Quelques annonces de printemps

Bonjour,

le printemps est arrivé, depuis quelques jours (pas forcément évident, à regarder par la fenêtre, mais le calendrier est irréfutable) et, déjà, cent fleurs s’épanouissent, comme disait le camarade Mao.

Affiche de propagande issue de la collection de Stefan Landsberger

Je vous propose un bouquet d’annonces, un peu disparate mais néanmoins séduisant, en espérant que vous y trouverez votre bonheur. Il n’a pas l’ambition de l’exhaustivité, seulement celle de la diversité.

Je commence par la plus urgente. Dans trois jours, les 28 et 29 mars prochains, les doctorant.e.s. de l’Ecole doctorale MAGIIE de la Sorbonne-Nouvelle proposent un séminaire de deux jours sur « le parcours du doctorant » à la Maison de la Recherche de la Sorbonne-Nouvelle, 4 rue des Irlandais dans le 5e arrondissement de Paris. Ce parcours du doctorant prenant parfois l’allure d’un parcours du combattant, il est sans doute bon (et réconfortant) que les premiers et premières concerné.e.s. fassent part aux aspirant.e.s. doctorant.e.s. de leur expérience, de leurs doutes et difficultés mais aussi de leur bonheur à réfléchir, lire et écrire sur un sujet qui leur tient à coeur. Voici le programme de ces journées :

Deux autres initiatives étudiantes sont à signaler. D’abord, la création, en février, au sein du master de Géopolitique de l’art et de la culture que je codirige à la Sorbonne-Nouvelle, d’une association nommée Sphère Culture. Selon ses responsables, son but est de favoriser les relations entre étudiantes et étudiants du master, entre les promos de première et deuxième année et de favoriser la création d’un réseau professionnel, à travers les évènements organisés et le réseau alumni.
Sphère Culture organisera principalement des cycles de rencontres et des ateliers thématiques, ainsi que des évènements culturels (sorties muséales, pièces de théâtre, etc), associés à une forte présence sur les réseaux sociaux, dans le but de relayer les recommandations culturelles de chacun.e et de faire lien.

Parmi les premières opérations de Sphère Culture, les reco’culturelles : des posts Instagram dans lesquels les étudiant.e.s. peuvent parler de leurs coups de coeur culturels (expo, festival, pièce, film, lecture, podcast) et les partager avec les autres.

Vous pouvez suivre les activités de l’association sur Instagram (@sphere.culture) et Linkedin (Sphère Culture). Bravo et longue vie à cette association qui rendra le master de Géopolitique de l’art et de la culture de la Sorbonne-Nouvelle encore plus attractif!

Ensuite, une journée d’étude organisée le 4 avril prochain par d’autres étudiant.e.s. du département de Médiation culturelle de l’USN, mais cette fois du master Musées et nouveaux médias. Sur le thème « Virtuels ou vertueux? Les musées face au numérique », les mastérant.e.s célébreront à l’Orangerie du musée Carnavalet, dans le 3e arrondissement de Paris, le dixième anniversaire de la création du master en échangeant avec des experts du domaine sur les enjeux de l’inclusion, de la profession muséale, et de l’IA, à l’ère du numérique.

L’inscription gratuite se fait via ce lien :
https://my.weezevent.com/virtuels-ou-vertueux-les-musees-face-au-numerique

La veille, le jeudi 3 avril donc, le mouvement Stand Up For Science organise une deuxième journée de mobilisation nationale, construite localement, et ouverte à toutes celles et ceux qui défendent les sciences, la liberté académique, le rôle de l’université et de la recherche dans la société. 
Stand Up For Science s’est construit en France en solidarité avec les scientifiques (au sens le plus large du terme) aux États-Unis, en Argentine et partout où la liberté académique est menacée. Depuis, le mouvement s’est élargi. Une tribune, qui sert de manifeste, est parue dans le journal Libération :
https://www.liberation.fr/idees-et-debats/stand-up-for-science-et-apres-20250320_PAEXRBEBOFHK5FRZLAGXCUFUIM/

