Geneviève Gentil

Tapez ce nom sur votre navigateur – vous ne trouverez ni biographie ni même photographie de cette femme, de cette grande dame. Des homonymes, oui, mais qui ne sont pas elle.

Tapez maintenant, à côté de son nom « politique culturelle » ou « ministère de la Culture » ou encore « Comité d’histoire du ministère de la Culture ». Là, vous trouverez des choses, beaucoup de choses – essentiellement des livres qui parlent de ces sujets. Non qu’elle les ait écrits elle-même. Elle a permis, favorisé, aidé leur publication, ce qui est autre chose, presque aussi importante.

Geneviève Gentil vient de mourir. Et je ne sais ni quand elle était née, ni quel âge exact elle avait atteint. Nous n’étions pas des amis si proches, après tout. Et elle était d’une telle modestie, d’une telle discrétion… L’an passé, pour la faire témoigner de ce qu’elle avait fait au service des politiques culturelles et de leur histoire, il avait fallu des ruses de sioux à Anaïs Fléchet et moi-même. Elle avait consenti à se livrer – un peu – dans les podcasts que pilote Anaïs sur l’histoire culturelle. Toujours à sa manière, caractéristique, qui consistait toujours à parler du travail des autres, jamais du sien, encore moins d’elle-même. Du moins avons-nous sa voix, un peu usée déjà, mais encore toute vibrante de passion. C’est une consolation de pouvoir la réécouter (ces podcasts sont sur toutes les plateformes, par exemple : https://podcasts.apple.com/fr/podcast/histoires-culturelles/id1697167127)

A celles et ceux qui ne l’ont pas connue, cet enregistrement fera découvrir une personnalité très admirable, passionnément attachée au rôle de la puissance publique en matière culturelle, elle qui était entrée au ministère de la Culture à la fin des années 1960 et y était restée, sous un statut de bénévole – elle avait plus de 90 ans – pour aider, autant qu’elle le pouvait, le Comité d’histoire du ministère de la Culture. Son action est bien sûr presque inséparable de celle d’Augustin Girard, fondateur du Service des études et recherches du ministère en 1963 – service devenu l’actuel Département des études, de la prospective et des statistiques – avant de fonder, trente ans plus tard, au moment de prendre sa retraite, le Comité d’histoire du ministère de la Culture.

Mon collègue et ami Philippe Poirrier a évoqué l’histoire du SER et du Comité dans plusieurs livres et articles, j’y ai moi-même consacré mon mémoire inédit d’habilitation à diriger les recherches, publié en 2013 sous le titre l’Enjeu culturel. La réflexion internationale sur les politiques culturelles, 1963-1993 (La Documentation française / Comité d’histoire du ministère de la Culture). J’ai tenté de sortir de l’ombre où elle se tenait elle-même celle qui, par son dévouement, sa rigueur, sa gentillesse (elle portait si bien son nom!) fut bien plus qu’une assistante ou une collaboratrice. Secrétaire générale du Comité pendant de nombreuses années, elle lui insuffla son inépuisable énergie. Que de livres ont vu le jour grâce à elle! Personnellement, je lui dois en partie trois des miens : outre l’Enjeu culturel (qui lui est dédié, « avec affection et admiration »), elle m’a aidé pour la biographie que j’ai consacrée à Jack Lang ainsi que, plus récemment, pour le livre collectif que nous avons consacré aux années ministérielles de ce dernier.

Je lui suis évidemment reconnaissant pour son soutien mais les sentiments que j’avais formés à son égard au fil des années allaient bien au-delà. Elle était comme une parente, un membre de ma famille que je voyais trop rarement mais chaque fois avec un immense plaisir. Comme une grand-tante dont je prisais la conversation jamais ennuyeuse. Je lui rendais parfois visite, à son domicile de Sceaux – la dernière fois au printemps dernier – et prenais de ses nouvelles par téléphone – en septembre, encore. Je me promettais d’aller la voir cet automne, j’attendais un peu de répit dans mon emploi du temps. La mort m’a devancé.

Au moins ai-je la consolation d’avoir eu le temps et l’occasion de lui dire tout ce que je lui devais, tout ce qu’elle représentait pour moi et pour celles et ceux que continuent d’intéresser les « affaires culturelles », comme on disait au temps de Malraux – qu’elle avait connu. Ce trésor vivant, selon la formule japonaise, n’est plus parmi nous, peut-être parti dans ses chères montagnes. Mais son souvenir demeurera dans les pensées de toutes celles et de tous ceux, nombreux, qui l’aimaient.

Adieu et merci, très chère Geneviève.

Laurent.