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They made Trump president again…

Il m’a fallu quelques jours pour digérer la nouvelle, réaliser pleinement ce qu’elle signifiait : Donald Trump élu de nouveau président des Etats-Unis!! Pour quatre nouvelles et longues années (voire davantage, s’il lui prend la fantaisie de tripoter la Constitution américaine qui interdit pour le moment plus de deux mandats pour un président), nous allons devoir subir l’un des types les plus odieux que l’histoire récente, qui n’en est pas avare, nous ait infligés. Un type dont le racisme, le sexisme, la malhonnêteté foncière, les pulsions violentes et les projets autoritaires ont été maintes fois prouvés tant par les paroles que par les actes. C’est ce type, le moins qualifié de tous, qui a été élu par une majorité d’Etatsuniens pour diriger les destinées du pays le plus puissant du monde.

Brandan (Afrique du Sud) Business Days / Cartooning for Peace

Oui, une majorité car, pour la première fois depuis vingt ans, le candidat républicain a non seulement remporté une large majorité des grands électeurs (312 contre 226 pour Kamala Harris) mais aussi le vote populaire, avec 74 millions de voix contre un peu moins de 71 millions pour la candidate démocrate. Il faut y insister : une majorité nette d’Etatsuniens a réélu, en toute connaissance de cause, après l’avoir vu à l’oeuvre pendant un premier mandat, le forcené de Mar-a-Lago. Et non seulement lui, mais, à l’heure où j’écris ces lignes, une majorité de sénateurs républicains pro-Trump, en attendant une probable majorité à la Chambre des Représentants. Avec la Cour Suprême qui lui est tout acquise, ce type est en passe de contrôler l’ensemble des pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire.

Reste le quatrième, les médias, à demeurer hors de son emprise? Ce rempart n’en est plus un, depuis que le Washington Post, institution de la presse américaine depuis l’affaire du Watergate, que ses journalistes avaient révélée, a décidé de s’abstenir de se prononcer pour l’un ou l’autre candidat, contrairement à ce qu’il avait fait au cours de toutes les élections récentes. Trump est-il moins dangereux en 2024 qu’en 2016 ou en 2020, ce qui expliquerait ce souci nouveau de neutralité? Non, mais le fait que le WP soit devenu la propriété d’un certain Jeff Bezos, propriétaire d’Amazon, n’est peut-être pas étranger à ce changement d’attitude. Il n’a pas, contrairement à certains de ses congénères, affiché son soutien à Trump mais c’est un homme prudent qui ne veut pas injurier l’avenir, et encore moins indisposer un homme quelque peu caractériel qui peut faire beaucoup pour lui, en bien comme en mal…

Mais le Washington Post, comme toute la presse écrite, comme tous les médias d’information mainstream, ne sont de toute façon plus vraiment des puissances qu’un président devrait redouter. Trump n’en a plus besoin. Il les a d’ailleurs largement ignorés durant la campagne (sauf pour les insulter ou menacer leurs journalistes), préférant réserver ses blagues grossières au public fanatisé de ses meetings de campagne, aux influenceurs amis, aux animateurs d’émissions d’infotainment biaisés et, bien sûr, aux réseaux sociaux, le sien et celui de son grand ami et futur épurateur de l’administration américaine, Elon Musk, qui a mis au service de Trump son réseau X, déversoir de toutes les sornettes MAGA. Il en a d’ailleurs été d’ores et déjà récompensé (en attendant d’autres motifs de réjouissance) avec un bond de la cotation en bourse de ses sociétés, qui s’est traduit par quelque 26 milliards de dollars supplémentaires pour la seule journée ayant suivi la proclamation des résultats. Pas mal. Ce que le règne de Trump II annonce, c’est le triomphe d’une oligarchie décomplexée.

Mais aussi (si les promesses de Trump sont tenues), la déportation de millions d’immigrants clandestins, la relance de l’industrie pétrolière et la sortie de l’accord international sur le climat, des restrictions toujours plus grandes des droits des femmes et des minorités, une grâce présidentielle pour les émeutiers du 6 janvier 2021 (et l’abandon de toutes les poursuites judiciaires le concernant lui, le premier président de l’histoire des Etats-Unis condamné au pénal), et j’en oublie certainement. Oh, oui, bien sûr, il y a aussi les baisses d’impôts et les taxes sur les produits importés, mais ça, seuls les pauvres verront la différence (à leur détriment), alors…

Chapatte (Suisse), The New York Times / Cartooning for Peace

D’autres peuples que les habitants des Etats-Unis ont également des soucis à se faire. Les Palestiniens et les Libanais, que la droite et l’armée israélienne continueront de massacrer en toute impunité, maintenant que le grand ami de Netanyahou revient au pouvoir ; les Ukrainiens, que cet admirateur de l’autocrate Poutine s’apprête à laisser tomber ; les Européens en général, qu’il méprise et considère comme des concurrents plus que comme des alliés… Pour ce qui est de Taïwan, la chose paraît moins claire : certes, il a laissé entendre que, lui président, les Etats-Unis ne risqueraient jamais un soldat pour défendre la liberté de l’île rebelle (comme Emmanuel Macron, du reste) ; mais s’il se désintéresse du sort des Taïwanais eux-mêmes, il voudra aussi se montrer ferme voire martial à l’égard de la Chine populaire. A tout le moins, son retour au pouvoir aggrave l’incertitude qui caractérise la situation géopolitique actuelle, fragilise l’OTAN et toutes les alliances dans lesquelles se trouvent engagés les Etats-Unis. Joseph Nye disait en 2017 que la présence de Donald Trump à la Maison-Blanche faisait plus pour dégrader le soft power des Etats-Unis que toutes les actions de déstabilisation de la Chine ou de la Russie.

Il est vrai que l’administration Biden porte elle aussi une lourde responsabilité dans la dégradation de l’image des Etats-Unis, en particulier du fait de son soutien objectif (par la livraison d’armes jamais interrompue en dépit des incessants et peut-être hypocrites appels à la « retenue » dans leur emploi) aux crimes de guerre et contre l’humanité perpétrés par l’armée israélienne à Gaza, et maintenant au Liban. Il est probable que ce soutien a pesé lourd dans la balance lors de ces élections, dissuadant une partie de l’électorat démocrate à se déplacer pour aller voter. Peut-être une politique plus ferme à l’égard de Netanyahou aurait-elle fait perdre à la candidate démocrate une partie du vote juif ; mais – outre qu’elle aurait dû s’imposer par devoir à l’égard de toutes ces victimes civiles – elle aurait aussi donné moins de voix à Jill Stein, la candidate écologiste et indépendante qui a capitalisé sur cette incapacité du gouvernement étatsunien à arrêter la guerre – si l’on peut parler d’une guerre dans le cas d’un rapport de forces aussi déséquilibré.

Et, puisque j’en suis à l’examen des responsabilités de Biden et Harris dans la lourde défaite de cette dernière, il est clair que l’acharnement du premier à maintenir sa candidature contre toute raison, cédant finalement devant le constat accablant de ses insuffisances cognitives à trois mois du scrutin, relève d’un orgueil coupable. Il est facile, ensuite, de reprocher ses insuffisances à celle qui a dû improviser une campagne présidentielle en quatre mois. Que lui reproche-t-on, exactement? D’avoir été une femme? Pas assez blanche? Trop éduquée? La maestria avec laquelle elle avait su s’imposer dans le seul débat télévisé qui l’opposa à Donald Trump résume le différentiel de capacité entre les deux candidats. Le goupil orangé, sorti quelque peu meurtri de l’épreuve, jura qu’on ne l’y prendrait plus et s’abstint désormais de se présenter si à son désavantage. Mieux vaut parler sans contradicteur lorsque qu’on raconte des inepties.

A ce point de mon raisonnement, on m’objectera peut-être que tout, dans le discours de Trump, ne peut se résumer à ce terme injurieux d’inepties ; que lui au moins s’adressait aux Américains pour leur parler de leurs problèmes, tandis que Kamala Harris se contentait de leur parler de Donald Trump et du danger qu’il représentait pour les institutions de ce pays. On ajoutera, selon la mode médiatique du jour, qu’elle aura trop joué sur la corde identitaire, qu’elle aura trop insisté sur des sujets clivants tels que la défense du droit à l’avortement, là où elle aurait dû tenir un discours plus rassembleur, proposer des solutions aux problèmes économiques et sociaux, au premier rang desquels l’inflation et l’immigration, etc.

Comme si Trump n’avait pas tiré à fond sur la corde identitaire, lui qui est le chef de file d’un ethno-nationalisme qui monte partout en Occident (et ailleurs) .

Comme s’il n’avait pas choisi le ton et les sujets les plus clivants, alternant les mensonges éhontés avec les menaces à l’égard de ses adversaires, qualifiés d’ « ennemis de l’intérieur ».

Comme s’il avait proposé des solutions crédibles aux problèmes soulevés (mettre en place des taxes aux frontières va-t-il faire baisser l’inflation ou l’alimenter? Déporter des millions d’immigrants, si tant est que la chose soit possible, va-t-il relancer l’économie ou la freiner? Les électeurs avaient à répondre eux-mêmes à ces questions assez simples).

Comme si ce milliardaire qui a toujours triché dans sa vie se préoccupait tant soit peu du sort des plus pauvres de ses compatriotes.

En vérité, ces accusations à l’égard de Harris masquent des réalités déplaisantes qu’on ne veut pas voir en face, y compris en France. Comme par exemple le fait qu’élire une femme, de couleur qui plus est, ne passe toujours pas auprès d’une majorité d’hommes étatsuniens, toutes « ethnies » confondues. Ou qu’il vaut mieux ne pas avoir fait trop d’études ni faire de phrases trop longues si l’on veut réussir en politique. Ou encore, qu’une part importante des Etatsuniens croient toujours, malgré l’absence de toute preuve en ce sens, que l’élection de 2020 a été truquée ou volée au détriment de Trump, et que les mêmes pensent que le sauvetage de leurs intérêts particuliers comme du mode de vie à l’américaine, qui détruit cette planète, justifie les atteintes aux libertés publiques et individuelles, voire à la morale la plus élémentaire.

Ou encore, la réalité selon laquelle, beaucoup d’Etatsuniens aujourd’hui, s’ils devaient faire le choix entre le système très délicat de contre-pouvoirs qui constituent la démocratie et la rude simplicité d’un fascisme qui ne dit pas son nom, choisiraient le second.

N’en déplaise aux esprits progressistes et humanistes, dont je me flatte de faire partie, ce n’est pas Trump qui, dans l’histoire récente des Etats-Unis, a représenté l’exception, la parenthèse voire l’accident de l’histoire. C’est Obama.

Kroll (Belgique) Ce Soir / Cartooning for Peace

LM

Geneviève Gentil

Tapez ce nom sur votre navigateur – vous ne trouverez ni biographie ni même photographie de cette femme, de cette grande dame. Des homonymes, oui, mais qui ne sont pas elle.

Tapez maintenant, à côté de son nom « politique culturelle » ou « ministère de la Culture » ou encore « Comité d’histoire du ministère de la Culture ». Là, vous trouverez des choses, beaucoup de choses – essentiellement des livres qui parlent de ces sujets. Non qu’elle les ait écrits elle-même. Elle a permis, favorisé, aidé leur publication, ce qui est autre chose, presque aussi importante.

Geneviève Gentil vient de mourir. Et je ne sais ni quand elle était née, ni quel âge exact elle avait atteint. Nous n’étions pas des amis si proches, après tout. Et elle était d’une telle modestie, d’une telle discrétion… L’an passé, pour la faire témoigner de ce qu’elle avait fait au service des politiques culturelles et de leur histoire, il avait fallu des ruses de sioux à Anaïs Fléchet et moi-même. Elle avait consenti à se livrer – un peu – dans les podcasts que pilote Anaïs sur l’histoire culturelle. Toujours à sa manière, caractéristique, qui consistait toujours à parler du travail des autres, jamais du sien, encore moins d’elle-même. Du moins avons-nous sa voix, un peu usée déjà, mais encore toute vibrante de passion. C’est une consolation de pouvoir la réécouter (ces podcasts sont sur toutes les plateformes, par exemple : https://podcasts.apple.com/fr/podcast/histoires-culturelles/id1697167127)

A celles et ceux qui ne l’ont pas connue, cet enregistrement fera découvrir une personnalité très admirable, passionnément attachée au rôle de la puissance publique en matière culturelle, elle qui était entrée au ministère de la Culture à la fin des années 1960 et y était restée, sous un statut de bénévole – elle avait plus de 90 ans – pour aider, autant qu’elle le pouvait, le Comité d’histoire du ministère de la Culture. Son action est bien sûr presque inséparable de celle d’Augustin Girard, fondateur du Service des études et recherches du ministère en 1963 – service devenu l’actuel Département des études, de la prospective et des statistiques – avant de fonder, trente ans plus tard, au moment de prendre sa retraite, le Comité d’histoire du ministère de la Culture.