Elle s’appuie sur un constat simple : face aux crises démocratique, économique, sanitaire, climatique et environnementale, produire, transmettre et préserver les savoirs est une nécessité. Cela n’est possible que si les savoirs sont pensés et défendus comme un bien commun. Vous pouvez signer mais aussi diffuser largement autour de vous cette tribune— elle est ouverte à toutes les citoyennes et tous les citoyens :
https://standupforscience.fr/tribune/

Le mouvement Stand Up For Science propose une journée d’action plurielle, selon des modalités à inventer de manière adaptée aux contextes locaux, aux moyens disponibles et aux formes d’engagement possibles. Il invite toutes celles et ceux qui participent à faire vivre les savoirs à s’emparer de la journée du 3 avril : lieux d’enseignement et de recherche, associations, collectifs étudiants, établissements scolaires, bibliothèques, centres culturels et sociaux, syndicats, médias, citoyennes et citoyens. Il invite les établissements de recherche et d’enseignement supérieur, qui ont annoncé leur soutien à Stand Up For Science ou souhaiteraient le faire, à la banalisation de la journée du 3 avril, la participation active de tous les personnels, et la mobilisation des étudiantes et des étudiants (conférences, médiation scientifique, manifestations, performances, etc.). Pour rappel, la banalisation peut être demandée auprès des présidences des universités, de leurs conseils d’administration, des directions des facultés, instituts, ufr ou laboratoires de recherche.  


Cette journée doit refléter la diversité des engagements de Stand Up For Science, à travers des initiatives comme :

StandUpForScience, pour rendre visibles les attaques contre les sciences et la liberté académique,

PrintempsDesCampus, pour mobiliser les personnels, étudiantes et étudiants sur les campus,

PrintempsDesSciences, pour investir l’espace public à travers des événements de méditation scientifique et de dialogue avec la société civile,

GetsUpStandUp, pour donner de la visibilité aux engagements multiples du mouvement, à travers des manifestations ou performances pour la démocratie, l’accès aux savoirs, leur diffusion et leur indépendance,

NousSommesLesSciences, pour affirmer notre engagement commun pour des sciences au service de toutes et de tous.

Pour participer à l’organisation locale d’évènements, rejoindre une initiative ou simplement suivre les actualités de la mobilisation, il suffit de rejoindre le mouvement sur http://www.standupforscience.fr.
Pour que ce mouvement décentralisé et pluriel prenne de l’ampleur, il est crucial de réunir rapidement les coordinations locales existantes et d’en faire émerger là où elles manquent: dans chaque ville, chaque établissement voire nationalement autour d’engagements communs. Pour celles et ceux qui souhaitent utiliser des visuels Stand Up For Science, ils sont disponibles ici: https://standupforscience.fr/logos-affiches-flyers/. 


Screenshot

Encore deux autres annonces et j’en aurai (provisoirement) fini.

De nouveaux épisodes du podcast Histoires culturelles sont disponibles sur votre plateforme favorite. Histoires culturelles est un podcast qui explore les mondes de la culture, de la fabrique des œuvres aux musées, des objets du quotidien aux imaginaires médiatiques, des avant-gardes aux icônes pop. Une production du Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines et du Comité d’histoire du ministère de la Culture, sous la responsabilité d’Anaïs Fléchet.

Pour sa deuxième saison, le podcast Histoires Culturelles s’intéresse aux lieux de la culture. Ateliers d’artistes, maisons d’écrivains, studios d’enregistrement, centres culturels et de formation, scènes officielles ou alternatives, les lieux créent du sens, des pratiques et des sociabilités artistiques. Chercheurs, témoins, conservateurs nous en racontent l’histoire.

