oui, les posts s’enchaînent à toute vitesse, ces temps-ci. Celui-ci a pour but de relayer un appel à propositions d’articles pour un dossier que l’excellente revue Sociétés et Représentations consacrera l’an prochain à l’aventure spatiale.
Voici le texte de l’appel ; tous les intrépides qui souhaitent voyager vers l’infini (et au-delà) sont les bienvenus!
L’Aventure spatiale
Sociétés & Représentations
Coordination : Elsa De Smet, Laurence Guignard, Laurent Martin
La revue Sociétés et Représentations consacrera l’un de ses prochains dossiers (2023/1) à l’aventure spatiale des temps modernes à nos jours. Celle-ci doit s’entendre de différentes façons. Il s’agit d’une part d’envisager comment les hommes et les femmes se sont lancés à la découverte puis à la conquête de cette « nouvelle frontière ». Une conquête visuelle d’abord, médiatisée par des instruments d’observation, par l’imagerie des mondes et aujourd’hui des exomondes en pleine expansion, une conquête réelle et matérielle ensuite permise par des engins spatiaux, jusqu’au tourisme spatial qui débute sous nos yeux. Il s’agit parallèlement d’envisager la manière dont ils elles ont rêvé, imaginé, représenté l’espace qui environne la planète Terre et élaboré les territoires cosmiques par un ensemble foisonnant de productions culturelles constitutives d’une culture spatiale à certains égards antérieure à la conquête ou anticipatrice du futur.
Ce dossier se veut résolument international et interdisciplinaire. Notre souhait est de rassembler des contributions d’horizons disciplinaires et géographiques divers pour croiser les regards des spécialistes sur cette insatiable curiosité de l’esprit humain qui le pousse à vouloir sans cesse repousser les limites du monde connu et visible. Historiens de la culture, historiens des arts et des sciences, mais aussi géographes, anthropologues, experts en relations internationales sont les bienvenus, ainsi que les spécialistes d’astronomie et d’astrophysique dans la mesure où ils et elles proposeront des articles réflexifs sur les pratiques et les représentations associées à cette aventure spatiale.
Les thématiques potentielles sont multiples : l’espace dans les œuvres de science-fiction qu’il s’agisse de littérature, de cinéma, de bande-dessinée, l’astronomie populaire, genre et conquête spatiale, espace et guerre froide, la diplomatie spatiale (liste non exhaustive). On valorisera le croisement des perspectives permettant d’associer l’histoire des imaginaires, l’histoire culturelle et l’histoire des techniques et des savoirs spatiaux permettant par exemple d’examiner dans leur épaisseur des moments de l’aventure spatiale comme les premiers voyages spatiaux, des objets comme les fusées, spoutniks, stations ou soucoupes volantes ou encore des acteurs de cette aventure, qu’ils soient réels ou imaginaires. Les contributions qui prendront en compte l’histoire visuelle de l’aventure spatiale seront particulièrement appréciées (possibilité d’illustrations).
Envoi des propositions
Les propositions d’article, en français ou en anglais, ne devront pas dépasser une page. Outre un titre et un sujet provisoires, elles comporteront une courte bibliographie et une présentation des sources envisagées. Elles devront parvenir aux directrices et directeur du dossier avant le 4 avril 2022 .
Les articles de 30 000 signes maximum en français ou en anglais seront soumis à l’expertise du comité de rédaction et de deux experts indépendants.
Calendrier :
4 avril 2022 : date limite d’envoi des propositions
il me vient souvent, ces temps-ci, le regret de ne pas habiter loin de Paris, de ses pollutions, de ses appartements exigus et hors de prix, de son climat maussade plus souvent qu’à son tour, de ses habitants stressés… dont je suis. Mais quelques moments de pur bonheur viennent me rappeler pourquoi j’avais fait le choix d’habiter cette ville, voici plus de trente ans, et pourquoi mes pas n’ont cessé de m’y ramener, presque malgré moi.
En l’occurrence, deux expositions parisiennes que j’ai eu la chance de voir à deux semaines d’intervalle justifieraient – presque – les embarras de Paris, si c’est là le prix à payer pour en jouir. (Bien évidemment, vous me ferez observer avec raison qu’il n’est pas nécessaire d’habiter la capitale pour visiter les expositions qui s’y trouvent et, même, que le plaisir que l’on prend à les visiter est d’autant plus grand qu’il ne se paie pas des inconvénients susnommés. Certes. Mais combien d’habitants des Provinces feront le déplacement pour venir admirer ces merveilles? Et combien, les ayant vues, les reverront au cours d’une nouvelle excursion? Alors que, de mon côté, j’ai bien l’intention de revoir au moins l’une d’entre elles et peut-être les deux, avant qu’elles ne s’achèvent.)
Je commence par celle que j’ai vue en premier, voici quinze jours, à la faveur d’une invitation à venir à son vernissage (on a les privilèges que l’on peut), je veux parler de l’exposition « Hey! le dessin », visible depuis le 22 janvier dernier à la Halle Saint-Pierre, à un jet de bible du Sacré-Coeur de Montmartre. Ceux qui ont lu et se souviennent des posts antérieurement publiés sur ce blogue se diront : « Tiens, il va nous reparler de Hey!« . Ils auront raison. On retrouve en effet à la manoeuvre les piliers de cette petite entreprise d’éveil de l’oeil à coups de pétards qu’est Hey!, à commencer par Anne, qui assure le commissariat d’exposition, et Zoé, sa fidèle assistante (on peut parier que Julien, alias Mr Djub, n’était pas loin). Revoilà à leur suite les artistes inclassables du lowbrow art, de l’art brut, du surréalisme pop, les taulards, les tatoués, les fous, soixante en tout, venus d’une trentaine de pays. Ce nombre était déjà celui des quatre expositions précédentes qu’avait montées la fine équipe à la Halle Saint-Pierre (2011, 2013, 2017 et 2019) toujours dirigée par l’impeccable Martine Lusardy. La particularité de celle-ci : elle ne présente que des dessins, sur toutes sortes de supports, avec toutes sortes de mines et de crayons, en noir et blanc ou en couleurs, en petit ou en grand format mais seulement, uniquement, exclusivement du dessin, 450 oeuvres en tout, qui occupent les deux étages de la Halle.
Dans une telle profusion, il y a forcément à boire et à manger, à prendre et à laisser. Je n’ai pas forcément été très touché par les productions des condamnés à mort japonais, les caddies de pépé Vignes ou les embrassades de Sergei Isupov. Mais je l’ai été, et même secoué, par les corps avachis dessinés par Kraken, le bestiaire fantastique de Murielle Belin, les enfants baillonnés de Victor Soren, ou encore les entrelacs de l’infiniment petit dessiné avec un luxe de détails confondant par Samuel Gomez, entre autres belles découvertes.
Samuel Gomez « Deadpan Comedy »
Mention spéciale à deux ensemble très différents. Le premier est celui que propose l’Américaine Laurie Lipton, dont la revue Hey! avait la première fait connaître les oeuvres en France et qui est ici exposée pour la première fois sur les cimaises de notre beau pays. Là même où, lors de la dernière expo Hey! de la Halle Saint Pierre, la virtuose, méticuleuse et ultra-féministe Mad Meg avait exposé ses dessins d’hommes-insectes, Laurie Lipton expose à son tour de grands formats à la profusion vertigineuse. Squelettes scotchés à leur optiphone hypnotique – comme dirait Baudoin de Bodinat – dans un décor industriel, hommes-machines réduits à leur bouche dans un fouillis de câbles, voilà dépeint, ou plutôt crayonné, notre devenir voire notre présent de consommateurs-automates par une artiste surdouée.
Laurie Lipton
L’autre série qui m’a beaucoup impressionné : celle intitulée « Mémoire végétale de la Grande Guerre ». Une dizaine de dessins sur feuilles – non de papier, mais d’arbres, ramassées par des hommes ayant eu la malchance d’être nés une vingtaine d’années avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale et qui cherchaient par l’art une échappatoire aux horreurs de la guerre. Par quel miracle ces dessins sur le support le plus fragile qui soit ont non seulement été préservés mais sont parvenus intacts jusqu’à nous, voilà qui est assez sidérant et, jusqu’à ce jour, à peu près inconnu même des spécialistes de ce que l’on appelle « l’art des tranchées ».
anonyme
Ce sont là quelques pépites d’une exposition qui en compte beaucoup. Heureusement, vous avez le temps de les découvrir : « Hey! Le dessin » s’est installé à la Halle Saint-Pierre jusqu’à la fin de l’année!
Autre exposition à ne pas manquer, dans un tout autre genre, celle que propose depuis le 15 janvier Orange (oui, l’opérateur de téléphone) et la société Amaclio Productions à la Grande Arche de la Défense : « Eternelle Notre-Dame ». Il ne s’agit pas seulement d’une nième visite virtuelle du vénérable bâtiment mais d’une « expérience immersive », selon le jargon en vigueur, grâce à un casque de réalité virtuelle (oxymore délicieux). Muni d’un ordinateur accroché dans votre dos et dudit casque dûment sanglé, vous déambulez dans un espace clos à la suite d’un guide-conférencier tout aussi virtuel que l’est votre avatar. Vous découvrez le chantier de Notre-Dame au treizième siècle, vous rencontrez les ouvriers, les compagnons, et d’autres personnages, humbles ou illustres, vous montez sur les échafaudages, assistez à la mise en place des vitraux… C’est très impressionnant, pédagogique et ludique à la fois, peut-être plus ludique que pédagogique à la vérité. Tout excité par l’illusion de monter sur les tours de Notre-Dame ou de tourner autour de Viollet-le-Duc qui nous présente sa flèche, on perd en qualité d’écoute ce qu’on gagne en divertissement. Mais c’est là sans doute un effet de la nouveauté. Quand nous serons habitués à ces technologies, elles nous deviendront transparentes et nous pourrons nous concentrer sur le contenu – s’il en reste. Pour l’instant, nous sommes tout au plaisir de découvrir cette attraction – comme devaient l’être les premiers spectateurs du cinématographe des frères Lumière.
Là aussi, vous avez encore du temps pour aller découvrir « Eternelle Notre-Dame » : l’exposition est installé à la Défense jusqu’au printemps, elle sera ensuite transportée à la Conciergerie puis sous le parvis de Notre-Dame à l’automne. Il est prévu qu’elle circule ensuite en Europe et dans le monde entier – encore un privilège qui échappera aux Parisiens! A noter qu’un tiers de la somme acquittée pour le ticket est reversée pour aider à la restauration de l’édifice. Où comment joindre l’utile à l’agréable…
C’est l’un des avantages de tenir (enfin, tenir…) un blogue sur la durée, on peut facilement se reporter à ce que l’on écrivait un an auparavant, deux ans, naguère, jadis… Voici un an, je formulais le souhait d’une « meilleure année 2021 » après la calamiteuse année 2020 qui avait vu l’apparition du virus que l’on sait. Un an et quelques variants plus tard, me voici contraint de souhaiter de nouveau que l’année soit meilleure que la précédente, et de vous présenter de « vraiment meilleurs voeux ». Serai-je davantage écouté (et par qui?), il n’est pas interdit d’espérer…
De même qu’il n’est pas interdit de rire, et je remercie Nadia de m’avoir transmis cette planche de Franquin, qu’elle-même avait reçue d’une amie ou d’une collègue (on peut être les deux, cela arrive), qui me semble de circonstance…
A l’heure où, plus que jamais, la lutte contre le virus tient à la fois de la guerre de mouvement et de la guerre de tranchées (l’analogie me frappe avec les premiers mois de la guerre de 1914-1918, que l’on espérait courte, fraîche et joyeuse mais qui s’enlisa durant quatre longues années), il importe d’accrocher quelques lampions pour éclairer la grisaille ambiante.