Mon collègue et ami Philippe Poirrier a évoqué l’histoire du SER et du Comité dans plusieurs livres et articles, j’y ai moi-même consacré mon mémoire inédit d’habilitation à diriger les recherches, publié en 2013 sous le titre l’Enjeu culturel. La réflexion internationale sur les politiques culturelles, 1963-1993 (La Documentation française / Comité d’histoire du ministère de la Culture). J’ai tenté de sortir de l’ombre où elle se tenait elle-même celle qui, par son dévouement, sa rigueur, sa gentillesse (elle portait si bien son nom!) fut bien plus qu’une assistante ou une collaboratrice. Secrétaire générale du Comité pendant de nombreuses années, elle lui insuffla son inépuisable énergie. Que de livres ont vu le jour grâce à elle! Personnellement, je lui dois en partie trois des miens : outre l’Enjeu culturel (qui lui est dédié, « avec affection et admiration »), elle m’a aidé pour la biographie que j’ai consacrée à Jack Lang ainsi que, plus récemment, pour le livre collectif que nous avons consacré aux années ministérielles de ce dernier.

Je lui suis évidemment reconnaissant pour son soutien mais les sentiments que j’avais formés à son égard au fil des années allaient bien au-delà. Elle était comme une parente, un membre de ma famille que je voyais trop rarement mais chaque fois avec un immense plaisir. Comme une grand-tante dont je prisais la conversation jamais ennuyeuse. Je lui rendais parfois visite, à son domicile de Sceaux – la dernière fois au printemps dernier – et prenais de ses nouvelles par téléphone – en septembre, encore. Je me promettais d’aller la voir cet automne, j’attendais un peu de répit dans mon emploi du temps. La mort m’a devancé.

Au moins ai-je la consolation d’avoir eu le temps et l’occasion de lui dire tout ce que je lui devais, tout ce qu’elle représentait pour moi et pour celles et ceux que continuent d’intéresser les « affaires culturelles », comme on disait au temps de Malraux – qu’elle avait connu. Ce trésor vivant, selon la formule japonaise, n’est plus parmi nous, peut-être parti dans ses chères montagnes. Mais son souvenir demeurera dans les pensées de toutes celles et de tous ceux, nombreux, qui l’aimaient.

Adieu et merci, très chère Geneviève.

Laurent.

A vos agendas!

Bonsoir,

ce nouveau billet a pour but de communiquer des informations sur un nombre d’événements et de parutions dans le domaine de la culture et de l’histoire culturelle au sens large. Je vais procéder par ordre chronologique.

Samedi prochain, 28 septembre, aura lieu le congrès annuel de l’Association pour le développement de l’histoire culturelle (ADHC). La journée aura lieu au musée de la chasse et de la nature, à Paris, dans le Marais (62 rue des Archives). Nous aurons le plaisir d’entendre le grand spécialiste de la bande dessinée Thierry Groensteen pour la conférence du matin ; la table-ronde de l’après-midi aura pour thème l’histoire de l’environnement et ses rapports avec l’histoire culturelle.

Voici le programme complet :

J’en profite pour rappeler que l’ADHC publie une revue en ligne, entièrement gratuite, la Revue d’histoire culturelle XVIIIe-XXIe siècles. L’une de ses rubriques, l’Atelier de la recherche, est particulièrement ouvert à la jeune recherche et les mastérants autant que les doctorants peuvent y soumettre leurs articles. Je relaie ici l’appel de ses animatrices, Catherine Bertho-Lavenir et Elise Lehoux :

La Revue d’histoire culturelle (XVIIIe-XXIe siècles), publiée en libre accès sur la plateforme Open Edition, possède une rubrique intitulée « L’Atelier de la Recherche » destinée à mettre en valeur les travaux des jeunes docteur⸱es, doctorant⸱es et étudiant⸱es ayant soutenu un bon mémoire de master. Cette rubrique, sans thème imposé, leur offre la possibilité de publier un article académique, en histoire culturelle, dans une revue à comité de lecture et de voir leur article paraître dans des délais raisonnablement rapprochés (environ un an).
Une équipe d’universitaires expérimentés est à la disposition des auteurs – dont c’est, en principe le premier article académique ou l’un des premiers – pour les accompagner dans la mise au point de leur texte et leur permettre de publier un article qui rende justice à la qualité de leurs travaux. La rubrique met en place un accompagnement spécifique pour ces jeunes auteurs, en amont comme en aval du processus d’évaluation en double aveugle.
Les auteur⸱es sont invités à soumettre d’abord une proposition de contribution (2 pages maximum). L’article final, une fois la proposition acceptée, devra comporter 30 000 signes.
Les propositions sont à envoyer aux responsables de la rubrique en indiquant explicitement le nom de la rubrique dans l’objet du mail : cjc.lavenir[at]hotmail.com ; elise-lehoux[at]orange.fr avec copie à l’adresse électronique de la revue (revuedeladhc[at]gmail.com).
Pour en savoir plus sur la revue et la rubrique : https://journals.openedition.org/rhc/ et pour connaitre les instructions aux auteur⸱es : https://journals.openedition.org/rhc/3059
Pour toute question, n’hésitez pas à nous contacter.
Bien cordialement,
Catherine Bertho-Lavenir et Élise Lehoux pour le comité de rédaction de la Revue d’histoire culturelle XVIIIe-XXIe siècles

Le 3 octobre, un débat est organisé qui s’annonce fort intéressant :

LA PATRIMONDIALISATION DU MONDE
Jeudi 3 octobre – 18h30
Hall d’About – Plateforme de la création architecturale
Gratuit sur inscription
 
Avec
Romeo Carabelli, architecte et géographe, université de Tours
Elsa Coslado, géographe, cheffe du département stratégie territoriale, Bruxelles Environnement
Maria Gravari-Barbas, architecte et géographe, professeure à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Chaire UNESCO « Culture, Tourisme, développement » 
Sébastien Jacquot, maître de conférences en géographie à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Christine Mengin, maîtresse de conférences émérite à Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Élodie Salin, enseignante-chercheure en géographie, université du Mans, chercheure associée EIREST – Université Paris I Panthéon-Sorbonne
Modération : Françoise Ged, responsable de l’Observatoire de la Chine, Cité de l’architecture et du patrimoine 
 
Rendez-vous organisé en partenariat avec l’EHESS et l’UMR Chine, Corée, Japon
 
Suivre le débat en direct sur la page Facebook de la Plateforme de la création architecturale : https://fr-fr.facebook.com/plateformarchi/
Le débat sera filmé et diffusé sur la chaîne YouTube de la Cité de l’architecture et du patrimoine

Le 7 octobre, c’est à la Maison de la recherche de la Sorbonne-Nouvelle qu’il faudra être, pour assister à la table-ronde organisée à l’occasion de la parution du livre de Mélanie Toulhoat, Rire de la dictature, rire sous la dictature au Brésil (1964-1982). J’avais eu la chance de participer au jury de la thèse de Mélanie, d’où est issu ce livre et c’est un grand plaisir de voir l’aboutissement de nombreuses années de travail.

Pour une présentation du livre, aller à cette adresse : https://psn.sorbonne-nouvelle.fr/publications/rire-de-la-dictature

Avis aux amateurs de revues! Les 12 et 13 octobre prochains se tiendra aux Blancs Manteaux, dans le Marais, le Salon de la revue. Je m’efforce d’y aller chaque année car c’est toujours l’occasion de découvertes et de rencontres. Au-delà des revues d’art, de sciences sociales ou littéraires bien connues, c’est tout un monde foisonnant d’aventures humaines et intellectuelles qui se révèle. Allez-y si vous le pouvez! Voici le programme :

Enfin (provisoirement), je signale une journée d’étude organisée par la revue Marges le 19 octobre à l’INHA (rue Vivienne, à Paris) sur le thème des relations entre les artistes et les institutions. En ces temps de coupes budgétaires annoncées, y compris pour la Culture, et de pressions politiques accrues sur les projets artistiques, voilà une manifestation qui tombe à pic!

Voilà, c’est à peu près tout pour le moment. Je ferai sans doute d’autres annonces dans les prochaines semaines.

LM

C’est la rentrée!

Eh oui, les meilleures choses ont une fin (comme les pires, du reste). Les écoliers sont déjà rentrés, les étudiants ne vont pas tarder à les suivre… J’espère que vous avez passé de bonnes vacances et que vous reprenez l’année scolaire ou universitaire en pleine forme!

C’est à peu près mon cas, en dépit du climat politique pesant, tant en France que dans beaucoup d’endroits du monde. Mon dernier billet commentait la dissolution surprise de l’Assemblée nationale, celui-ci prend acte de la nomination d’un certain Michel Barnier à la tête d’un nouveau gouvernement dont la constitution s’annonce ardue et la tâche plus encore. Ce n’est pas un mauvais sujet, ce Barnier, en dépit de déclarations et de prises de position qu’il regrette sans doute (?), mais ce n’est pas lui faire injure que de constater qu’il n’est plus de toute première fraîcheur et qu’il est un tantinet plus à droite qu’espéré ici… La réalité de la fragmentation du corps électoral et de sa traduction parlementaire, sans parler des calculs des adeptes du billard à trois bandes, rendait sans doute impossible des solutions plus audacieuses ; il est regrettable quand même de ne pas avoir au moins fait semblant de les essayer. Aujourd’hui, un grand nombre de Français, à gauche (comme à l’extrême-droite) estiment que les élections leur ont été « volées ». Qu’ils aient tort ou raison, peu importe, ce tour de passe-passe laissera des traces et renforcera dans leur conviction celles et ceux qui pensent que voter ne sert à rien.

Changeons de sujet.

Je profite de ce billet de rentrée pour publier deux appels, l’un à communication, l’autre à article.

Le premier concerne l’organisation Reporters sans frontières et, plus largement, les rapports entre médias, pouvoirs et liberté d’expression et d’information dans le monde. L’organisation, qui vient de perdre son ancien directeur général, Christophe Deloire (j’en parlais dans mon précédent billet) et d’en retrouver un en la personne de Thibault Bruttin, fêtera ses quarante années d’existence l’an prochain. A cette occasion, ses archives seront transférées à la Contemporaine, la bibliothèque et centre d’archives de l’université de Nanterre et seront rapidement ouvertes à la recherche. Une première journée d’étude, en deux temps, à la Sorbonne-Nouvelle et à la Contemporaine, posera à l’automne 2025 les premiers jalons d’une recherche qui, par ses implications, sera nécessairement collective et internationale. Voici l’appel à communications, n’hésitez pas à y répondre et à le relayer autour de vous :

Autre appel, cette fois à articles, celui que lance l’excellente Revue d’histoire culturelle pour son numéro 10, qui portera sur… l’histoire culturelle! Les animateurs/trices de la revue souhaitent en effet saisir l’occasion de ce numéro pour réfléchir aux évolutions de cette spécialité qui s’est installée dans le paysage intellectuel, éditorial et institutionnel français mais aussi dans d’autres pays. Salutaire exercice de réflexivité qui rappelle à l’auteur de ces lignes qu’il prit l’initiative, voici exactement vingt ans, d’un colloque sur le même sujet au Centre culturel international de Cerisy, d’où sortit le volume collectif L’histoire culturelle du contemporain aux éditions Nouveau Monde.

Voici l’appel :

J’avais écrit un petit texte en guise de contribution à la réflexion qui conduisit à ce projet de numéro. Je le publie ici :

Quelques réflexions sur l’histoire culturelle…

… telle qu’elle existe dans le cadre de l’enseignement supérieur et la recherche français : une spécialité désormais bien implantée dans les universités (et au CNRS?), reconnue à part entière, institutionnalisée (société savante, revues, postes universitaires). Elle n’est plus le front pionnier en quête de légitimation qu’elle était encore dans mes années de formation. C’est un progrès – nous n’avons plus à nous battre, ou moins – et c’est un regret – la lutte était belle et nous étions jeunes. Nous sommes-nous quelque peu assoupis, assagis? Peut-être. Nous avons vieilli, en tout cas – je parle au nom de la deuxième génération, celle qui a fait ses premières armes dans les années 1990, sous la conduite d’en-seigneurs qui ont depuis pris leur retraite. La troisième est déjà bien en place et fait parler d’elle, lançant des chantiers nouveaux et exaltants. Tout cela fait sens si l’on admet que l’histoire culturelle à la française est née quelque part dans les années 1980, sur les brisées de l’histoire des mentalités, avec un nouveau credo, celui d’une « histoire sociale des représentations », que j’aurais tendance aujourd’hui à reformuler ainsi : l’articulation entre représentations (mentales) et pratiques (sociales). Comment l’image, conscient et inconsciente, que nous nous faisons du monde, de nous-même et des autres guide-t-elle nos conduites, motive-t-elle nos comportements? L’interrogation princeps est là, me semble-t-il. La culture au sens large se présente comme une clef d’explication des sociétés passées comme présentes ; ce n’est pas la seule, sans doute, mais elle permet déjà d’ouvrir pas mal de portes, de comprendre pas mal de choses.

