Bonjour,
il me vient souvent, ces temps-ci, le regret de ne pas habiter loin de Paris, de ses pollutions, de ses appartements exigus et hors de prix, de son climat maussade plus souvent qu’à son tour, de ses habitants stressés… dont je suis. Mais quelques moments de pur bonheur viennent me rappeler pourquoi j’avais fait le choix d’habiter cette ville, voici plus de trente ans, et pourquoi mes pas n’ont cessé de m’y ramener, presque malgré moi.
En l’occurrence, deux expositions parisiennes que j’ai eu la chance de voir à deux semaines d’intervalle justifieraient – presque – les embarras de Paris, si c’est là le prix à payer pour en jouir. (Bien évidemment, vous me ferez observer avec raison qu’il n’est pas nécessaire d’habiter la capitale pour visiter les expositions qui s’y trouvent et, même, que le plaisir que l’on prend à les visiter est d’autant plus grand qu’il ne se paie pas des inconvénients susnommés. Certes. Mais combien d’habitants des Provinces feront le déplacement pour venir admirer ces merveilles? Et combien, les ayant vues, les reverront au cours d’une nouvelle excursion? Alors que, de mon côté, j’ai bien l’intention de revoir au moins l’une d’entre elles et peut-être les deux, avant qu’elles ne s’achèvent.)
Je commence par celle que j’ai vue en premier, voici quinze jours, à la faveur d’une invitation à venir à son vernissage (on a les privilèges que l’on peut), je veux parler de l’exposition « Hey! le dessin », visible depuis le 22 janvier dernier à la Halle Saint-Pierre, à un jet de bible du Sacré-Coeur de Montmartre. Ceux qui ont lu et se souviennent des posts antérieurement publiés sur ce blogue se diront : « Tiens, il va nous reparler de Hey!« . Ils auront raison. On retrouve en effet à la manoeuvre les piliers de cette petite entreprise d’éveil de l’oeil à coups de pétards qu’est Hey!, à commencer par Anne, qui assure le commissariat d’exposition, et Zoé, sa fidèle assistante (on peut parier que Julien, alias Mr Djub, n’était pas loin). Revoilà à leur suite les artistes inclassables du lowbrow art, de l’art brut, du surréalisme pop, les taulards, les tatoués, les fous, soixante en tout, venus d’une trentaine de pays. Ce nombre était déjà celui des quatre expositions précédentes qu’avait montées la fine équipe à la Halle Saint-Pierre (2011, 2013, 2017 et 2019) toujours dirigée par l’impeccable Martine Lusardy. La particularité de celle-ci : elle ne présente que des dessins, sur toutes sortes de supports, avec toutes sortes de mines et de crayons, en noir et blanc ou en couleurs, en petit ou en grand format mais seulement, uniquement, exclusivement du dessin, 450 oeuvres en tout, qui occupent les deux étages de la Halle.

Dans une telle profusion, il y a forcément à boire et à manger, à prendre et à laisser. Je n’ai pas forcément été très touché par les productions des condamnés à mort japonais, les caddies de pépé Vignes ou les embrassades de Sergei Isupov. Mais je l’ai été, et même secoué, par les corps avachis dessinés par Kraken, le bestiaire fantastique de Murielle Belin, les enfants baillonnés de Victor Soren, ou encore les entrelacs de l’infiniment petit dessiné avec un luxe de détails confondant par Samuel Gomez, entre autres belles découvertes.

Mention spéciale à deux ensemble très différents. Le premier est celui que propose l’Américaine Laurie Lipton, dont la revue Hey! avait la première fait connaître les oeuvres en France et qui est ici exposée pour la première fois sur les cimaises de notre beau pays. Là même où, lors de la dernière expo Hey! de la Halle Saint Pierre, la virtuose, méticuleuse et ultra-féministe Mad Meg avait exposé ses dessins d’hommes-insectes, Laurie Lipton expose à son tour de grands formats à la profusion vertigineuse. Squelettes scotchés à leur optiphone hypnotique – comme dirait Baudoin de Bodinat – dans un décor industriel, hommes-machines réduits à leur bouche dans un fouillis de câbles, voilà dépeint, ou plutôt crayonné, notre devenir voire notre présent de consommateurs-automates par une artiste surdouée.

L’autre série qui m’a beaucoup impressionné : celle intitulée « Mémoire végétale de la Grande Guerre ». Une dizaine de dessins sur feuilles – non de papier, mais d’arbres, ramassées par des hommes ayant eu la malchance d’être nés une vingtaine d’années avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale et qui cherchaient par l’art une échappatoire aux horreurs de la guerre. Par quel miracle ces dessins sur le support le plus fragile qui soit ont non seulement été préservés mais sont parvenus intacts jusqu’à nous, voilà qui est assez sidérant et, jusqu’à ce jour, à peu près inconnu même des spécialistes de ce que l’on appelle « l’art des tranchées ».

Ce sont là quelques pépites d’une exposition qui en compte beaucoup. Heureusement, vous avez le temps de les découvrir : « Hey! Le dessin » s’est installé à la Halle Saint-Pierre jusqu’à la fin de l’année!
Autre exposition à ne pas manquer, dans un tout autre genre, celle que propose depuis le 15 janvier Orange (oui, l’opérateur de téléphone) et la société Amaclio Productions à la Grande Arche de la Défense : « Eternelle Notre-Dame ». Il ne s’agit pas seulement d’une nième visite virtuelle du vénérable bâtiment mais d’une « expérience immersive », selon le jargon en vigueur, grâce à un casque de réalité virtuelle (oxymore délicieux). Muni d’un ordinateur accroché dans votre dos et dudit casque dûment sanglé, vous déambulez dans un espace clos à la suite d’un guide-conférencier tout aussi virtuel que l’est votre avatar. Vous découvrez le chantier de Notre-Dame au treizième siècle, vous rencontrez les ouvriers, les compagnons, et d’autres personnages, humbles ou illustres, vous montez sur les échafaudages, assistez à la mise en place des vitraux… C’est très impressionnant, pédagogique et ludique à la fois, peut-être plus ludique que pédagogique à la vérité. Tout excité par l’illusion de monter sur les tours de Notre-Dame ou de tourner autour de Viollet-le-Duc qui nous présente sa flèche, on perd en qualité d’écoute ce qu’on gagne en divertissement. Mais c’est là sans doute un effet de la nouveauté. Quand nous serons habitués à ces technologies, elles nous deviendront transparentes et nous pourrons nous concentrer sur le contenu – s’il en reste. Pour l’instant, nous sommes tout au plaisir de découvrir cette attraction – comme devaient l’être les premiers spectateurs du cinématographe des frères Lumière.


Là aussi, vous avez encore du temps pour aller découvrir « Eternelle Notre-Dame » : l’exposition est installé à la Défense jusqu’au printemps, elle sera ensuite transportée à la Conciergerie puis sous le parvis de Notre-Dame à l’automne. Il est prévu qu’elle circule ensuite en Europe et dans le monde entier – encore un privilège qui échappera aux Parisiens! A noter qu’un tiers de la somme acquittée pour le ticket est reversée pour aider à la restauration de l’édifice. Où comment joindre l’utile à l’agréable…
LM