Cela peut être un spectacle : ainsi Najet Khaldi, ancienne étudiante du master de la Sorbonne-Nouvelle, nous conseille-t-elle d’aller voir et entendre le spectacle musical Là-bas, chansons d’aller-retourde Nathalie Joly, mis en scène par Simon Abkarian qui se jouera du 7 janvier (c’est demain) au 7 février 2022 au théâtre du Local à Belleville. Il s’agit d’un spectacle musical autour du déracinement, de l’exil, de la mémoire et de la transmission. Lauréate d’une Bourse de l’Ambassade de France en Algérie, Nathalie Joly a écrit ce spectacle à l’Institut français d’Annaba, à partir de son histoire familiale et des échanges avec les femmes Bounas qu’elle y a rencontrées. J’ai eu la chance de voir le spectacle en avant-première en décembre, c’est vraiment bien.
On peut aussi écouter une conférence, participer à un séminaire : par exemple celui de Nicolas Peyre sur « culture et influence », dont la troisième séance aura lieu demain, en ligne, de 14 à 16h. Le séminaire accueillera Juliette Donadieu, ancienne attachée culturelle à San Francisco et fondatrice de la Villa San Francisco.
Voici la présentation que fait Nicolas de la séance :
« Après la Villa Médicis à Rome, la Casa Velázquez à Madrid et la Villa Kujoyama à Kyoto, la France annonce l’ouverture de la Villa Albertine, un nouveau programme de résidences aux États-Unis. La Villa San Francisco, inaugurée en août dernier, a servi de prototype grandeur nature, de ce nouveau dispositif qui renouvelle la manière de faire diplomatie aux Etats-Unis. Pluridisciplinaire, engagée, proche du terrain, cette nouvelle institution souhaite animer un dialogue à grande échelle entre les artistes et la société. «
Troisième lampion possible, soutenir sa thèse. Ce n’est pas donné à tout le monde mais c’est la bonne fortune (qui ne doit évidemment rien au hasard ni à la chance) qui échoit à mon doctorant Philippe Metz, lequel soutiendra le 21 janvier à la Sorbonne-Nouvelle sa thèse sur le sociologue Joffre Dumazedier (1915-2002). Thèse d’histoire intellectuelle, ce travail éclaire une pensée originale et séminale, qui fut décisive, par exemple, dans la formation d’Augustin Girard, le fondateur du Service des Etudes et Recherches du ministère des Affaires culturelles au temps d’André Malraux. On parlera sans doute d’Uriage, où Dumazedier a enseigné, de Peuple et Culture, cette association d’éducation populaire qu’il co-fonda en 1944, de la sociologie de la culture et des loisirs, de l’autodidaxie et de l’autoformation et de bien d’autres sujets encore car la thèse est foisonnante.
On peut aussi préparer un beau colloque, comme celui qui se tiendra en mai prochain sur l’histoire de la diplomatie culturelle française. A l’heure où j’écris ces lignes, si je connais les dates de cette rencontre internationale qui rassemblera une cinquantaine de chercheurs français et étrangers (du 4 au 6 mai), je suis hélas toujours dans l’incertitude quant au lieu où celui-ci se tiendra, les travaux du nouveau campus de la Sorbonne-Nouvelle, du côté de Nation, dans l’est parisien, ayant pris du retard. J’ai peut-être trouvé une solution mais j’attends confirmation avant de crier victoire…
Voilà quelques solutions, il en est évidemment bien d’autres et chacun peut faire part ici des solutions qu’il ou elle a trouvées pour accrocher lesdits lampions, ou s’accrocher, tout simplement. Dans tous les cas, je vous souhaite l’année aussi douce et fructueuse que possible, prenez soin de vous et des vôtres, ce qui n’exclut pas de se préoccuper du monde, bien au contraire!
la saison des thèses n’est pas achevée que commence déjà celle des séminaires de recherche, ce qui m’oblige à augmenter le rythme de ces posts…
A vrai dire, le premier séminaire que je veux signaler a commencé voici quelques mois déjà. Il s’agit du séminaire de préparation du colloque international sur l’histoire de la diplomatie culturelle française qui doit se tenir du 4 au 6 mai prochain à l’université de la Sorbonne-Nouvelle. Nous organisons chaque mois un rendez-vous en visio conférence qui nous permet d’entendre les pré-communications d’un certain nombre de participants à ce colloque.
La séance d’aujourd’hui (mardi 30 novembre, 17h-19h) sera centrée sur la diplomatie éducative et linguistique, avec trois intervenant.e.s :
Céline Barzun (Doctorante en sociologie (Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé) (UMR 8019) / ED 73 – SESAM Université de Lille) : « Contribution des écoles françaises au Maroc à la politique publique d’influence culturelle »
Drajos Jipa (enseignant à l’université de Bucarest, chercheur à l’Ecole doctorale francophone en sciences sociales CEREFREA Villa Noël, université de Bucarest): « La mission universitaire française en Roumanie de 1919 à 1948 »
Cem Savas (assistant professeur à Yeditepe University, Istanbul, Turquie) : « La diplomatie de la langue et l’autre francophonie : une étude rétrospective sur les enjeux et défis de l’influence française en Turquie »
Voici le lien pour cette réunion qui se tiendra sur la plateforme Meet :
La prochaine séance du webinaire aura lieu le 15 décembre. Je redonnerai d’ici là les infos utiles.
Autre séminaire que je voulais signaler, celui qu’animera Nicolas Peyre à partir du 10 décembre, là aussi à distance. Nicolas est enseignant-chercheur à Toulouse, membre du Conseil scientifique du colloque Histoire de la diplomatie culturelle française et enseignant au sein de la licence Géopolitique/Tourisme de la Sorbonne-Nouvelle. Ce séminaire portera sur le thème « Culture et influence ». En voici le programme:
Séminaire de recherche organisé par Nicolas Peyre*, enseignant-chercheur à l’Université Toulouse Capitole (IDETCOM) et titulaire de la Chaire Mobilité francophone de l’Université d’Ottawa (Canada). Co-animation des conférences avec les étudiants du master 2 « Administration et Communication des Activités Culturelles » (ACAC) de l’Université Toulouse Capitole.
*Certaines séances sont également animées avec Laurence Leveneur, maître de conférences à l’IUT de Rodez et à l’Université de Toulouse Capitole (IDETCOM), chercheuse associée à l’Institut National de l’Audiovisuel (INA), Emeline Jouve, professeure au Laboratoire Cultures Anglo-Saxonnes (CAS) de l’Université Toulouse Jean-Jaurès et Jonathan Paquette, professeur titulaire à l’Université d’Ottawa (Canada), titulaire de la Chaire de recherche en francophonie internationale sur les politiques du patrimoine culturel et professeur associé à l’IDETCOM.
La deuxième édition de ce séminaire de recherche (en ligne) a pour objectif de réunir des chercheurs internationaux en sciences humaines et sociales (SHS), des praticiens de la diplomatie d’influence (attachée culturelle), des Hauts fonctionnaires (ministère de la Culture et organisation internationale), le directeur général d’une chaîne de télévision francophone et des étudiants (master et doctorat) dans le but d’apporter des éléments de compréhension au rôle joué par la communication et la culture dans les relations internationales.
Comment l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) porte t-elle l’influence de la francophonie dans le monde ? Pourquoi TV5MONDE la chaîne internationale de télévision francophone a t-elle créé « TV5Monde Plus », une plateforme VOD francophone mondiale et quels en sont les premiers résultats ? Nous questionnerons également l’influence pop-culturelle du Japon en France ainsi que les guerres de l’information à l’ère numérique. Enfin, la France vient d’annoncer l’ouverture de La Villa Albertine, un nouveau programme de résidences aux États-Unis. Quels en sont les ressorts et pourquoi cette création ?
Vendredi 10 décembre 2021 (14h00 > 16h00) : Francophonie et influence. Nivine Khaled, Directrice de la langue française et de la diversité des cultures francophones à l’Organisation internationale de la Francophonie,
Séance organisée en collaboration avec la Chaire de recherche en francophonie internationale sur les politiques du patrimoine culturel de l’Université d’Ottawa. et co-animée avec Jonathan Paquette, professeur titulaire à l’Université d’Ottawa (Canada) et titulaire de la Chaire de recherche en francophonie internationale sur les politiques du patrimoine culturel et professeur associé à l’IDETCOM.
Vendredi 17 décembre 2021 (14h00 > 16h00) : L’influence pop-culturelle du Japon en France : manga, animation, jeu vidéo. Pierre-William Fregonese est Project Associate Professor en études culturelles à l’Université de Kobe, où il s’occupe des séminaires comparés sur les enjeux socioculturels européens et japonais dans le cadre du programme KUPES.
Vendredi 7 janvier 2022 (14h00 > 16h00) : De la Villa San Francisco à la Villa Albertine. Renouveler la diplomatie culturelle française aux Etats-Unis. Juliette Donadieu est ancienne attachée culturelle à San Francisco et fondatrice de la Villa San Francisco.
Séance co-organisée avec Emeline Jouve, professeure au Laboratoire Cultures Anglo-Saxonnes (CAS) de l’Université Toulouse Jean-Jaurès.
Vendredi 14 janvier 2022 (14h00 > 16h00) : Les guerres de l’information à l’ère numérique. Maud Quessard est maître de conférences, directrice du domaine « Espace Euratlantique » / Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (IRSEM).
Vendredi 21 janvier 2022 (14h00 > 16h00) : La valorisation internationale de l’expertise culturelle française : un puissant outil d’influence ? Agnès Saal est Haute fonctionnaire à l’égalité, la diversité et la prévention des discriminations, cheffe de la mission expertise culturelle internationale au ministère de la Culture.
Vendredi 28 janvier 2022 (14h00 > 16h00) : TV5Monde Plus, la plateforme VOD francophone mondiale. Yves Bigot est directeur général de TV5Monde.
Séance organisée en collaboration avec la Chaire de recherche en francophonie internationale sur les politiques du patrimoine culturel de l’Université d’Ottawa. et co-animée avec Laurence Leveneur, maître de conférences à l’IUT de Rodez et à l’université de Toulouse Capitole (IDETCOM), chercheuse associée à l’Institut National de l’Audiovisuel (INA) et Jonathan Paquette, professeur titulaire à l’Université d’Ottawa (Canada), titulaire de la Chaire de recherche en francophonie internationale sur les politiques du patrimoine culturel et professeur associé à l’IDETCOM.
Ces conférences se tiendront en français et de manière dématérialisée (lien Zoom).
Le lien pourra être demandé 72 heures avant chaque conférence à l’adresse suivante : nicolas.peyre@ut-capitole.fr
Je complèterai ces informations par d’autres ultérieurement.
je profite d’un moment – bref – entre deux préparations de cours pour communiquer quelques informations sur des événements passés… et surtout à venir qui peuvent intéresser tel ou telle de mes fidèles lecteurs et lectrices.
Je commencerai par évoquer la cérémonie qui s’est déroulée hier, vendredi 18 novembre, sous les dorures du Salon des Maréchaux, au ministère de la Culture, rue de Valois, sous le souriant (derrière le masque) patronage de Roselyne Bachelot herself (oui, la photo est mauvaise, il faut dire que le contre-jour n’aide pas).
La ministre, flanquée de la présidente du Comité d’histoire du ministère de la Culture, remettait le prix de thèse de la rue de Valois à deux des trois lauréats 2021 (la troisième avait été empêchée par l’imminence d’un autre heureux événement), Marina Rotolo et Pierre Nocérino. La première a travaillé sur une ville italienne du Mezzogiorno, Matera, dont la récente notoriété planétaire est due au fait qu’elle sert de décor aux premières scènes du dernier James Bond. L’autrice, architecte de formation, montre la façon dont l’obtention d’un label – le titre de capitale européenne de la culture, obtenu par Matera en 2019 – produit des effets sur l’aménagement urbain tout en s’inscrivant dans une stratégie de construction d’une image positive. La thèse est fascinante en ce qu’elle reconstitue l’évolution des représentations attachées à la ville depuis la Seconde Guerre mondiale. A trois époques différentes en effet, la ville de Matera a été placée au premier plan et médiatisée à l’échelle internationale. En 1950, le déclassement des Sassi, les habitations troglodytiques qui remontent pour certaines à une lointaine antiquité, lui confère un statut de contre-modèle dans le contexte progressiste de l’après-guerre. Elle devient alors le berceau de la recherche urbaine et architecturale sur le logement social. D’abord rejetés et laissés à l’abandon, les Sassi sont progressivement revalorisés pour leur intérêt archéologique et patrimonial. En 1993, leur reconnaissance mondiale à travers la labellisation UNESCO constitue un tournant pour la visibilité de Matera. Enfin, la nomination de la ville en tant que Capitale européenne de la culture pour 2019 établit une nouvelle phase de valorisation à l’échelle européenne. La labellisation peut dès lors s’inscrire en continuité des politiques antérieures, couronner un processus de valorisation, mais aussi initier une nouvelle dynamique dans une vision prospective. Portée par des acteurs spécifiques, cette vision s’accompagne de transformations urbaines et de stratégies d’aménagement qu’étudie Marina Rotolo, photographies et plans à l’appui. Les mutations de la ville de Matera constituent dans sa recherche, à la fois un objet d’analyse en soi – la production urbaine en contexte labellisé – et un analyseur des enjeux économiques et politiques associés à la labellisation.