Bien sûr, il y a cette fameuse fracture, diagnostiquée en son temps par le regretté Dominique Kalifa et avant lui par Roger Chartier : entre l’histoire sociale (mais aussi bien politique, économique, technologique) de la culture et l’histoire culturelle du social (idem). Elle avait été mise au jour lors du colloque de Cerisy de 2004, qui, quasi simultanément à la sortie des livres-bilans de Pascal Ory et de Philippe Poirrier (mes deux maîtres, avec Jean-François Sirinelli), s’était voulu le bilan d’une étape et le marqueur du tournant culturel qu’avait emprunté non seulement l’ « histoire du contemporain » mais l’histoire tout court, voire les sciences humaines et sociales dans leur ensemble. Cette fracture travaille toujours sourdement… nos représentations du champ, sa structuration ; même si beaucoup d’entre nous travaillons des deux côtés de la frontière, celle-ci n’en existe pas moins, orientant des projets individuels et collectifs. Pour ma part, par choix comme par hasard (et par contrainte, aussi, tant il est difficile de sortir de son champ de compétence), je me situe plutôt du côté « histoire sociale (en l’occurrence, plutôt politique) de la culture » mais je n’ai pas renoncé à braconner de l’autre côté, notamment dans mes travaux sur la censure – mais aussi, par exemple, lorsque je travaille « en amateur » sur des objets aussi différents que la beauté, l’espace, le voyage ou le fantastique. Il est clair à mes yeux qu’un objet social tel que les « philies », sur lequel Pascale, Julie et Fabien, rejoints par d’autres ami.e.s et collègues, ont lancé une recherche collective et prometteuse, constitue l’exemple même d’un thème transfrontalier, susceptible de rapprocher les deux « sensibilités » – sans jeu de mots. Il n’empêche que le clivage continue d’exister et d’opposer, trop souvent, les habitants de ces deux contrées, dont les frontières recoupent en partie la division XIXe / XXe siècles, sans parler – mais il faudrait en parler –, de la difficulté que nous avons à travailler avec nos collègues non contemporanéistes.

Et maintenant? Et plus tard? Une première remarque : l’idée semi-rassurante par laquelle je commençais ce billet – le temps des luttes est passé – est peut-être trompeuse. Certes, l’histoire culturelle me semble désormais pleinement reconnue, quoique concentrée dans quelques lieux du paysage universitaire ; mais, outre que la rivalité avec les autres spécialités perdure (moins en termes intellectuels qu’institutionnels), la discipline historique, les SHS dans leur ensemble sont aujourd’hui menacées par la fuite des étudiants, d’une part, par les évolutions politiques et académiques, d’autre part. Les humanités – nous en faisons, quoi qu’on en dise, partie, et nous partagerons leur sort – ne font plus recette, littéralement, c’est-à-dire qu’elles sont de moins en moins financées et de moins en moins attractives. L’avenir de l’histoire culturelle ne peut être pensé indépendamment de ce mouvement d’ensemble, qui ne touche pas que la France (voir, par exemple, ce qui se passe outre-Atlantique, aussi bien au Sud qu’au Nord) et qui me semble extrêmement préoccupant.

Deuxième remarque : il est difficile de raisonner abstraitement et globalement sur un courant de recherche dont on est soi-même partie prenante, qui plus est dans le cadre étroit d’une note. N’est pas Philippe Poirrier qui veut… Le cadre concret dans lequel chacun pratique à sa façon l’histoire culturelle influe forcément sur la vision générale qu’il peut en avoir. Pour moi, qui travaille non dans un département d’histoire mais de médiation culturelle, dans une UFR d’ « arts et médias », la question se pose différemment de quelqu’un qui côtoie quotidiennement d’autres historiens, prépare à l’agrégation, etc. Par exemple, la quasi-totalité des doctorants dont j’encadre le travail n’ont pas de formation d’historien ; et la plupart sont d’origine étrangère et ne travaillent pas sur la France. Par choix, hasard et contrainte, là encore, je développe une vision de l’histoire culturelle à la fois très interdisciplinaire (travaillant avec des historiens d’art, des sociologues, des anthropologues, des littéraires, des spécialistes de cultural studies) et très inter- ou transnationale (notamment dans le cadre du master de géopolitique de l’art et de la culture que j’ai co-fondé et que je co-dirige à la Sorbonne-Nouvelle). Un double handicap aux yeux soupçonneux (et bigleux) des gardiens des frontières, disciplinaires ou géographiques… C’est aussi une histoire du temps proche, voire du temps présent, qui, elle aussi, fait encore lever les sourcils de certains. Mais peu importe.

Au fond, ce qui m’a toujours plu avec l’histoire culturelle, ce qui ne m’a jamais fait regretter d’y être rentré, non pas comme on entre en religion, mais plutôt comme on entre chez soi, c’est l’esprit d’ouverture, pour parler comme une station de radio intello, qui la caractérise, la curiosité tous azimuts que j’y ai trouvée et que j’ai, à mon tour, cultivée et essayé de faire partager à ceux qui travaillent avec moi. Spécialité carrefour, disait, je crois, Jean-Yves Mollier, à la croisée en effet de mille intérêts et d’autant de mondes qu’il s’agit d’explorer, de rencontrer. Sachons préserver cela.

LM

« Qui vive? »

« Qui vive » était le nom d’une collection de littérature contemporaine dans laquelle je commis, naguère, sous pseudonyme, un roman qui n’était pas sans défauts ni sans mérites. C’est aussi une phrase, la dernière, prononcée par l’un des protagonistes du Rivage des Syrtes de Julien Gracq. Au lendemain du double événement politique qui ébranle les fondements de notre pays (une formation d’extrême-droite qui dépasse les 30% des suffrages à l’échelle nationale, l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République, avec la tenue de nouvelles élections législatives dans les prochaines semaines), j’ai eu envie de retrouver ces lignes lues il y a bien longtemps.

 » – (…) Mais ici! N’a-t-on vraiment rien pesé? rien calculé avant… ce risque?

– Rien, Aldo. On s’en est donné l’air. Ou bien on a calculé avec des données truquées, de faux chiffres. Qui ne trompaient personne, mais qui sauvaient la face. Parce que calculer vraiment aurait empêché de prendre le risque, et c’était le risque qui aspirait. Pas même le risque… ajouta-t-il d’une voix sans timbre… Peut-être y a-t-il des moments où on court à l’avenir comme à un incendie, en débandade. Des moments où il intoxique comme une drogue, où ne lui résiste plus qu’un corps débilité. (…)

…Ne regrette rien, dit-il en me serrant la main de nouveau avec une émotion brusque, je ne regrette rien moi-même. Il ne s’agit pas d’être jugé. Il ne s’agissait pas de bonne ou de mauvaise politique. Il s’agissait de répondre à une question – à une question intimidante – à une question que personne encore au monde n’a pu jamais laisser sans réponse, jusqu’à son dernier souffle.

– Laquelle?

– « Qui vive? » dit le vieillard en plongeant soudain dans les miens ses yeux fixes. »

Contrairement à ce qui en jeu dans le roman de Gracq, il n’est pas – pas encore – question de guerre dans le cas qui nous occupe, même si celle-ci bat à nos portes, en Ukraine, au Proche-Orient, ailleurs encore. Mais, déjà, d’une plongée assez terrifiante dans l’inconnu, loin des alternances rassurantes qui rythmaient jusque-là la vie politique française (même si l’on oublie facilement combien l’arrivée de la gauche au pouvoir, en 1981, a pu angoisser certains esprits ; un roman paru à l’époque, Parisgrad, imaginait déjà les Soviétiques régner en maîtres à Paris). La perspective de l’arrivée au pouvoir du Rassemblement national et de ses alliés n’est plus à écarter. De même que le rire mourut sur les lèvres de ceux qui se moquaient des ambitions présidentielles de Trump avant 2016, de même doit-on sérieusement envisager cette hypothèse qui paraissait folle voici vingt ans. De cette situation, sans doute Emmanuel Macron est-il en partie responsable, lui qui proclamait en 2017, au soir de sa première élection, qu’il s’engageait à ce que plus aucun Français n’ait de raison de voter pour l’extrême-droite. Il n’a pas su convaincre, il n’a pas su embarquer, associer, il est paru arrogant, insensible, déconnecté des aspirations et inquiétudes de son peuple. Et ils sont nombreux pour qui la décision de convoquer de nouvelles élections, dimanche, a paru le point d’orgue d’une politique de gribouille. Tel David Cameron se tirant une balle dans le pied en appelant les Britanniques à voter pour ou contre le maintien dans l’Union européenne en 2016 (année funeste, décidément), Emmanuel Macron passe pour un joueur de poker au comportement irresponsable.

Je ne suis pas d’accord.

Dans une démocratie, il n’est jamais irresponsable d’en appeler au peuple pour trancher une question qui divise la société. Si on écoutait tous ces bons esprits qui crient à l’irresponsabilité, il ne faudrait jamais consulter le peuple que si l’on est bien certain qu’il votera pour ce que l’on souhaite qu’il vote. Depuis que les Français ont collectivement décidé de donner une majorité relative au gouvernement, voici deux ans, ce pays n’avance plus, louvoie, tergiverse, procrastine. Il est temps de clarifier la situation. Si une majorité de Français veulent tenter l’aventure du RN, on ne peut indéfiniment le leur refuser, sauf à assumer une forme de monarchie censitaire, où seuls ceux qui ont des « capacités », comme on disait au XIXe siècle pour justifier de n’accorder le droit de vote qu’aux élites sociales, auraient le pouvoir de décider pour tous.

Mon raisonnement comporte évidemment ses failles. J’en vois principalement deux. La première est qu’il n’est pas du tout certain que de nouvelles élections apportent la clarification désirée. La France est profondément divisée en trois blocs, eux-mêmes fragmentés, entre lesquels il risque d’être aussi difficile demain qu’hier de trouver une majorité. On peut penser qu’il y aura plus de députés RN, moins de députés macronistes, et peut-être autant de de députés de gauche dans la nouvelle assemblée mais aucun des camps n’aura la majorité à lui tout seul ni la volonté de trouver des compromis avec les deux autres. Nous risquons de retrouver la même situation de blocage que celle que nous avons connue. Beau résultat.

Mais l’inverse – une majorité absolue pour le RN – serait tout autant sinon plus problématique. Certes, le gouvernement pourrait enfin gouverner mais pour quoi faire? La démocratie n’est pas seulement la loi de la majorité, c’est aussi le respect des minorités, parlementaires ou civiles. Or, même si le programme de l’extrême-droit entretient à dessein le flou sur beaucoup de sujets, ceux qui émergent de ce brouillard ont pour point commun l’intolérance à l’égard de tous ceux qui pensent et vivent différemment de la norme morale et sociale, des immigrés aux LGBTQ+, des écolos aux intellos, des socialistes aux syndicalistes… La démocratie pourrait bien avoir triomphé dans les urnes, elle se déshonorerait par une pratique du pouvoir violente, stigmatisante, excluante. Celle-là même, me direz-vous, qui caractérisait l’action des gouvernements d’Emmanuel Macron? Vous n’avez encore rien vu.

Vous aurez remarqué que j’exclus de l’horizon des possibles l’union de la gauche – ce fameux « Front populaire » appelé de leurs voeux par François Ruffin et d’autres responsables – et sa victoire lors de ces élections. Je suis peut-être trop vieux et pessimiste pour y croire encore, ou tout simplement lucide sur les faibles chances d’une entente entre des gens qui n’ont cessé de s’injurier ces derniers mois et qui apparaissent profondément divisés sur des points essentiels. Le réflexe de survie, le barrage à l’extrême-droite, les envolées du type « No Pasaran » peuvent-ils suffire à surmonter les divisions qui s’affichaient hier encore au grand jour? Je voudrais me tromper mais je ne le crois pas. D’autant que le RN ne fait plus peur à grand monde, en tout cas pas aux classes populaires qui votent pour lui massivement, désormais rejoints par des retraités, des classes moyennes etc., sans parler des jeunes. Tous veulent « essayer le RN ». Et peut-être, comme cela s’est beaucoup dit aujourd’hui, Macron fait-il lui aussi ce calcul : essayer le RN pendant les trois années qui viennent pour l’user à l’épreuve du pouvoir et éviter l’élection de Marine Le Pen comme présidente de la République en 2027. Calcul risqué, tant le RN peut faire illusion sur quelques années et abattre ses cartes une fois raflée la mise.

