dernier post de l’année universitaire 2018/2019, avant les grands départs, des vacances longtemps attendues et la préparation d’une nouvelle rentrée. Je le consacrerai à une belle exposition qui vient de fermer ses portes au Musée d’Orsay : « le modèle noir, de Géricault à Matisse », centrée sur les représentations des Noirs dans l’art français, de la fin du XVIIIe siècle au milieu du XXe siècle.
(Denise Murell devant le tableau de Manet, Olympia, 1863)
Exposition exemplaire à plus d’un titre, « modèle d’exposition », elle rassemblait des pièces souvent remarquables, certaines exceptionnelles, qui permettaient de mettre en lumière ces protagonistes méconnus ou oubliés de l’histoire de l’art que furent ces hommes et ces femmes à la peau noire peints ou photographiés par les plus grands noms de l’art français, Théodore Géricault, Édouard Manet, Henri Matisse ou encore Nadar. C’est la première fois qu’un grand musée français montait une telle exposition, qui vient à son heure dans un pays qui s’interroge de plus en plus sur la place faite, dans les arts, les médias, la société dans son ensemble, aux minorités visibles – ou invisibles. Aux États-Unis, pour des raisons évidentes, cette réflexion a été plus précocement engagée et il n’est donc pas surprenant que le point de départ de cette exposition se situe outre-Atlantique, avec les travaux de Denise Murrell qui a interrogé l’identité et la place de la servante noire représentée par Édouard Manet dans son tableau Olympia réalisé en 1863. L’universitaire américaine s’est demandée pourquoi la plupart des commentaires, y compris ceux que suscita à l’époque cette oeuvre souvent jugée scandaleuse, s’étaient focalisés sur la figure de la courtisane blanche et avaient délaissé celle de la servante noire. Elle replaçait cette indifférence relative dans un contexte plus large, celui de l’invisibilisation des modèles féminins noirs, objet d’une première exposition à la Wallach Art Gallery de New York.
Par rapport à cette première étape new-yorkaise, l’exposition du Musée d’Orsay élargissait le propos à l’ensemble des modèles noirs, masculins comme féminins, sur une période allant de la fin du XVIIIe siècle au milieu du XXe siècle (là où l’exposition américaine démarrait avec Manet et allait jusqu’à nos jours), soit une plage de temps excédant celle couverte par les collections du musée qui dut recourir à de nombreux prêts par d’autres institutions françaises et étrangères. Mais surtout, on sortait du cadre strict des Black Studies à l’américaine pour un dialogue parfaitement maîtrisé entre histoire et histoire de l’art. Ce qu’eut en effet à la fois d’exemplaire et de rare cette exposition, à nos yeux d’historien, c’est le souci constant qu’elle montra de replacer les manifestations artistiques dans leur contexte historique et de considérer les oeuvres rassemblées non seulement selon leurs qualités proprement esthétiques mais aussi selon leur capacité à témoigner de l’époque qui les vit apparaître. Chacune de ces peintures, de ces sculptures, de ces photographies, chacun de ces dessins représentait à la fois un moment de l’histoire de l’art et un élément constitutif des sensibilités et mentalités de son époque. Il faut ici saluer le travail remarquable accompli par les quatre co-commissaires : Cécile Debray, conservatrice en chef du patrimoine, directrice du musée de l’Orangerie, Stéphane Guégan, conseiller scientifique auprès de la présidente des musées d’Orsay et de l’Orangerie, Isolde Pludermacher, conservatrice en chef au musée d’Orsay et enfin Denise Murrell, à qui l’on doit l’exposition de New York, chercheuse à la Ford Foundation et Postdoctoral Research Scholar à la Wallach Art Gallery.
L’exposition suivait un fil chronologique, s’arrêtant sur quelques moments clefs particulièrement documentés : la Révolution française et les débuts du Premier Empire, de l’abolition de l’esclavage par la Convention à son rétablissement par Napoléon ; la seconde abolition, en 1848, qui précède de peu le grand élan colonisateur du second XIXe siècle ; la fascination des avant-gardes artistiques du début du XXe pour l’ « art nègre » ; l’émergence du mouvement de la « négritude » dans l’entre-deux-guerres. Une périodisation en émerge, que l’on pourrait résumer comme suit : de la fin du XVIIIe siècle au milieu du XIXe siècle, d’une abolition à l’autre, le Noir est, pour l’essentiel, un objet – de discours, de représentations et de transaction. L’esclavage est aboli une première fois en 1794 sous la pression du soulèvement des esclaves de Saint-Domingue – le seul grand soulèvement d’esclaves de l’histoire qui ait réussi, Saint-Domingue devenu la République d’Haïti constituant dès lors un espoir pour tous les esclaves et une menace pour l’ordre esclavagiste qui continue de prévaloir dans les anciennes colonies américaines – mais pour peu de temps et ne le sera définitivement qu’en 1848. Le mouvement abolitionniste est une affaire de Blancs et cherche plus à adoucir qu’à supprimer totalement la domination exercée sur les Noirs. Le célèbre tableau de François-Auguste Biard, L’ Abolition de l’esclavage dans les colonies françaises le 27 avril 1848 qui date de 1849, montre bien la persistance d’une relation dissymétrique entre des Blancs qui octroient l’émancipation soi-disant par générosité philanthropique et des Noirs priés de leur en être éternellement reconnaissants. La présence du drapeau tricolore indique qu’émancipation ne signifie pas indépendance et que la République renaissante entend affirmer sa fraternelle autorité sur tous les peuples et territoires qui sont encore privés des lumières de la civilisation…
(François Auguste Biard, L’ Abolition de l’esclavage dans les colonies françaises le 27 avril 1848, 1849)
On bascule dès lors dans une deuxième époque, qui court du milieu du XIXe siècle au milieu du XXe, pendant laquelle l’entreprise coloniale, poursuivie presque sans relâche par les différents régimes qui se succèdent en France, construit cette « plus grande France » dans laquelle les peuples de « couleur » sont invités, de gré ou de force, à s’inscrire. Certes, ces peuples sont « libres »… pour peu qu’ils reconnaissent l’autorité des administrateurs envoyés par la métropole. Coïncidant avec cette phase d’expansion coloniale, et la justifiant, une idéologie raciste se fait jour, alimentée par des pseudo-sciences en plein essor – la phrénologie, l’anthropologie physique – et des technologies nouvelles – la photographie anthropométrique -, versant « scientifique » d’un imaginaire populaire nourri par les vecteurs d’une première « culture de masse » qui diffusent les stéréotypes les plus dépréciatifs à l’égard des Noirs. Mais ceux-ci, déjà, ne sont plus uniquement les objets d’un discours ; à côté des artistes de scène qui peuvent encore être considérés comme les avatars du « singe savant », non loin des corps noirs que l’on exhibe dans les zoos humains rendus célèbres par l’historiographie récente, émerge un mouvement politique et intellectuel qui s’efforce de rendre aux populations noires – devenues plus nombreuses dans quelques quartiers de grandes métropoles françaises, Paris, Bordeaux, Marseille, surtout à partir de la Première Guerre mondiale – fierté et dignité, le fait nouveau étant que ce mouvement est désormais l’affaire des Noirs eux-mêmes. De W.E. Dubois à Aimé Césaire en passant par les intellectuels et artistes de la Harlem Renaissance, les Noirs deviennent enfin, ou plutôt redeviennent, les sujets de leur histoire.
La figure du modèle noir apparaît comme une sorte de révélateur de cette grande histoire tout ensemble politique, sociale, culturelle racontée par l’exposition. Au début de la période, ils sont le plus souvent anonymes ou ne sont connus que par un prénom voire un surnom, et c’est l’un des grands mérites des commissaires de l’exposition que d’avoir fait l’effort de chercher à retrouver l’identité d’individus tenus pour quantité négligeable par l’histoire de l’art traditionnelle. C’est ainsi qu’émerge de la nuit des archives la belle figure de « Joseph », Noir originaire de Saint-Domingue, arrivé en France au début de la Restauration et qui deviendra l’un des modèles les plus prisés des peintres français de la première moitié du XIXe siècle, posant notamment pour Géricault, Vernet ou Chassériau. C’est à Joseph que l’auteur du Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle se référa pour définir le mot « modèle ». On pense également à « Madeleine », qui posa pour Marie-Guillemine Benoist peu avant 1800 : le tableau initialement intitulé Portrait d’une négresse a reçu un nouveau titre prenant en compte l’identité retrouvée du modèle : Portrait de Madeleine. À la fin de la période, Aïcha Goblet, Ady Fidelin, Carmen Lahens, muses et modèles de peintres français majeurs, sont des personnalités du tout-Paris, le summum étant atteint par Josephine Baker, la première star noire de la scène française et égérie des avant-gardes artistiques.
