De la diplomatie culturelle française

Bonsoir,

je ne sais plus si j’avais déjà eu l’occasion d’évoquer ici un projet de recherche qui s’annonce assez passionnant. J’ai pris l’initiative, aidé de quelques collègues, de proposer un colloque international à Paris sur l’histoire de la diplomatie culturelle française, soit l’usage de la culture à des fins diplomatiques qui est une tradition ancienne de notre pays. En 2022 nous célébrerons le centenaire de la création de l’Association française d’expansion et d’action artistique, plus connue sous le nom qu’elle prendra à partir de 1934 d’Association française d’action artistique (AFAA), ancêtre direct de l’actuel Institut français. Quel meilleur moyen de célébrer cet anniversaire que de retracer l’histoire de l’AFAA et, plus généralement, des divers instruments qui ont servi à la France pour faire « rayonner » sa langue et sa culture avant d’en faire les moyens d’un soft power à la française? Ce colloque sera accueilli dans les nouveaux locaux de la Sorbonne-Nouvelle au printemps 2022, avec le soutien du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, de l’Institut français, de l’Institut de France.

Voici l’appel à proposition que nous avons diffusé :

Appel à communication pour le colloque « Histoire de la diplomatie culturelle française »

Université de la Sorbonne-Nouvelle Paris 3 / Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères / Institut français

Dans le cadre de la célébration du centenaire de l’Association française d’action artistique (AFAA) et de la création du Service des Œuvres, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et l’Institut français organisent, conjointement avec l’université de la Sorbonne-Nouvelle / Paris 3, un ensemble d’événements afin d’étudier l’histoire de la diplomatie culturelle française. D’autres établissements d’enseignement supérieur ou de recherche sont susceptibles de devenir partenaires de cette démarche.

Parmi ces événements, un colloque scientifique est prévu au printemps 2022 à l’université de la Sorbonne-Nouvelle, dont le champ d’étude portera sur l’histoire et l’action du réseau culturel français à l’étranger, qui comprend les services de coopération et d’action culturelle, les instituts français, les alliances françaises. Il portera également sur les politiques publiques qui ont sous-tendu cette action. Les actes de ce colloque feront l’objet d’une publication.

Le comité scientifique en charge de ce colloque lance un appel à communication ouvert aux chercheurs de toutes langues, nationalités et disciplines – même si la perspective générale du colloque est prioritairement historienne.

Les propositions pourront porter sur différents domaines de la diplomatie culturelle française (diplomatie de la langue, échanges artistiques, industries culturelles et créatives, recherche scientifique, enseignement, débats d’idées…), sur ses acteurs, figures et institutions, publics, para-publics ou privés (services et directions du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, du ministère de la Culture, alliances françaises, fondations, grands établissements culturels, entreprises des industries culturelles et créatives, portraits de grandes figures, étude des agents), sur les grands enjeux de son action (question des publics, vecteurs et moyens de diffusion, finalités et objectifs, multilatéralisme), sur des périodes et des questions problématisées (la diplomatie culturelle française au temps de la Guerre froide et des décolonisations, par exemple). Une approche comparatiste avec d’autres modèles nationaux peut également être proposée, de même qu’une approche par pays ou aire géographique (diplomatie culturelle de la France en Amérique latine, Asie , Europe, etc.).

Le comité scientifique privilégiera des propositions qui permettront d’exploiter le riche matériau archivistique disponible au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères dans les centres d’archives de la Courneuve et de Nantes (versements consulaires, instituts français, alliances, centres culturels, versements de l’AFAA, du Service des Œuvres françaises à l’étranger, de la Direction générale des Affaires culturelles) et qui sera encore enrichi par l’apport des différents postes diplomatiques qui ont été sollicités dans la perspective du colloque.

Les propositions, en français ou en anglais (1000 à 3000 signes, espaces compris) doivent parvenir au comité scientifique avant le 4 décembre 2020 sur cette adresse : HistDiplo2022@gmail.com. Elles seront accompagnées d’un curriculum vitae de l’auteur.

Les auteurs des contributions retenues par le conseil scientifique seront avertis avant le 20 décembre 2020.