Mais on en revient toujours à la question « que personne au monde ne peut laisser sans réponse » : qui vive? Cette question interroge toutes celles et tous ceux – dont je suis – qui vivent depuis trop longtemps dans le confort de leurs certitudes, dans la douce quiétude de leur inaction publique. L’arrivée imminente de forces qui portent un programme de régression et d’exclusion appelle à un réveil individuel et collectif, nous oblige à quitter retraites et tours d’ivoire pour nous mêler au combat politique, d’une manière ou d’une autre. C’est aussi cela qu’espérait le vieillard du Rivage des Syrtes en favorisant le déclenchement d’une guerre : nous réveiller d’un long sommeil. Espérons que nous pourrons le faire par des moyens plus pacifiques.

Je ne voudrais pas conclure ce billet sans évoquer la figure d’un homme que j’admirais et qui vient de mourir. Je pensais initialement lui consacrer l’intégralité de ce billet et puis l’actualité politique en a décidé autrement. Cet homme, c’est Christophe Deloire, dont j’ai appris la mort ce week-end. Journaliste, Christophe Deloire avait dirigé le Centre de formation des journalistes et dirigeait l’organisation Reporters sans frontières depuis 2012. C’était une figure attachante, un esprit libre qui s’est beaucoup battu pour défendre sa conception d’une presse indépendante de tous les pouvoirs et venir en aide aux journalistes persécutés dans le monde parce qu’ils tentent d’exercer leur difficile métier d’informer. Il avait 53 ans. Il nous manquera, il manquera à tous ceux qui continueront ce combat sans lui.

Aventures spatiales

Bonjour,

un troisième article en moins d’un mois, qu’est-ce qui m’arrive?! Je n’avais pas habitué mes fidèles lecteurs et lectrices à ce rythme infernal. Il est probable qu’après un tel effort, j’entre sous peu dans une période de léthargie favorisée par la touffeur estivale…

Mais je ne voulais pas attendre plus longtemps avant d’annoncer la bonne nouvelle : le dernier numéro (n°57) de la revue Sociétés et Représentations vient de sortir! Son dossier, que j’ai co-dirigé avec mes collègues Elsa de Smet et surtout Laurence Guignard – que je remercie et salue – est consacré aux représentations de l’aventure spatiale à l’époque contemporaine. J’avais relayé ici même, en février 2022, un appel à communication qui a porté ses fruits puisque nous avons, à l’arrivée, pas moins de onze très bons articles qui déclinent ce thème à différentes époques et sous différents angles, sans compter d’autres textes hors dossier mais qui traitent également de cette question.

Screenshot

Voici le sommaire du numéro :

Page 9 à 17
L’aventure spatiale. Présentation
Laurent Martin, Laurence Guignard

Imaginaires et sensorialités de l’espace
Page 21 à 33
L’imaginaire olfactif de l’exploration spatiale
Savoirs, reconstructions et immersion
Érika Wicky

Page 35 à 55
Faire disparaître le bleu du ciel
Les images des missions analogues, entre science et fiction
Élise Parré

Page 57 à 76
De la TSF aux étoiles
La construction d’un imaginaire sonore de l’espace dans les années 1920-1940
Stéphane Le Gars

Page 77 à 96
L’« imaginaire spatial »
Constitution, essence et fonctions dans l’œuvre de Jean Perdrizet (1904-1975)
Jean-Gaël Barbara

Conquête spatiale et culture de masse
Page 99 à 118
L’omniprésence de l’espace dans les illustrés francophones au temps des premiers vols spatiaux
Catherine Radtka

Page 119 à 135
Imag(in)er la colonisation spatiale
Conceptions et évolutions de la couverture du roman de science-fiction depuis 1968
Guylaine Guéraud-Pinet, Benoît Lafon

Page 137 à 154
Mourir pour l’espace ?
Les astronautes crépusculaires du cinéma de science-fiction contemporain
Simon Bréan

Page 155 à 172
Une fusée en plastique
La pratique participative dans la culture populaire spatiale
Guillaume de Syon

Une question spatiale ? Enjeux et débats politiques
Page 175 à 201
Victor Coissac et Ary Sternfeld
Une science spatiale populaire dans la France de l’entre-deux-guerres
Matthias Cléry, Florian Mathieu

Page 203 à 215
Les juristes à la rencontre d’une vie intelligente extraterrestre
Composition d’une astroculture disciplinaire (années 1950 et 1960)
François Rulier

Page 217 à 234
Sous l’utopie, la critique
L’Association des astronautes autonomes ou la critique artiste contre l’exploitation de l’espace
Jérôme Lamy

Lieux et ressources
Page 237 à 245
Une visite à l’observatoire de Juvisy-sur-Orge
Évelyne Cohen

Page 247 à 249
Partager la passion de l’astronomie avec le plus grand nombre
Quelques questions à Sylvain Bouley, professeur de planétologie et sciences de la terre à l’université Paris Saclay, président de la Société astronomique de France (SAF)
Sylvain Bouley, Laurence Guignard, Julie Verlaine

Regards croisés
Page 253 à 263
Quand le cinéma recrée les manifestations de Mai 1968
Sébastien Le Pajolec

Trames
Page 267 à 287
« Cosmo-Rallye » et Jeu de l’oie spatial dans Les aventuriers du ciel, voyages extraordinaires d’un petit Parisien dans la stratosphère, la Lune et les planètes (1935-1937) de René-Marcel de Nizerolles
Fleur Hopkins-Loféron

Retours sur…
Page 291 à 307
À la croisée des épistémé : les peintures photographiques d’Hippolyte Guénaire
Charly Pellarin-Régis

Actualités
Page 311 à 332
Un siècle vexillaire : les trois âges du drapeau algérien
Salim Chena

Grand entretien
Page 335 à 346
Une entreprise de déconstruction des stéréotypes liés à la conquête spatiale
Entretien avec Gérard Azoulay, directeur de l’Observatoire de l’espace du CNES
Entretien avec Gérard Azoulay, Laurent Martin, Laurence Guignard

Et l’introduction, que Laurence Guignard et moi-même avons rédigée, afin de vous donner envie de découvrir ce numéro :

Je vous rappelle par ailleurs que vous pouvez lire (ou relire) ici l’article que j’avais consacré à Mars et qui devait initialement figurer dans ce numéro (c’est un post du 27 juillet 2023). Entretemps, la planète rouge a connu une belle actualité, tant scientifique qu’artistique, avec, entre autres, la découverte d’une couche de magma d’environ 150 kms d’épaisseur dans la partie inférieure du manteau qui entoure le noyau de la planète, la publication du dernier tome du cycle « On Mars » due à Sylvain Runberg et Grun chez Daniel Maghen et la sortie du film d’animation « Mars Express » (deux histoires de la colonisation humaine de Mars qui tourne au vinaigre, mais tant la bd que le film sont magnifiques), sans oublier la nouvelle saison de l’excellentissime série uchronique « For All Mankind », qui se passe en grande partie sur Mars… Ah, et j’oubliais l’expo de Cité des Sciences (que je suis bien sûr allé voir mais qui s’est révélée un tantinet décevante) et un livre, plus ancien, mais que j’ai lu récemment, de Frederic Pohl, « L’homme plus », où l’on s’aperçoit que les projets de terraformation de Mars ne sont pas incompatibles avec ceux du transhumanisme, pour le meilleur et surtout pour le pire…

Bref, l’aventure spatiale en général et Mars en particulier n’ont pas fini de faire rêver… ou cauchemarder. Moi, en tout cas, je ne m’en lasse pas.

LM

Sur la liberté d’expression en général, et sur le conflit israélo-palestinien en particulier

Hier, dimanche 12 mai, les fidèles des antennes de Radio France ont écouté de la musique en lieu et place de certains de leurs programmes habituels. Parmi ceux-ci, l’émission Le Grand Dimanche Soir de Charline Vanhoenacker, dans laquelle intervient habituellement l’humoriste Guillaume Meurice. Celui-ci est suspendu d’antenne depuis le 2 mai dernier et convoqué jeudi prochain pour un entretien « en vue d’une éventuelle sanction disciplinaire » pouvant aller jusqu’au « licenciement pour faute grave » à la suite de ses propos, réitérés, comparant le Premier ministre israélien Benyamin Netanayhou à « une sorte de nazi, mais sans prépuce ». Les syndicats de Radio France ont appelé à la grève pour protester contre « la répression de l’insolence et de l’humour » après la suspension de Guillaume Meurice (mais aussi contre la disparition programmée de certaines émissions à la rentrée) et réclament la « réaffirmation sans limites de la liberté d’expression » sur les antennes du service public.

Cette revendication est ambigüe. Les syndicats réclament-ils que soit défendu sans réserve par la direction de Radio France le principe fondamental de la liberté d’expression ou réclament-ils plutôt une liberté d’expression « sans limites »? Dans ce dernier cas, on ne pourra que leur faire remarquer que personne, dans aucun pays, ne jouit d’une totale liberté d’expression, a fortiori dans le cadre du service public de la radio française, qui a obligation de se conformer strictement aux lois et règlements en vigueur, lesquels encadrent la liberté d’expression. Radio France avait fait l’objet d’une première mise en garde par l’autorité de régulation, l’Arcom, après que Guillaume Meurice avait le 29 octobre 2023 fait cette comparaison à l’antenne, estimant que cette saillie avait « porté atteinte au bon exercice par Radio France de ses missions et à la relation de confiance qu’elle se doit d’entretenir avec l’ensemble de ses auditeurs ». La direction de Radio France avait, de son côté, donné un « avertissement » à l’humoriste, tout en considérant que « la valeur de la liberté d’expression (…) est bien plus importante qu’une phrase problématique d’un humoriste qui, fort heureusement, est une exception ». En réitérant ses propos au cours de l’émission « Le Grand Dimanche soir » du 28 avril, celui-ci exposait son employeur et lui-même à une sanction plus grave.

Mais quelle limite l’humoriste a-t-il ici transgressée? Celle de la loi? Non, puisque la plainte qui le visait pour « provocation à la violence et à la haine antisémite » et « injures publiques à caractère antisémite » a été classée sans suite le 18 avril dernier, le parquet de Nanterre estimant ces infractions « non caractérisées ». Ce qu’on lui reproche est donc plutôt d’avoir fait preuve de mauvais goût, d’insolence et d’imprudence, dans un contexte tendu où le conflit israélo-palestinien s’invite dans le débat public français. La direction a peut-être le droit de le sanctionner pour cela (les prudhommes en décideront si la sanction va jusqu’au licenciement, qui plus est d’un délégué syndical puisque Guillaume Meurice bénéficie du statut de salarié protégé après s’être présenté sur la liste SUD aux dernières élections professionnelles des représentants du personnel), ses collègues ont certainement celui de protester contre cette sanction.

Ce cas individuel est symptomatique d’un climat détestable qui s’est installé en France depuis le massacre perpétré par le Hamas contre des centaines de civils juifs le 7 octobre dernier et la réaction de l’Etat israélien qui a déjà causé des dizaines de milliers de morts parmi les civils palestiniens. Des élus de la France insoumise ont été convoqués devant la police judiciaire pour s’expliquer sur leur refus de qualifier de « terroriste » l’attaque du Hamas ou pour avoir qualifié celui-ci de « mouvement de résistance », le leader de ce parti s’est vu interdire de s’exprimer dans des enceintes universitaires (à Bordeaux en octobre, à Rennes et Lille en avril) et devra répondre devant la justice d’une autre comparaison douteuse, cette fois entre le président de l’université de Lille et le criminel de guerre Eichmann. Dans le même temps, l’antisémitisme se donne libre cours sur les réseaux sociaux, sous couvert d’antisionisme. Le slogan « « From the river to the sea, Palestine will be free », qui semble nier l’existence même d’Israël, fleurit dans les manifestations – quand elles ne sont pas tout bonnement interdites, pour risque de « trouble à l’ordre public ». Des personnalités du monde culturel ou sportif, ou de simple quidams, sont poursuivis pour « apologie du terrorisme ».