Deux tableaux nous semblent pouvoir résumer cette trajectoire : dans Olympia de Manet (1863), la servante noire apparaît comme le faire-valoir de la courtisane blanche au regard souverain ; dans l’admirable La Blanche et la Noire de Valloton (1913), qui est un hommage direct au tableau de Manet, le personnage noir est assis sur le bord du lit et regarde, impassible, une cigarette aux lèvres, le corps allongé, abandonné, de la femme blanche. La relation apparaît beaucoup plus égale voire inversée.
(La Blanche et la Noire, de Félix Valloton, 1913)
Bien d’autres thèmes étaient présents dans cette exposition, qui ne se bornait d’ailleurs pas aux arts visuels mais présentait aussi des oeuvres relevant du théâtre, de la littérature, de l’opéra, du music-hall, etc. et insistait sur les circulations au sein de cet espace géoculturel qu’on a appelé « l’Atlantique noir ». Ce compte-rendu n’en épuise évidemment pas la richesse et vise seulement à souligner l’importance majeure de cette exposition que l’on pourra retrouver bientôt – à partir de septembre et jusqu’en décembre 2019 -, sous une forme peut-être différente, au centre caribéen d’expressions et mémoire de la traite et de l’esclavage de Pointe-à-Pitre.
Pour ceux qui n’ont pas eu la chance de pouvoir visiter l’exposition parisienne ou qui ne pourront se rendre en Guadeloupe, il reste les catalogues, en divers formats, ainsi que les numéros des revues spécialisées, également bien faits, abondants en belles reproductions et textes intéressants. De quoi nourrir la réflexion sur des questions devenues centrales dans le débat public actuel.
Je vous souhaite un bel été et vous donne rendez-vous dans quelques semaines.
je me permets de vous remettre sous les yeux le (beau) programme de la journée d’étude organisée par l’ADHC vendredi prochain à la Maison Suger sur l’histoire du rêve européen. Entrée libre dans la limite des places disponibles!
Journée d’étude organisée par l’Association pour le développement de l’histoire culturelle : Que reste-t-il du rêve européen? Retour sur l’histoire d’une utopie contemporaine
Vendredi 17 mai 2019, Maison Suger, 16-18 rue Suger 75006 Paris 9h30-17h30
9h30 accueil
9h45 allocution de bienvenue par Evelyne Cohen, secrétaire générale de l’ADHC
10h Christophe Charle (univ. Paris 1 / IHMC) : Intellectuels et visions de l’Europe avant et après 1914 (de Charles Seignobos à Jules Romains)
10h30 Christine Manigand (univ. Paris 3 / ICEE) : Aristide Briand et les milieux européistes de l’entre-deux-guerres (texte lu par Evelyne Cohen)
11h Laurent Martin (univ. Paris 3 / ICEE) : Les intellectuels et l’Europe depuis 1945, entre pessimisme de la raison et optimisme de la volonté
11h30-12h15 discussion
12h30-14h pause déjeuner
14h reprise des travaux. Intervention de Pascal Ory, président de l’ADHC
14h15 Françoise Taliano-des-Garets (IEP Bordeaux / CHS) : La culture dans les capitales européennes : une utopie concrète
14h45 Anne-Marie Autissier (univ. Paris 8 / CRESPPA) : Ambitions et limites des réseaux culturels européens
15h15-15h45 discussion
15h45-16h pause
16h Didier Francfort (univ. de Lorraine / IHCE) : Les festivals musicaux en Europe
16h30 Jolanta Kurska (présidente de la Fondation Bronislaw Geremek) : L’Europe de Geremek est-elle encore possible ?
Paris, la France, le monde se réveillent ce matin appauvris. La Cathédrale Notre-Dame de Paris a en partie brûlé et, avec elle, des siècles de dévotion et d’attachement.
Il n’est pas besoin de se dire ou de se sentir chrétien pour ressentir l’émotion la plus vive. Notre Dame contemple Paris depuis un millénaire. Des millions de gens ont prié dans cette cathédrale, y ont chanté, pleuré, espéré. Des millions d’autres l’ont visitée. Ce n’est pas affaire que de bois brûlé ou de tableaux perdus, c’est un peu de notre imaginaire qui est parti en fumée.
Souhaitons maintenant que les travaux de restauration débutent au plus vite et soient dotés des moyens à la hauteur du défi à relever.
« Sans doute c’est encore aujourd’hui un majestueux et sublime édifice que l’église Notre-Dame de Paris. Mais, si belle qu’elle se soit conservée en vieillissant, il est difficile de ne pas soupirer, de ne pas s’indigner devant les dégradations, devant les mutilations sans nombre que simultanément le temps et les hommes ont fait subir au vénérable monument, sans respect pour Charlemagne qui en avait posé la première pierre, pour Philippe Auguste qui en avait posé la dernière. (…)
Il est, à coup sûr, peu de plus belles pages architecturales que cette façade, (…) vaste symphonie en pierre, pour ainsi dire ; oeuvre colossale d’un homme et d’un peuple, tout ensemble une et complexe comme les Iliades et les Romanceros dont elle est soeur ; produit prodigieux de la cotisation de toutes les forces d’une époque, où sur chaque pierre on voit saillir en cent façons la fantaisie de l’ouvrier disciplinée par le génie de l’artiste ; sorte de création humaine, en un mot, puissante et féconde comme la création divine, dont elle semble avoir dérobé le double caractère : variété, éternité ».
Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, Livre troisième, chapitre 1.
la fin des cours approche mais l’année universitaire est loin d’être finie. Le printemps est la saison où éclosent les journées d’études et les colloques… Voici quelques rendez-vous à ne pas manquer, par ordre chronologique.
Le jeudi 18 avril a lieu la prochaine séance du séminaire « Histoire culturelle des capitales européennes » au Musée national de l’histoire de l’immigration, au Palais de la Porte Dorée dans le 12e arrondissement de Paris. Il y sera question de littérature, en lien avec la remise du « prix littéraire de l’exil » du MNHI qui aura lieu ce même jour à 19h.
Voici le programme de cette séance qui nous fera voyager de Paris à Londres et à Berlin :
Langue (s) et littérature (s) de l’exil dans les capitales européennes depuis 1945, MNHI Jeudi 18 avril 2019 – 14h-16h
Intervenantes:
Kaoutar Harchi, écrivaine, sociologue, chercheure associée au Cerlis L’intégration de Kateb Yacine au répertoire de la Comédie-Française. Des rapports de pouvoir à l’œuvre
Isabelle Le Pape, chargée de collection en littérature anglophone à la Bibliothèque nationale de France : Hybridation culturelle et migrations littéraires autour de Londres
Myriam Geiser, maîtresse de conférences à l’université de Grenoble-Alpes à l’ILCEA4 : Berlin comme carrefour d »histoire(s) et d’identités dans les récits d’écrivains germano-turcs après la chute du Mur
Trois autres événements sont à signaler, l’un malheureusement passé (je m’y suis pris trop tard, pardon!), les autre à venir, qui ne sont pas sans lien avec l’Europe et les capitales européennes…
Les événements à venir d’abord :
Une collègue géographe, Camille Rouchi, chargée de cours au département de Médiation culturelle, m’informe du lancement d’une opération pilotée par la Mairie de Paris : « Paris s’écrit ».
La Ville de Paris souhaite que le temps d’une journée, une centaine de lieux de la Capitale, insolites ou quotidiens, accueillent des écritoires et des propositions d’évènements ou d’accompagnement à l’écriture.
Bureaux de Poste, Mairies d’arrondissements, lieux artistiques et culturels, bibliothèques, lieux publics, cafés, librairies, établissements scolaires et centres d’animation… partout ou presque, les Parisiens trouveront un endroit dédié où ils pourront prendre quelques minutes pour renouer avec l’écriture manuscrite…
Cette opération est lancée le mercredi 15 mai. Je poste ici le document envoyé par Camille Rouchi qui précise le contenu de cette opération.
