Thèses d’automne

Bonjour,

je profite d’un moment – bref – entre deux préparations de cours pour communiquer quelques informations sur des événements passés… et surtout à venir qui peuvent intéresser tel ou telle de mes fidèles lecteurs et lectrices.

Je commencerai par évoquer la cérémonie qui s’est déroulée hier, vendredi 18 novembre, sous les dorures du Salon des Maréchaux, au ministère de la Culture, rue de Valois, sous le souriant (derrière le masque) patronage de Roselyne Bachelot herself (oui, la photo est mauvaise, il faut dire que le contre-jour n’aide pas).

La ministre, flanquée de la présidente du Comité d’histoire du ministère de la Culture, remettait le prix de thèse de la rue de Valois à deux des trois lauréats 2021 (la troisième avait été empêchée par l’imminence d’un autre heureux événement), Marina Rotolo et Pierre Nocérino. La première a travaillé sur une ville italienne du Mezzogiorno, Matera, dont la récente notoriété planétaire est due au fait qu’elle sert de décor aux premières scènes du dernier James Bond. L’autrice, architecte de formation, montre la façon dont l’obtention d’un label – le titre de capitale européenne de la culture, obtenu par Matera en 2019 – produit des effets sur l’aménagement urbain tout en s’inscrivant dans une stratégie de construction d’une image positive. La thèse est fascinante en ce qu’elle reconstitue l’évolution des représentations attachées à la ville depuis la Seconde Guerre mondiale. A trois époques différentes en effet, la ville de Matera a été placée au premier plan et médiatisée à l’échelle internationale. En 1950, le déclassement des Sassi, les habitations troglodytiques qui remontent pour certaines à une lointaine antiquité, lui confère un statut de contre-modèle dans le contexte progressiste de l’après-guerre. Elle devient alors le berceau de la recherche urbaine et architecturale sur le logement social. D’abord rejetés et laissés à l’abandon, les Sassi sont progressivement revalorisés pour leur intérêt archéologique et patrimonial. En 1993, leur reconnaissance mondiale à travers la labellisation UNESCO constitue un tournant pour la visibilité de Matera. Enfin, la nomination de la ville en tant que Capitale européenne de la culture pour 2019 établit une nouvelle phase de valorisation à l’échelle européenne. La labellisation peut dès lors s’inscrire en continuité des politiques antérieures, couronner un processus de valorisation, mais aussi initier une nouvelle dynamique dans une vision prospective. Portée par des acteurs spécifiques, cette vision s’accompagne de transformations urbaines et de stratégies d’aménagement qu’étudie Marina Rotolo, photographies et plans à l’appui. Les mutations de la ville de Matera constituent dans sa recherche, à la fois un objet d’analyse en soi – la production urbaine en contexte labellisé – et un analyseur des enjeux économiques et politiques associés à la labellisation.

Non moins intéressante, la thèse du sociologue Pierre Nocérino vise, selon son auteur, à « résoudre l’énigme suivante : pourquoi [les] professionnels [de la bande dessinée] ont tant de difficulté à se réunir en un même groupe social, capable de défendre ses intérêts ? ». La principale explication réside dans la nature souvent informelle de leur travail, dans la singularité d’un milieu professionnel composé d’individus peinant à s’organiser collectivement pour faire aboutir leurs revendications auprès de leurs employeurs comme auprès des pouvoirs publics. Peut-on pourtant viser le corporatisme sans convaincre les principaux concernés que sont les auteurs et autrices ? Pierre Nocérino se garde de suggérer une grille de lecture définitive, mais distingue deux grands résultats à sa recherche. La prégnance de règles morales fait, tout d’abord, perdurer un « professionnalisme de l’informalité » lié à l’individualisation des expériences. L’émergence de collectifs (l’auteur décrit les différentes formes d’actions et de collectifs pouvant permettre la reconnaissance publique des problèmes des professionnels) autorise une politisation des problèmes professionnels, mais peine à trouver une traduction dans l’organisation du travail. Particularité remarquable de ce travail pas si académique que cela : Pierre Nocérino utilise lui-même la bande dessinée dans la thèse comme un moyen de raconter et d’analyser l’enquête ethnographique qu’il a réalisée. Elle intègre ainsi pleinement sa démonstration scientifique, en plus de participer à l’objectif pédagogique qui est le sien.

Plus difficile à apprécier pour le non-spécialiste, la troisième thèse distinguée par le prix Valois 2021, due à Violette Abergel, docteure en sciences de l’ingénieur, porte sur les techniques numériques de relevé de l’art pariétal (les grottes préhistoriques ornées en France). L’autrice explique comment les technologies numériques ont permis d’améliorer les relevés d’art pariétal en 2D et en 3D. Elle combine les apports des ressources numériques (pour leur capacité computationnelle) et les ressources analogiques (pour leur capacité cognitive), et les envisage comme complémentaires, grâce à une approche qui fusionne les différents aspects des relevés via une interface (ou application) web qu’elle a développée et qui permet la manipulation des données en réalité augmentée à la fois hors du terrain et sur place.

C’est du moins ce que j’ai compris…

Parcourir ces thèses passionnantes (et quelques autres, puisque vingt-sept thèses étaient en lice cette année), en discuter avec les collègues qu’avait rassemblés le Comité d’histoire du ministère de la culture, enfin récompenser de jeunes chercheurs et chercheuses qui apportent des connaissances nouvelles dans le domaines des politiques publiques de la culture représente, certes, une charge de travail conséquente, mais qui en vaut la peine. Rappelons que le prix de thèse Valois, décerné depuis trois ans, est l’un des plus richement dotés de France, avec trois prix de 8000 euros chacun qui permettent aux récipiendaires de convaincre le plus réticent des éditeurs à publier leur opus magnum. C’est tout le bien que je leur souhaite, en les félicitant de nouveau pour la qualité de leur travail.