Derniers épisodes mis en ligne: 

Episode 3 : Les Centres Culturels de Rencontre. L’Institut mémoire de l’édition contemporaine
Episode 4 : Les Centres Culturels de Rencontre. Le domaine de Chaumont-sur-Loire et l’Abbaye royale de Fontevraud
Episode 5 : L’atelier d’artistes. Pratiques et imaginaires de la création, du romantisme à nos jours.
Episode 6 : Un atelier à soi : les femmes-artistes et leurs ateliers

Des épisodes réalisés par Anaïs Fléchet, Laurent Martin et Ivanne Rialland avec l’association Siméa. 
Avec la participation de Laurence Brogniez, Chantal Colleu-Dumond, Catherine Gonnard, Goulven Le Brech, Nathalie Léger et Sébastien Tardy et toujours de nombreux documents d’archives.

Voici les liens pour y accéder

AMAZON MUSIC : https://music.amazon.com/podcasts/f1193894-2d34-4697-b906-3a2503566f33/histoires-culturelles
APPLE PODCAST : https://podcasts.apple.com/fr/podcast/histoires-culturelles/id1697167127
SPOTIFY : https://open.spotify.com/show/0JPFj0LL9bIUyDMtkd7obC
DEEZER : https://www.deezer.com/fr/show/1000092995

Un autre lieu où se conserve et se fabrique la culture, qui aurait pu faire l’objet d’un épisode de ce podcast Histoires culturelles : la Bibliothèque nationale de France. Celle-ci publie chaque année un appel à chercheurs et chercheuses afin de s’associer le concours de jeunes chercheurs et chercheuses pour l’étude et la valorisation de ses collections, en priorité celles inédites, méconnues ou insuffisamment décrites. Le statut de chercheur associé ou de chercheuse associée, attribué pour une durée d’un an à compter du 1er octobre, offre un accueil et un accompagnement dans un département de la BnF, avec un accès facilité aux collections.

L’appel est en ligne depuis début février, et jusqu’au 2 mai : https://bnfaac2025.sciencescall.org/

La BnF accorde également des bourses de recherche sur ses collections, dotées d’une somme allant de 10.000 à 15.000 euros, grâce à la générosité de mécènes et donateurs. Pour l’année 2025-2026, quatre bourses seront attribuées :
une bourse Paul LeClerc-Comité d’histoire de la BnFsur l’histoire de la Bibliothèque et de la constitution de ses collections;
une bourse Mark Pigott pour les humanités numériques ;
une bourse de la Fondation Louis Roederersur l’histoire de la photographie ;
une bourse Alexandre Tzonis et Liane Lefaivresur l’architecture et son environnement.

Je me permets d’attirer votre attention sur la bourse Paul LeClerc-comité d’histoire de la BnF( https://bnfaac2025.sciencescall.org/resource/page/id/4). Depuis 2018, le Comité d’Histoire de la BnF propose une bourse de 15 000 euros visant à soutenir un travail portant sur l’histoire de la BnF et de ses collections. Cette bourse est soutenue depuis 2022 par Monsieur Paul LeClerc. Les candidates et candidats sont libres de proposer leurs propres sujets ou de choisir parmi ceux proposés par la BnF dans le domaine « Histoire de la BnF & de ses collections ». Les sujets peuvent relever de l’histoire administrative, de l’histoire des publics et des usages, de l’architecture, du personnel, des traitements bibliothéconomiques (classification, conservation, numérisation), de l’histoire des représentations sociales, etc. Une attention particulière sera portée aux projets portant sur l’histoire des collections et leurs provenances.

Voilà, j’espère que dans ce bouquet d’annonces printanières, l’une au moins vous intéressera assez pour vous donner le désir d’y aller voir de plus près. N’hésitez pas à me faire part d’autres événements que je pourrai relayer ici.

A bientôt,

LM

Lettre ouverte aux Hystériques*

Aujourd’hui, à 16 heures, j’étais comme prévu à l’amphi BR06 de l’université de la Sorbonne-Nouvelle, où devait se tenir la rencontre avec Jack Lang. Celui-ci avait déjà décommandé sa venue de peur d’être violemment pris à partie, mais j’étais quand même sur place pour discuter avec les étudiant.e.s. qui l’auraient voulu. L’amphi était vide. Vide comme un cerveau de censeur.