L’autre événement que je voulais signaler aura lieu deux jours plus tard : la journée d’étude organisée par l’Association pour le développement de l’histoire culturelle à la Maison Suger, à Paris, le vendredi 17 mai, sur le thème du rêve européen – ce qu’il fut et ce qu’il en reste. La tonalité risque d’être quelque peu nostalgique voire mélancolique… ou franchement inquiète, nous verrons. Voici en tout cas le programme :
Journée d’étude organisée par l’Association pour le développement de l’histoire culturelle : Que reste-t-il du rêve européen? Retour sur l’histoire d’une utopie contemporaine
Vendredi 17 mai 2019, Maison Suger, 16-18 rue Suger 75006 Paris 9h30-17h30
9h30 accueil
9h45 allocution de bienvenue par Evelyne Cohen, secrétaire générale de l’ADHC
10h Christophe Charle (univ. Paris 1 / IHMC) : Intellectuels et visions de l’Europe avant et après 1914 (de Charles Seignobos à Jules Romains)
10h30 Christine Manigand (univ. Paris 3 / ICEE) : Aristide Briand et les milieux européistes de l’entre-deux-guerres
11h Laurent Martin (univ. Paris 3 / ICEE) : Les intellectuels et l’Europe depuis 1945, entre pessimisme de la raison et optimisme de la volonté
11h30-12h15 discussion
12h30-14h pause déjeuner
14h reprise des travaux. Intervention de Pascal Ory, président de l’ADHC
14h15 Françoise Taliano-des-Garets (IEP Bordeaux / CHS) : La culture dans les capitales européennes : une utopie concrète
14h45 Anne-Marie Autissier (univ. Paris 8 / CRESPPA) : Ambitions et limites des réseaux culturels européens
15h15-15h45 discussion
15h45-16h pause
16h Didier Francfort (univ. de Lorraine / IHCE) : Les festivals musicaux en Europe
16h30 Jolanta Kurska (présidente de la Fondation Bronislaw Geremek) : L’Europe de Geremek est-elle encore possible ?
17h-17h30 discussion
17h30 fin des travaux
Retour à Paris… Samedi dernier a eu lieu au cinéma Club de l’Etoile, dans le 17e arrondissement de Paris, la projection hélas unique d’un film atypique « Paris est toujours Paris », qui date de 1951 et fut réalisé par Luciano Emmer. Paola Palma, qui a travaillé sur ce film, nous en livre ici une analyse érudite autant que bienveillante :
Paris est toujours Paris… « et l’Italie notre chère sœur latine »(1)
La maison italienne Fortezza Film et la firme française Omnium international produisent en 1951 l’une des rares coproductions franco-italiennes parfaitement paritaires, un film à 50 % français et à50 % italien.
A l’époque, le réalisateur Luciano Emmer a déjà sorti des documentaires d’art très appréciés et a connu le succès avec Dimanche d’août (Domenica d’agosto, 1950) : la protagoniste en était la ville de Rome durant une journée d’été, un seul dimanche durant lequel plusieurs intrigues se développaient simultanément. Il en va de même dans « Paris est toujours Paris », où le scénario (avec la contribution du futur réalisateur Francesco Rosi) et la mise en scène construisent avec une grande habileté «ces entrelacs de tendresse, de poésie et de boufonnerie »(2). Emmer est considéré comme un « auteur », dont les Cahiers du cinéma regrettent qu’il soit ici prêté à la comédie. Mais ils doivent admettre que « Paris est toujours Paris » contient de « très belles images de Paris d’une luminosité précise, poétique et assez curieusement irrévélée jusqu’alors »(3). En effet, Emmer racontera : « Pour préparer « Paris est toujours Paris », nous avons vécu une vie de bohème […]. J’ai découvert un Paris qui avait encore un petit héritage de la période fin de siècle »(4). Et son directeur de la photographie, Henri Alekan, a su saisir la lumière adaptée à ce mélange de passé et de présent, tout en la manipulant pour faire ressortir le charme de la capitale dans des différentes situations météorologiques.
Mené« sur un rythme allègre et avec humour »(5), par un réalisateur qui « ne manque jamais de malice, de tact ni d’intelligence »(6), le film est enrichi par les malentendus culturels et surtout bilingues, « un numéro qui dure presque autant que le film : explications laborieuses, avec force gestes et syllabes chantantes, roulement d’yeux, regards étonnés, regards allumés tant que la fraicheur et le charme aussi que suivront presque toujours des mines déçues »(7). Ce film observe avec sympathie la maladresse d’Aldo Fabrizi, touchant et « comique à souhait » (8), les disputes de fiancés des très jeunes et pas encore si célèbres Lucia Bosèet Marcello Mastroianni, mais aussi « l’idylle charmante, pleine de fraîcheur, entre le jeune Romain [Franco Interlenghi] et la petite Française [Hélène Rémy] »(9).
Les dialogues sont brillants, et les scénaristes s’amusent et nous amusent avec des gags qui nous rappellent aussi que si le tourisme était – à l’époque – un phénomène nouveau, le touriste voyageait déjà avec ses attentes fantaisistes et un goût quelque fois dangereux pour l’inattendu (sportif, culturel, romantique et parfois piquant…). Il s’agit d’une des premières comédies cinématographiques organisées autour du motif des vacances courtes et pressées, mais qui permettent aux personnages de se (re)trouver au contact d’une culture et d’une population étrangères. Il n’est pas étonnant que cet échange se fasse ici entre la France et l’Italie, à l’enseigne du brio et du sourire !… Mais, « tout ironique qu’il soit, le regard que ce film porte sur Paris brille d’amitié, d’affection, de compréhension, c’est vraiment le regard de notre sœur latine »(10).
Paola Palma
1 Titre de la critique de Jean Thévenot dans Les Lettres françaises, du 5 au 12 décembre 1952.
2 Ibid.
3 Jean-José Richer, « Paris est toujours Paris », Cahiers du cinéma, n° 19, janvier 1953.
4 Introduction au texte du scénario original du film, édité par la commune de Gorizia, 1987.
5 Jacqueline Fabre, « Pour Luciano Emmer Paris n’est pas la ville de toutes les perditions », Libération, 2 décembre 1952.
6 Jean Fayard, « Paris est toujours Paris », Paris Comoedia, 2 décembre 1952.
7 Louis Chauvet, « Paris est toujours Paris », Le Figaro, 2 décembre 1952.
8 Claude Garson, « Paris sera toujours Paris », L’Aurore, 3 décembre 1952.
9 L. Chauvet, « Paris est toujours Paris », déjà cité.
10 J. Thévenot, « Paris est toujours Paris : et l’Italie notre chère sœur latine », déjàcité.
Ce film n’aura fait qu’une trop brève réapparition sur les écrans parisiens. J’espère que nous aurons l’occasion de le revoir, au moins grâce à une réédition en DVD! Je vais me renseigner auprès de Paola Palma et vous tiendrai au courant.
beaucoup de choses à annoncer ces jours-ci, j’enchaîne donc les posts, j’espère que vous suivez…
La première info ne concernera que celles et ceux qui sont actuellement aux Antilles… Demain 1er mars s’ouvre à l’université des Antilles, sur le campus Schoelcher, un séminaire consacré aux « consciences diasporiques aux Amériques ». Catherine Kirchner, l’une de mes doctorantes, y présentera une communication sur la « présence afropéenne aux Antilles ».
Autre événement universitaire à venir prochainement : la Semaine des Arts et des Médias qui aura lieu toute la semaine prochaine sur le site Censier de l’université de la Sorbonne-Nouvelle Paris 3. Au programme, des rencontres, des expositions, des conférences… Le voici :
Je poursuis mes petites et grandes annonces, avec des réjouissances à venir du côté de la revue HEY! chère à mon coeur.
Le 23 mars prochain ouvrira la 4e exposition organisée par l’équipe de HEY! à la Halle Saint-Pierre. Comme pour les trois précédentes, celle-ci ne manquera pas d’offrir à nos yeux blasés de quoi les tournebouler. Trente-six artistes rassemblés par Anne, Zoé et Julien, cueillis à la main dans divers pays du monde, aux techniques et esthétiques diverses mais qui font tous dans le figuratif pas banal, modern art et pop culture, celui qui vous fouette les sangs et vous secoue le cerveau. Faites passer l’info!
J’en profite pour dire que le numéro trois du DELUXE de HEY! sort bientôt en librairie (le 8 mars), il promet lui aussi de déchirer grave, comme ne disent plus les jeunes d’aujourd’hui.
En prime, l’affiche de l’expo qui se tiendra à la Halle Saint-Pierre du 23 mars au 2 août 2019.
