecter, de décrire et d’expliquer les mutations de la diplomatie culturelle française en Serbie et dans les Balkans occidentaux au XXIe siècle. L’hypothèse principale est que l’idée d’amitié éternelle entre Français et Serbes, forgée pendant la Grande Guerre, est l’outil principal de la nouvelle diplomatie culturelle de la France en Serbie. Dans le même temps, il est important pour le positionnement de la France dans les Balkans occidentaux, notamment dans un contexte de pénétration économique et de recherche d’une plus grande influence politique. Dans un segment, basé sur des recherches historiques, l’article se concentrerait sur l’influence durable et profonde de la France (due à la diplomatie culturelle) en Serbie, ainsi qu’en ex- Yougoslavie. Cela était présent jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, mais aussi jusqu’à la dissolution de la Yougoslavie. L’Alliance française et le Centre culturel français (l’Institut français) ont été les voies principales de la diplomatie culturelle et des échanges culturels. Les guerres en ex-Yougoslavie et les bombardements de l’OTAN ont changé les relations franco-serbes. La distanciation et les incompréhensions sont également caractéristiques du début du XXIe siècle. La diplomatie culturelle est l’une des manières dont la France trouve sa place parmi les influences des superpuissances dans les Balkans. Ainsi, la partie centrale de l’article recherche différents champs de la diplomatie culturelle française tels que la langue, les échanges artistiques, les industries culturelles et créatives, les recherches académiques, l’enseignement et les débats. A partir d’analyses de presse, d’annonces officielles, d’analyses de la visite officielle du président français en Serbie (2019), ainsi que d’entretiens avec des acteurs de la diplomatie culturelle, l’article observerait les évolutions de la diplomatie culturelle de la France en Serbie et dans les Balkans occidentaux (notamment conformément à la Stratégie de la France envers les Balkans occidentaux, proclamée en avril 2019, et au processus d’intégration européenne de la région).

. Matthieu Osmont : Le réseau culturel français en Allemagne des années 1950 aux années 2000, de la diffusion culturelle à la coopération (Matthieu OSMONT, professeur agrégé et docteur en histoire, est depuis septembre 2021 directeur de l ́Institut français Bonn et attaché de coopération universitaire pour l ́Ambassade de France en Allemagne (après avoir été en poste à Tübingen entre 2014 et 2018 et à Ramallah en 2018-2019). Sa thèse pour le doctorat d’histoire, soutenue en décembre 2011 à Sciences Po sous la direction du professeur Maurice Vaïsse, porte sur « les ambassadeurs de France à Bonn (1955-1999) ».

Résumé : Premier réseau culturel français à l’étranger par sa densité depuis les années 1950, le réseau des instituts et centres culturels français en Allemagne a connu de profondes évolutions depuis sa création au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Né dans la zone d’occupation française en Allemagne puis étendu à l’ensemble de la RFA au début des années 1950, il a dû s’adapter à un contexte de restriction budgétaire dès les années 1970. De nouveaux outils ont été alors conçus pour maintenir une présence culturelle française à moindre coût en Allemagne. Un premier centre culturel franco-allemand est ainsi né à Tübingen en 1976. La transformation de l’institut français local en association de droit allemand a permis à la municipalité de participer au financement du centre. Cette formule a été reprise dans d’autres villes au cours des décennies suivantes. Par ailleurs, le réseau des instituts français s’est étendu dans les années 1990 aux nouveaux Länder d’Allemagne de l’Est, alors qu’un seul centre culturel français existait en RDA dans les années 1980, à Berlin Est. En 2022, on compte 11 antennes de l’Institut français et 13 centres binationaux répartis sur l’ensemble du territoire allemand. Ce réseau dual mêle des centres culturels de tailles très différentes et aux statuts variés. Les instituts français ont noué eux-aussi des partenariats étroits avec les communes ou les Länder dans lesquels ils sont installés. Le réseau culturel français en Allemagne s’est ainsi transformé au fil du temps en un réseau de plus en plus « franco-allemand ». Quelles sont les conséquences de la part croissante prise par les partenaires allemands dans le financement et dans la gouvernance des instituts français en Allemagne ? Un pilotage depuis Paris ou depuis l’ambassade de France à Berlin est-il encore possible et souhaitable ? Cette évolution des structures se traduit-elle par des changements dans les missions du réseau ? Est-on passé d’une logique de diffusion culturelle et linguistique à une logique de coopération ? Autant de questions auxquelles je tenterai de répondre en m’appuyant sur les archives du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères – en particulier les fonds du service culturel de l’ambassade de France en Allemagne. J’utiliserai également dans le cadre de ma communication les archives de l’institut culturel franco-allemand de Tübingen (consultées en poste) ainsi que les témoignages recueillis auprès de différents acteurs du réseau culturel français en Allemagne depuis les années 1990.