Peut-on qualifier publiquement les événements du 7 octobre en Israël d’actes de résistance et non de terrorisme sans encourir une condamnation devant un tribunal français ? Selon le ministère de la justice, cité par le journal Le Monde, 626 procédures ont été lancées à la date du 30 janvier 2024, dont 278 à la suite de saisines du pôle national de lutte contre la haine en ligne. Des poursuites ont été engagées à l’encontre de 80 personnes. Ces chiffres ne recouvrent pas le seul chef d’« apologie du terrorisme », mais aussi ceux de « provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence en raison de l’origine ou de l’appartenance ou de la non-appartenance à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée ». Dans la plupart des cas, les mis en cause sont convoqués pour une audition par la police mais celle-ci ne débouche sur rien, ils ne savent pas s’ils sont poursuivis ou si l’affaire est classée sans suite, une indécision et une attente qui peuvent s’interpréter à loisir ou bien comme l’expression d’un embarras de la part de l’autorité judiciaire, débordée par le nombre de cas à traiter et le flou qui entoure la qualification juridique de la faute commise, ou bien comme une forme d’intimidation incitant à l’autocensure.

Guillaume Meurice s’est réclamé de l’esprit de Charlie pour justifier son goût pour la provocation et l’humour noir ; le dessinateur Riss, survivant de l’attentat qui décima la rédaction de Charlie Hebdo en 2015, lui a répondu que « l’esprit Charlie, ce n’est pas une poubelle qu’on sort du placard quand ça vous arrange, pour y jeter ses propres cochonneries ». Mais on peut aussi citer l’avocat de Charlie, Richard Malka, pour qui « les prises de position, aussi choquantes soient-elles, n’ont rien à faire devant des tribunaux, sauf lorsqu’il s’agit d’appels à la haine des juifs ou à des violences ». Pour lui, « le débat d’idées doit être politique, philosophique, éthique mais pas judiciaire ». Pas sûr qu’en faisant taire Meurice, on fasse avancer le débat d’idées.

Diplomaties culturelles

Bonjour,

J’ai le plaisir de signaler la parution d’un ouvrage que j’ai co-dirigé aux éditions de l’Attribut, à Toulouse. Intitulé histoire(s) de la diplomatie culturelle française, du rayonnement à l’influence, il regroupe une trentaine d’articles sur ce sujet à la fois passionnant et peu traité.

La couverture, d’une grande sobriété confinant à l’austérité, dit bien la nature universitaire de l’ouvrage, issu d’un colloque que j’avais co-organisé à la MSH Paris Nord avec ma collègue Charlotte Faucher voici deux ans presque jour pour jour. Quelle meilleure façon de fêter cet anniversaire que d’en publier les actes, précédés d’une préface signée par Pierre Buhler, ex-ambassadeur de France et ex-directeur de l’Institut français, et d’une introduction à laquelle ont collaboré les quatre directeurs de l’ouvrage, François Chaubet, Charlotte Faucher, Nicolas Peyre et votre serviteur? Distribués en quatre parties (« Structures et acteurs de la diplomatie culturelle française », « Secteurs de l’action culturelle internationale », « Francophonie, diplomatie scolaire et universitaire », « La diplomatie culturelle française dans le monde »), les articles traitent aussi bien d’organismes tels que l’Association française d’expansion et d’échanges artistiques (AFAA), l’ancêtre direct de l’actuel Institut français ou que l’Alliance française, que des musées, du cinéma ou du livre français à l’étranger, des écoles et des centres de recherche français à l’étranger que de la diplomatie culturelle française aux Emirats ou de la coopération franco-allemande en Russie, entre autres nombreux thèmes abordés sans ambition d’exhaustivité.

Ces articles sont suivis de la transcription de deux tables rondes que nous avions organisées durant le colloque, l’une sur les autres modèles nationaux de diplomatie culturelle, l’autre sur l’avenir de la diplomatie culturelle française, des tables ronde animées par des professionnels de la diplomatie. La co-présence, lors du colloque comme dans les pages du livre, de spécialistes universitaires et de professionnels de la diplomatie, mais aussi le financement du colloque par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (qui a aussi soutenu la publication du livre, et je l’en remercie vivement), que d’aucuns pourraient juger suspecte, témoigne plutôt à mes yeux de la qualité de la relation que nous avons su tisser entre ces deux univers. Les décisions du comité scientifique, qui avait présidé à l’élaboration du colloque, comme celles du comité éditorial, pour le livre, n’ont jamais fait l’objet de la moindre pression de la part de nos interlocuteurs du Quai, lesquels ont toujours respecté l’autonomie du volet scientifique de ce qui était alors conçu comme la célébration du centenaire de la création de l’AFAA. Pour ceux qui en douteraient, je les invite à comparer le ton et le contenu de l’ouvrage qui résulte du colloque avec ceux d’un autre ouvrage, paru tout récemment, sur le même sujet, aux éditions Perrin, avec l’imprimatur du ministère. Intitulé L’image de la puissance, la diplomatie culturelle de la France au XXe siècle et rédigé par Guillaume Frantzwa, il présente une vision assez différente de cette action.

Celles et ceux qui s’intéressent à l’action culturelle de la France à l’étranger auront profit à lire ces deux ouvrages qui, dans des genres différents, apportent leur lot d’informations, souvent inédites, sur ce sujet. A l’heure où les tensions s’aggravent dans le monde, où la logique des blocs semble s’imposer y compris aux acteurs qui voudraient s’y dérober, la connaissance de cette action multiforme pourrait se révéler une source d’inspiration et, qui sait, de réconfort.

LM

Un vieux coq au pays des kiwis

En cette semaine de « vacances » consacrée, comme il se doit, au travail en retard, il me vient la nostalgie des Antipodes, le souvenir ému d’un voyage effectué il y a quelques mois en Australie et en Nouvelle-Zélande dont j’avais tiré un texte jamais publié. Avant qu’il ne se défraîchisse à l’excès, j’ai décidé de le publier ici, comme un écho personnel aux deux conférences sur la littérature de voyage que j’ai récemment données à la Sorbonne-Nouvelle et à la dernière séance du cours de licence « Voyages et voyageurs » la semaine prochaine. J’espère qu’il vous donnera envie de découvrir ces îles lointaines, synonymes pour moi d’une parenthèse enchantée.

Pourquoi suis-je allé là-bas? Une réponse possible est que Wellington est la capitale la plus éloignée de Paris dans le monde (19 000 kilomètres et des poussières) et que j’avais besoin de mettre le maximum de distance entre mon décor quotidien et moi. Une autre réponse, pas incompatible avec la première, est que je suis un fan de rugby et de Tolkien (eux aussi ne sont pas incompatibles, quand on y réfléchit bien) et que ce pays dispose de ce qui se fait de mieux en ces deux matières. Une troisième réponse, et je m’arrêterai là, est que la Nouvelle-Zélande est le plus beau pays du monde. C’est en tout cas ce que prétendent ses habitants et je ne suis pas loin de penser comme eux.


Initialement, le Pays du long nuage blanc (la traduction française du nom maori, Aoteraroa) devait n’être qu’une étape dans un tour du monde post-covid que je pensais effectuer sur huit à dix mois. Et puis les difficultés financières, les obstacles professionnels et les réticences de mon entourage ont eu raison de mon beau projet. Il faut dire qu’à 55 ans, on s’arrache plus difficilement au réel qu’à 20. Ce ne sont plus des liens qu’il faut dénouer, ce sont des chaînes qu’il faut briser et la force, ou le cœur, manque, parfois. J’obtins la permission de m’évader deux mois. Restait à trouver la destination. Une fois écartés les pays où j’étais déjà passé et ceux qui m’attiraient moyennement en raison de leur ambiance policière voire carrément militaire, l’Australie et la Nouvelle-Zélande s’imposèrent aisément. Parce que c’est loin, je l’ai dit. Parce qu’à force d’en entendre parler, j’avais envie d’y aller voir de plus près. Parce que, aussi, je voulais étrenner mon permis de conduire tout neuf sur des routes de rêve, et ces pays n’en manquent pas. Je veux parler du permis moto (je conduis des voitures depuis plus de trente ans), un rêve de jeune homme accompli sur le tard, lui aussi. L’idée était donc d’aller là-bas en avion (avec tous les remords écologiques d’usage) et, une fois sur place, de sillonner les routes sur une bécane de location.


Je passai trois semaines en Australie, dans l’État de Victoria (au sud de l’île-continent), me faisant les roues sur la splendide Great Ocean Road, de Melbourne à Adelaïde. Ruban d’asphalte le long des immenses plages de sable blond, balades au pied des Douze Apôtres, ces grands pitons rocheux isolés de la falaise par l’océan rongeur, découverte des déserts du nord sur la route du retour vers Melbourne, longues, très longues routes traçant droit à travers le bush, cette première étape fut un hors-d’oeuvre très plaisant avant le plat principal. Plusieurs Australiens, rencontrés en chemin et que j’avais mis au courant de mon projet, me dirent que j’avais bien fait de commencer par l’Australie avant d’aller en Nouvelle-Zélande : « It’s so much nicer over there! ». Pas chauvins, ces Australiens. Il faut dire que la Nouvelle-Zélande est, avec l’Indonésie, leur lieu de vacances favori, à un peu plus de 4000 kilomètres et 3 heures de vol (depuis Sidney) vers l’est, un saut de puce pour ces gens isolés au milieu de deux océans, Indien et Pacifique. Les deux pays sont d’anciennes colonies de peuplement britanniques mais cette proximité toute relative, géographique et civilisationnelle, n’empêche pas (elle l’encouragerait même) un sentiment de rivalité sur bien des plans – le rugby, entre autres.


C’est donc avec de bons souvenirs d’Australie mais aussi le sentiment que le meilleur était encore à venir que je montai à Melbourne dans un avion de la compagnie Air New Zealand à destination d’Auckland, avion dont les couleurs blanche et noire, la fougère et le motif maori décorant l’empennage me mettaient déjà dans l’ambiance. Le formulaire que l’on nous distribua dans l’avion une heure avant l’atterrissage aurait dû me mettre la puce à l’oreille : à côté de questions du type « êtes-vous un ancien détenu? » ou « détenez-vous des armes? » qui me rappelèrent les questions stupides des douanes US (« Venez-vous aux États-Unis avec l’intention de commettre un attentat? »), d’autres portaient sur les pays visités dans les trente derniers jours et sur ce que l’on y avait fait : camping, sports de plein air, etc. Je remplis consciencieusement toutes les cases et, une fois à l’aéroport, tendis mon formulaire à un officier à la mine sévère qui me fit signe de prendre la file de gauche. Celle des suspects. Il me demanda d’abord si j’avais de la nourriture dans mes sacs – j’en avais, achetée la veille sur le marché de Queen Victoria Market : des fruits et de quoi me faire des sandwiches pour deux jours. Tout alla à la poubelle et j’eus droit aux remontrances du pandore qui, décidément ne rigolait pas. Il examina aussi avec soin mes chaussures (elles étaient propres, heureusement, j’avais eu le temps de les dépoussiérer dans les rues de Melbourne) et s’empara de mon gros sac à dos (je voyageais avec deux sacs, que j’avais surnommés Laurel et Hardy, le gros derrière, le petit devant) qui contenait ma tente, mon sac de couchage, mes vêtements. Il revint un quart d’heure plus tard avec, à la main, un petit tube de verre, qu’il m’agita sous le nez, à la fois triomphant et menaçant : « You see? You see? That’s why we don’t trust you! ». Dans la fiole, secouée en tous sens, une minuscule araignée, qui avait fait le voyage d’Australie en Nouvelle-Zélande dans les plis de ma tente. Une passagère clandestine dont les aventures s’arrêtaient malheureusement là.


Mais il me faut être complètement honnête avec cet officier à la moustache agressive : d’abord, un sourire avait étiré ma joue quand il m’avait demandé de lui montrer le dessous de mes chaussures, ce qui avait pu passer pour une forme d’insolence voire de moquerie malvenues (so french) ; ensuite, il ne me fit pas payer les 400 dollars (néo-zélandais : environ 225 euros) que la présence d’aliments prohibés et d’arachnides de contrebande aurait pu me valoir ; enfin, il ne faisait qu’appliquer la loi néo-zélandaise, très stricte, sur la bio-sécurité. Ce pays est obsédé par les « espèces invasives » qui menacent sa faune et sa flore endémiques. Tout ce qui vient de l’extérieur est a priori suspect. Durant tout mon séjour, je remarquerais des panneaux qui, en pleine nature, rappelleraient la guerre menée par les autorités contre les rats et les opossums qu’elles espèrent éradiquer d’ici 2050. Évidemment, ces animaux furent apportés en premier lieu par les voyageurs et les colons qui s’installèrent ici, Occidentaux dont les descendants s’efforcent aujourd’hui de corriger les fautes (sans toutefois tuer tous les moutons qu’ils apportèrent également avec eux et qui sont aujourd’hui plus nombreux que les hommes) ; et peut-être les Maoris auraient-ils inclus ces mêmes Occidentaux (et leurs moutons) parmi les « espèces invasives » menaçant leur île. C’est avec ces pensées quelque peu inconvenantes en tête que je récupérai mes affaires, remerciai (sincèrement) l’officier pour sa clémence et gagnai la sortie de l’aéroport. Welcome in New Zealand!