Il n’y a pas d’artiste hongrois parmi les artistes qui seront présentés à la Halle Saint-Pierre. C’est dommage, il aurait eu certainement des choses à nous apprendre sur la situation inquiétante de la liberté d’expression et des droits de l’homme dans ce pays européen. Dans le domaine de la recherche universitaire en tout cas, le signal d’alarme est tiré. Je relaie ici la demande de soutien qui circule dans les milieux académiques français pour alerter sur la situation subie par nos collègues hongrois.
Message de Balázs Ablonczy
Objet : demande de soutien pour la liberté académique en Hongrie
Cher(e)s collègues, cher(e)s ami(e)s,
Excusez-moi de vous importuner. Comme vous le savez certainement, il y a des choses inquétantes qui se passent en Hongrie, en matière de la recherche. Je me permets de vous envoyer l’appel de soutien du Forum du Personnel de l’Académie hongroise des sciences (la traduction est la mienne de l’anglais original, excusez-moi pour les maladresses). Si vous avez un moment libre, aidez-nous, en montrant votre soutien, par l’envoi d’un mél à l’adresse en bas.
Bien cordialement,
Balázs Ablonczy
historien, chercheur
Cher(e)s collègues,
C’est avec une réelle inquiétude pour l’avenir de la liberté académique en Hongrie que je vous écris pour vous demander votre aide. En tant que chercheur de l’Académie hongroise des sciences, j’ai pu constater au cours des dernières années que le gouvernement actuel a pris des mesures concrètes pour affirmer son contrôle sur les institutions universitaires hongroises, mettant ainsi en danger la liberté universitaire et celle de la recherche. Je vous lance un appel en partant de ma ferme conviction que nous partageons un engagement en faveur du principe fondamental selon lequel la liberté de la vie académique face aux intérêts politiques est l’un des piliers d’une démocratie fonctionnelle et de la recherche. Ce principe est sérieusement compromis en Hongrie et la liberté académique est menacée de manière imminente.
En mai 2018, le gouvernement hongrois a créé un nouveau ministère, appelé Ministère de l’Innovation et de la Technologie. Puis, en juillet 2018, 70% du budget de l’Académie hongroise des sciences pour 2019 ont été transférés à ce ministère. Le budget prévoit un financement normatif pour le réseau de centres de recherche de l’Académie, qui compte environ 5 000 chercheurs et membres du personnel scientifique. La coupure du budget est désormais liée à un nouveau système d’appels d’offres thématiques à court terme. Le 31 janvier 2019, l’Office national de la recherche, du développement et de l’innovation, contrôlé par le ministère de l’Innovation et de la Technologie, a lancé un «programme d’excellence». Selon ce nouveau modèle, les centres de recherche doivent la totalité de leur budget en soumettant des offres évaluées selon des procédures d’évaluation peu claires (non spécifiées), permettant ainsi des décisions arbitraires et motivées par des considérations politiques. (Pour une présentation plus détaillée de la situation, voir la page de mobilisation des chercheurs (en anglais)).
Le système d’évaluation des appels d’offres basés sur des projets reste largement opaque et va être ouvert aux universités publiques et aux centres de recherche contrôlés par l’État, ce qui constitue une rupture avec les pratiques habituelles et une violation des principes fondamentaux de la liberté académique dans l’Union européenne. La recherche fondamentale est placée sous financement gouvernemental et sous contrôle politique direct. En un mot: les financements du réseau de l’Académie hongroise des Sciences (une sorte de CNRS) ont été distribués par l’Académie elle-même (selon des procédures internes bien établies), mais à partir de 2019, ces 20 milliards de forints (environ 60 millions d’euros), cette somme sera versée par une procédure absolument non-transparente par un ministère dont le responsable a plusieurs fois laissé entendre que le sort des instituts des recherche, dont l’Institut historique est désormais scellé.
Le Forum du personnel de l’Académie hongroise reste fermement convaincu que l’indépendance de l’Académie et l’intégrité de son réseau de recherche ne peuvent être préservées que si le Présidium de l’Académie refuse de participer à l’appel d’offres ainsi lancé . Pour l’avenir de l’Académie hongroise des sciences, la plus ancienne et la plus importante institution savante et scientifique du pays, il est essentiel qu’elle soit en mesure de poursuivre ses travaux en tant qu’organe indépendant financé en partie par des fonds publics sur une base régulière et non partisane. Nous sommes convaincus que la communauté internationale des chercheurs est d’accord et nous vous appelons en tant que collègues et en tant que spécialistes engagés dans un effort intellectuel sincère et ouvert pour nous exprimer votre soutien.
Nous vous demandons donc de bien vouloir envoyer une lettre de soutien à la liberté académique au nom de votre institution au président de l’Académie hongroise des sciences, le professeur László Lovász. Vous pouvez utiliser l’adresse électronique suivante:
Nous vous remercions d’avance de tout cœur de votre soutien et nous espérons que notre engagement commun en faveur de la liberté académique prévaudra.
Je reste dans le domaine de la liberté de la recherche, de la création et de l’expression pour terminer ce post, en évoquant l’intéressante journée d’étude à laquelle j’ai participé la semaine dernière à Toulouse, à l’invitation de Occitanie Livre & Lecture et du Département Documentation, Archives, Médiathèque et Édition de l’université Toulouse-Jean Jaurès. Des conférences et des tables rondes ont exploré le thème de la censure du livre, toujours d’actualité hélas, même si de façon plus feutrée en France qu’en Hongrie. Universitaires, libraires, éditeurs, auteurs ont fait part de leur point de vue devant un public nombreux rassemblé à l’Hôtel de Région. A cette occasion, deux comédiens ont lu et interprété des extraits d’une pièce de théâtre contemporaine, de Marion Aubert, les « Juré.e.s », qui réfléchit à voix haute (et forte) sur la censure morale, la norme sociale, les stéréotypes et les ambiguïtés de la liberté d’expression. La pièce tourne dans quelques villes françaises, elle est vraiment très intéressante, je vous la recommande si vous avez la possibilité de la voir. Je place ici le dossier de présentation que son auteure m’a fait parvenir.
comme je l’annonçais dans mon précédent post, le manuel Atlande pour la nouvelle question d’histoire contemporaine au concours de l’agrégation vient de paraître. Il sera en librairie à la fin du mois de février. Vous pouvez d’ores et déjà le commander à cette adresse :
C’est un pavé de belle taille (790 pages)… mais qui aurait dû être encore un peu plus gros, si quelques ratés de dernière minute n’avaient pas privé ses lecteurs de trois textes importants, sur l’histoire des arts plastiques en France (par Julie Verlaine) et sur les politiques symboliques (circulations internationales et autres pays européens, par Pascale Goetschel). L’éditeur rendra ces textes disponibles sur son site et j’en fais autant ici…
il n’est plus temps de vous souhaiter une bonne année, celle-ci étant entamée depuis un bon mois, mais comme personne n’ira me le reprocher, je vous souhaite quand même 11 mois formidables!
Happy New Year 2019 in different languages illustration
Un mois que je cherche en vain un moment de tranquillité pour pouvoir rédiger un nouveau post. Et voici qu’une occasion se présente, je la saisis!
Avant toute chose, je vous rappelle que la prochaine séance du séminaire sur la diversité culturelle dans les capitales européennes a lieu… demain, jeudi 7 février, de nouveau au Musée national de l’histoire de l’immigration, de 14 à 16h. La séance portera sur le patrimoine, avec deux interventions, l’une d’Evelyne Ribert sur les mémoires des migrations espagnoles en région parisienne, l’autre d’Emilie Goudal sur la mémoire de l’immigration algérienne dans les musées parisiens.
Dans le prolongement de ce séminaire, et en conclusion du programme de recherche qui s’est déployé sur les quatre dernières années, un colloque aura lieu à Bordeaux au mois de juin prochain.
Je donne ici l’appel à communication. Les propositions sont à envoyer avant le 30 mars prochain.
Transferts, espaces et rayonnement culturels dans les capitales européennes depuis 1945 : Berlin, Londres, Madrid, Paris.