18h Cocktail de clôture au ministère de l’Europe et des affaires étrangères (sur invitation)

Adresse

MSH Paris Nord – Universités Paris 8 & Sorbonne Paris Nord

20 Avenue George Sand

93210 La Plaine Saint Denis

De nouveaux tickets ont été proposés sur la page evenbrite pour celles et ceux qui souhaiteraient assister, en présence ou à distance (via Zoom) aux échanges ; l’inscription est en effet obligatoire.

LM

Bonnet d’âne et brun bonnet

Bonjour,

« Nous voici donc à quelques jours d’un scrutin décisif pour l’avenir de la France, de l’Europe – et, pour ceux qui croient encore que ce pays entretient un rapport particulier à l’universel, ce qui est mon cas – du monde. Dans moins d’une semaine, nous élirons le prochain président de la République, ou la première présidente de son histoire. Au terme d’une campagne présidentielle auprès de laquelle les scénarios imaginés par les showrunners de House of Cards ou de Borgen apparaissent presque fadasses, voici donc face à face Emmanuel Macron et Marine Le Pen, les deux outsiders que tous les sondages – cela a été remarqué – ont constamment placés en tête des enquêtes d’opinion depuis des mois. »

Ces premières lignes rappellent quelque chose aux lecteurs et lectrices fidèles de ce blog? C’est parce qu’ils/elles les ont lues voici cinq ans presque jour pour jour. Le 1er mai 2017 en effet, je décrivais en ces termes le choix devant lequel nous nous trouvions au moment de départager les finalistes de l’élection présidentielle. Ce billet était assorti de plusieurs dessins, dont celui-ci, de Chapatte, qui me paraît toujours d’actualité.

Rien, alors, n’aurait-il changé depuis cinq ans? On prendrait les mêmes pour recommencer la même histoire? Pas tout à fait. D’un côté, Marine Le Pen a poli, adouci son image ; il paraît certainement plus difficile de la représenter aujourd’hui vêtue de la chemise brune des S.A., elle qui a en grande partie réussi son entreprise de « dé-diabolisation » de son parti et de son projet. Elle fait encore peur à la moitié du pays, selon les derniers sondages, mais ils étaient les trois quarts il y a cinq ans à redouter l’arrivée au pouvoir de Marine Le Pen et de ses amis. Encore cinq ans et peut-être ne seront-ils plus que 25% à vouloir lui faire barrage à tout prix… De l’autre côté, Emmanuel Macron n’est plus l’homo novus disruptif qu’il était encore aux yeux de beaucoup de Français en 2017. Nous l’avons vu à l’oeuvre et beaucoup de Français l’ont jugé insuffisant – ou trop suffisant. On a envie de lui mettre un bonnet d’âne, tant le sens politique lui fait parfois défaut. Sa capacité à surprendre s’est émoussée. L’essentiel de son projet paraît être d’assurer une forme de continuité. Difficile, pour celles et ceux qui n’ont pas aimé la première saison, de se motiver pour une seconde.