Je n’avais pas l’intention de m’attarder plus que nécessaire à Auckland. Je n’étais pas venu pour les villes mais pour la nature et mon temps sur place – un mois – me suffirait à peine pour faire le tour des deux îles, celle du Nord et celle du Sud, qui composent ce pays tout en longueur. Deux événements, toutefois, m’obligèrent à changer un peu mes plans ; l’un heureux, l’autre malheureux. L’événement malheureux fut le cyclone tropical qui avait frappé la Nouvelle-Zélande quinze jours avant mon arrivée. Gabrielle avait ravagé tout le nord et l’est de l’île du Nord, la Bay of Islands au nord d’Auckland, la péninsule de Coromandel et la région de Hawke’s Bay à l’est. Des arbres déracinés par milliers, des maisons et des voitures emportées, plusieurs morts, le pays n’avait rien connu d’aussi tragique depuis le tremblement de terre qui avait secoué et en partie démoli Christchurch en 2011. La conséquence pour moi était que ces régions magnifiques étaient, pour quelques semaines encore, inaccessibles, les routes étant coupées et les campings fermés. Je devais redessiner mon itinéraire. L’autre événement qui me retint à Auckland fut beaucoup plus heureux. J’étais arrivé, sans le faire exprès, la veille du grand festival Te Matatini Herenga Waka Herenga Tangata (les Maoris ne regardent pas à la dépense quand il s’agit de lettres) qui rassemble tous les deux ans dans une ville de Nouvelle-Zélande des troupes de danses et de chants traditionnels pour trois jours de compétition et de festivités. La chance voulut que ce fût à Auckland et au moment où j’y étais. Je ne pouvais évidemment pas passer à côté! Les affiches annonçant l’événement étaient partout dans la ville. Je m’empressai d’acheter mon billet en ligne et, le lendemain de mon arrivée à Auckland, plongeai dans l’univers Maori, les yeux et les oreilles grand ouverts.


Le festival avait lieu au mythique Eden Park, le « temple du rugby néo-zélandais », comme ne manquent jamais de le dire les commentateurs sportifs français (et ils ont raison, on ressent en y entrant un frisson qui tient du sacré). Qui dit temple dit dieu, et le dieu là-bas s’appelle Dave Gallaher, premier grand capitaine de l’équipe des All Blacks, qui mena la première tournée internationale de cette équipe en 1905-1906 pendant laquelle elle ne perdit qu’un seul des trente-cinq matchs qu’elle disputa (contre le Pays de Galles). Il revint en Europe en 1917 pour y mourir, à l’âge de 44 ans, lors de la bataille de Passchendaele, en Belgique. Les joueurs de l’équipe des Blacks en tournée européenne ont coutume de venir se recueillir devant le mémorial qui lui est dédié dans la commune de Le Quesnoy (Nord). Une statue en bronze, un peu plus grande que nature, lui a été élevée au pied de l’Eden Park. On se dit en la regardant que les joueurs du début du XXe siècle étaient des gringalets à côté de ceux du XXIe. Une autre statue, à quelques dizaines de mètres de là, est consacrée à un autre dieu, Tumatauenga, la déité maorie de la guerre. Elle n’est pas sans lien avec la première : toutes les enceintes dans lesquelles des matchs sont disputés (en particulier de rugby, mais pas seulement) sont nommées Te Marae Atea a Tumatauenga, « le champ de bataille de Tumatauenga ». On comprend un peu mieux la férocité de l’engagement des joueurs qui portent sur leur maillot le deuil de leurs adversaires…


L’esprit de compétition, je le retrouvai en pénétrant dans le temple, pardon, le stade, au centre duquel avait été montée une grande scène en forme de wharenui (maison commune). Des troupes de vingt à trente danseurs et chanteurs s’y succédaient dans l’espoir d’être élues par un jury meilleure troupe de Nouvelle-Zélande. Les chorégraphies étaient impressionnantes, chaque mouvement millimétré, chaque chant parfaitement exécuté ; j’aurais personnellement eu beaucoup de mal à préférer l’une ou l’autre des formations que j’eus le temps de voir en restant deux bonnes heures dans les gradins. Le clou de chaque « numéro » était bien sûr le haka, cette danse chantée popularisée dans le monde entier par la démonstration qu’exécute l’équipe des All Blacks avant chacun de ses matchs. Une dame assise à côté de moi, qui portait sur son visage un tatouage traditionnel, m’expliqua gentiment que cette danse, aussi sauvage qu’elle parût (grimaces horribles, langue pendante, yeux exorbités, etc.) était en réalité pacifique, puisqu’elle avait pour but d’impressionner l’adversaire dans une confrontation entre tribus et ainsi de le dissuader d’aller jusqu’à l’affrontement. En voyant les gestes sans équivoque de ces guerriers (hommes et femmes mêlés) passant leur pouce sous leur gorge en roulant des yeux, je doutai un peu du caractère pacifique de la chose mais acquiesçai poliment. La bonne dame, qui décelait en moi un sympathisant de la culture Maori (en quoi elle ne se trompait pas), m’expliqua aussi d’autres paroles et gestes dont je ne comprenais pas le sens. Ainsi les mains qui ondulent symbolisent-elles les forces de la vie, l’énergie vitale à laquelle chaque danseur et chanteur sert de relais, et, aussi bien, les spectateurs qui accompagnaient parfois les troupes en chantant et en bougeant en cadence.


Après avoir dûment remercié mon initiatrice, je m’en allai déambuler dans la partie commerciale du festival, à l’extérieur du stade, où l’on pouvait acheter des vêtements, goûter au hangi, le plat traditionnel maori (viande et légumes en principe cuits sur des pierres posées au fond d’un trou creusé dans la terre, ici plus banalement préparés sur des barbecues), s’inscrire dans des associations, se faire tatouer. « Blancs » et Maoris se côtoyaient sans se heurter (il y avait aussi des personnes aux traits asiatiques ou indiens) ; la « fierté Maori » ne se vivait pas sous la forme du rejet de l’autre mais dans l’accueil et le partage. Bien entendu, il ne faut pas être dupe de cette harmonie, en partie fabriquée pour l’occasion. Les deux communautés gardent en mémoire les guerres coloniales et le racisme existe en Nouvelle-Zélande comme partout ailleurs, avivé par d’importantes disparités socio-économiques. Mais la position occupée par les Maoris au sein de la société néo-zélandaise n’a rien à voir avec celle des Aborigènes en Australie. Ceux-ci ont été soumis, spoliés, massacrés, relégués ; ceux-là ont opposé une résistance farouche à l’envahisseur et préservent une identité distincte en dépit de l’appropriation culturelle dont elle fait l’objet de la part des descendants de colons – la récupération du haka par un sport d’origine britannique en étant le meilleur mais non le seul exemple.


Je repartis du parc de l’Eden avec quelques babioles, l’adresse d’un bon tatoueur et l’envie d’en savoir plus sur ce pays et ses habitants. Le temps d’acheter une carte routière, de faire le plein de la moto (une Honda 500, à peu de choses près le même modèle que celle que je venais d’acquérir en France) et de répartir dans ses mallettes le chargement de Laurel et de Hardy, j’étais sur la route, direction Matamata, à 140 kilomètres au sud d’Auckland. Pourquoi cette petite ville? Parce qu’elle est la plus proche de Hobbiton, le village des Hobbits, ce peuple petit par la taille mais grand par la bravoure dont quelques citoyens ont assuré la renommée dans le livre de John R. Tolkien, Le Seigneur des Anneaux, adapté au cinéma par Peter Jackson. Le décor construit par ce dernier sur les terres d’un éleveur de moutons est toujours debout et se visite, en groupe, à heure fixe, pour une somme assez rondelette. Qu’importe! La magie opère, pour les fans du moins – ça tombe bien, j’en suis un.

Les chemins creux sinuent entre les haies et les « trous » – les maisons des Hobbits –, creusés dans la colline, aux portes et volets ronds, peints de couleurs vives ; ils grimpent jusqu’à Cul-de-Sac, la maison de Bilbon, surplombée d’un arbre gigantesque, le seul qui ne soit pas naturel. Du linge pend sur les cordes à sécher, des pots de miel et de confiture sont posés sur les tables (factices, les touristes ayant une fâcheuse tendance à tenter de les voler), il y a des étangs et des arbres fruitiers, une grande pelouse où l’on se remémore la fête d’anniversaire de Bilbon, un moulin, un pont de pierre et, au-delà, l’auberge du Dragon Vert où l’on peut boire une chope de bière ou de cidre (comprise dans le prix de la visite). Au retour, on sifflote un air de la musique composée par Howard Shore, on se promet de revoir tous les films (oui, même ceux de la deuxième trilogie, pourtant pas fameux à mon humble avis), de relire tous les livres (pour la dixième fois). Le passage par la boutique de souvenirs fait office de sas avec la réalité ; on y achète des stickers, des napperons pour le thé (on ne boit pas de thé, ça ne fait rien), un carnet, des stylos, un porte-clef… le tout aux couleurs de la Comté, du Gondor ou du Rohan. J’aurais pu aussi acquérir une épée et un bouclier, des boîtes de jeu et des packs de bière, le chapeau pointu de Gandalf et même des oreilles d’elfe (en silicone) mais je manquais de place dans les mallettes de la moto. En repartant de la boutique, plus léger de quelques billets mais riche de souvenirs made in China, je me disais, comme Tintin sortant de l’échoppe de Oliveira, dans Les Cigares du Pharaon, les bras chargés d’une paire de skis, d’une cage à oiseaux et d’un club de golf : « Heureusement que je ne me suis pas laissé prendre à son boniment! ».

Le plus bluffant, peut-être, de cette visite au pays des Hobbits est le décor naturel qu’offre ce coin de la Nouvelle-Zélande. Ce sont partout des collines rondes et douces, de grasses prairies où paissent vaches et moutons, des arbres aux splendides ramures. Pas étonnant que Peter Jackson ait insisté auprès des producteurs américains étatsuniens pour qu’ils acceptent de le laisser tourner son adaptation de l’oeuvre de Tolkien dans son pays, la Nouvelle-Zélande, où tout évoque les paysages décrits par l’auteur anglais ; et pas seulement ceux de la Comté mais aussi ceux des divers royaumes qui se partagent la Terre du Milieu, jusqu’au terrible Mordor que je retrouvais sur les sites géothermiques de Whakarewarewa ou d’Orakei Korako, avec leurs fumeroles s’élevant d’eaux soufrées, leurs arbustes gris tordus par la chaleur, leur ciel plombé. De sorte qu’un étrange sentiment d’irréalité finit par s’immiscer dans l’esprit du fan de Tolkien/Jackson qui voyage en Nouvelle-Zélande, lequel finit par se demander si ce qu’il voit ne serait pas un gigantesque décor de cinéma. De même qu’il existe un syndrome de Paris, de Florence ou de Jérusalem qui frappe certains voyageurs qui se rendent pour la première fois dans ces villes porteuses d’un imaginaire puissant, de même il y a un syndrome de Hobbiton qui peut menacer la santé mentale du visiteur non averti.


Je tentai de m’en délivrer en me plongeant de plus belle dans la culture Maori (j’appris même les bases du haka, cela ne me sert pas dans la vie de tous les jours mais je pourrai toujours essayer d’impressionner mon contrôleur fiscal), en plantant ma tente dans les endroits les plus improbables, en lisant les récits de voyage de Russell Banks (rassemblés dans le recueil Voyager, je recommande), en roulant, beaucoup, savourant la liberté et la solitude choisie de cette parenthèse enchantée. Le 1er mars, j’étais à Wellington. Le 3, j’embarquai sur un ferry en direction de Picton, porte de l’île du Sud, Te Wai Pounamou.