Non moins intéressante, la thèse du sociologue Pierre Nocérino vise, selon son auteur, à « résoudre l’énigme suivante : pourquoi [les] professionnels [de la bande dessinée] ont tant de difficulté à se réunir en un même groupe social, capable de défendre ses intérêts ? ». La principale explication réside dans la nature souvent informelle de leur travail, dans la singularité d’un milieu professionnel composé d’individus peinant à s’organiser collectivement pour faire aboutir leurs revendications auprès de leurs employeurs comme auprès des pouvoirs publics. Peut-on pourtant viser le corporatisme sans convaincre les principaux concernés que sont les auteurs et autrices ? Pierre Nocérino se garde de suggérer une grille de lecture définitive, mais distingue deux grands résultats à sa recherche. La prégnance de règles morales fait, tout d’abord, perdurer un « professionnalisme de l’informalité » lié à l’individualisation des expériences. L’émergence de collectifs (l’auteur décrit les différentes formes d’actions et de collectifs pouvant permettre la reconnaissance publique des problèmes des professionnels) autorise une politisation des problèmes professionnels, mais peine à trouver une traduction dans l’organisation du travail. Particularité remarquable de ce travail pas si académique que cela : Pierre Nocérino utilise lui-même la bande dessinée dans la thèse comme un moyen de raconter et d’analyser l’enquête ethnographique qu’il a réalisée. Elle intègre ainsi pleinement sa démonstration scientifique, en plus de participer à l’objectif pédagogique qui est le sien.
Plus difficile à apprécier pour le non-spécialiste, la troisième thèse distinguée par le prix Valois 2021, due à Violette Abergel, docteure en sciences de l’ingénieur, porte sur les techniques numériques de relevé de l’art pariétal (les grottes préhistoriques ornées en France). L’autrice explique comment les technologies numériques ont permis d’améliorer les relevés d’art pariétal en 2D et en 3D. Elle combine les apports des ressources numériques (pour leur capacité computationnelle) et les ressources analogiques (pour leur capacité cognitive), et les envisage comme complémentaires, grâce à une approche qui fusionne les différents aspects des relevés via une interface (ou application) web qu’elle a développée et qui permet la manipulation des données en réalité augmentée à la fois hors du terrain et sur place.
C’est du moins ce que j’ai compris…
Parcourir ces thèses passionnantes (et quelques autres, puisque vingt-sept thèses étaient en lice cette année), en discuter avec les collègues qu’avait rassemblés le Comité d’histoire du ministère de la culture, enfin récompenser de jeunes chercheurs et chercheuses qui apportent des connaissances nouvelles dans le domaines des politiques publiques de la culture représente, certes, une charge de travail conséquente, mais qui en vaut la peine. Rappelons que le prix de thèse Valois, décerné depuis trois ans, est l’un des plus richement dotés de France, avec trois prix de 8000 euros chacun qui permettent aux récipiendaires de convaincre le plus réticent des éditeurs à publier leur opus magnum. C’est tout le bien que je leur souhaite, en les félicitant de nouveau pour la qualité de leur travail.
Une autre cérémonie aura lieu bientôt, cette fois à l’université de la Sorbonne-Nouvelle puisque nous remettrons le 27 novembre prochain leur diplôme à la promotion 2021 des étudiants du master, notamment du parcours de géopolitique de l’art et de la culture que je dirige avec mon collègue et ami Bruno Nassim Aboudrar. Nous avons également convié la promotion 2020, à qui nous n’avions pas pu remettre le précieux parchemin l’an passé pour cause de crise sanitaire. Certes, nous ne sommes toujours pas tirés d’affaire en cet automne 2021 où le virus joue les prolongations, et les retrouvailles se feront sous contrainte, mais il était important de marquer le coup et de féliciter les étudiants diplômés pour l’achèvement réussi de leur parcours universitaire. La manifestation aura lieu sur le site Censier, à partir de 10h, dans l’amphithéâtre D02.
La veille, j’aurai eu le plaisir de conduire non pas à l’autel mais à la soutenance (il y a des analogies, le directeur de thèse étant un peu le père, ou la mère, de ses doctorants) Catherine Kirchner, qui soutiendra à la Sorbonne-Nouvelle une thèse en sociologie des arts et de la culture intitulée « La Fabrique des esthétiques afro-caraïbéennes », que j’ai co-dirigée avec mon collègue et ami Dominique Berthet. Travail de longue haleine (huit années de dur labeur), qui, au moyen d’une enquête quantitative et qualitative menée auprès de plasticiens et plasticiennes des Antilles françaises, réfléchit aux conditions d’émergence d’une esthétique particulière à ces artistes. Le projet est véritablement transdisciplinaire, associant les apports d’une démarche à la fois historique, sociologique, esthétique, anthropologique. Remarquable et réussi, me semble-t-il, est l’effort d’articuler l’analyse des oeuvres, présentes sous la forme de très nombreuses images, et le contexte socio-historique qui les explique en partie. Catherine, que j’ai rencontrée en master lorsque je venais d’arriver à la Sorbonne-Nouvelle, est par ailleurs chargée de cours dans le parcours de licence Géopolitique et Tourisme du département de Médiation culturelle, où elle introduit – enfin – les théories postcoloniales et décoloniales aujourd’hui si importantes pour saisir de nombreux enjeux contemporains, n’en déplaise à ceux qu’effraie à l’excès le mélange de scientificité et d’engagement qui caractérise ces savoirs.
Quelques jours plus tard – le 1er décembre, on ne chôme pas, par ici – je reprendrai le chemin de la salle Athéna, la bien nommée salle des thèses de la Maison de la recherche de la Sorbonne-Nouvelle, avec cette fois à mon bras Julie Verlaine, collègue de l’université de Paris 1, qui soutiendra son habilitation à diriger les recherches. Spécialiste de l’histoire culturelle de l’art, des collectionneurs/ses et des musées, Julie présente un impressionnant dossier de recherche et de publications placé sous le signe de l’histoire culturelle des arts, du patrimoine et des sociétés. « Pour une histoire sociale des acteurs culturels au XXe siècle », ses travaux s’inscrivent dans une histoire du goût et des pratiques culturelles contemporaines. C’est tout particulièrement le cas de son mémoire de recherche inédit, qui porte sur les sociétés des Amis des musées du XIXe siècle à nos jours. D’une érudition jamais prises en défaut tout en maniant une langue précise et élégante, ce travail d’histoire comparée et croisée à la fois montre la façon dont ces associations émergent et se structurent en Europe à la fin du XIXe siècle dans un processus à la fois d’imitation et d’émulation, et comment elles évoluent en s’adaptant aux conditions nouvelles du XXe siècle. L’histoire des musées occidentaux et de leurs Amis mais aussi l’histoire des collectionneuses, les rapports entre marchands et artistes, l’histoire de l’art revisitée au prisme du genre, l’histoire du patrimoine et de la philanthropie, les divers textes qui seront présentés et discutés ce jour-là dessinent un champ à la fois diversifié et cohérent. Julie m’a choisie pour être son « garant », ce qui est évidemment pour moi une source de fierté!
Pour conclure ce post, je signale encore deux événements susceptibles d’intéresser ceux que passionnent les relations culturelles internationales et transnationales.
Le premier est le festival « Images de migrations » qui se tient depuis hier et jusqu’au 23 novembre sur le campus Condorcet, au centre de colloques (1 place du Front populaire à Aubervilliers). Seront présentés un certain nombre de films, documentaires et de fiction, mettant en images ce/ceux (et celles) que l’on réduit trop souvent à des statistiques. Le programme est riche, vous le trouverez à cette adresse :
Enfin, le 25 novembre prochain sera lancée la plateforme Transatlantic Cultures à la Maison de l’Amérique latine. Aboutissement d’un grand programme de recherche international, porté notamment par Anaïs Fléchet avec le soutien du Centre d’histoire culturelle de l’université de Versailles Saint Quentin en Yvelines, cette plateforme permettra d’accéder au savoir accumulé ces dernières années sur les circulations culturelles entre les divers pays et régions riverains de l’Atlantique. Un bel exemplaire d’histoire culturelle transnationale!
Vous trouverez le programme de la manifestation ici :
dans un billet précédent, j’avais annoncé la publication simultanée de deux ouvrages, Géopolitique de la culture, co-écrit avec mes collègues Bruno Nassim Aboudrar et François Mairesse (Armand Colin) et les actes d’un colloque sur La Diversité ethnoculturelle dans les arts, les médias et le patrimoine publiés chez L’Harmattan.
Initialement, ce dernier livre comportait quatre parties. Pour des raisons de place et de coût d’impression, j’ai dû renoncer à publier la quatrième partie dans le volume imprimé. Ce n’était pourtant pas la moins intéressante car elle rassemblait les témoignages d’un certain nombre de responsables d’institutions sur leur expérience de la diversité dans la culture.
Cette quatrième partie est en principe (je n’ai pas vérifié) disponible gratuitement sur le site de l’Harmattan. Je ne crois pas inutile de la publier ici…
… et de poster sur ce blog la présentation générale de l’ouvrage qui définit ce que j’entends par « diversité ethnoculturelle » qui n’est pas un gros mot mais un outil conceptuel à même de saisir certains des enjeux les plus cruciaux qui se posent à la société française – et à d’autres.
