Colloques d’automne

Bonsoir,

l’un des effets les plus agréables d’une délégation dans un laboratoire CNRS est qu’elle vous redonne le temps de recherche que l’institution universitaire, en particulier dans un établissement comme la Sorbonne-Nouvelle, vous ôte en temps ordinaire. Vous êtes censé être un enseignant-chercheur, votre fiche de poste en fait foi mais, en réalité, tout votre temps de travail est consacré à l’enseignement et à l’administration ; bienheureux quand vous pouvez dégager une journée par semaine pour ce qui est, officiellement, la moitié de votre travail. Bénéficiant cette année universitaire de ce régime de faveur (qui nous est octroyé comme tel, alors qu’il devrait être considéré comme une respiration régulière dans une carrière universitaire), je goûte à cette liberté retrouvée, même si les étudiants me manquent un peu (l’homo academicus n’est pas à une contradiction près). Je ne les ai d’ailleurs pas complètement abandonné.e.s, continuant à mener mes doctorant.e.s. paître dans les verts pâturages du Savoir en même temps qu’une quarantaine (oui, vous avez bien lu) de mastérants. Mais ne pas donner de cours, ni avoir à les préparer libère quand même des heures que je passe entre la Bibliothèque nationale de France, les Archives nationales et le campus Condorcet, à Aubervilliers, où se trouve le Centre d’histoire sociale qui m’accueille cette année – grâces lui en soient rendues!

Je retrouve aussi le temps d’aller à des journées d’étude, à des colloques, à des séminaires, ce qui est la meilleure manière d’apprendre des choses tout en socialisant avec ses semblables. Ainsi, en fin de semaine dernière, le Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaine célébrait-il son trentième anniversaire à l’université de Versailles/Saint-Quentin-en-Yvelines. J’assistai à la première des deux journées, organisées de main de maîtresse par l’actuelle directrice du Centre, mon amie Anne-Claude Ambroise-Rendu, ici photographiée (un peu malicieusement, je l’avoue) entre deux de ses prédécesseurs, Jean-Yves Mollier et Jean-Claude Yon. Deux autres anciens directeurs du Centre, Pascal Ory et Christian Delporte, n’étaient pas physiquement présents mais avaient envoyé un message amical.

Ce fut une journée très intéressante, où les interventions sur les orientations scientifiques du Centre alternèrent avec des séquences plus nostalgiques, qui permirent d’évoquer le glorieux passé du Centre, principal laboratoire, aux sens propre comme figuré, de l’histoire culturelle à la française, et qui l’est resté par delà les vicissitudes institutionnelles et personnelles. De bons et de moins bons souvenirs m’attachent au Centre, que j’ai connu presque à sa création. C’est là en effet que j’ai effectué mes premiers pas de chercheur (si je mets de côté la maîtrise d’histoire que j’avais réalisée à l’université de Paris 1, sous la direction d’André Kaspi, évoqué dans un billet précédent) et d’enseignant, dans les pré-fabriqués qui tenaient alors lieu de locaux à cette université d’une ville nouvelle qui surgissait de terre à cette époque – nous étions au mitant des années 1990. Je fus, avant cela, de la première fournée du fameux séminaire d’histoire socio-culturelle créé à Saint-Quentin-en-Yvelines par le tandem Ory / Mollier, avec d’autres camarades que je vois encore de temps à autre, Christophe Gauthier, aujourd’hui professeur à l’Ecole des Chartes, Dimitri Vezyroglou, maître de conférence à Paris 1, ou encore Geneviève Rudolf, mon éditrice à Citadelle & Mazenod. Cela ne nous rajeunit pas…

Ce colloque est passé, je ne peux donc plus vous conseiller d’aller y faire un tour. En revanche, deux autres journées d’étude sont encore à venir, que je veux signaler dans ce billet.

La première a lieu… demain, à la Maison de la recherche de la Sorbonne-Nouvelle. Organisée par mes collègues et amis Bertrand Tillier et Guillaume Soulez, elle porte sur l’émission de télévision Tac au Tac, qui fit les belles heures de l’ORTF de 1969 à 1975. Sur le principe de la joute non oratoire mais graphique, elle mettait aux prises quatre dessinateurs/trices de presse et/ou de bande dessinée qui devaient réaliser en un temps limité des dessins sur commande, à partir de contraintes ludiques imposées par un animateur. Oulipo dessiné, cette émission permit de faire connaître et apprécier d’un large public la bande dessinée que l’on associait encore très souvent à l’univers de l’enfance. Au-delà de l’émission elle-même, les intervenants de la journée d’étude analyseront les rapports entre télévision et bande dessinée.