Colloque international et pluridisciplinaire, 6 et 7 juin 2019, Bordeaux
Sous la direction de Françoise Taliano-des Garets, professeure d’Histoire contemporaine, Sciences Po Bordeaux, CHS des Mondes contemporains, Paris 1, Panthéon Sorbonne
Langues : Français et anglais
Partenariat : Sciences Po Bordeaux, CHS des mondes contemporains Paris 1, ICEE Paris 3, , Région Nouvelle Aquitaine, Comité d’Histoire du Ministère de la Culture, ville de Bordeaux, FRAC Nouvelle Aquitaine, Office artistique de la région Nouvelle Aquitaine
Comité scientifique :
Jeremy Ahearne
Olivier Bessy
Hubert Bonin
Agnès Callu
Valeria Camporesi
Philippe Chassaigne
Tristan Coignard
Pascale Goetschel
Laurent Martin
Carmen Navarro
Pascal Ory
Juan Arturo Rubio Arostegui
Françoise Taliano-des Garets
Matthieu Trouvé
Julie Verlaine
Jonathan Vickery
Ce colloque d’histoire culturelle ambitionne de faire émerger les principaux résultats d’une recherche collective qui s’est déroulée dans le cadre d’un programme de recherche triennal centré sur les villes de Berlin, Londres, Madrid et Paris depuis 1945. Territoires de flux, de réception et d’influence, les capitales européennes depuis 1945 se caractérisent par une ouverture culturelle de plus en plus large à l’Europe et à la mondialisation, trait commun qui transgresse leurs différences politico-administratives. C’est autour de la dynamique spatio-temporelle que nous avons donc choisi d’organiser ces deux journées d’histoire culturelle urbaine. La démarche se veut pluridisciplinaire et nous souhaitons pouvoir rassembler des historiens de spécialités diverses, des historiens de l’art, des anthropologues, géographes, sociologues, politistes… La dynamique spatio-temporelle de ces quatre villes sera étudiée de façon comparative à partir de trois thématiques principales : les transferts, les espaces, le rayonnement culturels.
1-Capitales et transferts culturels
On examinera en premier lieu comment les transferts se sont opérés, à quels rythmes, par quels vecteurs, avec quelle intensité. Les communicants pourront, en procédant de préférence à des comparaisons de villes, étudier les secteurs culturels de leur choix. Il s’agira de montrer comment les influences extérieures ont investi les quatre villes et comment la greffe a pris. Cette analyse, du point de vue de la réception des influences, permettra de mesurer le degré de perméabilité de chacune des capitales et ce qui le conditionne. La réception de la culture de masse -la circulation étant plus ou moins aisée suivant les types de régimes politiques (Madrid sous Franco, Berlin de la Guerre froide)- pourra être abordée autant que celle des cultures minoritaires et des contre-cultures. La diversité des cultures et des genres constituera un champ d’exploration indispensable sous l’angle des processus de contestation/institutionnalisation. La réflexion pourra se focaliser sur les femmes et les hommes, les générations, les groupes sociaux qui ont porté le changement tout en se concentrant sur les circulations et les réseaux.
2-Capitales et espaces culturels
Les capitales présentent des espaces dédiés à la culture dont la localisation a pu évoluer au gré des bouleversements politiques, des politiques culturelles et urbaines ou encore des flux migratoires. Un repérage des lieux durables ou éphémères, officiels ou de l’underground (friches artistiques), des quartiers les plus représentatifs donnera matière à l’élaboration d’une cartographie. La mise en évidence des rythmes et des facteurs d’évolution de la géographie culturelle nous paraît dans, un premier temps, essentielle. La notion de territorialité, relation entre le territoire et les habitants dans le domaine culturel pourra être étudiée. Dans un second temps, nous souhaitons approfondir la relation spécifique entre politiques de restructuration urbaine et culture sous l’angle des concordances et/ou discordances dans les temporalités, les choix architecturaux et urbanistiques, les processus de revitalisation et leurs effets sociaux (gentrification). Les études de cas par quartiers sont les bienvenues.
3-Le rayonnement culturel des capitales
La notion de rayonnement, à savoir l’influence culturelle exercée par ces villes sur leur environnement proche et lointain, correspond à une troisième dynamique qui détermine l’existence ou non d’une « ville-monde » au sens de l’économiste Saskia Sassen. Le rayonnement est à la fois matériel et symbolique ce qui nous conduira sur le terrain des représentations. Ces villes au sommet de la hiérarchie urbaine concentrent grandes institutions culturelles nationales, richesse patrimoniale, financements étatiques, centres de formation, sièges sociaux des industries culturelles etc. Tout cela alimente leur rayonnement culturel qui pourra s’analyser de manière diachronique du local à l’international à partir de secteurs laissés au choix des communicants : spectacle vivant, arts plastiques et appliqués, industries culturelles… Sur le plan symbolique, le rayonnement des capitales s’appuie sur des représentations héritées mais aussi renouvelées qui seront examinées à travers un choix si possible varié de productions artistiques et littéraires. Enfin, ces représentations semblent susciter, dans le contexte de concurrence urbaine qui caractérise la Guerre froide et surtout l’ouverture européenne et mondiale, un volontarisme politique prononcé. Ainsi une histoire de l’événementiel (fêtes et festivals, expositions, foires d’art contemporain, fashion week, marathons, jeux olympiques…) devrait révéler comment l’intérêt du politique s’est focalisé sur l’optimisation du rayonnement culturel par un jeu de mimétisme et/ou de différenciation donnant lieu à des stratégies de marketing urbain.
Les propositions de communications d’une page maximum accompagnées d’un bref cv et d’une liste des publications, devront être envoyées aux adresses suivantes : f.taliano@sciencespobordeaux.fr; s.machado@sciencespobordeaux.fr, avant le 30 mars 2019.
Je vous redonne le programme intégral du séminaire (qui a été complété et précisé depuis un précédent post) ici :
En parlant de culture européenne… Je suis maintenant en mesure d’annoncer la sortie prochaine – le 14 février – du manuel Atlande consacré à la question d’histoire contemporaine à l’agrégation et au Capes d’histoire « Culture, médias, pouvoirs, Etats-Unis et Europe occidentale, 1945-1991 ». Ce fut un long travail, pénible par moments, souvent passionnant, sur une question que j’ai contribué à définir avec ma collègue Catherine Bertho-Lavenir. Le résultat devrait être à la hauteur des efforts consentis par toute l’équipe des auteurs et des correcteurs qui ont oeuvré pour donner aux étudiants – mais aussi à tous ceux qu’intéresse l’histoire du contemporain en Occident – un outil de travail commode en même temps qu’une somme à peu près inégalée d’informations et de références sur la question.
Je donne ici en primeur un fragment de l’introduction dans sa première version (la version publiée sera un peu différente) pour vous mettre en appétit.
La nouvelle question d’histoire contemporaine aux concours du Capes et de l’Agrégation se situe au croisement de l’histoire culturelle et politique du second vingtième siècle. Elle met en rapport trois termes qui doivent être définis préalablement à toute précision quant au cadre spatial et temporel de l’étude.
Le premier terme, sous son apparente simplicité, est peut-être le plus compliqué de tous. John Baldwin, dans son livre Redefining Culture : Perspectives Accross the Disciplines [Baldwin, 2005] recensait pas moins de deux cent cinq définitions de ce « bloody word of culture », ainsi que le désignait pour sa part Raymond Williams, l’un des fondateurs des Cultural Studies britanniques. Nous nous contenterons ici de définir la culture comme l’ensemble des oeuvres de l’esprit humain. Par « oeuvres », nous entendrons principalement dans ce livre les productions intellectuelles et esthétiques mais celles-ci ne doivent pas être limitées à la création artistique ou au patrimoine consacré ; nous élargirons autant que possible le spectre de l’étude, des arts aux industries culturelles, jusqu’à toucher aux modes de vie, de pensée, de croyance, de consommation, aux pratiques sportives ou à la sexualité. La culture est un complexe de pratiques sociales et de représentations mentales que la branche de la discipline historique qui s’en est fait une spécialité aborde autant que possible sans a priori ni jugement de valeur, dans la diversité de ses manifestations historiques [Ory, 2004 ; Poirrier, 2004 ; Martin et Venayre, 2005 ; Cohen et al, 2011]. Les caractères distinctifs d’une culture peuvent être étudiés à divers niveaux de réalité et d’observation, à l’échelle d’une aire géoculturelle (« la culture européenne »), d’un État-nation (« la culture française », la « culture italienne »), d’un segment de population (la « culture jeune », la « culture juive »). Quand une culture associe un style de vie, des valeurs et une esthétique et caractérise un groupe social qui se vit sur un mode minoritaire, on pourra parler de « subculture » (plutôt que de sous-culture, connoté négativement en français), par exemple pour parler de la « culture rock » [Cuche, 2010]. Quand cette subculture porte en elle un projet global de contestation de la société ou de la culture dite « dominante » ou « officielle » (que celle-ci soit contrôlée par l’État ou laissée au libre jeu du marché), on parlera de « contre-culture » [Bourseiller et Penot-Lacassagne, 2013 ; Lacroix et al. 2015]. Couramment employés l’une pour l’autre, les notions de « culture populaire » et de « culture de masse » sont cependant distinctes. La première désigne plutôt les productions symboliques d’un groupe social historiquement construit (la « culture ouvrière », la « culture paysanne ») tandis que la seconde renvoie davantage aux productions issues des industries culturelles et destinées à un large marché.