Ce livre est issu d’un colloque qui s’est tenu voici déjà trois ans à l’université de la Sorbonne-Nouvelle, avec d’autres universités qui étaient liées avec elle et entre elles par l’une de ces constructions administratives un peu artificielles prisées par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Cette « Comue » (pour Communauté universitaire et d’établissement) nommée Université Sorbonne Paris Cité (ou USPC), aujourd’hui disparue, avait lancé un appel à projet pour une « université d’été » qui devait durer une semaine ; nous proposâmes de réfléchir sur la notion de « diversité culturelle dans les arts et les médias » et obtînmes un financement qui nous permit de mettre sur pied en quelques mois ce projet qui vit le jour en septembre 2017. Mais tout colloque naît deux fois : la première quand il se tient et donne lieu à des communications ; la seconde, quand les actes en sont publiés sous la forme d’articles rassemblés dans un livre. Entre ces deux naissances, plusieurs mois voire années peuvent s’écouler, un intervalle dont la longueur est fonction de la rapidité des auteurs à envoyer leurs textes et de la célérité du maître d’ouvrage, souvent débordé par de multiples chantiers ouverts, à s’acquitter de sa tâche… En l’occurrence, un peu plus de trois années se sont donc écoulées entre le moment où le colloque s’est tenu et celui où le manuscrit fut prêt à être édité. De ce délai, hélas fréquent dans la littérature académique, découlent quelques inconvénients, dont le plus important est le caractère parfois quelque peu défraîchi de certaines bibliographies ; mais il peut aussi en résulter de grands avantages, parmi lesquels celui de pouvoir accueillir des textes supplémentaires qui complètent utilement sur quelques points essentiels ceux qui furent rédigés par les intervenants dans le prolongement immédiat du colloque (et remplacent en partie ceux qui ne nous furent pas envoyés…). Quant à l’inquiétude principale que pouvaient susciter ces trois années de… réflexion, c’est-à-dire l’obsolescence des problèmes identifiés et des solutions préconisées, celle-ci doit être résolument écartée ; d’une certaine façon, c’est tout le contraire qui s’est produit, la pertinence des idées avancées dans ces textes gagnant semble-t-il en acuité au fil des années, jusqu’à rejoindre l’actualité scientifique, éditoriale et politique la plus « chaude ». Il est frappant, en effet, de constater la place de plus en plus centrale occupée dans le débat public par toutes les questions que soulèvent un vocable tel que celui de « diversité ethno-culturelle » et un certain nombre d’autres qui lui sont couramment associés. Initiatives institutionnelles, colloques et séminaires, mouvements militants, publications de toute nature se multiplient qui interrogent cette notion, pour la revendiquer ou la contester. Au prix, parfois, de confusions sémantiques plus ou moins volontaires qu’il faut tenter, d’emblée, de clarifier. Qu’est-ce, en effet, que la diversité ethno-culturelle? Construite par dérivation d’une notion plus consensuelle, la « diversité culturelle », le choix de cette expression signifie, d’une part, la volonté de distinguer ce qui nous occupe d’une conception qui a longtemps constitué – qui constitue encore – le paradigme dominant de la politique culturelle française, la diversité comme variété des formes, des pratiques, des contenus de la culture (variété opposée à l’homogénéisation supposément induite par la culture de grande diffusion), pour porter l’attention sur la question des identités et sur les discriminations, les revendications et les droits qui peuvent leur être attachés ; le choix de cette expression dit, d’autre part, le souhait et la méthode de ne pas disperser cette attention sur un trop grand nombre de variables sociales (dont l’importance n’est pas en cause) mais de la focaliser sur l’une d’elles, déjà fort complexe, qui a trait à l’appartenance, ressentie, perçue, attribuée et parfois assignée, d’un individu à un groupe humain qui se distingue des autres par un certain nombre de caractéristiques physiques et/ou culturelles. Réfléchir à la « diversité ethno-culturelle » dans les arts, les médias, le patrimoine, c’est interroger la place qui est faite aux individus identifiés (par d’autres ou par eux-mêmes) comme appartenant à des minorités racisées ou ethnicisées, visibles ou invisibles, dans ces domaines essentiels de la vie publique que sont les fabriques de l’imaginaire contemporain. Il n’est pas surprenant qu’une telle focalisation soulève questions et critiques. Ne met-on pas, par là-même, en cause ou en danger l’universalisme républicain défini par le principe d’indifférenciation, son refus de prendre en compte les particularités ou les loyautés des individus pour mieux assurer l’égalité de traitement entre tous? Ne renforce-t-on pas, sous couvert de la combattre, la stigmatisation des individus « différents » du groupe majoritaire, leur enfermement dans des particularismes? La reconnaissance des identités ne conduit-elle pas à des formes d’assignation identitaire et d’essentialisation des différences? L’inquiétude monte encore d’un cran – se muant parfois en alarme – lorsque le mot « race » est lâché dans la discussion et que l’on commence à parler de « diversité ethno-raciale » en lieu et place de la déjà suspecte diversité (ethno-)culturelle. Le mot, il est vrai, est de sinistre mémoire et pris encore très souvent, dans le contexte français, comme l’équivalent de groupe biologique ; considérer les problèmes sociaux, par exemple les inégalités, à travers le prisme de la « race » serait, au mieux, une façon de masquer la nature réelle de ces problèmes (« la lutte des races plutôt que la lutte des classes », pour reprendre une crainte souvent exprimée à gauche de l’échiquier politique), au pire un « racisme » qui ne dit pas son nom. Nous partageons certaines de ces inquiétudes devant ce qui nous paraît être des dérives ou des excès d’une posture parfois exagérément militante, notamment lorsqu’elle paraît vouloir intimer silence à ses contradicteurs ; pour autant, nous sommes de ceux qui reconnaissent toute sa légitimité à cette politique des identités qui est aussi une politique de la diversité – notamment ethno-culturelle. Car enfin, l’universalisme républicain tant vanté, sacralisé même, s’est révélé un paravent commode à l’abri duquel les institutions culturelles de ce pays (comme de bien d’autres dans le monde occidental) ont pu perpétuer des rentes de situation dont ont profité pleinement et indûment les représentants du groupe ethnique majoritaire ; et ce n’est pas se rendre coupable d’un racisme à rebours, ni d’un féminisme radical, que de remarquer que les « hommes blancs » dominent très largement ces institutions même si, et c’est un problème que posent un certain nombre de textes dans ce livre, la difficulté d’établir objectivement l’existence de cette domination par des statistiques dites « ethniques » officiellement interdites en France représente un réel obstacle à des politiques correctrices. Or, cette domination entraîne des conséquences assez lourdes sur l’univers symbolique dans lequel nous vivons. Du manque de représentativité découle en partie un manque de représentation ; nous baignons (sans trop le remarquer quand nous avons la « chance » de faire partie du groupe ethnique majoritaire) dans un univers culturel qui, lui, n’est pas du tout colorblind, pour ne citer que l’une des manifestations – la couleur de la peau – par lesquelles les individus se distinguent et sont distingués les uns des autres. Dans cet univers, sur la scène des théâtres, sur les écrans de télévision ou de cinéma, les Noirs sont bien moins nombreux qu’ils ne le sont dans la société française ; et les emplois qu’ils y occupent apparaissent bien plus souvent subalternes ou stéréotypés que ceux de la vie réelle. Un écart existe qui renforce les préjugés, alimente un racisme tout à fait réel et déclenche en retour des formes de réaction ou de crispation identitaires parmi les individus qui s’estiment injustement traités par le groupe dominant. Et ainsi en va-t-il de tous les groupes qui se trouvent ainsi « racisés », c’est-à-dire réduits par le discours ambiant à leur couleur de peau, à leur religion, à leur langue… « Racisé », le terme aura lui aussi fait couler beaucoup d’encre et excité les imaginations. Terme employé par les sciences sociales avant que de l’être par les militants anti-racistes ou leurs adversaires (qui peuvent aussi être des anti-racistes, le réel est complexe), il désigne simplement, par exemple sous la plume de Colette Guillaumain, une assignation qui entraîne des discriminations, des préjugés et des inégalités, une construction sociale, politique, culturelle qui hiérarchise les individus en fonction de leurs traits physiques ou culturels. Le paradoxe étant que ces individus peuvent à leur tour choisir de mettre en avant telle ou telle différence et « d’inverser le stigmate » afin de retrouver une forme de fierté individuelle et sociale parfois dérangeante. La race n’est certes pas une réalité biologique, mais elle est une réalité culturelle, qui va d’ailleurs bien au-delà des apparences et des différences chromatiques (raison pour laquelle on pourra lui préférer le terme d’ethnie, aussi imparfait et critiquable soit-il lui aussi) ; c’est une construction sociale à laquelle participent autant ceux qui stigmatisent ou rejettent que ceux qui revendiquent et défendent l’appartenance à un groupe social sur la base d’un certain nombre de traits caractéristiques ; elle est un perçu et un ressenti ; mais elle ne demeure pas inerte dans l’espace clos de nos imaginaires, elle a une efficacité sociale, elle produit des effets dans l’espace social. Par voie de conséquence, le racisme ne peut être considéré seulement comme une réaction littéralement épidermique à la différence, une forme de déviance psychologique, il renvoie avant tout à un phénomène collectif qui associe représentations mentales et dispositifs institutionnels pour maintenir ces populations dans une position d’infériorité ontologique et sociale. Faut-il alors parler de racisme « systémique », « structurel », « institutionnel », voire de « racisme d’État » si la complicité des autorités dans les discriminations qui frappent certains de nos concitoyens est avérée ? Nous laissons à chacun la liberté d’en décider. Comme nous laissons à chacun.e des auteur.e.s présent.e.s dans ce recueil le choix de ses concepts et la liberté de ses interprétations. Chacun.e participe d’un libre débat, comme il se doit dans les sciences sociales et humaines, et d’une polyphonie indispensable au progrès des idées et, peut-être, au progrès social. Les textes ont été ordonnés en quatre parties. La première rassemble des articles qui interrogent directement la question de la représentation des minorités ethniques dans les arts et, dans une moindre mesure, les médias, en France, ainsi que l’action des pouvoirs publics, via les politiques culturelles, pour favoriser – ou non – une authentique diversité culturelle, notamment dans le domaine de la langue. La deuxième partie s’intéresse à l’une des populations « racisées » par excellence – les migrants, du moins quand ils sont pauvres – et interroge leur rapport à la culture, les politiques culturelles qui les ont pris pour objets (plus que comme partenaires ou interlocuteurs) ainsi que la patrimonialisation de leurs expériences et de leur histoire, toujours dans le contexte français. La troisième partie propose des réflexions qui s’inscrivent dans un cadre européen, partant du principe, souvent vérifié, que la comparaison avec l’étranger éclaire d’un jour nouveau les évidences nationales et permet un utile « décentrement du regard ». La quatrième et dernière partie, enfin, regroupe les réponses d’un certain nombre de responsables d’institutions culturelles à un questionnaire que nous leur avions adressé sur leur conception de la diversité culturelle, la manière dont leur institution et eux-mêmes se positionnaient à l’égard de cette notion, les dispositifs mis en place pour combattre les discriminations liées aux « différences » et leurs limites. En associant la parole des acteurs à celle des chercheurs, en faisant dialoguer des voix militantes et des voix scientifiques, mais aussi en donnant la possibilité à de jeunes chercheurs et chercheuses de présenter leur travail aux côtés de savant.e.s plus confirmé.e.s, nous nous donnons plus de chance d’approcher ce qui, toujours, échappe – doit échapper – à la prise de l’esprit : quelque chose comme une vérité du réel social.
LM
PS : demain, je me rends à Blois pour les Rendez-vous de l’Histoire. J’y participerai à une table ronde autour des « Années Lang » avec Jack Lang himself, Frédéric Martel et Michel Guerrin. Juste retour des choses pour celui qui fut à l’origine de ce rendez-vous annuel des historiens dans sa bonne ville de Blois qu’il administra durant deux mandats… Une séance de signature est prévue (et une autre pour le livre publié chez Armand Colin, Géopolitiques de la culture).
voilà, il fallait bien que ça arrive : la rentrée universitaire est là. Les derniers réfractaires descendent de leur montagne, rentrent de leur campagne, ont remisé pelles et seaux dans le coffre, secoué le sable de leurs lectures de plage. Quand faut y aller, faut y aller.
Quant à moi, cela fait déjà quelques semaines que je suis rentré à Paris et que, ma foi, vaille que vaille, tant bien que mal, doucement mais sûrement… Tout ça.
Ce petit rythme va prendre un coup d’accélérateur la semaine prochaine avec une douzaine de soutenances de mémoire de 2e année de master programmées (de l’art autochtone contemporain comme instrument de réconciliation au Canada à l’émergence des politiques culturelles en Côte-d’Ivoire en passant par, entre autres beaux sujets, les identités migrantes dans le mouvement associatif français) et, jeudi prochain, la réunion de rentrée du master de Géopolitique de l’art et de la culture que je co-dirige avec mon collègue et ami Bruno Nassim Aboudrar (dont je vous recommande, tout copinage mis à part, le récent et excellent Les Dessins de la colère, paru cette année chez Flammarion, sur les réactions émotionnelles face aux images).
Je suis, comme la plupart de mes collègues, très impatient de retrouver les étudiants – et pas seulement, cette fois-ci, derrière nos écrans respectifs, mais « en vrai », dans une salle ou un amphi (quoique à Paris 3 les cours d’amphi se feront encore à distance, selon les dernières consignes reçues de l’université). Il y aura encore des écrans – nos masques – mais les sourires, dessous, seront larges, je n’en doute pas. Ce que nous a vraiment appris cette année (je crois l’avoir déjà écrit sur ce blog, excusez-moi si je radote), c’est que rien ne remplace le rapport direct entre l’enseignant.e et ses étudiant.e.s, cette incarnation du savoir qu’est la présence physique du sachant et cette incarnation du désir de savoir qu’est l’apprenant… Même si, dans le cadre d’un séminaire de master, le sachant et l’apprenant échangent bien souvent leurs rôles!