Et pourtant, je ne vois pas, quant à moi, d’autre choix (du moins, pas d’autre choix qui serait substantiellement meilleur que celui-ci). Ce n’est pas oublier tous les ratés, toutes les erreurs des gouvernements macroniens, en particulier dans la politique sociale, de la baisse de 5 euros de l’aide personnelle au logement au début du quinquennat jusqu’à cette mesure annoncée pour l’après-présidentielle des « heures d’activité » imposées aux bénéficiaires du RSA, en passant par des maladresses qui conduisirent au déclenchement de la crise des gilets jaunes. Mais, outre que l’on pourrait, pour chacun de ces dossiers, montrer que des correctifs furent apportés, avec des montants parfois très supérieurs aux économies que l’on songeait d’abord à réaliser, il faudrait rappeler à ceux qui dénoncent l’ultra-libéralisme du « président des riches » que jamais on ne vit, depuis la Libération, un Etat intervenir à ce point dans l’économie pour soutenir à bout de bras et à coups de milliards une activité qui battait de l’aile en raison de la crise sanitaire, et sauver par là même des millions d’emplois. A l’instar de beaucoup d’autres gouvernements dans le monde, certes, mais de façon plus délibérée et prolongée qu’en beaucoup d’endroits, la France vit en économie aidée depuis deux ans. Macron, ou le Franklin Delano Roosevelt qu’on n’attendait pas (lui-même pas plus que les autres, d’ailleurs).

En face, on trouvera un catalogue de mesures plus ou moins généreuses, mais non ciblées ni financées, d’autant que l’on promet en même temps de baisser les impôts pour « rendre leur argent aux Français » (et les services publics, ils vivront d’amour et d’eau fraîche?). Au mieux, ces mesures avantageront tout le monde dans un premier temps – sauf ceux qui ne sont pas Français, quoique vivant sur notre sol, au nom de la fameuse préférence nationale qui rompt avec deux siècles de tradition républicaine – mais proportionnellement davantage les riches (ainsi de la baisse générale de la TVA) avant d’être précipitamment et honteusement supprimées devant la hausse vertigineuse des déficits et de l’endettement. Au pire, elles ne seront pas appliquées, mais ça n’est pas grave car une fois parvenu au pouvoir, on trouvera bien le moyen de s’y maintenir sans tenir des promesses qui n’engagent que ceux qui les croient, regardez en Hongrie, au Brésil, en Russie, où se trouvent les vrais amis et alliés de notre Marine nationale.

C’est cela, à vrai dire, qui devrait surtout faire réfléchir ceux qui hésitent entre voter et s’abstenir, ou entre Marine Le Pen et un bulletin blanc. Une internationale des autoritarismes se construit sous nos yeux, de Brasilia à Budapest, de Moscou à Pékin. Dans ces régimes illibéraux, ces démocraties de façade qui parfois recourent encore aux élections factices, comme un hommage du vice à la vertu, les libertés publiques comme individuelles sont bafouées, les médias tenus en laisse, les droits de la défense niés, les opposants pourchassés et réduits au silence, les minorités persécutées, les crimes de masse perpétrés en toute impunité, la corruption généralisée. Je ne dis pas que la France dirigée par Marine Le Pen basculerait du jour ou lendemain dans ce cauchemar orwellien ; je dis qu’il s’agirait d’un premier pas dans la plus funeste des voies, un premier pas qui nous couperait de tous nos alliés dans le camp dit occidental. La complaisance, pour ne pas dire plus, que le RN et sa dirigeante ont toujours manifestée à l’égard de Poutine depuis l’annexion de la Crimée en 2014 donne une idée de ce que serait aujourd’hui la position française à l’égard de l’agression de l’Ukraine par la Russie si Marine Le Pen avait remporté l’élection en 2017, et de ce qu’elle serait si elle remportait celle de 2022.

Cela, et bien d’autres divergences de fond entre les deux projets et les deux candidats – y compris sur l’écologie, sans doute insuffisamment prise en compte depuis cinq ans mais à peu près complètement absente des préoccupations de Marine Le Pen – me fera choisir sans hésitation le bulletin Emmanuel Macron dimanche prochain.