Les médias peuvent être considérés comme l’un des domaines de cette histoire culturelle puisqu’ils fabriquent, eux aussi, des représentations mentales qui à leur tour orientent des conduites individuelles et des pratiques sociales. Leur importance centrale dans le monde contemporain, l’intérêt qu’ils suscitent dans le public mais aussi dans la communauté savante, la complexité de leurs enjeux ont conduit à une autonomisation de ce champ de recherche, suscitant des disciplines et des spécialités spécifiques (« information et communication », « media studies », « histoire des médias »). Le terme « médias » est la version francisée (dans les années 1950) des media de la langue anglaise. On le complète parfois du terme « de masse », là aussi traduction des mass media anglophones. Le terme de mass media apparaît dans les années 1920, dans une publication périodique états-unienne intitulée Advertising and Selling ; au-delà de la publicité, l’expression désigne couramment l’ensemble des techniques et des institutions permettant de communiquer un message au plus large public : affiches et tracts, presse écrite, radiodiffusion, télévision (aujourd’hui le réseau internet mais celui-ci n’est ouvert au grand public que dans les années 1990, il ne fait donc pas partie du sujet). Il faudrait ajouter à ces vecteurs les livres et revues, le cinéma, le disque, qui sont aussi des médias en ce sens.
Les médias au sens strict – c’est-à-dire avant tout les médias qui délivrent une information générale sur la vie d’une communauté politique ou culturelle – sont, depuis la fin du XVIIIe siècle, réputés constituer un « quatrième pouvoir », aux côtés (ou en face) des pouvoirs exécutif, législatif ou judiciaire. On pourra aussi parler de « contre-pouvoir », qui équilibre celui du gouvernement. Dans les démocraties libérales que sont les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, la République fédérale d’Allemagne et l’Italie dans la deuxième moitié du XXe siècle, la liberté d’informer est garantie par les textes constitutionnels, même si, dans les faits, cette liberté est souvent limitée par l’exercice du pouvoir et des dispositifs qui s’apparentent à des formes de contrôle voire de censure des opinions. Plus généralement, ces pays pluralistes et régis par un droit d’essence démocratique se caractérisent par une séparation des pouvoirs plus ou moins stricte qui garantit la population contre les abus du pouvoir gouvernemental. Mais ce pouvoir gouvernemental ou, plus généralement, politique, n’est pas le seul qui doive être pris en considération. Les forces économiques organisées sont aussi un pouvoir ; les autorités religieuses et spirituelles, les milieux éducatifs et culturels peuvent également influer sur le cours des choses et exercer un pouvoir qui déborde leur sphère propre d’activité.
La question d’histoire contemporaine interroge les relations qu’entretiennent la culture dans sa diversité, les médias et les formes de pouvoir aux États-Unis et en Europe occidentale entre la défaite de l’Allemagne nazie et la dislocation de l’URSS. Elle invite à considérer les supports ou vecteurs, les contenus et les acteurs de la culture et des médias en lien avec l’ensemble des pouvoirs (politiques, économiques, spirituels, etc.). Elle propose de réfléchir aux permanences et aux transformations de la culture et de la vie publique au prisme des échanges culturels de part et d’autre de l’Atlantique en posant la question de la domination américaine, réelle ou imaginée, dans le cadre de la mise en place de la mondialisation. L’émergence d’une contre-culture dans les années 1960 dans l’ensemble du monde occidental puis ses mutations lors de la décennie suivante et enfin sa disparition (du moins de certaines de ses expressions originelles) dans les années 1980, sa puissance de contestation mais aussi de proposition, le dialogue qu’elle tisse entre les deux rives de l’Atlantique, ses diverses traductions nationales et locales, se trouvent au coeur de la question d’histoire contemporaine comme de ce livre. Cela dit, les interactions entre culture, médias et pouvoirs sont multiples et sont déclinées dans cet ouvrage dans diverses parties thématiques.
La première présente les relations culturelles au niveau international : système des relations entre les divers acteurs qui composent la société internationale (États, organisations intergouvernementales, institutions publiques et territoriales, acteurs privés), américanisation de l’Europe occidentale et instrumentalisation de la culture à des fins de propagande politique au temps de la Guerre froide, construction de l’Europe culturelle. La diplomatie culturelle et ce qui sera nommé, à partir des années 1990, le softpower doivent être pris en considération, de l’utilisation du jazz et de l’expressionnisme abstrait par les États-Unis au moment de la guerre froide jusqu’à la contestation de la domination culturelle américaine au cours des années 1980. Les enceintes du débat culturel et médiatique international (Unesco, Conseil de l’Europe, conférences internationales) font également partie du sujet.
Une deuxième partie porte sur l’histoire des arts, dans toute la diversité des formes d’expression. Il ne s’agit pas de proposer une histoire de l’art internaliste (histoire des formes, succession des écoles et des courants esthétiques) mais de replacer ces formes dans leur contexte historique d’apparition, de décrire leurs rapports au politique et aux pouvoirs, leurs liens avec les cultures et les sociétés qui les produisent, les diffusent, les reçoivent. La dimension économique – la présentation des structures du marché de l’art – est également présente.
La troisième partie porte sur les médias et les industries culturelles, eux aussi étudiés dans la diversité de leurs vecteurs et manifestations et dans leurs rapports à la fois au pouvoir politique (et administratif) comme au pouvoir économique. La presse et, plus généralement, les médias et les industries culturelles (édition, industrie musicale, cinéma, radio, télévision, jeux vidéo) sont étudiés dans leur organisation, leur évolution, leur rapport aux institutions démocratiques et aux instances de régulation, leurs liens avec les diverses formes d’organisation politique mais également à travers leur influence sur l’évolution sociale et culturelle dans son ensemble. La réflexion critique sur les médias fait partie de la bibliographie, de même que les travaux sur la publicité, la communication politique et les sondages d’opinion.
L’histoire des politiques culturelles et symboliques est traitée dans une quatrième partie : acteurs privés et publics organisant la création, la conservation et la transmission du patrimoine, la diffusion la plus large des oeuvres, d’une part ; politiques visant à créer et à maintenir un lien entre culture, mémoire et identité nationale, sociale ou locale, de l’autre. Les politiques culturelles publiques mises en place dans les pays occidentaux, tout particulièrement en Europe, au lendemain de la guerre, sont étudiées dans la diversité des modèles nationaux d’organisation, des moyens mobilisés, des missions assignées aux divers organismes qui en sont chargés. Les interactions entre ces politiques culturelles et la vie culturelle dans son ensemble mais aussi entre les pouvoirs publics (au niveau national, régional et local) et les acteurs privés (associations, mouvements d’éducation populaire, fondations philanthropiques, etc.) ont fait l’objet de nombreux travaux depuis une trentaine d’années dans la plupart des pays considérés.
Parmi les créateurs de représentations symboliques, les intellectuels au sens large forment une catégorie à part qui fait l’objet d’une cinquième partie dans cet ouvrage, où sont étudiés successivement les formes et motifs de l’engagement, l’essor des sciences sociales et humaines, enfin le mouvement étudiant des années 1960. Il s’agit de présenter non seulement les grandes figures et les courants de pensée qui dominent l’époque considérée, mais aussi la montée en puissance des professions intellectuelles, la massification de l’enseignement secondaire, puis supérieur, le dynamisme des sciences sociales et humaines. L’influence de ces phénomènes sur l’évolution du débat politique ou sur des événements transnationaux tels que les mouvements de contestation de 1968 est au cœur du sujet. En revanche, l’histoire des sciences et des techniques ou l’histoire de l’éducation ne sont pas traitées en tant que telles.