C’est une année qui s’annonce passionnante et compliquée à la fois. Parce que nous ne savons pas si l’amélioration des conditions sanitaires se confirmera sur l’année et que le risque demeure de nouvelles restrictions si l’épidémie repart à l’université ou ailleurs. Parce que le contexte de la Sorbonne-Nouvelle ajoute un degré d’incertitude, avec le déménagement enfin programmé pour nos nouveaux locaux à l’inter-semestre. A tout le moins, il faut prévoir un peu (beaucoup) de désordre dans l’organisation des enseignements.
Côté enseignements, pas de grands changements de mon côté. Un premier semestre très chargé, avec mon cours de licence sur l’histoire des relations culturelles internationales, mes séminaires de master sur les politiques et les diplomaties culturelles dans le monde et sur l’actualité des censures et la géopolitique de la liberté d’expression… J’ajoute cette année un séminaire sur les politiques culturelles en France dans le parcours de master Médiation et création artistique de mon département de Médiation culturelle.
Je vais pouvoir y utiliser les articles récemment publiés dans Les Années Lang, une histoire des politiques culturelles 1981-1993 que j’ai dirigé avec mes amis et collègues Vincent Martigny et Emmanuel Wallon (La Documentation française, 2021), livre que je présenterai lors d’une table ronde organisée à l’occasion des Rendez-vous de l’histoire de Blois en octobre prochain (j’en reparlerai dans un prochain post).
2021 sera d’ailleurs une année faste sur le front des publications puisque paraîtra à la fin du mois de septembre le livre sur les Géopolitiques de la culture co-écrit avec mes compères B.N. Aboudrar et F. Mairesse (Armand Colin)…
…ainsi que, en principe en octobre ou novembre chez L’Harmattan, le recueil des actes du colloque sur la diversité ethnoculturelle dans les arts, les médias et le patrimoine.
Cela fait évidemment plaisir de voir aboutir tant de projets qui ont parfois mis beaucoup de temps à se concrétiser. Tous ces livres, souvent écrits ou réalisés en collaboration, se veulent des contributions à la réflexion collective sur les rapports entre culture et politique dans nos sociétés contemporaines, et ce à divers niveaux de réalité et d’observation, dans des jeux d’échelle entre l’individuel et le collectif, le local et le global. D’autres sont à venir dont il n’est pas temps encore de parler…
Je termine par l’annonce du prochain congrès de l’Association pour le développement de l’histoire culturelle que se tiendra le samedi 25 septembre dans les locaux de l’université de Paris 1, sur le campus Condorcet. J’animerai la table-ronde de l’après-midi sur la dématérialisation de la culture. J’en parlerai plus longuement dans un prochain post.
Bonne rentrée, au plaisir de vous lire et de vous revoir bientôt!
je n’en reviens pas : rien écrit sur le blog depuis deux mois! Paresse, saturation ou surmenage?… Un peu de trois, sans doute. Les fins d’année universitaire sont toujours très chargées en tâches de toutes sortes, à commencer par la lecture des mémoires de recherche des étudiants de master, les soutenances desdits mémoires et le recrutement de la nouvelle promotion.
Côté mémoires, la moisson fut belle… et n’est pas terminée, puisque des soutenances sont encore programmées à la rentrée. Je n’évoquerai que les mémoires de 2e année, tous plus intéressants les uns que les autres. Voici pêle-mêle quelques sujets sur lesquels ont travaillé les étudiants que j’encadrais cette année : « Le numérique au service du « bien » (l’usage du numérique pour le patrimoine), « Changer l’histoire par les histoires » (sur les projets artistiques utilisant les témoignages et récits de vie), « Le Japon et la culture à l’Unesco, 1988-2009 », « Du squat aux tiers-lieux, évolutions d’un modèle d’espaces culturels alternatifs », « Analyse de la politique culturelle de la République populaire de Chine, 1979-2021 », « Identités, culture et résistance dans un Brésil en crise, 2013-2021 », « Anticiper et gérer les risques résultant de catastrophes naturelles et anthropiques sur le patrimoine culturel, l’action de l’Unesco et de ses partenaires », « L’éducation et l’intégration culturelle en France et aux Etats-Unis ». Beaucoup de sujets internationaux, ce qui n’est pas une surprise pour des étudiants d’un master de géopolitique de l’art et de la culture. Ce qui l’est davantage – mais, à vrai dire, je n’en attendais pas moins d’elles et eux – c’est la qualité des travaux rendus, alors même que ces étudiant.e.s ont vécu plus de la moitié de leur master avec des possibilités très réduites de déplacement, d’accès aux sources et aux témoins en raison de la crise sanitaire ; sans parler de l’isolement qu’ils et elles ont subi, empêché.e.s de se réunir avec leurs camarades et leurs enseignants. A tous et toutes, je veux dire la fierté qu’ils et elles m’inspirent.
J’espère que la promotion qui sera en 2e année à la rentrée, ainsi que celle que nous venons de recruter pour la 1e année, seront à la hauteur de leurs devanciers. J’espère aussi que nous pourrons reprendre nos enseignements devant les étudiant.e.s, et non par écran interposé – ce qu’au moins cette année et demie de confinement total ou partiel nous aura appris, c’est que rien ne remplace la relation pédagogique directe entre un.e enseignant.e et les étudiant.e.s.
Puisque le temps est aux bilans – et aux préparatifs de départ en vacances – je veux dire quelques mots d’un colloque auquel j’ai participé en juin au Centre culturel international de Cerisy-la-Salle. Ce colloque d’une semaine organisé par Pascal Ory et Claude Fischler réunissait des spécialistes plus ou moins confirmés de l’oeuvre d’Edgar Morin, qui vient de souffler ses 100 bougies (on imagine la taille du gâteau…). Ce fut un beau colloque, passionnant de bout en bout, et heureusement car le climat, lui, n’incitait guère à sortir…
Il y avait là quelques moriniens (amis et collègues de Morin), plusieurs morinologues (capables de parler de tel ou tel aspect de l’oeuvre de Morin, mais dont aucun ne pouvait prétendre en rendre compte dans son intégralité foisonnante) et finalement assez peu de morinolâtres, tant mieux. Les discussions ont pu se dérouler dans une atmosphère détendue, l’écoute était bienveillante, et j’ai personnellement beaucoup appris sur un personnage et une oeuvre que je connaissais mal.
Le grand homme était attendu, il n’est pas venu – ce qui était sans doute raisonnable étant donné son âge vénérable, sa santé fragile et le danger que représente la covid – mais il est intervenu deux fois par vidéo-conférence, la première fois pour discuter avec Régis Debray, qui lui aussi intervenait à distance (Cerisy se modernise, c’est l’époque qui veut ça), la seconde pour participer à la présentation de son fonds d’archive déposé à l’IMEC.
Le colloque s’éloigne déjà dans le rétroviseur, mais les organisateurs s’attellent d’ores et déjà à en constituer les actes qui seront publiés, espérons-le, dans un futur proche.
Dans un futur encore plus proche devraient également être publiés le livre sur la géopolitique de la culture que j’ai réalisé avec mes collègues Bruno Nassim Aboudrar et François Mairesse (Armand Colin), ainsi que les actes du colloque sur la diversité ethno-culturelle dans les arts et les médias (L’Harmattan), deux projets éditoriaux qui en sont maintenant au stade des épreuves.
Mais il est temps de déconnecter un peu et de prendre quelques vacances. Je vous/nous les souhaite aussi reposantes et stimulantes que possible. Soyez prudents… et vaccinés!
Une semaine déjà que je suis rentré du domaine des Treilles – et le souvenir est là, intact, magnifique.
La rencontre sur le thème de la beauté dont j’avais conçu le projet voici trois ans a rassemblé une douzaine de participants du 3 au 8 mai 2021. Pour la plupart sinon pour la totalité d’entre nous, c’était la première fois que nous prenions part à une manifestation scientifique collective depuis le déclenchement de la pandémie de covid. Le jour du voyage et de notre arrivée a d’ailleurs coïncidé avec la levée des restrictions de déplacement en France. C’est dire que cette rencontre a pris des allures de libération. Échapper à son logement et à son quartier. Rencontrer des gens. Discuter avec eux autrement que par écran interposé. Nous en avions longtemps rêvé et voici que ce rêve devenait réalité. Un parfum de liberté retrouvée et tout simplement de bonheur d’être ensemble dans ce lieu idyllique a flotté sur cette semaine qui fut une parenthèse enchantée dans nos vies. La prévenance et l’efficacité de Guillaume Bourjeois et de ses équipes ont grandement contribué à la réussite de cette rencontre. Certes, tout ne s’est pas déroulé exactement comme prévu. Quelques invités ont déclaré forfait ; d’autres n’ont pas pu faire le déplacement. Trois conférenciers empêchés pour des raisons diverses de nous rejoindre sont intervenus par vidéo – le dispositif a globalement bien fonctionné, même si cela ne remplace évidemment pas la présence réelle, la parole incarnée. Mais l’imprévu a aussi, parfois, tourné en notre faveur. La présence sur place d’une jeune écrivaine, Garance Meillon, en résidence d’écriture aux Treilles, a heureusement comblé un manque dans les thématiques abordées au cours de la semaine. Faisant écho tant aux conférences du matin sur le cinéma qu’à celle de l’après-midi sur les écrivains voyageurs, sa lecture, le dernier jour, d’extraits de l’un de ses romans suivie d’un échange avec le groupe a été la meilleure conclusion que nous pouvions donner à cette rencontre. Ainsi, ce qui pouvait sembler au départ un défaut – le nombre relativement faible de participants – s’est-il révélé à l’arrivée une qualité. Pas seulement parce que cela répondait au protocole sanitaire que nous avons, je crois, bien respecté, même si cela passait par l’absence, regrettable, de soirées organisées à la Grande Maison. Surtout, parce que cela laissait du jeu, une marge importante de liberté ; si je devais organiser une nouvelle rencontre aux Treilles, j’essaierais de ne pas dépasser le nombre de participants qui fut celui de cette semaine, soit douze au total. Avec deux communications le matin et une en fin d’après-midi, les participants avaient le temps de faire autre chose que de rester assis à écouter des conférences ; ils ont pu lire, se reposer, se promener, travailler aussi (la vie professionnelle ne s’arrête pas pendant que nous sommes aux Treilles, on peut le regretter mais c’est ainsi). Du coup, lorsque nous étions présents pour les conférences, nous l’étions réellement, pleinement. La qualité d’écoute et de discussion fut excellente et je pense que cela est dû en partie à ce rythme que les circonstances nous ont imposé. Évidemment, avoir douze participants suppose de lancer une quinzaine d’invitations en tablant sur cette triste régularité statistique qu’au moins deux ou trois invités renoncent à venir…
Si j’en viens maintenant au bilan intellectuel et scientifique de cette rencontre, je commencerai par reconnaître que nous n’avons fait qu’effleurer ce thème très vaste qu’est la beauté. Le parti pris avait été résolument pluridisciplinaire : un anthropologue, un historien des jardins, un chercheur en arts plastiques, un autre en esthétique, deux philosophes, trois historiens composaient le parterre académique ; auxquels ont répondu deux éditrices (de livres d’art et d’une revue d’art), un metteur en scène et musicologue, une écrivaine du côté des praticiens. Les Français étaient majoritaires et les échanges se sont fait en français mais nous comptions un Belge, un Italien et une Marocaine parmi les participants. Plus d’hommes que de femmes, pas vraiment de « jeunes chercheurs », quasi-absence de représentants des mondes extra-européens, la composition du groupe aurait pu être plus diversifiée. La première journée a posé les bases de notre discussion commune. L’anthropologue Pierre-Joseph Laurent a exposé le problème que pose la beauté dans plusieurs sociétés coutumières ; le philosophe Christian Godin a dessiné la trajectoire historique d’une beauté autrefois dominante qui serait aujourd’hui résiduelle ; l’historien des jardins Marco Martella a estimé que le souci contemporain du jardin comme écosystème évacuait à l’excès le souci de l’esthétique. La deuxième journée fut consacrée à l’art. L’historien d’art Bruno-Nassim Aboudrar a contesté l’idée d’un rapport limpide à la beauté qui aurait existé à l’époque moderne, en montrant que même les toiles du classicisme français étaient travaillées par une inquiétude sourde quant à la mort et à la corruption ; la philosophe Fabienne Brugère a analysé ce qu’elle appelle la « banalisation de la beauté » au 19e siècle à travers les cas d’Édouard Manet et de Berthe Morisot ; le chercheur en arts plastiques Dominique Berthet est revenu sur l’évolution du rapport à la beauté de l’art occidental jusqu’au 20e siècle. La troisième journée fut en réalité une matinée, au cours de laquelle trois « praticiens de la beauté » sont intervenus : Geneviève Rudolf nous a parlé de l’édition d’art, Meyriem Sebti d’une revue d’art marocaine, Ivan Alexandre d’un oratorio de Haendel qui présente la Beauté sous les traits d’une allégorie. La quatrième et dernière journée fut partagée entre le cinéma et la littérature. Les historiens du cinéma Dimitri Vezyroglou et Paola Palma ont présenté l’un la nouvelle problématique de la beauté au temps des industries culturelles et de la culture de masse, l’autre la construction du mythe de la beauté italienne dans la seconde moitié du 20e siècle. L’après-midi, j’ai parlé des écrivains-voyageurs entre la fin du 19e siècle et le début du 21e et de leur rapport à la beauté fragile du monde ; et Garance Meillon nous a lu quelques extraits de son roman La Douleur fantôme qui faisaient écho à nos discussions de la journée et de la semaine.