Entretemps, l’asso des Hystériques, comme elles/ils se nomment elles/eux-mêmes (tout en s’offusquant qu’on les nomme ainsi, c’est compliqué) avait fait parvenir une « lettre ouverte » aux instances de l’université pour réclamer de nouveau la déprogrammation de cette rencontre. Comme j’y suis nommé, et interpellé, je me sens tenu d’y répondre dans ce nouveau billet. Certes, mon modeste blog n’a pas la puissance de feu des réseaux sociaux, mais enfin, j’essaie de compenser la quantité par la qualité. Et puis, l’attention que m’ont porté ces personnes a gonflé les chiffres de fréquentation de ce blog – c’est l’effet paradoxal bien connu de la censure.

Je les remercie donc, et les félicite. Eh oui, je vous félicite, chères/chers Hystériques* : vous avez gagné! Lang n’est pas venu. La rencontre a été annulée. Vous avez fait la preuve de votre capacité à mobiliser des étudiant.e.s., à utiliser les réseaux, vous avez bloqué des portes, occupé le terrain. Vous avez montré votre pouvoir. Bravo. Vous pourrez sabrer le mousseux ce soir. Mais cette victoire est en trompe l’œil. En réalité, vous avez perdu, et à plusieurs titres.

D’abord, symboliquement, vous avez montré de quel côté était l’intolérance, la censure, le refus de débattre. Symboliquement, votre défaite est écrasante. Ensuite, vous avez perdu une occasion de poser à cet homme des questions dérangeantes auxquelles il aurait pu répondre, vous avez perdu une occasion d’apprendre et de réfléchir – et lui aussi, par votre faute, a perdu une occasion, celle de vous entendre, de vous comprendre. Vos questions et vos critiques n’étaient pas toutes illégitimes, loin s’en faut. Il ne les entendra pas. Chacun s’enfermera derrière les murailles de ses convictions, dans le confort douillet de sa bulle informationnelle et idéologique.

Plus fondamentalement, cette défaite est collective. Nous avons tous perdu, l’Université a perdu, et je ne parle pas seulement de la Sorbonne-Nouvelle. L’Université, dont le nom dérive de l’universalisme, qui devrait être un lieu ouvert, un lieu de débat et de savoir, s’est transformée par la grâce d’une pétition en forteresse et en prison où règne la police de la pensée.

Dans cette lettre ouverte qui m’est en partie adressée, une question de fond est posée : « l’université existe-t-elle pour représenter ses étudiant·es ? Reflète-t-elle les valeurs de celleux qui refusent que la faculté devienne une tribune pour une personnalité que plus d’un millier de signataires estiment illégitime dans ce cadre ? D’après nous, c’est de toute évidence son rôle. »

Nous sommes là en profond désaccord. Une université n’a pas à représenter ses étudiants (ni ses enseignants, d’ailleurs). Elle n’a pas à se dire de droite, de gauche ou du centre. Elle est un lieu de confrontation intellectuelle et toutes les idées et toutes les personnes, à partir du moment où elles ne tombent pas sous le coup de la loi, y ont droit de cité, droit de parole. Et je défendrai aussi bien le droit d’une Marine Le Pen à venir s’y exprimer que celui d’un Jean-Luc Mélenchon. La liberté d’expression n’est pas à géométrie variable. Et la censure ne cesse pas d’être une censure parce qu’elle se pare des atours de la gauche ou d’une noble cause.

On attribue, probablement à tort, à Voltaire, une belle pensée sur la liberté d’expression : « Je ne partage pas vos idées mais je me battrai pour que vous puissiez les exprimer »(quelque chose comme ça, je cite de mémoire). On peut aussi penser à cet arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme qui date de 1976 et que j’aime à rappeler dans mes cours sur la censure. Appelée à juger d’une affaire de presse en Grande-Bretagne, la Cour avait estimé que « La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve des restrictions mentionnées, notamment dans l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, elle vaut non seulement pour les informations ou les idées accueillies avec faveur, ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’Etat ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’y a pas de société démocratique. »

C’est cet arrêt qui avait servi, notamment à débouter les plaignants qui poursuivaient en justice Charlie Hebdo pour avoir publié les caricatures de Mahomet. Il me semble parfaitement adapté au cas présent.

