
Bonsoir,
ce soir, 22 septembre 2025, la France, par la voix de son président Emmanuel Macron, va reconnaître l’Etat de Palestine à la tribune de l’ONU. Certains, nombreux, diront que cela vient bien tard, après 151 pays (sur 193 membres de l’ONU) qui l’ont déjà fait ; d’autres diront qu’il aurait fallu encore attendre que soient réunies des conditions pour l’heure non remplies, à commencer par la libération de tous les otages encore entre les mains du Hamas. Et d’autres encore penseront qu’il aurait fallu que cette reconnaissance n’arrive jamais car la Palestine n’existe pas en tant qu’Etat et n’existera jamais. La plupart en tout cas s’entendront pour dire que cette reconnaissance est avant tout symbolique, au double sens du terme. Parce qu’elle porte un message, affirme une position de principe ; et parce que cette reconnaissance ne changera rien, à court terme du moins, sur le terrain.
Sur le terrain, c’est toujours la loi du plus fort et celle du talion qui s’appliquent, avec toute la violence dont est capable une armée surpuissante à l’égard de populations civiles. L’estimation du nombre de morts à Gaza est d’environ 64 000 morts, de plus de 160 000 blessés ; 85% des victimes sont des civils. Aux morts par bombardements s’ajoutent désormais les victimes d’une famine organisée par Israël. A Jérusalem et en Cisjordanie, l’apartheid qui sévit depuis des années à l’encontre des Palestiniens est encore monté d’un cran, enfermant des centaines de milliers de personnes dans une prison à ciel ouvert, les livrant presque sans défense à la violence des colons et de l’armée. S’agissant de Gaza, une controverse juridique et politique opposent ceux qui estiment qu’est perpétré un génocide à ceux qui estiment cette qualification inappropriée. Quant à moi, qui ai longtemps été réticent à employer ce terme si connoté, si chargé de sens, surtout à l’encontre d’un peuple qui fut victime du plus grand génocide de l’Histoire, je me sens désormais obligé de l’utiliser, devant l’accumulation des preuves accablantes qui démontrent l’étendue des pertes humaines, des destructions matérielles et l’intention chaque jour plus claire d’en finir avec le peuple palestinien en tant que tel. Les accusations de crime de guerre et de crimes contre l’humanité, plus évidentes à établir, ne sont pas moins graves.
Il est clair que, devant une telle tragédie, le geste accompli par la France ne pèse pas d’un grand poids ; et sans doute y entre-t-il une part de calcul politique et de mauvaise conscience, après avoir si fortement affirmé le soutien à Israël après les massacres du 7 octobre et avoir, par la suite, protesté si timidement devant la surréaction israélienne. Mais il n’en était pas moins moralement nécessaire et, peut-être, politiquement utile, si l’isolement dans lequel s’enferme Israël oblige un jour un autre gouvernement à changer de politique.
Ce jour paraît encore lointain. Il y faudra une action internationale de même nature que celle qui fit plier le gouvernement raciste d’Afrique du Sud, dans les années 1980/1990. Rupture des relations diplomatiques, arrêt de toute livraison d’armes, sanctions économiques, boycott sportif et culturel, poursuites contre ses dirigeants devant les tribunaux internationaux… Il est à craindre, cependant, que les mêmes mesures ne produisent pas les mêmes effets, pour deux raisons : tant qu’Israël pourra compter sur le soutien indéfectible des Etats-Unis, il pourra mépriser les sanctions internationales ; et les Arabes ne représentent qu’une fraction minoritaire sur le territoire contrôlé par l’Etat hébreux, contrairement aux Noirs d’Afrique du Sud. Mais tant que la pression internationale n’augmentera pas significativement sur Israël, ce pays ne verra aucun intérêt à dévier de sa politique d’épuration ethnique. De ce point de vue, la position des gouvernements des pays arabes sera déterminante ; elle paraît, pour l’heure, bien timide. Verbalement offensives à l’égard d’Israël pour contenter leur opinion publique chauffée à blanc, les dictatures du Proche et du Moyen-Orient se gardent cependant de prendre des mesures trop sévères pour ne pas mécontenter le grand protecteur américain.
Non, contrairement à ce qu’affirme le gouvernement israélien, la France et les autres pays qui ont choisi de reconnaître l’Etat de Palestine ne « récompensent » pas les terroristes du Hamas ; la France ne fait que tenir une promesse de justice vieille de quarante ans (voire qui remonte à 1948) et toujours remise à plus tard. Pas plus qu’elle n’alimente ainsi sur son sol l’antisémitisme, qui ne croît qu’à proportion des exactions commises impunément par Israël. Je doute qu’une « solution à deux Etats » soit encore envisageable à l’heure où 500 000 colons israéliens s’installent sur les terres palestiniennes avec la bénédiction de leur gouvernement ; et peut-être d’autres solutions, telle qu’un Etat à deux nations aux droits égaux, relèvent elles aussi d’une douce utopie. Mais la politique du fait accompli pratiquée depuis des décennies par Israël, accélérée avec l’arrivée de Benjamin Netanyahu, surtout depuis le 7-octobre, n’amènera une paix juste et durable ni pour les Palestiniens ni pour les Israéliens – ce sera la paix des cimetières pour les uns, et la violence terroriste sans fin pour les autres. Nous avons besoin d’espoir.
LM