Sans doute est-il utile de revenir sur l’origine du projet. J’avais participé voici quatre ans déjà au séminaire qu’avait organisé aux Treilles Olivier Bessard-Banquy sur la démocratisation des lettres. Tombé sous le charme de cet éden provençal, j’avais immédiatement voulu y revenir et le thème de la beauté m’avait semblé correspondre parfaitement à l’esprit du lieu.
Voici l’argumentaire que j’avais soumis à l’époque au conseil scientifique des Treilles :
« Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l’abîme, Ô Beauté ! ton regard, infernal et divin, Verse confusément le bienfait et le crime, Et l’on peut pour cela te comparer au vin. »
Placer le projet de séminaire sur la beauté sous l’invocation de L’Hymne à la beauté de Baudelaire est plus qu’un hommage obligé à l’oeuvre du grand poète de la modernité : c’est le placer sous le signe de l’ambivalence constitutive de cette valeur devenue cardinale dans notre société mais en même temps souvent décriée ; c’est en rappeler l’ambiguïté essentielle, tour à tour ou en même temps positivement et négativement orientée (remarquons que Baudelaire place un point d’exclamation et non d’interrogation après « Beauté », ce qui signifie que celle-ci peut tout aussi bien être de nature céleste ou infernale, voire qu’elle est ontologiquement double), une ambivalence et une ambiguïté qu’il nous semble important de penser, dans le contexte nouveau qui est celui de notre contemporanéité. Sans doute l’art, avec son histoire, sa théorie, sa critique, l’art dans la diversité de ses formes et de ses disciplines, l’art comme expérience esthétique, rapport individuel et social à l’univers des œuvres, doit-il constituer le cœur de la réflexion collective que nous appelons de nos vœux – l’art, ou plutôt (et seulement), les rapports qu’il entretient avec la beauté. De ce point de vue, et pour s’en tenir pour le moment à la tradition occidentale depuis le XVIIIe siècle, cette relation a été rien moins que constante. La beauté, et le Beau, qui est son concept philosophique, dominent presque sans partage le siècle de Watteau et de Kant. Celui-ci assimile (ou réduit) le jugement de goût à la faculté de juger du beau, qu’il caractérise par trois propositions devenues classiques : le beau est l’objet d’une satisfaction dégagée de tout intérêt ; est beau ce qui plaît universellement sans concept (le beau réfère à une expérience sensible, subjective mais potentiellement universelle, non à un jugement rationnel ou à une analyse conceptuelle) ; le jugement de goût est « sans finalité » (il n’a pas besoin de se référer à l’intention de l’artiste). Mais avant même l’invention de l’esthétique comme réflexion philosophique voire science rationnelle du sensible – par Kant mais aussi Winckelmann ou Baumgarten, inventeur du terme – s’est mis en place tout un environnement social et institutionnel qui confère à l’art, ou plutôt aux Beaux-Arts, comme on les nomme depuis le XVIIe siècle, une certaine forme d’autonomie par rapport au politique et au religieux : marché, académie, salons – et la critique qui forme elle-même un genre nouveau, sous la plume d’un Diderot par exemple. L’art se distingue de l’artisanat mais aussi des arts appliqués ou industriels et réorganise à son profit l’échelle des valeurs, faisant de l’artiste, aux yeux de ses admirateurs, l’égal d’un dieu, le créateur de formes nouvelles mais toujours dirigées par l’impératif de la beauté. Ce rapport limpide entre art et beauté se trouble au siècle suivant avant de se brouiller, semble-t-il définitivement, au XXe siècle. Ce qui était pensé ou ressenti sous le signe de l’évidence s’effondre sous la poussée des différents mouvements intellectuels et avant-gardes artistiques qui se succèdent à rythme de plus en plus rapide : d’abord s’estompent les frontières entre beauté et laideur, beau et sublime, du Romantisme au Naturalisme ; puis la représentation est mise à mal, du cubisme à l’expressionnisme abstrait ; enfin, c’est l’art lui-même, dans son orgueilleuse affirmation d’indépendance par rapport à l’ordinaire de la vie, qui est remis en cause, de Duchamp à Warhol. La beauté accompagne l’art dans cette descente aux enfers, jusqu’à devenir une catégorie obsolète, jetée aux poubelles de l’histoire de l’art par la fraction dominante des artistes, théoriciens et critiques d’art des années 1950 aux années 1980. L’art conceptuel et ses thuriféraires, souvent politiquement engagés à l’extrême-gauche, la jugent même carrément suspecte et l’accusent de voiler la violence des rapports sociaux, d’oublier le tragique de l’histoire ou de pactiser avec les forces du marché. Si la beauté fait vendre, comme l’en accusent ses détracteurs, alors il faut la répudier, répudier même toute séduction sensible pour atteindre à la sincérité et à l’authenticité du geste artistique qui est toujours en même temps geste politique. Mais l’histoire intellectuelle a ses modes, ses tournants, ses revirements, ses revivals. Le retour en force sinon de la beauté (car elle n’a jamais vraiment disparu), du moins de l’idée de beauté, de l’intérêt pour la beauté, marque le passage du XXe au XXIe siècles. En quelques années, la beauté redevient un thème central dans les colloques et débats intellectuels comme dans les expositions majeures – citons deux exemples marquants au tournant des années 2000, La Beauté in Fabula à Avignon en 2000, Regarding Beauty : perspectives on Art since 1950 au Hirschorn Museum de Washington en 1999. Arthur Danto, commentant l’exposition américaine, faisait remarquer que, trois ans auparavant, ses commissaires avaient monté une grande exposition placée, elle, sous le signe de la dissonance ; de la dissonance à la beauté, l’inflexion était forte, au point de ressembler à une véritable révolution conceptuelle, au sens technique de : faire un tour complet. Sommes-nous encore dans ce moment de redécouverte de la beauté? C’est ce que tendrait à prouver une série de publications et d’événements artistiques, de la publication de L’histoire de la beauté par Umberto Eco en 2004 (le même auteur livrera une Histoire de la laideur trois ans plus tard) à l’exposition montée au Centre Pompidou « Qu’est-ce que la beauté ? » en 2010. Certains interprètent ce retour en grâce comme une régression ; ses partisans feraient preuve, au mieux, d’une indifférence coupable à l’histoire en souhaitant faire abstraction des tensions sociales et politiques qui forment l’histoire humaine, au pire exprimeraient des vues réactionnaires en prônant le rétablissement des saines hiérarchies morales, et dans tous les cas valoriseraient des œuvres d’une séduction trompeuse et commerciale, qui se tiendraient à distance de tout intérêt pratique et de tout projet d’émancipation politique. Alexander Alberro, qui a défendu cette thèse voici quelques années, estimait par ailleurs que l’accent mis sur la beauté avait pour effet sinon pour objectif de nier que « l’art est de plus en plus aujourd’hui en relation avec les idées et les pratiques dans la vie ordinaire. Dans cette perspective, le retour à un moment où cette distinction était claire relève là encore d’une forme de nostalgie et d’illusion, fonctionne comme le symptôme du malaise causé par ce brouillage des frontières, la tentative désespérée de restaurer un ordre esthétique mais aussi moral et politique plus rassurant en arrachant l’expérience de la beauté de son contexte ordinaire pour en refaire une catégorie exclusive du grand art. » (« Beauty knows no pain », Art Journal, vol. 63, n.2, 2004). Que l’on soit ou non en accord avec cette thèse – qui pourrait faire l’objet d’une discussion au cours du séminaire –, l’idée que l’esthétique et la beauté ne sont pas à penser uniquement dans l’univers somme tout étroit du grand art (ou de l’art tout court) nous semble dessiner une piste pouvant mener assez loin la réflexion collective. Outre que l’art n’est pas réductible à la beauté et que la beauté ne saurait se réduire à l’harmonie des formes ou des facultés (elle peut aussi, et c’est d’ailleurs ainsi que nous la préférons, être convulsive, à la manière de Breton ou d’un certain nombre d’artistes contemporains que défend une revue d’art comme HEY!), la réflexion sur la beauté ne doit pas se limiter à une réflexion sur l’art, à quoi nous invite peut-être à l’excès toute la tradition intellectuelle qui dérive de Kant puis de Hegel. Dans leur souci de donner la prééminence à un certain type d’activité de l’esprit humain, ces deux philosophes ont en effet relégué dans un ordre de valeur bien inférieur les beautés de la nature mais aussi les arts appliqués ou encore l’esthétique ordinaire qui peut constituer notre environnement immédiat, en ville comme dans les campagnes ; autant de réalités qu’une méditation contemporaine sur la beauté se doit nécessairement d’inclure. Dans le même ordre d’idées, une discussion sur la beauté qui ferait l’économie d’une réflexion sur la façon dont une société donnée pense, traite, valorise (ou non) le corps humain passerait à côté d’une dimension essentielle de la question. La beauté corporelle est devenue centrale dans nos imaginaires, notre économie (financière aussi bien que libidinale), notre fonctionnement social, pour le meilleur (le souci de soi et de l’autre) et pour le pire (la tyrannie des apparences) qu’il s’agit de penser ensemble, ce qui renvoie à l’ambiguïté et à l’ambivalence par quoi nous ouvrions cette présentation. Cette histoire de la beauté corporelle – qui croise bien sûr à plus d’un endroit celle de la beauté artistique – révèle certaines propriétés ontologiques de la beauté qui contredisent en certains points la définition kantienne : rien de moins universel et nécessaire, rien de plus mouvant dans le temps et relatif dans l’espace que cette beauté-là. Au-delà de la force des normes esthétiques imposées par les médias, ce qui frappe l’oeil de l’observateur, c’est l’essentielle historicité de ce que nous tenons spontanément et à tort pour invariant et universel. Mais à son tour, l’attention que nous devons à la beauté corporelle risque de nous entraîner sur la voie d’un exclusivisme mutilant : toute la beauté ne relève pas du visuel – il est d’autres prestiges « rythme, parfum, lueur » ! et il faudra réfléchir aux autres sens qu’elle engage – et même, sans doute, ne relève pas seulement du sensuel : on parle de beauté intérieure, les chrétiens de beauté de l’âme et d’autres notions voisines semblent renvoyer à cette beauté invisible pour l’oeil mais qui dépasserait infiniment celle que nous pouvons percevoir. Il faudra interroger ce topos, de même qu’il faudra interroger les rapports entre le Beau et d’autres concepts qui peuvent lui être associés (le Vrai, le Juste, le Bon), questionner les effets de la beauté (la beauté qui écrase, humilie, séduit dangereusement ou la beauté qui sauve, qui guérit, qui exalte), mettre en rapport des domaines d’expérience différents (les arts et les sciences, la santé, l’industrie de la beauté, le design et la mode…), comparer dans le temps (une histoire de la beauté) et dans l’espace (une géographie et une anthropologie de la beauté), parmi d’autres axes possibles de cette réflexion. L’ambition est grande, elle sera forcément en partie déçue, mais du moins nous inspire-t-elle assez pour oser aborder de front, entouré d’une compagnie choisie, cette grande et redoutable énigme qu’est la beauté, en un lieu habité par elle depuis toujours.