Sur le bateau, je fis quelques rencontres intéressantes. Un Anglais installé en Nouvelle-Zélande depuis vingt ans et qui ne la quitterait pour rien au monde ; un jeune Étatsunien d’origine indienne (ses parents venaient de Pondichéry), qui en faisait le tour en utilisant les transports en commun, le stop et ses pieds ; une Allemande, la trentaine, venue en Nouvelle-Zélande il y a huit ans et qui n’avait elle non plus aucune envie de repartir ; un couple de jeunes Français, qui sillonnaient le pays au volant d’un van d’occasion acheté à Auckland, s’arrêtaient quelques semaines à un endroit pour travailler, repartaient plus loin. J’en croiserai un certain nombre au cours de mon voyage, de ces Français fascinés par ce pays étrange et beau, qui y passent une année avec un permis Vacances/Travail (PVT), louent leurs bras dans des fermes, des bars, des campings et baguenaudent ici et là. En interrogeant ces expatriés de plus ou moins fraîche date – les Français, l’Anglais, l’Allemande, l’Indo-Américain – sur les raisons de leur présence ici, si loin de leur terre d’origine, je m’interrogeais moi-même : pourquoi venir ici? Qu’est-ce qui nous attirait, nous retenait, nous faisait oublier le pays d’où l’on venait aussi sûrement que le lotos consommé par les compagnons d’Ulysse dans L’Odyssée? Les uns me parlèrent de la gentillesse et de la simplicité des habitants, les autres des opportunités d’emploi, ou de l’optimisme qui régnait ici, ou encore des charmes de l’insularité ; tous me vantèrent la beauté des paysages, la vie grandeur nature que l’on pouvait mener dans ce pays neuf, loin des ciels enfumés par l’industrie. L’Allemande, à qui j’avouai mon attrait pour la culture Maori et mon projet de me faire tatouer avant mon départ renifla, un peu méprisante soudain : « Oh! You’re that kind of tourist… ». – Yes, I was.


La soirée était déjà bien avancée lorsque nous arrivâmes à Picton. Je saluai tous mes compagnons de croisière, avec qui j’avais passé quelques bonnes heures de ma vie, et débarquai vivement, prenant la route de la côte en direction de la baie de Tasman (j’eus, en débarquant, une pensée pour le motard turc avec qui j’avais sympathisé sur le ferry qui nous emmenait de Bari à Patras, l’année précédente, je me souvenais combien je l’avais envié, au matin, de pouvoir partir à l’aventure au guidon de sa belle, et c’était moi, maintenant, qui m’en allais ainsi, libre et beau). J’avais l’intention de rallier Nelson et d’y trouver un camping mais la nuit me rattrapa à une vingtaine de kilomètres de Picton et je décidai de planter la tente dans une bourgade dont je n’ai pas retenu le nom, au plus près du rivage. Trop exposé à la vue des habitants et des voitures de passage, je passai une nuit difficile, me demandant si je n’allais pas me faire réveiller et expulser par un ranger irascible. Il n’en fut rien et, dans ce pays où l’on trouve partout des panneaux indiquant qu’il est interdit de camper, je ne fus jamais délogé ni dérangé. Il se peut qu’on ne m’ait jamais vu, car je cultive ordinairement la discrétion ; je crois plutôt qu’une forme de tolérance existe, comme dans beaucoup de pays, pour celui ou celle qui se contente de bivouaquer, s’installe le soir venu et décampe de bon matin. Je veille aussi à laisser l’emplacement aussi propre voire plus propre qu’à mon arrivée, ramassant les canettes, plastiques ou papiers gras que je peux y trouver pour les jeter dans la première poubelle sur ma route. Éthique minimale du routard bien élevé.


Quelque peu ensommeillé par ma nuit inquiète, je repris la route dès potron-minet, traversai Nelson sans m’y arrêter et gagnai la côte du parc national de Tasman, au nord-ouest de l’île du Sud. Des écharpes de brume flottaient sur les prairies luisantes de rosée ; la côte, très échancrée dans cette région des Malborough Sounds, alterne caps et baies sous un « soleil mouillé, dans un ciel brouillé », des vers de Baudelaire me montaient aux lèvres, je ressentais comme une légère ivresse devant tant de beauté offerte et m’arrêtai souvent pour prendre des photos. Lorsque j’atteignis Marahau, il était près de midi. J’avais initialement eu l’intention de planter ma tente dans l’un des campings du DOC (Department of Conservation) qui s’égrènent le long de la côte mais la vue de tous les touristes qui s’y pressaient déjà me découragea. Non que je me prenne pour quelqu’un d’autre qu’un touriste mais je suis d’une espèce un peu sauvage, pas grégaire pour un sou, et qui n’aime rien tant que sa tranquillité. Je reportai au soir le moment de trouver un endroit discret où planter ma tente, fis un bout de chemin sur le sentier côtier – de toute beauté – et allai me baigner dans la baie de Towers, fameuse pour sa plage de sable cendré et son curieux rocher en forme de pomme ouverte. L’eau était aussi bleue que le ciel, tiède comme une caresse, je pus enfin utiliser le masque et le tuba que j’avais apportés de France et me prélassai là un moment, rattrapant une partie du sommeil en retard, en me disant que j’avais beaucoup de chance. En fin d’après-midi, le vent se leva, je fis de même et retrouvai la moto où je l’avais laissée. Enhardi par le climat de confiance qui me semblait régner dans ces îles, je ne prenais même plus la peine de barrer la roue du U qui m’avait été fourni en même temps que la moto. Le vol doit pourtant exister dans ce pays, les agressions aussi. Mais je ne m’y suis jamais senti en insécurité. C’est l’une des raisons pour laquelle ce pays attire autant. On peut y vivre l’aventure sans ses désagréments. Du moins certains d’entre eux.

Je passai la fin de l’après-midi à rechercher l’emplacement idéal pour un campement éphémère et gratuit, crus le trouver au bord de la grève que la marée avait découverte, y renonçai devant le vent qui forcissait, me réfugiai près des vestiaires d’un terrain de cricket, qui présentaient le double davantage d’offrir un abri contre le vent et des toilettes accessibles. Après une meilleure nuit que la précédente, je repartis en direction du sud, talonné par les nuages qui arrivaient du nord-ouest. Ils me rattrapèrent alors que je parvenais aux environs du lac de Rotoroa, dans les montagnes du parc national des Nelson Lakes. La pluie ne tarda pas à tomber, dense, écrasante, formant un rideau liquide et aveuglant à travers lequel il devenait dangereux d’avancer. Le charme de la conduite en moto s’évanouit d’un coup et je me mis à envier ceux qui avaient eu la bonne idée de louer un van pour visiter ce pays au sec. Plus question de camper sous ces trombes d’eau, je m’arrêtai dans un hôtel où j’acquittai avec un pincement au cœur une somme qui équivalait à une semaine de mon budget ordinaire. Du moins avais-je un radiateur près duquel faire sécher chaussures et vêtements, un toit solide au-dessus de ma tête et des draps agréables entre lesquels me glisser. La pluie allait souvent contrarier mes plans sur la partie ouest de l’île du Sud, très exposée aux vents venant de la mer de Tasman tandis que l’est en est protégé par la dorsale montagneuse qui court sur plus de 500 kilomètres. Bizarrement – aux yeux et oreilles d’un Français – cette chaîne de montagnes est appelée ici « Alpes du Sud » (mon hôtel pour rupins s’appelait d’ailleurs Alpine Lodge). Le relief n’est pas sans rappeler, en effet, les Alpes européennes, avec pas moins de dix-huit sommets dépassant les 3000 mètres. On y trouve des lacs par dizaines, des sentiers de randonnée par milliers, des glaciers et, l’hiver, des pistes de ski. Rien de vraiment dépaysant pour un amoureux de la montagne comme moi. Ce qui l’est davantage, c’est la végétation, avec des fougères arborescentes et des types d’arbres qu’on ne trouve que dans l’hémisphère austral. J’étais incapable de les identifier mais je crois sur parole mon guide qui m’affirme que l’on compte en Nouvelle-Zélande 2500 espèces végétales dont 80% sont endémiques. Elles prospèrent dans les forêts pluviales tempérées de la côte ouest de l’île du Sud et je conclus, philosophiquement, qu’on ne peut espérer avoir à la fois un ciel bleu et des forêts luxuriantes.


Je jouai ainsi, pendant la dizaine de jours que je passai sur cette côte et dans la partie occidentale de la dorsale montagneuse, au chat et à la souris avec la pluie. Parfois celle-ci tombait si drue qu’elle m’obligeait à m’arrêter pour trouver un abri ; d’autres fois, le ciel se dégageait et peignait le paysage d’azur et d’or, m’arrachant des cris d’admiration et même quelques pleurs de joie et de reconnaissance (un cœur sensible bat sous le blouson de cuir). J’allai de splendeur en merveille, des lacs de Rotoroa et Rotoiti à celui de Wakatipu qui baigne la charmante ville de Queenstown et la plus charmante encore Glenorchy, en passant par les glaciers de Fox et de Franz-Josef et la lagune d’Okarito. Je roulais, je marchais, je campais, je reprenais la route, toujours plus au sud. Parfois, j’étais survolé par des avions ou des hélicoptères qui emmenaient des touristes pressés et friqués admirer les montagnes et les glaciers, du moins ce qu’il en reste. Le glacier Franz-Josef, nommé ainsi en hommage à l’empereur d’Autriche par le géologue qui dirigea la première expédition européenne sur le glacier dans les années 1860, un glacier qui descendait alors jusqu’à la mer, a reculé depuis d’une vingtaine de kilomètres sous l’effet du réchauffement climatique. De plus en plus philosophe (ou mélancolique), je songeai que ces mêmes touristes qui s’extasiaient devant les vestiges de ce géant de glace étaient ceux-là mêmes qui, par leur comportement, accéléraient sa disparition. Et, bien sûr, je participais à ce crime, à ma mesure. Les premiers Maoris avaient nommé le glacier Ka Roimata o Hine Hukatere, ce que l’on peut traduire par « les larmes de la fille de l’avalanche ». Selon la légende, un couple s’était donné rendez-vous dans les montagnes mais l’homme fit une chute mortelle et le glacier serait les larmes figées de sa compagne. Cela me semble plus approprié, y compris pour évoquer le désastre écologique dont ce coin du monde est victime, que le nom d’un empereur d’Autriche.


Si j’avais trouvé jolie et même souvent belle Te Ika-a-Maui, l’île du Nord, ces adjectifs semblaient bien insuffisants devant la beauté irréelle de Te Wai Pounamu, l’île du Sud. Grandiose, splendide, sublime, est le moins que l’on puisse dire. Les vastes vallées glaciaires, les lacs immenses, les gris bleutés des eaux qui dévalent des montagnes, les prairies où l’on s’attend à voire paître des animaux préhistoriques, toutes les nuances de vert de la forêt et de l’herbe, les nuages filant dans le ciel fastueux comme de glorieux galions emplis d’or, « glaciers, soleils d’argent, flots nacreux, cieux de braise », toute la lyre, Rimbaud après Baudelaire, Dame Nature sortait le grand jeu, les dentelles et le reste, et j’étais devant elle ainsi qu’un amoureux transi (il faut dire qu’il faisait assez froid et humide). Je me demande pourquoi tant d’écrivains-voyageurs que je révère, les Bouvier, Segalen, Maillart, Chatwin, White, Tesson, pour ne citer que les plus célèbres, ne disent jamais devant un paysage : c’est beau? Pourquoi n’expriment-ils jamais ou si rarement cette émotion que, pourtant, ils doivent ressentir tout comme je l’ai ressentie devant le spectacle en Technicolor, le cinéma 5D du Milford Sound, ce fjord des Antipodes auquel on parvient au terme de l’une des plus belles routes du monde, la Milford Highway, qui serpente entre lacs couleur turquoise et forêts primaires avant de s’enfoncer sous la montagne pour en ressortir telle une rivière en résurgence se précipitant vers la mer? Peut-être que cette émotion à la fois universelle et personnelle, énoncée simplement, paraît un peu frustre, qu’elle sent par trop sa roture touristique au nez délicat de ces princes du voyage. Eh bien, au risque de passer pour un nigaud, je dirai quand même, comme dans une chanson de Souchon : c’était vraiment beau.