Cette liberté d’expression et sa traduction dans l’espace académique sont attaquées de toutes parts. De la droite ou de l’extrême-droite, cela était attendu. De la gauche ou de l’extrême-gauche, ce l’était moins. Mais, foin de théorie politique, quand tout un tas de personnes semblent mues avant tout par une indignation morale qui leur tient lieu de pensée. Contre cette intolérance et la censure qui en découle, je continuerai de me battre avec mes faibles moyens.

J’ai conscience, au terme de ce court billet d’humeur, de n’avoir pas répondu à d’autres points intéressants soulevés par cette affaire ou par la lettre ouverte (qui porte décidément mal son nom) à moi partiellement adressée. Ce sera pour un autre billet ou pour un cours, par exemple sur la politique culturelle de Jack Lang. Car voici un autre effet positif de la censure : c’est qu’elle me fouette les sangs et me pousse à descendre dans l’arène. Pour cela aussi, soyez remercié.e.s, chères/chers Hystériques*.

LM

Nous vivons une époque hystérique

Bonjour,

trois mois sans écrire un billet, même selon mes standards, c’est beaucoup. La faute à pas le temps, pas l’envie, pas l’occasion… Je la trouve, cette occasion (à défaut de temps, l’envie est là) dans la venue à l’université de la Sorbonne-Nouvelle, jeudi prochain, 13 mars, de l’ancien ministre de la Culture et toujours président de l’Institut du monde arabe, Jack Lang.

Cette photo, récupérée sur le site de RFI, est, dans les circonstances présentes, d’une ironie cruelle. En effet, alors que nous souhaitions le faire revenir à la Sorbonne-Nouvelle dix ans après son dernier passage dans le cadre de la Semaine des Arts et Médias, et de nouveau pour lui donner l’opportunité de parler de sa vie entre culture et politique (lui qui, depuis maintenant plus de soixante ans se bat, certes avec des réussites diverses, pour mettre la culture à la portée du plus grand nombre dans un esprit de pluralisme), voilà qu’une pétition circule dans cette « université de toutes les cultures » pour appeler à la déprogrammation de son intervention.

Lancée à l’initiative d’une association étudiante nommée « les Hystériques » et qui se définit comme « féministe / queer », cette pétition (qui a quand même recueilli quelque 500 signatures, paraît-il) lui fait grief d’avoir, d’une part, signé, en 1977, une autre pétition, celle-ci publiée dans Le Monde, demandant la libération d’adultes accusés d’avoir eu des relations sexuelles avec des mineurs, d’autre part, d’avoir pris position en faveur d’artistes accusés d’agressions sexuelles ou de pédocriminalité tels que Roman Polanski ou Woody Allen.

Il est inacceptable, estiment les pétitionnaires 2025, « qu’une institution comme la Sorbonne Nouvelle, se félicitant de promouvoir la diversité, l’inclusion et la justice sociale, offre une tribune à une personnalité dont les actions ont ignoré ces mêmes valeurs. En tant qu’étudiant.es, ainsi qu’en tant qu’activistes féministes et queer, nous nous élevons contre cette décision et réclamons l’annulation de la venue de Jack Lang à cet événement. »

« Un mot, un geste, un silence », en effet!