Une sixième et dernière partie passe en revue un certain nombre de thèmes de nature plus sociétale : les nouveaux terrains de lutte des années 1970, les politiques du corps, du genre et de la sexualité, les religions établies et les nouvelles spiritualités, les sports, la consommation et les loisirs. Les évolutions globales des sociétés occidentales et leurs rapports au politique sont analysées à l’aune des transformations culturelles, médiatiques et politiques. L’hypothèse d’une « crise de civilisation » diagnostiquée par beaucoup d’intellectuels tout au long de la période est interrogée. L’évolution des mœurs, le renouvellement des formes esthétiques, les revendications des minorités multiplient les occasions de conflit autour des valeurs dominantes. Le jeu entre censure et transgression, la contestation des pouvoirs et les échappées utopiques caractérisent tous les pays de l’aire occidentale dont les systèmes de contrôle culturel sont présentés. Les Églises participent également au débat sur les grandes valeurs des pays occidentaux, et sont, à ce titre, des acteurs de la culture et de la dynamique politique, aux États-Unis comme en Europe occidentale, mais l’histoire religieuse en tant que telle n’est pas incluse dans le sujet.
Ces six parties thématiques sont le plus souvent découpées en fiches elles aussi thématiques mais plus précises, qui sont à leur tour réparties entre les cinq grands pays au programme, auxquels s’ajoutent un point sur les circulations transnationales d’idées, d’images, de sons etc. (c’est-à-dire impliquant d’autres acteurs et logiques que ceux qui relèvent des États-nations) et un aperçu sur d’autres pays européens que les quatre pays « majeurs ». Enfin, dans ces sous-fiches nationales ou inter- et transnationales, le lecteur retrouvera des éléments de chronologie et de périodisation.
Alors que je m’apprête à partir dans deux jours à Poitiers participer à un jury de thèse sur « l’évolution du discours des milieux politiques et médiatiques français sur le jeu vidéo de 1972 à 2012 » (Julien Lalu), j’ai le coeur serré devant le spectacle qu’offre ma propre université, Paris 3, la « Sorbonne-Nouvelle » aux allures d’université-fantôme. Celle-ci est en effet bloquée-fermée depuis trois semaines : bloquée par un nombre indéterminé mais relativement faible d’étudiants et de collègues qui protestent – notamment – contre le projet gouvernemental d’augmenter les droits d’inscription des étudiants extra-communautaires, fermée par décision administrative de la présidence de cette université pour éviter que ce blocage ne se transforme en occupation des locaux.
Personnellement, je pense que cette augmentation des droits d’inscription a été mal pensée, mal préparée, mal annoncée, comme souvent de la part de ce gouvernement maladroit et brutal. Il y a un vrai problème de financement public de l’enseignement supérieur et de la recherche dans ce pays, depuis longtemps. L’augmentation des droits d’inscription peut être l’une des réponses à apporter, si l’on pense que l’on ne peut augmenter indéfiniment la dépense publique globale ; encore faut-il qu’elle soit justement répartie – pourquoi cibler cette population d’étudiants non européens dont beaucoup viennent de pays et de familles aux revenus modestes? Cela porte atteinte au rôle joué par l’Université française dans le cadre de la diplomatie culturelle comme de l’aide au développement. A tout le moins, cette mesure mérite débat contradictoire et explications étayées par des études.
Avant même que ce débat puisse se tenir, pourtant, quelques étudiants et collègues ont décider de bloquer l’université, empêchant cours et examens d’avoir lieu. L’université avait déjà fait l’objet d’un tel blocage au printemps dernier, pour protester contre la mise en place du dispositif Parcoursup ; avec ces trois nouvelles semaines de fermeture, ce sont sept semaines d’enseignement qui ont été supprimées par la volonté de quelques-uns contre celle d’une majorité hélas bien silencieuse et passive. A entendre les discours enflammés tenus devant des assemblées si peu générales par des leaders très politisés, on comprend que l’augmentation des droits d’inscription en décembre comme Parcoursup en mai ne sont en réalité que des prétextes. Le véritable enjeu est de construire une mobilisation politique et sociale contre le gouvernement, en lien avec toutes les protestations et contestations qui s’expriment en France. Et tant pis si les étudiants étrangers – ou français – que l’on prétend défendre sont sacrifiés pour cette cause supérieure.
Avec un collègue de Paris 3, j’ai pris l’initiative d’une pétition dénonçant le blocage de l’université. On peut en trouver le texte ici, avec les noms des douze premiers signataires :
Aujourd’hui, plus d’une centaine de collègues, de toutes disciplines, composantes et convictions politiques ont signé cette pétition qui réclame tout simplement la réouverture sans condition de notre lieu de travail, qui est aussi un lieu rare et précieux d’exercice de la pensée libre.
Dans une réponse que j’avais faite à l’un des leaders auto-proclamés du blocage, je rappelais ma conviction profonde : le blocage n’est pas un moyen légitime de négociation, surtout quand il tend à se banaliser comme c’est malheureusement le cas dans notre université. Je publie ici un extrait de ce courrier, qui pourra renseigner ceux de mes lecteurs, étudiants de Paris 3, qui se demandent quelle est ma position à ce sujet.
» (…) Je ne crois pas au Grand Soir. Je ne crois pas que l’université, la nôtre comme les autres, soit le lieu par lequel ce Grand Soir puisse advenir. Et je ne crois pas non plus que le blocage soit le moyen d’y parvenir. Fondamentalement, notre différence réside là. Pas dans l’hostilité à la hausse brutale et non concertée des droits d’inscription pour les étudiants extra-communautaires. Dans l’horizon politique dans lequel nous nous situons. Tu acceptes l’instrumentalisation politique de l’université, je la refuse.
Je crois, quant à moi, que l’université, plus modestement, plus prosaïquement, est le lieu dans lequel des enseignants et des chercheurs travaillent à former des étudiants pour qu’ils puissent devenir à la fois de bons citoyens et de bons professionnels. C’est là notre mission de service public, la mission que nous remplissons en tant que fonctionnaires de l’Etat. Notre engagement moral comme professionnel. Je ne nie pas les difficultés dans lesquelles nous effectuons cette mission, je me suis engagé par le passé pour les améliorer et suis prêt à recommencer, mais j’effectue néanmoins cette mission du mieux que je le peux, au service des étudiants. C’est cette mission que le blocage empêche. Le rapprochement avec le syndrome de Stockholm [que mon collègue osait dans son texte] me paraît très douteux pour caractériser ce dévouement. A moins que tu ne veuilles parler de la sympathie que nous devrions éprouver pour ceux qui prennent l’université en otage jusqu’à ce que leurs revendications politiques aboutissent?
Je ne m’élève pas contre le blocage uniquement parce qu’une minorité impose par la force sa loi à la majorité. Même si la majorité se prononçait pour le blocage, je n’en continuerais pas moins à protester au nom de ma liberté d’aller et de venir librement au sein de l’université, ma liberté de faire mon métier. Quand j’ai participé au mouvement de contestation du projet de fusion, j’ai participé à un blocage – mais c’était des instances qui prenaient des décisions contre le voeu des personnels (et contre tout bon sens, on l’a vu par la suite). En aucun cas je ne me serais opposé à la liberté des étudiants d’étudier, des enseignants d’enseigner. (…) Bloquer l’université pendant des semaines, faire du blocage un moyen normal, presque banal, de protestation revient à nier l’importance des tâches que nous effectuons tous les jours au service des étudiants. C’est mépriser ce que nous sommes et ce que nous faisons. Et c’est rendre un très mauvais service aux étudiants, notamment étrangers, que tu prétends défendre. »
Bien sûr, mon collègue ne changera pas d’opinion, non plus que les étudiants radicalisés qui le suivent ou le précèdent. Mais il est important que les autres, qui hésitent, s’interrogent, réfléchissent, doutent, puissent avoir quelques repères fermes en ces temps troublés où tous les moyens pour se faire entendre paraissent bons.
Maintenant, les vacances et les fêtes de fin d’année approchent. Je vous les souhaite reposantes et joyeuses. Espérons qu’elles apaiseront les esprits et que nous pourrons reprendre notre activité normale d’enseignement et de recherche à la rentrée. Si ce n’est pas le cas, il faudra en appeler à la mobilisation massive des étudiants, des enseignants et des personnels administratifs pour empêcher que notre outil de travail soit de nouveau confisqué par les idiots utiles du capitalisme et de l’ultra-libéralisme qu’on appelle en France les gauchistes.
comme trop souvent, je m’y prends tard pour annoncer un événement auquel je participe. Demain jeudi aura lieu la première séance de la quatrième année du séminaire d’histoire culturelle des capitales européennes que j’anime avec ma collègue et amie Françoise Taliano-des-Garets, professeure à l’IEP de Bordeaux.