Bibliographie indicative :
BEECH David (ed.), Beauty. Documents of Contemporary Art, London, White Chapel Gallery, 2009. CHENG François, Cinq méditations sur la beauté, Paris, Albin Michel, 2008. DANTO Arthur, The Abuse of Beauty : Aesthetics and the Concept of Art, Chicago, Open Court, 2003. ECO Umberto (dir.), Histoire de la beauté, Paris, Flammarion, 2004. KANT Emmanuel, Critique de la faculté de juger, 1790, traduction Alexis Philonenko, Paris, Vrin, 1993 La Beauté, catalogue, réunissant trois expositions dont « La Beauté in Fabula », ouvrage collectif, Paris, Flammarion, 2000. PEPIN Charles, Quand la beauté nous sauve. Comment un paysage ou une oeuvre d’art peuvent changer nos vies, Paris, Laffont, 2013. STENDHAL, Histoire de la Peinture en Italie, 1817, Paris, Editions Gallimard, Folio Essais, 1996. Qu’est-ce que le Beau ?, ouvrage collectif, Paris, Laffont Presse, 2010.
voici quelques jours que j’attendais… le bon jour pour faire état de deux publications qui me tiennent particulièrement à coeur. Je trouve enfin le moment de le faire, vite, vite, la première publication aura bientôt une semaine d’âge.
Je commence néanmoins par celle qui est encore à venir. Dans quelques semaines sortira à la Documentation française le livre collectif que j’ai eu le plaisir et l’honneur de co-diriger avec mes collègues Vincent Martigny et Emmanuel Wallon sur les années Lang. Réunissant une cinquantaine de chercheurs de toutes disciplines, cet ouvrage s’intéresse à la politique culturelle menée dans les années 1980 et 1990 par Jack Lang et ses équipes mais, plus largement encore, aux rapports entre culture et politique durant ces années où « la gauche essayait ». Cet ouvrage sortira au moment où sera célébré le quarantième anniversaire de la « grande alternance », quand la gauche socialiste et communiste, dans le sillage de l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, parvint au pouvoir et tenta d’en user pour « changer la vie ». Réussit-elle totalement? Evidemment pas. Echoua-t-elle complètement? Pas davantage. Elle vit nombre de ses espérances ou de ses illusions se fracasser sur le mur du réel. Mais elle parvint aussi à changer significativement l’ordre des choses dans quelques domaines. La culture fut de ceux-là, comme le livre, à rebours des pamphlets rapides de quelques essayistes sur le sujet, le démontre. On pourra compléter la lecture avec celle du recueil de textes de Jack Lang que publie Frédéric Martel dans la collection Bouquins.
Autre sortie culturelle à signaler, celle du deuxième numéro de la Revue d’histoire culturelle, XVIIIe-XXIe siècles. Vous pouvez la trouver à cette adresse : https://revues.mshparisnord.fr/rhc/
Le dossier de ce numéro est consacré à l’histoire culturelle des relations entre Juifs et Arabes en Palestine/Israël du XIXe au XXIe siècles.
Par ailleurs la rubrique « Epistémologie en débat » de ce numéro s’intéresse aux libertés académiques, qui seraient selon certains menacées voire malmenées par les agissements d’individus et de groupes aux idéologies pernicieuses. J’ai voulu y voir plus clair dans ce débat passablement obscur. C’est l’occasion pour moi de publier une version légèrement différente de l’article sur les « savoirs situés » que j’ai proposé dans le cadre de ce débat. Le voici.
Les savoirs situés représentent-ils une menace pour l’Université française? Quelques réflexions d’un historien « universaliste » sur les études culturelles
Par Laurent Martin
Sale temps sur l’Université française. Avant que la crise sanitaire et les mesures prises pour la juguler ne placent nos établissements sous cloche, plusieurs tribunes et contre-tribunes, parfois assorties de pétitions et de contre-pétitions, publiées dans la presse généraliste témoignaient d’un climat délétère qui pouvait légitimement inquiéter ceux qui défendent le service public de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je ne fais pas ici allusion aux protestations qui ont accueilli le projet de loi sur la programmation de la recherche, loi promulguée le 24 décembre dernier et qui reste controversée ; je parle des prises de position publiques et collectives contre la « censure » et « l’obscurantisme » à l’Université, contre les atteintes aux « libertés académiques », ou contre « l’emprise de la pensée décoloniale ». Rappelons les plus récentes.
Le 28 novembre 2018, quatre-vingts intellectuel.le.s (parmi lesquel.le.s Pierre Nora, Marcel Gauchet, Dominique Schnapper ou encore Mona Ozouf) signent une tribune dans Le Point dénonçant la « stratégie hégémonique du décolonialisme » ; la plupart se retrouvent un an plus tard pour signer l’ « appel des cent » publié dans Le Monde (4 novembre 2019) invitant les présidents d’université à refuser que leurs établissements « soient monopolisés par les adeptes de l’obscurantisme ». Cet appel fait suite à l’annulation d’une conférence de la philosophe Sylviane Agacinski à Bordeaux, mais aussi d’un séminaire sur la « radicalisation » qui devait se tenir à l’université de la Sorbonne / Paris 1. Dans les deux cas, il s’agissait de décisions prises par les chef.fe.s d’établissement à la suite de pressions exercées par des représentant.e.s du personnel et de syndicats étudiants. Des épisodes que l’association Vigilance Université, née en 2016, ajoute à ceux qu’elle avait déjà recensés et dénoncés dans une tribune publiée par Libération le 15 avril 2019. On retrouve plusieurs des signataires de ces diverses tribunes et pétitions à l’origine d’un nouveau texte, le 31 octobre 2020, publié dans Le Monde après l’assassinat de l’enseignant Samuel Baty, dénonçant le « déni de l’islamo-gauchisme » dans lequel s’enfermerait une partie de l’Université française, faisant écho à des propos similaires tenus par le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer et relayés par la suite par Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche. À quoi ont réagi, d’une part, un collectif de revues de sciences humaines et sociales déniant tout rapport entre les études sur l’intersectionnalité menées à l’Université et le terrorisme islamiste, d’autre part, la conférence des présidents d’université, lesquels récusent également l’amalgame opéré par les ministres (qui vont plus loin que Manuel Valls déclarant en 2015, lui aussi à la suite d’attentats sanglants, en avoir « assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses ou des explications culturelles ou sociologiques à ce qui s’est passé »). Une autre tribune assortie d’une autre pétition, signée par plus de deux mille enseignant.e.s et chercheur/euse/s et publiée dans Le Monde le 4 novembre 2020, dénonce quant à elle la « police de la pensée » que des députés sont accusés de vouloir mettre en place à l’Université sous couvert de lutter contre la radicalisation. La mission confiée au CNRS par Frédérique Vidal d’ « enquêter » sur la réalité de l’ « islamo-gauchisme » à l’Université a soulevé un tollé et suscité une pétition appelant à la démission de la ministre.
Toutes ces tribunes et pétitions (et bien d’autres que je n’ai pas citées, parmi lesquelles le texte publié dans Le Monde le 25 septembre 2019 par un collectif de quatre-vingts psychanalystes dénonçant « l’emprise de la pensée décoloniale » qui « s’insinue à l’université et menace les sciences humaines et sociales ») témoignent des inquiétudes et des conflits qui traversent l’Université française aujourd’hui autour des rapports entre savoirs et pouvoirs. On pourrait les analyser au prisme des transferts culturels et politiques (l’Université française étant parfois présentée, en particulier par celles et ceux qui dénoncent la pensée décoloniale et la politique des identités, comme menacée par une forme pernicieuse d’ « américanisation », les catégories et les enjeux étant réputés venir d’outre-Atlantique) ou à celui des émotions et des controverses intellectuelles dont l’Université est coutumière depuis, au moins, les années 1960 (et se réjouir, paradoxalement, de la vigueur des débats qui l’animent de nouveau après une longue période de léthargie), étudier les listes de signataires et en établir le profil socio-politique, documenter les cas réels ou ressentis de « censure », se demander ce que sont exactement ces « libertés académiques » supposément menacées.
Je propose une autre approche, qui consiste à réfléchir sur la nature indissociablement épistémologique et politique des savoirs qui sont en cause dans ces débats. En effet, ce qui est souvent dénoncé par les détracteur/trice/s de la « pensée décoloniale » (en réalité plus diverse que ne le laisse entendre ce vocable simplificateur) mais aussi des « études culturelles » qui ne sont pas la simple traduction francophone des multiples studies qui se disputent le marché universitaire étatsunien, c’est le caractère outrageusement militant de ces « savoirs situés » qui récusent toute idée de science universaliste ou de neutralité axiologique. Défendant, pour ma part, cet idéal exprimé au début du XXème siècle par Max Weber, mais impliqué depuis plusieurs années dans le dialogue avec les cultural studies et leurs avatars post- et dé-coloniaux (avec lesquels, cependant, elles ne sauraient être confondues), j’ai souhaité interroger la notion de « savoir situé » et voir dans quelle mesure ces savoirs positionnés et engagés représentent une menace ou une chance – l’un n’excluant peut-être pas l’autre – pour la recherche et l’enseignement au sein de l’Université.
Rappelons d’abord ce que l’accent actuel mis sur le « décolonialisme » ferait presque oublier : la notion de « savoir situé » trouve son origine dans les études féministes. Plus précisément, dans les travaux de deux philosophes féministes étatsuniennes, Donna Haraway et Sandra Harding. Dans Simians, Cyborgs and Women : The Reinvention of Nature, la première dénonce le « réductionnisme » dont se rend selon elle coupable la science dite « universaliste » lorsqu’elle impose un seul langage, une seule norme pour rendre compte du réel, une univocité qui traduirait la domination du point de vue masculin ; non seulement, relève-t-elle, les femmes ont été historiquement exclues ou marginalisées dans les instances de production et de direction des sciences, mais les enjeux éthiques et politiques des sciences ont été systématiquement niés au profit d’une vision idéalisée et faussement innocente d’une science pensée comme « système global ». Et d’appeler à multiplier les points de vue, à imaginer d’autres mises en récit, contre-hégémoniques, y compris en s’inspirant de la science-fiction, afin non seulement de critiquer capitalisme et patriarcat, mais aussi les politiques de pouvoir qui dominent la science actuelle. De son côté, Sandra Harding défend la légitimité d’un « point de vue » féministe sur le réel que Maria Puig de la Bellacasa, qui s’en inspire, définit ainsi : « le standpoint feminism est connu comme une mise en théorie explicite de la valorisation par le féminisme des expériences des femmes dans le but de transformer les savoirs et les sciences ». Contre ce qu’elle présente comme l’illusion d’un regard neutre et désintéressé, Harding défend non seulement la nécessité de demeurer à l’écoute des positions multiples mais, plus encore, la légitimité d’un point de vue par définition toujours partiel, trouvant dans l’expérience vécue la perspective à partir de laquelle un accès au réel se trouve mieux assuré. Et davantage que la légitimité : la supériorité, Harding estimant que se positionner en tant que féministe produit un savoir plus vrai ou plus fiable, une objectivité plus forte parce que prenant en compte les impensés du savoir, les biais personnels par lesquels le réel se trouve abordé dans toute recherche scientifique.
