J’aurais dû, depuis longtemps, vous tenir informés de quelques rencontres à venir ; et j’ai laissé le temps filer… Comme certaines d’entre elles ont lieu cette semaine, il n’est que temps d’en parler.
La première a lieu… demain, dans le cadre du programme Pop conf’. Je n’y participe pas, mais c’est Antoine Pecqueur, un garçon intéressant, qui les anime et je connais plusieurs des intervenants, vous pouvez y aller en confiance.
Les Pop Conf’ sont des rendez-vous qui réunissent artistes et chercheur·euse·s autour de thématiques questionnant nos rapports aux sons et à la musique à bord d’une péniche amarrée aux quais du bassin de la Villette à Paris. Cette fabrique artistique, fondée en 2016, est dédiée à l’expérimentation autour des sons et de la musique. L’adresse :
Du 27 février au 23 avril prochains, quatre soirées seront consacrées successivement à :
La musique, un sextoy comme les autres ? Mardi 27 février à 19h30 Avec Esteban Buch, directeur d’études à l’EHESS, membre du Centre de Recherches sur les Arts et le Langage (CRAL) et Barbara Carloti, autrice-compositrice et musicienne
Entre espèces vivantes, peut-on (s’)entendre ? Mardi 12 mars à 19h30 Avec Olivier Adam, bioacousticien, spécialiste du son des cétacés, membre de l’équipe « Communications acoustiques » de l’Institut des Neurosciences Paris-Saclay – NeuroPSI CNRS
Pas de musique, pas de fête ? Mardi 9 avril à 19h30 Avec Nicolas Prévôt, ethnomusicologue, maître de conférences au département d’anthropologie de l’université Paris Nanterre, responsable du Master Ethnomusicologie et Anthropologie de la danse, membre du Centre de recherche en ethnomusicologie (CNRS)
La voix fait-elle le genre ? Mardi 23 avril à 19h30 Avec Nathalie Henrich Bernardoni, spécialiste de la voix, directrice de Recherche au CNRS (médaille de bronze 2013), rattachée à l’Institut des Sciences Humaines et Sociales du CNRS (INSHS – CNRS) Grenoble, et Lucile Richardot, mezzo-soprano
Une fois la conférence finie, les échanges sont disponibles à la réécoute sous forme de podcast sur les Audioblogs d’ARTE radio.
Jeudi prochain, le 29 février donc, c’est moi qui tiendrai le micro pour la première de deux conférences sur les littératures de voyage, sur le campus Nation de l’université de la Sorbonne-Nouvelle. Que reste-t-il du voyage? D’une part, dans certains cas, ce qui reste du voyage est un récit, illustré ou non, du voyage effectué ; mais aussi, que reste-t-il du voyage, à l’ère de la mondialisation puis de la démondialisation? Un autre titre possible pour ces conférences aurait pu être : la fin du voyage.
Une deuxième conférence sur le même thème est programmée le jeudi 28 mars. L’écrivaine Ingrid Thobois, autrice notamment de La Fin du voyage (Labor et Fides, 2022), interviendra lors de cette soirée.
Les conférences ont lieu dans l’amphi 120 du campus Nation, 12 rue de Saint-Mandé, dans le 12e arrondissement de Paris, de 17h à 18h30. Elles sont librement accessibles mais une inscription est obligatoire à cette adresse :
Enfin, dernière annonce, pour le colloque sur terroir et fantastique, organisé par Manuela Mohr et Typhaine Sacchi du 14 au 16 mars prochains. Le programme est riche :
J’interviendrai le samedi 16 mars, d’abord pour parler des guides noirs de l’éditeur Tchou, qui, dans les années 1960-1970, proposèrent à l’amateur de légendes des guides de la France et des provinces mystérieuses. Je participerai également, le même jour, à la table ronde sur la pratique de l’écriture des univers fantastiques, ce qui me permettra de présenter le livre que j’avais publié chez Citadelle et Mazenod en 2022, Univers fantastiques.
