Bonsoir,
un nouveau mot-clic (ou hastag, si vous préférez l’anglais au québécois) s’est répandu depuis deux jours sur les réseaux sociaux à la vitesse d’un chagrin : #JeSuisProf
Des milliers d’enseignants confient leur colère, leur tristesse, leur dégoût, leur peur aussi, devant la violence qui a frappé l’un des leurs, l’un des nôtres, vendredi soir.
La clameur des appels aux meurtres, les insultes et les menaces de mort au nom de la religion qui circulent si nombreux sur les réseaux ont dû cette fois reculer devant la marée de notre indignation, de notre révolte.
Ils étaient des milliers, nous étions des milliers à Paris, des dizaines de milliers en France, enseignants mais aussi citoyens de tous métiers, de toutes origines, de toutes religions, de toutes absences de religion pour nous réunir et clamer haut et fort que nous ne nous laisserions pas intimider par les barbares, de quelque cause qu’ils se parent pour nous agresser.
Il faisait beau, cet après-midi, sur la place de la République, à Paris, malgré les nuages et notre peine. Comme un appel aux Lumières contre l’obscurantisme. La statue de la République brillait au soleil de la raison au milieu de la foule qui applaudissait Samuel Paty.
La République, le dessinateur Michel Kischka la voit ainsi, depuis deux jours :
Dessin terrible et magnifique, qui exprime le sentiment éprouvé à l’annonce de la nouvelle du meurtre et de la décapitation de Samuel Paty. Michel décrit ainsi la façon dont lui est venue l’idée de ce dessin :
« J’ai réalisé ce dessin en souhaitant qu’il circule. J’habite à Jérusalem et ai suivi l’info d’ici depuis vendredi. Samedi matin les infos étaient un peu plus claires sur les faits objectifs et je me sentais en mesure de réagir par un dessin. Comme je l’avais fait après Charlie hebdo, après Hyper Cacher, après le Bataclan, Nice, …et il y a deux semaines après l’attaque des deux journalistes devant les anciens locaux de Charlie. C’est toujours très difficile et très délicat de faire un dessin dans ces circonstances mais quand c’est la liberté d’expression qui est attaquée, c’est un devoir et une obligation pour tout cartooniste.
La République dans tout ce qu’elle représente étant visée dans ces attentats, l’image de la statue Place de la République m’est venue immédiatement. Cette grande femme de bronze, allégorie de la république, bien droite dans ses bottes, porteuse d’espoir convenait parfaitement à mon idée. La dessiner décapitée me paraissait terrible et si terriblement juste, et surtout très compréhensible comme message. Il était clair que je n’allais pas dessiner la statue en fond et la tête dans une mare de sang à l’avant-plan. Un dessin de mauvais goût qui pourrait être récupéré par les islamistes. Je ne me complais pas dans le morbide et le macabre. Les faits sont suffisamment cruels, pas la peine d’en rajouter. Mon travail m’a appris que la retenue est dotée d’une grande force. Un murmure a sa place dans notre monde qui hurle sans mesure. La République décapitée me semblait parfaitement répondre à ce que je cherchais. J’ai hésité a ajouter la touche de rouge au cou tranché. Mais vu sa petite taille dans l’ensemble de ma composition je ne me suis pas auto-censuré. Il fallait aussi que mon dessin fasse mal.
Pour l’ambiance de couleur, les teintes de l’automne parisien étaient parfaites. Le dessin une fois esquissé rapidement directement à la plume, sans esquisse préable, m’a paru si fort, que j’ai estimé qu’il n’était pas nécessaire de le pousser plus loin. Le fignoler risquait de l’affaiblir. Je n’ai pas ajouté un seul mot au post que j’ai mis en ligne. Tout cela a pris trois quart d’heure, pet-être une heure. Réagir dans l’urgence fait partie des réflexes du métier. »