LM

Présences africaines

Bonjour,

le programme du prochain festival de Cannes a été dévoilé cette semaine. Alors que la précédente édition (ne) comportait (que) deux films d’origine africaine, celle-ci n’en aura aucun. Aucun film réalisé par un.e cinéaste africain.e ne sera en compétition pour représenter les rêves, les aspirations, les colères, la vie d’un milliard trois cents millions d’habitants. « Afrique deux fois muette », dirais-je, en détournant le titre d’un livre de François Billeter au sujet de la Chine.

Que l’Afrique, pourtant, ait des choses à nous dire, et qu’il nous faille les entendre depuis l’autre rive de la Méditerranée, cela me paraît évident. Certaines expositions actuelles à Paris en témoignent – liste non exhaustive, compilée à partir de RFI et de France Info Afrique :

Depuis le 2 avril, la galerie parisienne 31Project présente sur une proposition de Liz Gomis l’exposition Je suis moi-même le soleil. Une invitation à cinq artistes pour réagir à cette citation du cinéaste sénégalais Ousman Sembène qui affirmait : « L’Europe n’est pas mon centre […] Pourquoi voulez-vous que je sois le tournesol qui tourne autour du soleil ? » Cette exposition collective réunit le travail de cinq artistes plasticiens d’Afrique et de sa diaspora : Leonard Pongo (Belgique/RDC), Nú Bareto (Guinée-Bissau), M’barka Amor (France), Valerie Asiimwe Amani (Tanzanie), Hakeem Adam (Ghana).

Depuis le 5 avril, le Musée du Quai Branly à Paris invite à découvrir l’art des communautés établies sur les hauts plateaux des Grassfields, une région située à l’ouest du Cameroun. L’exposition Sur la route des chefferies du Cameroun. Du visible à l’invisibleréunit 270 œuvresdont la majeure partie sont conservées par les chefs et les lignages familiaux. Voir l’intéressant entretien accordé à France Info par le commissaire de l’exposition, Sylvain Djache Nzefa (https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/culture-africaine/avec-la-route-des-chefferies-la-culture-camerounaise-s-expose-a-paris_5061985.html)

Depuis le 7 avril, la Galerie Chauvy à Paris réunit des œuvres des artistes nigérians Victor Olaoyé, Wole Lagunju, Samuel Nnorom avec celles du Malien Ibrahim Ballo autour du thème Les «voix» du textile. Ces « voix » du textile furent, longtemps, dans les champs d’indigotiers, celles des esclaves. Les ancêtres d’Ibrahim Ballo furent tisserands du Bogolan, tissu traditionnel malien. Wole Lagunju fait revivre les textiles des femmes yorubas dans un concept artistique contemporain : l’Onaïsme. Samuel Nnorom aborde l’histoire du textile par des voix croisées. Victor Olaoyé travaille les textiles Adire très graphiques et teintés à l’indigo qui se transmettent de mère en fille chez les Yoruba, racontant ainsi la longue histoire coloniale.

Les étudiant.e.s du master de Géopolitique de l’art et de la culture de la Sorbonne-Nouvelle s’intéressent de plus en plus à l’Afrique et à ses mille cultures, qu’ils/elles en soient issu.e.s, directement ou par le biais de leurs parents, ou qu’ils/elles soient avides d’en savoir plus sur ce fascinant continent. Je poste ici deux articles rédigés par deux d’entre eux, Milica Mitrovic, de la promotion 2019/2021 et Antoine Mazer, qui termine son parcours cette année. La première a travaillé sur le cas des restitutions d’objets et d’oeuvres d’art par la France au Bénin, le second sur la revue Présence africaine et sur le cinéma africain. Je les remercie l’un et l’autre d’avoir accepté que je publie leurs articles sur ce blog :

Je vous souhaite un bon week-end de Pâques, que vous soyez d’Afrique ou d’ailleurs.

LM