Les trois premières années du séminaire avaient été consacrées d’abord à l’enjeu patrimonial, ensuite à la création et aux spectacles, enfin aux industries culturelles dans les quatre capitales choisies comme terrain d’étude, à savoir Berlin, Londres, Madrid, Paris. La quatrième année aura pour thème la diversité culturelle et les apports migratoires aux cultures de ces quatre villes depuis 1945.
En plus du soutien du Comité d’histoire du ministère de la Culture et de la région Grande Aquitaine, nous bénéficions cette année du concours du Musée national de l’histoire de l’immigration, Porte Dorée dans le 12e arrondissement de Paris, qui accueillera cette année toutes les séances prévues.
La première séance est consacrée aux arts plastiques. Voici le programme complet. L’entrée est libre mais une inscription est nécessaire (sauf que je n’ai pas réussi à trouver le formulaire dont il est question dans la présentation du séminaire sur la site du comité d’histoire du ministère… Venez quand même!).
PROGRAMME
Séance n°1 – Arts plastiques et diversité dans les capitales européennes depuis 1945 jeudi 6 décembre 2018 – 14h-16h Cette séance s’inscrit dans le cadre de l’exposition « Persona Grata »organisée par le MNHI et MacVal d’octobre 2018 à janvier 2019.
Intervenants :
Maureen Murphy, maîtresse de conférences en Histoire de l’art, Université Paris 1
La présence d’Iba N’Diaye, Ernest Mancoba et Mohammed Khadda à Paris dans les années 1950-1960.
Thibaut de Ruyter, architecte, critique et commissaire d’expositions. Correspondant à Berlin d’ArtPress, Il Giornale dell’Architettura, Particules, Fucking Good Art, Frieze d/e
Berlin-Bohème et après (1989-2018) ?
Séance n°2 – Patrimoine et mémoire de l’immigration dans les capitales européennes depuis 1945 Jeudi 7 février 2019 – 14h-16h Intervenants:
Evelyne Ribert, sociologue, chargée de recherche au CNRS, membre de L’Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain
Les mémoires des migrations espagnoles en région parisienne, l’exemple de la Plaine Saint-Denis.
Séance n°3 – Arts du spectacle et diversité culturelle dans les capitales européennes depuis 1945 Jeudi 14 mars 2019 – 14h-16h Intervenants:
Magali Dumousseau-Lesquer, maître de conférences à l’université d’Avignon (EA 4277 ICTT – Laboratoire Identité Culturelle, Textes et Théâtralité)
« Madrid est un creuset de cultures », Pablo Pérez Mínguez. Les processus d’amnésie, d’assimilation et de réappropriation dans les productions artistiques du Madrid de l’après-franquisme, du Rrollo underground à la Movida.
Lionel Arnaud, professeur en sociologie – Sciences Po Toulouse, membre du Laboratoire des sciences sociales du politique
Une comparaison franco-britannique : « Le carnaval de Notting Hill, 1958-2008 ».
Séance n°4 – Langue (s) et littérature (s) de l’exil dans les capitales européennes depuis 1945 Jeudi 18 avril 2019 – 14h-16h Cette séance s’inscrit dans le cadre du Prix littéraire de l’exil du MNHI
Intervenants:
Kaoutar Harchi, écrivaine, chercheure post-doctorante en sociologie au Labex CAP, visiting professor à NYU
Écrivains maghrébins et littérature francophone à Paris.
Isabelle Le Pape, chargée de collection en littérature anglophone – Bibliothèque nationale de France
Hybridation culturelle et migrations littéraires autour de Londres.
Myriam Geiser, maîtresse de conférences à l’université de Grenoble – Institut des langues et cultures d’Europe, Amérique, Afrique, Asie et Australie
Parcours d’écrivains germano-turcs à Berlin.
Séance n°5 – Musique et diversité culturelle dans les capitales européennes depuis 1945 Jeudi 20 juin 2019 – 14h-16h Intervenants:
Malcolm James, senior lecturer in Media et Cultural studies, Associate Director au Sussex Centre for Cultural Studies
Myrtille Picaud, sociologue, post-doctorante – CNRS Chaire Paris Sciences et Lettres
Devenir, redevenir ou rester une capitale musicale ? Petite histoire des espaces musicaux de Paris et Berlin aujourd’hui.
Angéline Escafre-Dublet, maîtresse de conférences en Science politique à l’Université Lyon 2
S’approprier la ville. Musique et migrations à Paris et à Londres, 1962-1989.
Les séances se tiendront, en langues française et anglaise, au Musée national de l’Histoire et de l’Immigration, Atelier 4, 293 Avenue Daumesnil, 75012 Paris [plan] Inscription obligatoire (libre et gratuite dans la limite des places disponibles) en remplissant le formulaire
retour aux affaires après presque deux mois d’inactivité – du moins sur ce site car pour le reste, je n’ai pas chômé!
Ce qui me fait sortir de ma tanière? La mort de Stan Lee, cette semaine, à qui je veux rendre hommage. C’est le temps du deuil pour le grand lecteur de comics et spectateur de films de super-héros que j’étais – et suis demeuré, malgré mon grand âge et les dérives et excès en tous genres (pas les miens, quoique), en particulier depuis que Marvel est tombé dans les pattes de Disney, comme la franchise Star Wars avant lui, avec les mêmes objectifs de surexploitation financière et le même résultat de transmutation de l’or de la pop/pulp culture en guimauve sirupeuse.
Je ne vais pas me lancer dans une biographie du bonhomme, déjà faite à de multiples exemplaires depuis l’annonce de sa mort, le 12 novembre dernier, à l’âge respectable de 95 ans. Ce n’était pas un saint, il a un peu filouté les gens avec lesquels il a travaillé, les Jack Kirby, les Steve Ditko et tant d’autres dessinateurs de talent auxquels il a prêté son génie de conteur. Car, oui, on peut dire avec une tranquille certitude qu’il y avait du génie dans celui que le magazine Esquire avait surnommé en 1966 le « Homère du XXe siècle » (comparaison flatteuse, reprise par Jean-Marc Lainé dans le livre qu’il a consacré à Stan Lee, Stan Lee, Homère du XXe siècle, publié aux Moutons électriques en 2013). De son vrai nom Stanley Martin Lieber, ce fils d’immigrés juifs de Roumanie avait vu le jour à New York City en 1922. Nourri au lait des comic strips, des pulps et des romans de Conan Doyle ou d’Alexandre Dumas, il se fit embaucher à 18 ans chez Timely Comics, maison d’édition alors dirigée par Martin Goodman. Il en gravit les échelons, sauva la boîte de la faillite, en devint la pièce maîtresse, scénariste et dialoguiste de la plupart des séries cultes lancées par Timely, devenu Marvel Comics (après s’être un temps appelé Atlas Comics) en 1963. Hulk, Spider-man, Iron-man, les Quatre fantastiques, les X-Men? C’est lui, pas seul, mais toujours à l’origine de ces super-héros devenus des icônes planétaires. Ils ont accompagné mon adolescence et, devenu adulte, si j’ai lu moins de comics, j’ai apprécié les premières adaptations cinéma de ces histoires de surhommes aux prises avec des questions existentielles qui sont aussi les nôtres, du genre : « comment je vais faire pour payer mon loyer sans employer mes super-pouvoirs? » (dixit Peter Parker alias Spiderman). Aujourd’hui, le filon paraît prêt de s’épuiser, si j’en crois les derniers films sortis, que ce soit ceux de Marvel ou ceux de DC, qui parodient le genre plus qu’ils ne le renouvellent. Mais la nostalgie, elle, n’est pas prête de s’épuiser. Merci, Stan Lee et, pour reprendre votre expression favorite signifiant quelque chose comme « plus haut et plus loin vers une gloire supérieure » : Excelsior!
Je change totalement de sujet et profite de ce post pour annoncer (j’aurais dû le faire plus tôt, pardon) un colloque important qui se déroule les 19 et 20 novembre prochain à l’Unesco sur « les nouveaux enjeux patrimoniaux en contexte de crise ». Je vous en donne ici le programme :
Bienvenue sur le blog de Laurent Martin, professeur d'histoire à l'université de Paris 3 Sorbonne-Nouvelle, membre du laboratoire ICEE, libre penseur..