Une autre cérémonie aura lieu bientôt, cette fois à l’université de la Sorbonne-Nouvelle puisque nous remettrons le 27 novembre prochain leur diplôme à la promotion 2021 des étudiants du master, notamment du parcours de géopolitique de l’art et de la culture que je dirige avec mon collègue et ami Bruno Nassim Aboudrar. Nous avons également convié la promotion 2020, à qui nous n’avions pas pu remettre le précieux parchemin l’an passé pour cause de crise sanitaire. Certes, nous ne sommes toujours pas tirés d’affaire en cet automne 2021 où le virus joue les prolongations, et les retrouvailles se feront sous contrainte, mais il était important de marquer le coup et de féliciter les étudiants diplômés pour l’achèvement réussi de leur parcours universitaire. La manifestation aura lieu sur le site Censier, à partir de 10h, dans l’amphithéâtre D02.

La veille, j’aurai eu le plaisir de conduire non pas à l’autel mais à la soutenance (il y a des analogies, le directeur de thèse étant un peu le père, ou la mère, de ses doctorants) Catherine Kirchner, qui soutiendra à la Sorbonne-Nouvelle une thèse en sociologie des arts et de la culture intitulée « La Fabrique des esthétiques afro-caraïbéennes », que j’ai co-dirigée avec mon collègue et ami Dominique Berthet. Travail de longue haleine (huit années de dur labeur), qui, au moyen d’une enquête quantitative et qualitative menée auprès de plasticiens et plasticiennes des Antilles françaises, réfléchit aux conditions d’émergence d’une esthétique particulière à ces artistes. Le projet est véritablement transdisciplinaire, associant les apports d’une démarche à la fois historique, sociologique, esthétique, anthropologique. Remarquable et réussi, me semble-t-il, est l’effort d’articuler l’analyse des oeuvres, présentes sous la forme de très nombreuses images, et le contexte socio-historique qui les explique en partie. Catherine, que j’ai rencontrée en master lorsque je venais d’arriver à la Sorbonne-Nouvelle, est par ailleurs chargée de cours dans le parcours de licence Géopolitique et Tourisme du département de Médiation culturelle, où elle introduit – enfin – les théories postcoloniales et décoloniales aujourd’hui si importantes pour saisir de nombreux enjeux contemporains, n’en déplaise à ceux qu’effraie à l’excès le mélange de scientificité et d’engagement qui caractérise ces savoirs.

Quelques jours plus tard – le 1er décembre, on ne chôme pas, par ici – je reprendrai le chemin de la salle Athéna, la bien nommée salle des thèses de la Maison de la recherche de la Sorbonne-Nouvelle, avec cette fois à mon bras Julie Verlaine, collègue de l’université de Paris 1, qui soutiendra son habilitation à diriger les recherches. Spécialiste de l’histoire culturelle de l’art, des collectionneurs/ses et des musées, Julie présente un impressionnant dossier de recherche et de publications placé sous le signe de l’histoire culturelle des arts, du patrimoine et des sociétés. « Pour une histoire sociale des acteurs culturels au XXe siècle », ses travaux s’inscrivent dans une histoire du goût et des pratiques culturelles contemporaines. C’est tout particulièrement le cas de son mémoire de recherche inédit, qui porte sur les sociétés des Amis des musées du XIXe siècle à nos jours. D’une érudition jamais prises en défaut tout en maniant une langue précise et élégante, ce travail d’histoire comparée et croisée à la fois montre la façon dont ces associations émergent et se structurent en Europe à la fin du XIXe siècle dans un processus à la fois d’imitation et d’émulation, et comment elles évoluent en s’adaptant aux conditions nouvelles du XXe siècle. L’histoire des musées occidentaux et de leurs Amis mais aussi l’histoire des collectionneuses, les rapports entre marchands et artistes, l’histoire de l’art revisitée au prisme du genre, l’histoire du patrimoine et de la philanthropie, les divers textes qui seront présentés et discutés ce jour-là dessinent un champ à la fois diversifié et cohérent. Julie m’a choisie pour être son « garant », ce qui est évidemment pour moi une source de fierté!

Pour conclure ce post, je signale encore deux événements susceptibles d’intéresser ceux que passionnent les relations culturelles internationales et transnationales.

Le premier est le festival « Images de migrations » qui se tient depuis hier et jusqu’au 23 novembre sur le campus Condorcet, au centre de colloques (1 place du Front populaire à Aubervilliers). Seront présentés un certain nombre de films, documentaires et de fiction, mettant en images ce/ceux (et celles) que l’on réduit trop souvent à des statistiques. Le programme est riche, vous le trouverez à cette adresse :

Festival Images des migrations

Enfin, le 25 novembre prochain sera lancée la plateforme Transatlantic Cultures à la Maison de l’Amérique latine. Aboutissement d’un grand programme de recherche international, porté notamment par Anaïs Fléchet avec le soutien du Centre d’histoire culturelle de l’université de Versailles Saint Quentin en Yvelines, cette plateforme permettra d’accéder au savoir accumulé ces dernières années sur les circulations culturelles entre les divers pays et régions riverains de l’Atlantique. Un bel exemplaire d’histoire culturelle transnationale!

Vous trouverez le programme de la manifestation ici :

Voilà, c’est tout pour ce soir… et pour ce mois!

A bientôt sur ce blog,

Laurent Martin

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