La journée commence à 9h. Vous trouverez le programme ici :

Autre journée d’étude à venir, cette fois du côté de Toulouse. L’ami Nicolas Peyre rassemble un brillant aréopage pour réfléchir sur les enjeux de l’après covid pour le monde de la culture. Quels financements trouver, comment faire revenir le public dans les salles de cinéma, de théâtre, de concert ou d’exposition, comment résister au tout-virtuel… Autant de questions au menu de cette manifestation prévue le 2 décembre prochain. Demandez le programme :

Je termine ce billet de novembre en rappelant l’existence d’un appel à articles pour le dossier d’un prochain numéro de la revue Sociétés et Représentations. Le thème de ce dossier? « La beauté sous le regard des sciences humaines et sociales ». La date limite pour envoyer une proposition d’article n’étant pas encore passée (mais nous y sommes presque : le 1er décembre), je replace cet appel sous vos yeux, espérant déclencher des vocations, même tardives :

La revue Sociétés & Représentations consacrera l’un de ses prochains dossiers (2023/2) à la question de la beauté dans les sociétés humaines modernes et contemporaines. La beauté, ou plutôt les beautés, tant ce concept, central dans l’histoire de l’art occidentale, doit être déconstruit et diffracté dans les multiples sphères de l’activité sociale où il trouve à s’actualiser, sous des visages à chaque fois différents. Outre que l’art n’est pas réductible à la beauté et que la beauté ne saurait se réduire à l’harmonie des formes ou des facultés, la réflexion sur la beauté ne doit pas se limiter à une réflexion sur l’art, à quoi nous invite peut-être à l’excès toute la tradition intellectuelle qui dérive de Kant puis de Hegel. Dans leur souci de donner la prééminence à un certain type d’activité de l’esprit humain, ces deux philosophes ont en effet relégué dans un ordre de valeur bien inférieur les beautés de la nature mais aussi les arts appliqués ou encore l’esthétique ordinaire qui peut constituer notre environnement immédiat, en ville comme dans les campagnes ; autant de réalités qu’une méditation sur la beauté comme qualité des êtres et des choses se doit nécessairement d’inclure. La beauté peut être conçue comme norme de représentations, qualité prêtée au vivant ou à l’inerte, verbalisation d’une appréciation et d’affects. Toutes les sciences humaines ont quelque chose à dire sur la beauté et les contributions attendues devraient prendre en charge la dimension épistémologique du rapport des disciplines à cet objet.

Ainsi, une discussion sur la beauté qui ferait l’économie d’une réflexion sur la façon dont une société donnée pense, traite, valorise (ou non) le corps humain passerait à côté d’une dimension essentielle de la question. La beauté corporelle est devenue centrale dans nos imaginaires, notre économie (financière aussi bien que libidinale), notre fonctionnement social, pour le meilleur (le souci de soi et de l’autre) et pour le pire (la tyrannie des apparences) qu’il s’agit de penser ensemble. Cette histoire de la beauté corporelle – qui croise bien sûr à plus d’un endroit celle de la beauté artistique – révèle certaines propriétés ontologiques de la beauté qui contredisent en certains points la définition kantienne : rien de moins universel et nécessaire, rien de plus mouvant dans le temps et relatif dans l’espace que cette beauté-là. Au-delà de la force des normes esthétiques imposées par les médias, ce qui frappe l’oeil de l’observateur, c’est l’essentielle historicité de ce que nous tenons spontanément et à tort pour invariant et universel. Mais à son tour, l’attention que nous devons à la beauté corporelle risque de nous entraîner sur la voie d’un exclusivisme mutilant : toute la beauté ne relève pas du visuel – il est d’autres prestiges « rythme, parfum, lueur » ! et l’on pourrait réfléchir aux autres sens qu’elle engage – et même, sans doute, ne relève pas seulement du sensuel : on parle de beauté intérieure, les chrétiens de beauté de l’âme et d’autres notions voisines semblent renvoyer à cette beauté invisible pour l’oeil mais qui dépasserait infiniment celle que nous pouvons percevoir.

Les propositions de contribution pourront interroger ce topos, de même qu’elle pourraient interroger les rapports entre le Beau et d’autres concepts qui peuvent lui être associés (le Vrai, le Juste, le Bon), mettre en rapport des domaines d’expérience différents (les arts et les sciences, la santé, l’industrie de la beauté, le design et la mode…), comparer dans le temps (une histoire de la beauté) et dans l’espace (une géographie et une anthropologie de la beauté), parmi d’autres axes possibles de cette réflexion.

Les propositions d’article ne devront pas dépasser une page. Outre un titre et un sujet provisoires, elles comporteront une courte bibliographie et une présentation des sources envisagées. Elles devront parvenir au directeur du dossier au plus tard le 1er décembre. Elles feront l’objet d’une évaluation en double aveugle, avec une version définitive envoyée le 1er mars, pour une publication prévue en septembre 2023.

Contact : laurent.martin@sorbonne-nouvelle.fr

Pour conclure… en beauté, et rester dans le ton, la couverture d’une bd publiée en 2014, chez Dupuis, par Hubert et Kerascoët, Beauté : un conte de fée « caustique et décalé » qui raconte la vie d’un laideron métamorphosé par magie en beauté chavirante, ce qui ne lui porte pas forcément chance… Une histoire sur la tyrannie des apparences et ses effets pervers.

A bientôt pour un prochain billet!

LM

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