Comité scientifique

Bruno-Nassim Aboudrar (Université de la Sorbonne-Nouvelle / Paris 3, France)

Yves Bruley (EPHE, France)

Bernard Cerquiglini (Université de Paris)

François Chaubet (Université de Paris Nanterre, France)

Charlotte Faucher (Université de Manchester, UK)

Janet Horne (Université de Virginie, USA)

Philippe Lane (Université de Rouen Normandie, France)

François Mairesse (Université de la Sorbonne-Nouvelle / Paris 3, France)

Laurent Martin (Université de la Sorbonne-Nouvelle / Paris 3, France)

Nicolas Peyre (Université de Toulouse, France)

Gisèle Sapiro (EHESS / CNRS, France)

Sous le haut-parrainage de M. Xavier Darcos de l’Académie française, Chancelier de l’Institut de France

Je place ici la traduction anglaise de cet appel à proposition :

201014 Call for Papers History of French cultural diplomacy Appel aÌ communication pour le colloque Histoire de la diplomatie culturelle

 

Ce post sur la diplomatie culturelle française est l’occasion idéale de commencer une nouvelle série de publications, que j’avais annoncée voici déjà plusieurs semaines. Dans le cadre d’un enseignement de 2e année de master sur la diffusion de la recherche, j’ai demandé aux étudiants que j’encadrais l’année dernière de réaliser un article de vulgarisation scientifique à partir de leur mémoire de recherche. Je commence aujourd’hui cette série avec un article écrit par Francesca Sabben sur l’institut culturel français de Florence.

L’Institut Français de Florence : un exemple de l’action culturelle française en Italie ?

« Les échanges culturels franco-italiens ont toujours été vivaces, et ce depuis des siècles, l’on peut même faire remonter cette véritable action culturelle française -qui n’en portait pas encore le nom- à la Renaissance. Mais qu’en est-il de l’action culturelle française en Italie aujourd’hui ? Alors que le nouveau directeur de la Villa Médicis-Académie de France à Rome, Sam Stourdzé, vient d’être nommé, quel est l’état actuel de la présence culturelle française dans la péninsule italienne ? Dans cet article nous nous intéresserons à une autre fameuse institution culturelle française du territoire italien : l’Institut Français de Florence, établissement historique de la capitale toscane. Mais outre son prestige et son poids patrimonial dans l’écosystème culturel florentin, cette institution séculaire peut-elle encore se donner en exemple de l’action culturelle française ? Et si oui, de quelles manières et à travers quels moyens concrets de programmation culturelle ?

Les cinq Instituts français d’Italie : un moyen privilégié de l’action culturelle française dans la péninsule

La composante culturelle de la diplomatie apparaît essentielle : bien avant l’apparition du terme soft power, l’un des exemples historiques qui vient directement à l’esprit est celui de François Ier qui mena dès le XVIe siècle une politique culturelle bien au-delà des frontières du Royaume de France. Cette composante culturelle des relations diplomatiques entre la France et l’Italie s’est développée depuis la Renaissance, avec le courant de l’humanisme, les Guerres d’Italie, François Ier, et fut institutionnalisée au début du XXe siècle par la création du premier institut français de la péninsule italienne : l’Institut Français de Florence. Cet établissement culturel français, fondé en 1907 par l’universitaire grenoblois Julien Luchaire, allait par la suite servir d’exemple à tous les instituts français dans le monde. Le réseau culturel français à l’étranger est aujourd’hui un double réseau, composé de 98 instituts français et de de 850 Alliances françaises répartis sur tous les continents, hormis l’Antarctique. Très souvent, plusieurs instituts sont implantés dans un même pays, comme c’est le cas en Italie avec les deux antennes historiques de Florence (1907) et Naples (1919) et les instituts datant de l’après-guerre installés à Rome (1945), Milan (1949) et Palerme (1956).

Tout d’abord, commençons par une présentation succincte de la mission des instituts français en Italie aujourd’hui et des objectifs recherchés par leur présence de l’autre côté des Alpes. D’une façon très simplifiée et rapide on peut dire que la présence culturelle française dans le monde contemporain s’appuie sur son réseau d’instituts français, dont par exemple celui, historique, de Florence. Véritable lieu d’échange et de partage de cultures, les instituts français d’Italie visent à une meilleure compréhension entre les sociétés française et italienne. Le but premier de l’Institut Français de Florence est d’entretenir les liens intellectuels entre la France et l’Italie et de diffuser la culture française en Toscane, tout en maintenant l’amitié franco-italienne. Cette institution tient compte des initiatives culturelles locales, florentines, et de l’ancrage avec le territoire toscan afin de permettre une meilleure visibilité. Les missions de l’Institut Français de Florence, tout comme celles des autres instituts français de la péninsule italienne, sont dédiées aux relations franco-italiennes dans de nombreux domaines. Afin de renforcer les échanges entre la France et l’Italie, cinq champs d’actions sont privilégiés : l’action culturelle à travers notamment la création artistique et la collaboration pour le patrimoine et les musées, la coopération linguistique et éducative, la coopération scolaire et universitaire, la diffusion du cinéma et de l’audiovisuel en général, la promotion du secteur du livre et de l’édition.