La signature de cette pétition en 1977 était certainement une erreur, Jack Lang l’a reconnu et s’en est excusé. Il convient cependant, même si la jeunesse d’aujourd’hui est fâchée avec l’histoire, de la replacer dans un contexte historique dans lequel il était de bon ton, dans une certaine gauche, de ruer dans les brancards de la « morale bourgeoise », de promouvoir une liberté sexuelle presque sans limites, de rompre avec les normes tant morales que pénales qui paraissaient d’un autre temps. Ce qui faisait le plus débat dans les années 1970, notamment du côté des mouvements homosexuels mais pas seulement, c’était la discrimination concernant l’âge de la majorité sexuelle. On considérait l’enfant ou l’adolescent comme capable de consentir au plaisir, sans s’interroger sur l’emprise que pouvait exercer sur lui l’adulte, sans questionner la relation de pouvoir qui pouvait exister entre eux, et cela alors que la lutte contre le Pouvoir était justement au coeur de la rébellion soixante-huitarde. Ce n’est qu’à partir des années 1990, à la suite d’une série de faits divers sordides, que l’indulgence touchant à la pédophilie a peu à peu disparu, laissant la place à une forme de sacralisation de la pureté enfantine. Le terme de pédocriminel a remplacé celui de pédophile, sans souci excessif de la nuance.

Rappeler ces faits n’est pas excuser ou dédouaner Jack Lang – pas plus que les personnalités qui ont également signé cette pétition ou d’autres de la même encre à cette époque, les Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Louis Aragon, Françoise Dolto… C’est expliquer qu’on a changé d’époque et que ce qui était perçu comme admissible dans le sillage de mai 68 ne l’est plus aujourd’hui, et tant mieux. Cela justifie-t-il aujourd’hui l’ « annulation » de Jack Lang? Il est permis d’en douter.

Comme il est permis de douter que son soutien à des artistes accusés et parfois condamnés dans des affaires d’agressions sexuelles le rende complice de leurs actes. Sa position, que l’on peut contester, est qu’il convient de séparer l’homme de l’artiste, et les oeuvres du jugement moral (ou pénal) porté sur leur auteur. Il ne s’agit pas d’oblitérer les fautes ou les crimes de ces artistes, mais de ne pas réduire leurs oeuvres à ces comportements que la morale ou le droit réprouve. Ou alors, cachons les tableaux de Picasso qui s’est mal conduit avec ses femmes, ne lisons plus Rimbaud parce qu’il trafiquait des armes, ni Villon qui a trempé dans de sombres histoires de meurtre… Je rejoindrais assez, même si elle a été très critiquée, la philosophe Carole Talon-Hugon qui dénonçait le moralisme radical de certain.e.s activistes qui conduit à une relecture intégriste de l’histoire de l’art ; elle estime en revanche que l’évaluation morale peut faire partie de l’évaluation globale d’une oeuvre, pourvu que l’on ne réduise pas cette dernière à cela (voir notamment, de cette autrice, L’Art sous contrôle, 2019). On peut, par ailleurs, vouloir continuer à apprécier la valeur esthétique d’une oeuvre et ne pas pour autant approuver que soit officiellement honoré, par des prix ou des récompenses, son auteur s’il s’est mal comporté « dans la vie ».

A vrai dire, ces problématiques sont riches et complexes et mériteraient un vrai débat, une libre discussion, et l’université devrait être le lieu par excellence pour ce type de débat. Sauf que les « hystériques », comme ils/elles se nomment eux/elles-mêmes ne veulent pas discuter, ne désirent pas débattre. Ce qu’ils/elles veulent, c’est annuler, déprogrammer, interdire, censurer. Et s’arroger pour l’avenir un droit de regard sur le choix des intervenants (« Nous demandons la mise en place d’un comité de consultation incluant des associations féministes, queer et antiracistes dans le processus de sélection des intervenants futurs »). A quand un vote (à main levée, bien sûr) pour choisir ses enseignant.e.s en fonction de leurs opinions politiques, de leur religion ou de leur couleur de peau? « Quand on voit des groupes dits progressistes tenir un discours d’extrême droite par rapport aux oeuvres, il y a de quoi être effondré », écrivaient les responsables de l’Observatoire de la création, lié à la Ligue des droits de l’homme, dans un article l’an passé. On en est là, en effet, dans cette charmante époque que nous vivons.

Bien sûr, jeudi, je serai là, aux côtés de Jack Lang, pour affronter la meute « hystérique ».

LM