Là encore, le colloque est gratuit, mais une inscription pour le public est nécessaire (à l’adresse fantastique.terroir@gmail.com). Il sera possible d’y assister à distance ; pour obtenir le lien de connexion, il faut écrire à la même adresse.
Voilà, j’espère que nous pourrons nous croiser à l’un ou à l’autre de ces rendez-vous!
J’écris ces lignes dans un train qui m’emmène à Genève, dont l’université m’a invité à parler de censure et de liberté d’expression, un thème sur lequel je réfléchis et publie depuis pas mal d’années.
Au moment où je préparais ma communication – ce week-end – nous apprenions la mort en prison d’Alexeï Navalny, l’opposant politique numéro 1 au système criminel mis en place en Russie par Vladimir Poutine depuis un quart de siècle. Au moment où je vais la prononcer – aujourd’hui – la justice britannique est sur le point de se prononcer définitivement sur l’extradition de Julian Assange réclamée par les Etats-Unis. Coïncidence du calendrier? Pas seulement. Il y a, dans la trajectoire de ces deux hommes, qui appartiennent à la même génération, des proximités troublantes, qui ne doivent cependant pas masquer des différences essentielles.
Alexeï Navalny (1976-2024)Julian Assange (1971-)
La principale ressemblance, celle qui saute aux yeux, c’est l’acharnement judiciaire dont ces deux hommes ont été les victimes depuis de nombreuses années. Navalny a fait l’objet de nombreuses condamnations de la part du système judiciaire russe, d’abord à des peines relativement courtes et symboliques, puis de plus en plus lourdes. C’est surtout à partir de son retour en Russie, début 2021, que cet acharnement s’est manifesté au grand jour, avec en particulier, le 4 août 2021, la condamnation à dix-neuf ans de prison pour « extrémisme » et « réhabilitation du nazisme ». Envoyé d’abord dans une première colonie pénitentiaire à quelques heures de voiture de Moscou, il fut en décembre dernier transféré dans une colonie sibérienne à régime sévère où il a trouvé la mort, dans des circonstances qui restent inexpliquées. Assange, quant à lui, est emprisonné depuis trois ans dans une prison anglaise de haute sécurité, après avoir passé sept ans reclus dans l’ambassade d’Equateur à Londres où il avait trouvé refuge pour éviter une extradition vers la Suède. Il n’a encore été ni jugé ni a fortiori condamné pour les crimes dont il est accusé. En cas d’extradition vers les Etats-Unis, qui l’accusent d’ « espionnage », il encourt une peine cumulée de 175 années de prison – autant dire un emprisonnement à perpétuité. Ses avocats estiment qu’il n’aurait pas droit à un procès équitable et considèrent peu crédible l’engagement des autorités américaines de ne pas l’incarcérer dans une prison de haute sécurité après une éventuelle condamnation.
Autre point de ressemblance : l’utilisation virtuose des médias. Navalny était passé maître dans la production et la diffusion de vidéos montrant la corruption du régime russe. En 2017, une enquête sur les propriétés et avoirs de l’ancien premier ministre, Dmitri Medvedev, a été vue par 36 millions d’internautes ; celle sur le « palais caché de Poutine », diffusée après son retour en Russie en 2021 et alors qu’il avait déjà été incarcéré, a cumulé entre 110 et 130 millions de vues sur YouTube. Grâce à un travail d’enquête mené par une équipe d’activistes rompus aux méthodes de communication modernes, il put mettre à jour de nombreux scandales de corruption, de détournements de fonds et d’enrichissement personnel de la part des plus hauts responsables de l’Etat russe. Assange, de son côté, crée en 2006 un site qui permet à n’importe qui, de manière anonyme, de rendre publics des documents confidentiels : WikiLeaks, dont le nom renvoie à la fois à des sites collaboratifs du type Wikipédia et à la pratique de fuites d’informations secrètes. Après avoir publié des documents sur les malversations de banques suisses et de politiciens kenyans, il frappe un premier grand coup en 2010 en publiant une vidéo sur laquelle on voit un hélicoptère de l’armée américaine abattre des civils irakiens à Bagdad. Mais ce sont surtout les centaines de milliers de documents classifiés secrets qu’il divulgue quelques mois plus tard qui font de WikiLeaks le phénomène médiatique du moment. Alimenté par une source située au coeur de l’armée américaine – on apprendra plus tard qu’il s’agit de Chelsea Manning – et relayé par des grands journaux de référence américains et européens qui publient des versions « caviardées » de ces documents, Julian Assange révèle au grand jour les agissements de l’armée américaine en Irak et en Afghanistan.
