Bonjour,
« Nous voici donc à quelques jours d’un scrutin décisif pour l’avenir de la France, de l’Europe – et, pour ceux qui croient encore que ce pays entretient un rapport particulier à l’universel, ce qui est mon cas – du monde. Dans moins d’une semaine, nous élirons le prochain président de la République, ou la première présidente de son histoire. Au terme d’une campagne présidentielle auprès de laquelle les scénarios imaginés par les showrunners de House of Cards ou de Borgen apparaissent presque fadasses, voici donc face à face Emmanuel Macron et Marine Le Pen, les deux outsiders que tous les sondages – cela a été remarqué – ont constamment placés en tête des enquêtes d’opinion depuis des mois. »
Ces premières lignes rappellent quelque chose aux lecteurs et lectrices fidèles de ce blog? C’est parce qu’ils/elles les ont lues voici cinq ans presque jour pour jour. Le 1er mai 2017 en effet, je décrivais en ces termes le choix devant lequel nous nous trouvions au moment de départager les finalistes de l’élection présidentielle. Ce billet était assorti de plusieurs dessins, dont celui-ci, de Chapatte, qui me paraît toujours d’actualité.

Rien, alors, n’aurait-il changé depuis cinq ans? On prendrait les mêmes pour recommencer la même histoire? Pas tout à fait. D’un côté, Marine Le Pen a poli, adouci son image ; il paraît certainement plus difficile de la représenter aujourd’hui vêtue de la chemise brune des S.A., elle qui a en grande partie réussi son entreprise de « dé-diabolisation » de son parti et de son projet. Elle fait encore peur à la moitié du pays, selon les derniers sondages, mais ils étaient les trois quarts il y a cinq ans à redouter l’arrivée au pouvoir de Marine Le Pen et de ses amis. Encore cinq ans et peut-être ne seront-ils plus que 25% à vouloir lui faire barrage à tout prix… De l’autre côté, Emmanuel Macron n’est plus l’homo novus disruptif qu’il était encore aux yeux de beaucoup de Français en 2017. Nous l’avons vu à l’oeuvre et beaucoup de Français l’ont jugé insuffisant – ou trop suffisant. On a envie de lui mettre un bonnet d’âne, tant le sens politique lui fait parfois défaut. Sa capacité à surprendre s’est émoussée. L’essentiel de son projet paraît être d’assurer une forme de continuité. Difficile, pour celles et ceux qui n’ont pas aimé la première saison, de se motiver pour une seconde.
Et pourtant, je ne vois pas, quant à moi, d’autre choix (du moins, pas d’autre choix qui serait substantiellement meilleur que celui-ci). Ce n’est pas oublier tous les ratés, toutes les erreurs des gouvernements macroniens, en particulier dans la politique sociale, de la baisse de 5 euros de l’aide personnelle au logement au début du quinquennat jusqu’à cette mesure annoncée pour l’après-présidentielle des « heures d’activité » imposées aux bénéficiaires du RSA, en passant par des maladresses qui conduisirent au déclenchement de la crise des gilets jaunes. Mais, outre que l’on pourrait, pour chacun de ces dossiers, montrer que des correctifs furent apportés, avec des montants parfois très supérieurs aux économies que l’on songeait d’abord à réaliser, il faudrait rappeler à ceux qui dénoncent l’ultra-libéralisme du « président des riches » que jamais on ne vit, depuis la Libération, un Etat intervenir à ce point dans l’économie pour soutenir à bout de bras et à coups de milliards une activité qui battait de l’aile en raison de la crise sanitaire, et sauver par là même des millions d’emplois. A l’instar de beaucoup d’autres gouvernements dans le monde, certes, mais de façon plus délibérée et prolongée qu’en beaucoup d’endroits, la France vit en économie aidée depuis deux ans. Macron, ou le Franklin Delano Roosevelt qu’on n’attendait pas (lui-même pas plus que les autres, d’ailleurs).
En face, on trouvera un catalogue de mesures plus ou moins généreuses, mais non ciblées ni financées, d’autant que l’on promet en même temps de baisser les impôts pour « rendre leur argent aux Français » (et les services publics, ils vivront d’amour et d’eau fraîche?). Au mieux, ces mesures avantageront tout le monde dans un premier temps – sauf ceux qui ne sont pas Français, quoique vivant sur notre sol, au nom de la fameuse préférence nationale qui rompt avec deux siècles de tradition républicaine – mais proportionnellement davantage les riches (ainsi de la baisse générale de la TVA) avant d’être précipitamment et honteusement supprimées devant la hausse vertigineuse des déficits et de l’endettement. Au pire, elles ne seront pas appliquées, mais ça n’est pas grave car une fois parvenu au pouvoir, on trouvera bien le moyen de s’y maintenir sans tenir des promesses qui n’engagent que ceux qui les croient, regardez en Hongrie, au Brésil, en Russie, où se trouvent les vrais amis et alliés de notre Marine nationale.
C’est cela, à vrai dire, qui devrait surtout faire réfléchir ceux qui hésitent entre voter et s’abstenir, ou entre Marine Le Pen et un bulletin blanc. Une internationale des autoritarismes se construit sous nos yeux, de Brasilia à Budapest, de Moscou à Pékin. Dans ces régimes illibéraux, ces démocraties de façade qui parfois recourent encore aux élections factices, comme un hommage du vice à la vertu, les libertés publiques comme individuelles sont bafouées, les médias tenus en laisse, les droits de la défense niés, les opposants pourchassés et réduits au silence, les minorités persécutées, les crimes de masse perpétrés en toute impunité, la corruption généralisée. Je ne dis pas que la France dirigée par Marine Le Pen basculerait du jour ou lendemain dans ce cauchemar orwellien ; je dis qu’il s’agirait d’un premier pas dans la plus funeste des voies, un premier pas qui nous couperait de tous nos alliés dans le camp dit occidental. La complaisance, pour ne pas dire plus, que le RN et sa dirigeante ont toujours manifestée à l’égard de Poutine depuis l’annexion de la Crimée en 2014 donne une idée de ce que serait aujourd’hui la position française à l’égard de l’agression de l’Ukraine par la Russie si Marine Le Pen avait remporté l’élection en 2017, et de ce qu’elle serait si elle remportait celle de 2022.
Cela, et bien d’autres divergences de fond entre les deux projets et les deux candidats – y compris sur l’écologie, sans doute insuffisamment prise en compte depuis cinq ans mais à peu près complètement absente des préoccupations de Marine Le Pen – me fera choisir sans hésitation le bulletin Emmanuel Macron dimanche prochain.
LM