Un tel degré d’émotion esthétique avait quelque chose de suffocant ; « heureusement », celle-ci retombait à intervalles irréguliers, au gré des embûches et des petites galères sans lesquelles un voyage n’est pas totalement réussi : une chute de moto, heureusement à vitesse modérée et sans gravité mais qui me priva de la quasi-totalité du levier de frein avant pour le reste du parcours, ce qui est quand même un problème sur les routes de montagne ; des douleurs chroniques et croissantes aux tendons d’Achille, qui m’obligèrent à réduire mes temps de marche ; une agression nocturne par des keas, ces perroquets des montagnes gros comme des dindes et voraces comme des piranhas, qui mâchouillèrent mes élastiques de tente et crevèrent la selle de ma moto pour en goûter la bourre ; la pluie, encore, et le froid glacial qui faillirent me faire renoncer à mon projet d’aller jusqu’au mont Cook (Aoraki en maori, nom d’un fils du Ciel changé en pierre par le vent du Sud), ce qui aurait été logique puisque cette montagne, point culminant de la Nouvelle-Zélande avec 3724 mètres, fut choisie par Peter Jackson pour « incarner » le terrible Caradhras, la montagne que ne parvient pas à franchir la Communauté de l’Anneau dans le premier livre / film du Seigneur des Anneaux, obligeant celle-ci à passer sous la montagne avec les conséquences fâcheuses que chacun sait (n’est-ce pas?). Mais, plus fort que Gandalf et sa bande de poules mouillées, je continuai jusqu’au Mont en oubliant que j’avais des doigts aux mains, et je ne le regrette pas car je repris en chemin une petite bouffée d’émerveillement devant la majestueuse beauté des cimes couronnées des neiges éternelles (du moins qui le resteront si nous parvenons à contenir le réchauffement climatique dans des limites supportables, ce qui semble mal parti). À chaque fois que j’avais l’impression d’avoir vu le clou du spectacle, le bouquet final, ce pays refaisait partir quelques fusées et parvenait encore à m’épater ; comme lorsque je découvris, sur la côte est, au moment où je croyais mon voyage presque achevé, la péninsule d’Otago, avec ses criques sauvages, ses colonies d’albatros, ses jardins suspendus et, si l’on a beaucoup de chance, ses manchots et ses lions de mer (je n’eus pas cette chance mais j’eus celle de suivre en direct la fessée infligée par le XV de France à l’équipe d’Angleterre dans le Tournoi des Six Nations, ce qui me procura un plaisir presque aussi vif).


Je parvins finalement à Christchurch, pénultième étape de mon périple, à la fin du mois de mars, saoûlé de beauté, presque écœuré par les mets trop riches que la route m’avait prodigués à foison. J’avais grand besoin de ville et même d’un peu de laideur ou, tout au moins, de banalité et ne fus pas déçu, l’urbanisme et l’architecture de la capitale de l’île du Sud manquant singulièrement de charme (à mes yeux, en tout cas). Il faut dire à sa décharge que la ville ne s’est pas encore totalement remise du tremblement de terre de 2011, les chantiers y sont nombreux et les nouveaux bâtiments plus fonctionnels qu’esthétiques, malgré le street art qui décore certains murs. J’avais initialement prévu de remonter la moto jusqu’à Auckland, bouclant ainsi la boucle, mais le loueur avait insisté pour que je la rende dans l’agence de Christchurch car un autre client la récupérait ici. J’abandonnai donc à regret la monture sur le dos de laquelle j’avais parcouru quelque 5000 kilomètres (à comparer aux 2000 de mon road trip australien) et fus rendu à ma condition de piéton. J’avais deux jours à passer à Christchurch avant de reprendre un avion pour Auckland et, de là, pour Paris. Je les passai en partie au jardin botanique, somptueux comme souvent dans ces terres australes, en quoi je vis une sorte de transition bienvenue permettant de passer en douceur de l’émouvante poésie de la Nature au prosaïsme terne des villes. Je devais aussi me réhabituer aux humains, à la foule (foule encore modeste comparée à celle qui m’attendait à Paris). La densité humaine de ce pays, faible dans l’ensemble, tutoie le néant dans certaines régions de l’île du Sud et j’avais apprécié de rouler, de marcher, de camper au milieu des immensités désertes. Il me fallut réapprendre à dire bonjour et merci, à tenir compte de la présence d’autrui, à surveiller mes gestes et mes regards. J’admirais les humains, mâles ou femelles, qui passaient dans mon champ de vision et offraient quelque particularité intéressante. Beaucoup étaient tatoués, ce qui me remit en mémoire mon projet formé dans les premières heures de mon séjour à Auckland. Le studio dont j’avais gardé la carte avait une autre adresse à Christchurch, je décidai de m’y rendre pour me mettre dans l’ambiance et vérifier que mon désir n’avait pas été entamé par le temps écoulé. Une volée de marches menait au studio, j’en poussai la porte et fus accueilli avec chaleur par un jeune homme tatoué de la tête aux pieds à qui j’expliquai mon projet. « – Oh, tu tombes bien, mon pote! Brad fais ce genre de tatouage traditionnel et il a un créneau libre cet après-midi, n’est-ce pas, Brad? » L’interpellé leva les yeux du bras qu’il était en train de tatouer et fit un Yeah enthousiaste. Que pouvais-je répliquer à cela?

Je ne me dégonflai pas et revins en milieu d’après-midi, accueilli par un Brad toujours aussi exubérant qui me désigna une table couverte d’une housse en plastique sur laquelle je m’installai, non sans appréhension. Je ne m’étais jamais fait tatouer quoi que ce soit, j’étais puceau de ce côté-là à 55 balais, et plus tremblant qu’une rosière effarouchée. Brad eut le tact de comprendre cela et prit le temps de me parler tout en dessinant sur ma peau les motifs qui allaient guider son pistolet à encre. Je lui racontai dans mon anglais approximatif un peu de ma vie, de mon travail, de ma famille, de ma fille, de mes amis, de ce voyage incroyable, il me répondit dans une langue difficilement compréhensible, sans doute était-ce de l’anglais, pas du maori en tout cas, Brad n’en était clairement pas un. Quand il eut fini de dessiner ses entrelacs compliqués, il me montra à quoi cela ressemblait au moyen d’un miroir et je fus impressionné par l’élégance de ces volutes, spires, animaux stylisés, dents de requin et pointes de lance qui couraient de mon épaule à mon cou. C’est moi qui avais tenu à ce qu’une partie du tatouage fût visible quel que soit le vêtement que je porterais ; pourquoi cacher ce que je trouvais beau? Deux heures avaient passé depuis que je m’étais installé sur la couche plastifiée ; trois autres allaient leur succéder qui seraient parmi les plus éprouvantes de ma vie. Le temps n’est plus, et c’est heureux, où l’on utilisait un peigne composé de dents de requin ou d’os imprégnés de teinture sur lequel le tatoueur tapait avec une sorte de petit maillet. L’épreuve pouvait durer des heures, des jours, et devait être horriblement douloureuse, comme il sied à un rite d’initiation. Disons que j’en ai eu un aperçu entre les mains expertes de Brad qui avait manifestement décidé que j’étais le support de son prochain chef-d’oeuvre et non un être humain doté d’une sensibilité.
Je ressortis quelque peu hébété du studio à la nuit tombée, l’épaule et le cou endoloris, recouverts d’un film plastique que je devais garder jusqu’au lendemain. La nuit fut difficile. Quelle idée saugrenue avait pu me traverser la tête – et s’y arrêter – qui m’avait conduit à ce lit de souffrance, quelle pulsion masochiste? Sans compter – si, justement – le prix que j’avais dû acquitter à la fin, qui faisait exploser mon budget. C’est avec ces pensées désagréables que je me levai le matin pour préparer mes sacs avant le départ. Je passai dans la salle de bain pour ôter le film plastique et là, fus saisi d’admiration : ce tatouage était vraiment beau! Je ne pouvais rêver meilleur souvenir de ce voyage aux Antipodes. Pour la première fois depuis bien des années, j’avais le sentiment d’avoir embelli au lieu de m’amochir. J’avais inversé la marche du temps, contrarié l’entropie. Je croyais avoir accompli un voyage dans l’espace, je l’avais plutôt fait dans le temps.


Et c’est ainsi que le vieux coq repartit du pays des kiwis plus jeune qu’il n’y était arrivé. Oui, je suis ce genre de touriste.

LM

Rencontres à venir

Bonsoir,

J’aurais dû, depuis longtemps, vous tenir informés de quelques rencontres à venir ; et j’ai laissé le temps filer… Comme certaines d’entre elles ont lieu cette semaine, il n’est que temps d’en parler.

La première a lieu… demain, dans le cadre du programme Pop conf’. Je n’y participe pas, mais c’est Antoine Pecqueur, un garçon intéressant, qui les anime et je connais plusieurs des intervenants, vous pouvez y aller en confiance.

Les Pop Conf’ sont des rendez-vous qui réunissent artistes et chercheur·euse·s autour de thématiques questionnant nos rapports aux sons et à la musique à bord d’une péniche amarrée aux quais du bassin de la Villette à Paris. Cette fabrique artistique, fondée en 2016, est dédiée à l’expérimentation autour des sons et de la musique. L’adresse :

Bassin de la villette, 61 Quai de la Seine face au, 75019 Paris

Du 27 février au 23 avril prochains, quatre soirées seront consacrées successivement à :
 
La musique, un sextoy comme les autres ?

Mardi 27 février à 19h30
Avec Esteban Buch, directeur d’études à l’EHESS, membre du Centre de Recherches sur les Arts et le Langage (CRAL) et Barbara Carloti, autrice-compositrice et musicienne
 
Entre espèces vivantes, peut-on (s’)entendre ?

Mardi 12 mars à 19h30
Avec Olivier Adam, bioacousticien, spécialiste du son des cétacés, membre de l’équipe « Communications acoustiques » de l’Institut des Neurosciences Paris-Saclay – NeuroPSI CNRS
 
Pas de musique, pas de fête ?

Mardi 9 avril à 19h30
Avec Nicolas Prévôt, ethnomusicologue, maître de conférences au département d’anthropologie de l’université Paris Nanterre, responsable du Master Ethnomusicologie et Anthropologie de la danse, membre du Centre de recherche en ethnomusicologie (CNRS)
 
La voix fait-elle le genre ?

Mardi 23 avril à 19h30
Avec Nathalie Henrich Bernardoni, spécialiste de la voix, directrice de Recherche au CNRS (médaille de bronze 2013), rattachée à l’Institut des Sciences Humaines et Sociales du CNRS (INSHS – CNRS) Grenoble, et Lucile Richardot, mezzo-soprano
 
Une fois la conférence finie, les échanges sont disponibles à la réécoute sous forme de podcast sur les Audioblogs d’ARTE radio.

Jeudi prochain, le 29 février donc, c’est moi qui tiendrai le micro pour la première de deux conférences sur les littératures de voyage, sur le campus Nation de l’université de la Sorbonne-Nouvelle. Que reste-t-il du voyage? D’une part, dans certains cas, ce qui reste du voyage est un récit, illustré ou non, du voyage effectué ; mais aussi, que reste-t-il du voyage, à l’ère de la mondialisation puis de la démondialisation? Un autre titre possible pour ces conférences aurait pu être : la fin du voyage.

Une deuxième conférence sur le même thème est programmée le jeudi 28 mars. L’écrivaine Ingrid Thobois, autrice notamment de La Fin du voyage (Labor et Fides, 2022), interviendra lors de cette soirée.

Les conférences ont lieu dans l’amphi 120 du campus Nation, 12 rue de Saint-Mandé, dans le 12e arrondissement de Paris, de 17h à 18h30. Elles sont librement accessibles mais une inscription est obligatoire à cette adresse :

https://forms.gle/Lw6qD8Je1g5YyEfb8

Par ailleurs, il sera possible de suivre les conférences à distance avec ces liens :

Conférence du 29 février :
lien : https://youtube.com/live/eSfBc9ywXkI

Conférence du 28 mars :
lien : https://youtube.com/live/eSfBc9ywXkI

Enfin, dernière annonce, pour le colloque sur terroir et fantastique, organisé par Manuela Mohr et Typhaine Sacchi du 14 au 16 mars prochains. Le programme est riche :

J’interviendrai le samedi 16 mars, d’abord pour parler des guides noirs de l’éditeur Tchou, qui, dans les années 1960-1970, proposèrent à l’amateur de légendes des guides de la France et des provinces mystérieuses. Je participerai également, le même jour, à la table ronde sur la pratique de l’écriture des univers fantastiques, ce qui me permettra de présenter le livre que j’avais publié chez Citadelle et Mazenod en 2022, Univers fantastiques.

Là encore, le colloque est gratuit, mais une inscription pour le public est nécessaire (à l’adresse fantastique.terroir@gmail.com). Il sera possible d’y assister à distance ; pour obtenir le lien de connexion, il faut écrire à la même adresse.

Voilà, j’espère que nous pourrons nous croiser à l’un ou à l’autre de ces rendez-vous!

LM