Ce raisonnement peut s’étendre (est, de fait, étendu) à toutes les minorités « dominées » dont les chercheurs/ses qui en sont issu.e.s peuvent se prévaloir de ce « privilège épistémique » (fréquemment opposé à l’ « arrogance épistémique » dont feraient preuve les tenant.e.s d’une science universaliste) que Haraway et Harding reconnaissent aux femmes. Le fait d’appartenir à une population ayant fait l’expérience de la domination (du côté des dominé.e.s, bien entendu) ne suffit d’ailleurs pas : encore faut-il avoir pris conscience de cette condition minoritaire et l’avoir intégrée dans sa démarche de recherche. La critique de la neutralité axiologique et de l’objectivité universaliste se retrouve ainsi sous la plume d’un certain nombre d’intellectuel.le.s écrivant « du point de vue » de leur identité revendiquée de Noir.e, d’Afro-descendant.e, etc. Le concept d’intersectionnalité, traduction épistémique de la « convergence des luttes » dans le champ politique, permet d’associer les différentes expériences vécues de la domination, de montrer les caractères communs de ces expériences et de proposer des cadres collectifs de résistance à cette domination. L’apport des féminismes décoloniaux, par exemple, avec notamment la notion de « colonialité de genre », est l’une des traductions de cette intersectionnalité. Celles et ceux qui se réclament de ces courants de recherche considèrent qu’il s’agit là d’un tournant éthique et politique des savoirs.
Ce « tournant » est-il si nouveau? Après tout, la contestation de l’objectivité scientifique et de la neutralité axiologique ne date pas d’hier. L’idée d’un privilège épistémique avait déjà été énoncée par Marx et Engels à propos du prolétariat au XIXème siècle. Henri-Irénée Marrou et Raymond Aron avaient critiqué l’histoire « objective » et « scientifique » des historiens positivistes dans les années 1950. Paul Veyne et Michel Foucault avaient été plus loin, récusant toute idée de savoir objectif au profit d’une vision nécessairement partielle, d’une « perspective » au sens nietzschéen du terme qui, par une sorte d’ironie de l’histoire intellectuelle, rejoint le « point de vue » des féministes. Et la pensée critique des rapports entre savoirs et pouvoirs était devenue chose banale durant le « moment 68 », que ce soit pour vanter les mérites du prolétariat ou défendre des identités et des savoirs engagés dans les luttes pour la reconnaissance des droits des femmes ou des homosexuel.le.s.
Peut-être ce qui particularise l’époque actuelle est-il la montée conjointe de revendications identitaires par des collectifs politiques, le relais intellectuel et institutionnel que ces revendications trouvent à l’Université, la mise en crise ou au moins en question des habitudes de pensée et d’action qu’ils provoquent, et le sentiment d’inquiétude qu’éprouvent beaucoup de ceux et de celles qui ne se reconnaissent pas dans ces luttes ou estiment que l’Université n’est pas le lieu où celles-ci devraient s’exprimer. Ce qui est relativement nouveau aussi est que la discussion sur les questions raciales ou genrées est de plus en plus animée par des personnes qui ont vécu l’expérience sociale de la discrimination ou de la condition minoritaire ; ce qui était assez largement extérieur à l’Université se discute aujourd’hui en son sein. Et c’est de l’Université que s’élèvent désormais les appels à « décoloniser » les arts ou les savoirs (quoique les prémices puissent en être trouvées dès les années 1950, voire plus anciennement encore), c’est-à-dire à forger de nouvelles catégories de pensée affranchies de l’héritage occidental, qui soulèvent toute une série de questions là encore indissociablement épistémologique et politiques.
Plutôt que de céder à une quelconque panique morale ou intellectuelle, mieux vaudrait, comme y invite Eric Maigret, s’interroger calmement sur les « gains et les coûts » qui sont attachés au fait de ne plus revendiquer le principe de neutralité axiologique ou de science universaliste. De mon point de vue, les gains ne sont pas négligeables. La science universaliste a effectivement tendance à rejeter comme dépourvus d’intérêt, en tout cas de scientificité, les savoirs nés des expériences vécues ; prendre en compte ces expériences, leur faire droit et place au sein de l’ensemble des savoirs ne me paraît pas en soi scandaleux. Nous pouvons attendre de la part de ceux et de celles qui vivent un certain type de situation (pas forcément minoritaire et dominée, d’ailleurs) des gains appréciables d’intelligibilité, comme le montrent les expériences menées en milieu médical. Ce n’est pas faire preuve de démagogie que de souhaiter et de saluer une recherche plus inclusive (dont l’écriture du même nom est l’une des manifestations, laquelle représente il est vrai un « coût » non négligeable en termes de style et de signes). Je trouve également bienvenue et utile l’attention réflexive et corrective portée sur les mécanismes sociaux de production et de diffusion scientifiques, ainsi que sur les biais de toute nature qui empêchent d’avoir une vision totale d’un objet quel qu’il soit (l’innocence épistémologique n’est aujourd’hui plus de mise et c’est tant mieux). Comme l’énonce de son côté Fabien Granjon (en réponse à Eric Maigret), « l’utilité de la posture réflexive tient au fait qu’elle permet de porter au jour, pour partie, le « lieu » à partir duquel le travail d’objectivation du chercheur prend forme. Aussi le propre de la science critique n’est-il pas l’objectivité, mais la possibilité de relativiser le point de vue qu’elle mobilise, de rompre avec l’illusion d’une pensée dégagée de tout engagement et de situer relationnellement son propre point de vue par rapport aux autres. » La réflexivité comme forme de « vigilance épistémologique » me semble de bonne méthode dans son principe. De même, les appels à pluraliser les points de vue, à décloisonner les champs de recherche, à échapper à certaines pesanteurs disciplinaires et institutionnelles, à inventer aussi d’autres formes narratives pour enrichir notre vision et nos restitutions du réel m’apparaissent comme autant d’avancées potentielles. Et, sans réduire la recherche à cela, je ne trouve pas illégitimes par principe des travaux qui visent explicitement à aider à l’émancipation intellectuelle et politique de telle ou telle population en aidant à accroître le degré « d’agentivité » de ses membres. Bien plus, la présence plus grande que par le passé de personnes racisées (i.e. perçues ou se percevant comme appartenant à une « race » entendue comme construction sociale) ou de femmes dans des positions de pouvoir académique, outre qu’elle répond à une demande légitime de justice et d’égalité sociales, me semble de nature à diversifier heureusement les points de vue qui s’y expriment.
Reste que bien des questions posées par la notion même de « savoir situé » demeurent aujourd’hui sans réponse satisfaisante à mes yeux, et qu’une « critique de la critique » me paraît non seulement possible mais souhaitable. Je laisse de côté, même s’ils sont préoccupants, les appels à la censure, au boycott ou à l’entre-soi lancés par des représentant.e.s souvent auto-proclamé.e.s de telle ou telle communauté dans des lieux qui devraient rester ouverts et disponibles au débat le plus large. Ce sont là des manifestations de sectarisme qui restent, quoi qu’on en dise, relativement limitées en nombre. Pour m’en tenir au strict plan des coûts épistémologiques, l’idée selon laquelle on ne pourrait valablement parler d’un objet, d’un champ, d’une population, d’une pratique que si l’on peut faire état d’un rapport intime, personnel et militant à ces réalités me paraît hautement contestable ; le renversement de l’ « arrogance » en « privilège » épistémique ne supprime pas le problème de la monopolisation du savoir, il se contente de l’inverser, réservant aux femmes le droit de parler des femmes, aux Noir.e.s de parler des Noir.e.s, etc. La nécessaire explicitation du point de vue qui est celui du chercheur ou de la chercheuse ne vaut pas affirmation de supériorité de ce point de vue ni disqualification de celui ou de celle qui se placerait en position d’extériorité vis-à-vis de son objet (parler « sur » les autres n’équivaut pas à parler « au nom » des autres). Comme j’ai pu l’écrire ailleurs en parlant des différences entre cultural studies et histoire culturelle, celle-ci, du moins quand elle est bien faite, ne prétend pas dire le bien ni le juste, encore moins se situer du côté du bien ou du juste. Elle vise – sans jamais espérer l’atteindre, bien entendu – un horizon de neutralité axiologique, peut-être illusoire mais, à sa façon, aussi heuristiquement fécond et nécessaire, me semble-t-il, que l’est le « savoir situé » pour les cultural studies. Il s’agit, à mon sens, non d’une manifestation d’un positivisme scientiste suranné mais d’un effort obstiné pour rendre compte d’un réel par nature plus complexe que les représentations intellectuelles ou idéologiques que nous nous en faisons. Cette suspension du jugement moral – l’histoire pourrait partager cela avec « l’art du roman » dont parlait Kundera, tout en s’en distinguant par son ambition de faire science – permet seule au chercheur ou à la chercheuse d’aller réellement contre ses propres biais, préjugés et engagements, elle évite le risque d’être pensé par son objet plutôt que de le penser, et oblige celui ou celle qui travaille sur un objet, y compris et même surtout quand celui-ci charrie des représentations polémiques, de faire entendre et saisir la pluralité des voix, des points de vue, des perspectives, en se refusant la commodité (et la bonne conscience) de choisir entre ces perspectives. C’est là, après tout, rejoindre l’une des idées-forces défendues par des chercheuses comme Donna Haraway ou Sandra Harding, celle d’une objectivité rendue plus forte par la prise en compte des multiples interprétations qui peuvent être faites d’un même fragment de réel.
Pour le dire autrement, si l’auteur/trice ou le/la chercheur/se doit bien sûr prendre en compte son propre statut, sa position sociale, sa trajectoire personnelle et avoir conscience des biais que ceux-ci induisent sur sa recherche, cet effort indispensable de réflexivité ne signifie pas assignation identitaire (ce n’est pas parce que je suis un homme blanc hétérosexuel d’âge mûr appartenant à la classe moyenne que je dois prendre fait et cause pour cette population ni être considéré comme son porte-parole), ni qu’il/elle doive se substituer au destinataire de sa recherche dans la qualification en valeur des faits qu’il rapporte et interprète. Cette position épistémologique entraîne deux refus : « d’accorder un primat moral quelconque à la recherche sur le dominé au seul motif qu’il l’a été » ; et de disqualifier un.e chercheur/se ou une recherche en raison de leur éloignement supposé avec leur objet ou de leur inutilité pratique pour quelque cause que ce soit. Certes, le mouvement inverse – refuser a priori toute valeur scientifique à un travail qui serait produit en relation étroite avec un objet ou un champ donné ou à des fins de lutte politique – serait tout aussi préjudiciable au progrès de nos connaissances, et nombre de chercheurs/ses qui travaillent sur les questions de genre et/ou de race dénoncent à juste titre l’illégitimité qui frappe encore leurs travaux ou leur personne dans le champ académique français ; mais la valeur d’une recherche ne saurait dépendre, à mes yeux, ni de l’implication personnelle du chercheur ou de la chercheuse, ni des effets éventuellement positifs que cette recherche peut entraîner pour le champ ou la communauté qu’il ou elle étudie.
On l’aura compris, je n’emboîterai pas le pas de Jean-François Bayart parlant du « carnaval académique » que constituent, à ses yeux, les études postcoloniales (et, ajouterai-je, décoloniales) ; s’il est vrai que l’on peut critiquer la lecture judiciaire et symptomale de certains des travaux qui s’en réclament, l’essentialisation et l’homogénéisation des réalités qu’ils construisent plutôt qu’ils ne décrivent (avec ces grandes notions jamais vraiment interrogées que sont, par exemple, l’Occident ou le Capitalisme), les effets d’aubaine médiatique et l’instrumentalisation des indignations dont ils profitent, la fragilité de leurs fondements empiriques, leur postulat d’une reproduction mécanique, univoque et surdéterminante du phénomène colonial, on peut opposer à ces critiques, comme l’a d’ailleurs fait Laetitia Zecchini, nombre d’arguments et de contre-exemples convaincants. Quant à moi, je plaiderai plutôt pour une « vigilance » accrue, tant à l’égard des biais de tous ordres qui entravent notre désir et notre capacité de traiter en pleine lumière d’un objet quel qu’il soit et quel que soit le rapport personnel et social que nous entretenons avec lui, qu’à l’égard des entraves qui pourraient venir de l’intérieur comme de l’extérieur de l’Université limiter notre droit et notre liberté « à en connaître ».
LM
Bienvenue sur le blog de Laurent Martin, professeur d'histoire à l'université de Paris 3 Sorbonne-Nouvelle, membre du laboratoire ICEE, libre penseur..