On pourrait encore rapprocher les deux hommes sur un point : ils sont tous deux devenus des symboles, des héros voire des martyrs de la liberté d’expression pour une partie de l’opinion publique internationale. Navalny a reçu le prix Sakharov 2021 pour la liberté de l’esprit, décerné par les députés du Parlement européen ; Assange a lui aussi été proposé pour le prix Sakharov par certains de ses partisans. Mais, et c’est une première différence remarquable entre les deux figures du combat pour la liberté d’expression, si ceux qui défendent Assange peuvent librement s’exprimer dans l’espace public, dans les journaux et les réseaux sociaux voire sur le pavé londonien, il n’en va pas de même pour ceux qui soutiennent Navalny en Russie, lesquels sont arrêtés sans ménagement par les forces de l’ « ordre », jugés sommairement et jetés en prison. Une autre différence, qu’il faut souligner sans plus tarder, est que Navalny avait fait l’objet d’une première tentative d’assassinat par les services secrets russes, que ses droits avaient ensuite été piétinés après son retour en Russie dans des mascarades de procès, et qu’il est mort en prison dans des circonstances si douteuses que son corps, cinq jours après son décès officiel, n’a toujours pas été restitué à ses proches. Autrement dit, il est quand même préférable d’être un martyr de la liberté d’expression en Occident qu’en Russie – ou dans d’autres pays qui ont une conception très particulière de cette liberté.
Mais ce constat trivial n’est pas le plus intéressant à mes yeux. Ce qui, fondamentalement, rapproche les deux hommes, c’est qu’ils sont des héros ambigus, des héros peut-être sans peur mais pas sans reproche, des héros imparfaits pour temps incertains. Prenez Navalny. Le courage immense dont il a fait preuve en rentrant en Russie après avoir réchappé de justesse à une première tentative d’assassinat (ou peut-être déjà la seconde, car en 2019, tandis qu’il purgeait une courte peine de prison, il avait aussi affirmé avoir été empoisonné par une matière chimique inconnue), l’intelligence, l’optimisme et l’humour dont il a fait preuve en bravant ses bourreaux, son refus de se laisser briser par la machine carcérale en font indéniablement une figure à la fois héroïque et sacrificielle. Mais ce héros a été un peu un salaud, notamment entre 2007 et 2011, lorsqu’il flirtait avec les milieux ultranationalistes russes, qu’il traitait les Tchétchènes de « cafards » et demandait leur « déportation ». Dans le même ordre d’idée, il ne s’est pas empressé pour dénoncer l’invasion de la Crimée par l’armée russe en 2014, à l’instar d’une grande majorité de ses compatriotes. Les Ukrainiens sont d’ailleurs beaucoup plus critiques que les Occidentaux à l’égard de Navalny. Certes, il était revenu sur ses déclarations de l’époque (dont certaines, à teneur antisémite, ont été forgées de toutes pièces par le pouvoir russe pour le discréditer), s’était excusé pour ses propos xénophobes, avait clairement dénoncé l’invasion de l’Ukraine par la Russie et l’illégitimité de l’occupation de la Crimée. Il n’en reste pas moins associé, dans l’esprit de bon nombre d’Ukrainiens, à l’impérialisme russe.
Assange a lui aussi ses zones d’ombre. Je ne mentionnerai qu’en passant les plaintes pour viol et agression sexuelle déposées contre lui en Suède par deux femmes – ces plaintes ont, depuis, été classées sans suite, faute de preuve. Plus embarrassant : sa décision, en 2011 (l’année même où Navalny rompt avec les milieux nationalistes et se lance dans le journalisme d’investigation qu’il juge plus efficace contre le pouvoir russe) de publier sans les expurger l’intégralité des fameux « câbles diplomatiques » que Chelsea Manning lui avait fait parvenir, y compris avec les éléments qui permettent d’identifier les personnes citées, ce qui met leur vie en danger. Certes, cette décision est prise par WikiLeaks après que ces documents aient déjà circulé sur Internet. Néanmoins, Assange leur offre indéniablement une visibilité beaucoup plus grande en les publiant sur son site. Même Edward Snowden, le lanceur d’alerte qui révéla le programme de surveillance globale de la NSA et trouva refuge – le monde est décidément tout petit – en Russie (grâce à l’aide fournie par WikiLeaks), trouva à redire à cette manière de faire qui dévoyait l’intention première du projet lancé en 2006 (« Leur hostilité à la plus minime des curations est une erreur », affirma-t-il, faisant allusion à la présence de données personnelles de citoyens ordinaires contenues dans les dernières publications du site). Quelques années plus tard, Assange aggrave son cas en décidant de publier les e-mails dérobés au Parti démocrate américain par des hackers téléguidés par le pouvoir russe, ce qui va plomber la campagne de Hillary Clinton. Donald Trump déclare, lors d’un de ses meetings de campagne, qu’il « adore WikiLeaks ». Et ainsi Assange se trouva-t-il accusé de rouler à la fois pour l’extrême-droite américaine et pour le Kremlin, que rapprochent bien des causes et des intérêts communs. Les libertariens américains seraient-ils les idiots utiles de l’impérialisme russe?
Toutes ces affaires, dignes du meilleur film d’espionnage (Jason Bourne, cet assassin repenti, n’est-il pas lui aussi l’archétype du héros imparfait de nos temps incertains?), seraient très divertissantes s’il n’était pas question de vie et de mort, de la vie et de la mort de ces hommes pourchassés et persécutés en raison de leurs convictions, mais surtout, au-delà d’eux, de milliers, de millions d’hommes et de femmes dont la vie et la mort dépendent du pouvoir de ces grandes puissances que sont les Etats-Unis et la Russie et du bon vouloir de ceux qui les dirigent. Au moment où les démocrates russes et occidentaux pleurent la mort du héros Navalny et où d’autres – ou les mêmes – font pression sur la justice britannique pour qu’elle renoncer à extrader le héros Assange, la France fait entrer au Panthéon Mélinée et Missak Manouchian, les résistants d’origine arménienne de l’Affiche rouge, ce dernier fusillé par les Allemands en février 1944 sur le Mont Valérien. Ces héros-là, certainement admirables, avaient-ils eux aussi leurs zones d’ombres, leurs faiblesses, leurs erreurs, leurs repentirs? J’ai tendance à le penser car nul héros, parce que homme (ou femme), n’est véritablement sans reproches. N’importe : le temps et l’unanimité républicaine en présentent une image impeccable, sans un faux pli. Comme des statues de cire au musée Grévin.
PS : un citoyen a eu une brillante idée, que je relaie ici : rebaptiser le boulevard Lannes, où se trouve l’ambassade de Russie à Paris, du nom d’Alexeï Navalny. On échangerait le nom d’un maréchal d’Empire – lui aussi hébergé au Panthéon, depuis 1810 – contre un héros de notre temps. Si vous êtes, comme moi, séduit par cette idée, voici le lien de la pétition qui circule sur Change.org :
Bienvenue sur le blog de Laurent Martin, professeur d'histoire à l'université de Paris 3 Sorbonne-Nouvelle, membre du laboratoire ICEE, libre penseur..