Les missions de l’Institut Français de Florence revendiquées depuis plus d’un siècle

Les missions de cette institution sont dirigées vers la diffusion de la langue française, en particulier dans les structures éducatives et sur internet, ainsi que vers la stimulation du débat d’idées entre les sociétés italienne et française, perpétuant ainsi une tradition d’échanges des savoirs et de transferts intellectuels vieille de plusieurs siècles. Les autres missions attribuées à l’Institut Français de Florence sont également la promotion des productions françaises sur la scène artistique italienne et sur les marchés des industries culturelles, avec notamment le développement des échanges entre les professionnels des deux pays (grâce au festival « Francia in Scena » par exemple) mais aussi avec le renforcement de la présence française dans le paysage audiovisuel italien, en particulier au cinéma (par exemple au travers du festival « France Odéon » fondé par l’Institut Français de Florence du temps de la direction de Daniel Arasse). Un autre domaine dans lequel l’Institut Français de Florence est très actif est la coopération scolaire et universitaire. Le dynamisme d’une structure telle que l’Institut Français de Florence dans ce secteur d’activité s’illustre notamment à travers la promotion du programme Esabac, les partenariats avec les lycées français présents en Italie, et plus précisément le lycée Victor Hugo à Florence ainsi que l’organisation de classes découverte et d’immersions linguistiques et culturelles.

La justification actuelle de la présence de l’Institut français de Florence dans la capitale toscane

Après cette brève présentation du réseau culturel français à l’international et dans la péninsule italienne, vous pourriez vous demander avec raison : quelle est la raison d’être d’un institut français en 2020 ? Au-delà des missions de base visant à recréer, renforcer et étendre les liens entre la France et l’Italie, quelle peut bien être la raison d’être d’une telle institution ? Alors oui, la promotion culturelle, le domaine cinématographique surtout, et puis la promotion linguistique sont les justifications premières qui vous viennent peut-être à l’esprit. Mais concrètement, que cela signifie- t-il véritablement ? De quelle manière les instituts français présents en terre transalpine, et plus particulièrement celui de la cité du Lys rouge, représentent-ils des instruments efficaces de promotion de la culture française actuelle ? Quelle est la pertinence du modèle des instituts français en Italie, et plus précisément de l’établissement historique de Florence, aujourd’hui ? De quelles manières ce modèle a-t-il bien pu évoluer pour s’adapter aux nouveaux enjeux géopolitiques ? La légitimité actuelle de l’Institut Français de Florence n’est pas forcément acquise pour tous et l’ambivalence des missions de cet organisme ainsi que l’évolution de ses fonctions depuis les années 1980 jusqu’à nos jours représentent des pistes de réflexion intéressantes.

Le rapport du public florentin avec cette institution : une relation intellectuelle ambiguë

En interrogeant un Florentin au sujet de l’Institut Français de Florence, que répondrait- il ? Connaîtrait-il ne serait-ce que l’existence de cet établissement ? Rien n’est moins sûr, car bien que cette institution bénéficie d’un fort prestige et d’une grande renommée dans le domaine linguistique, tous les Florentins ne sont pas au fait des initiatives culturelles de cet établissement. En partant de ce constat, je m’interroge sur le fait que l’Institut Français de Florence puisse véritablement représenter un centre d’initiatives artistiques pour valoriser la culture française contemporaine. Ou alors peut-être qu’il ne s’agit que d’un lieu mémoriel ayant peu d’ancrage dans le temps présent -en dehors de la proposition de cours de français de grande qualité ? Mais encore, même si la qualité de l’enseignement linguistique et la richesse des ressources disponibles à l’Institut Français de Florence (laboratoire de langue multimédia, fonds documentaire séculaire, professeurs chevronnés…) ne peuvent être mises en doute, ces attraits sont-ils perçus par le public italien ? À l’heure de la multiplication des offres des écoles de langue privées et des nombreuses applications sur smartphones pour s’initier à une langue, la qualité des cours de langue et le prestige entourant l’Institut Français arrivent-ils à justifier son existence ? Je me demande si la génération Netflix ne va pas délaisser de plus en plus ces lieux de savoir -en l’occurrence à Florence un palais Renaissance du XIVe siècle- pour apprendre la langue de Stendhal et Lamartine via un écran.

L’intérieur de la salle Luchaire de l’Institut français de Florence au début du XXIème siècle Source : site Internet de l’Institut français de Florence

De surcroît, au-delà de l’aspect linguistique, l’Institut Français de Florence est-il représentatif du dynamisme culturel français ? Incarne-t-il un instrument efficace de promotion de la culture française actuelle? Ou bien cette institution demeure-t-elle encore trop élitiste dans sa programmation avec des activités réservées exclusivement à un cercle de francophiles initiés ? Si j’observe et j’analyse en détail la programmation culturelle proposée par l’Institut Français de Florence, je me demande bien quel renouvellement des publics est possible… Le renouvellement des publics tant souhaité et attendu mais auquel il faudrait peut-être donner une impulsion véritable ! En effet, une observation attentive, de l’intérieur même de cette institution, démontre un éloignement, que dis-je un abîme, entre la théorie, les discours et puis la réalité sur le terrain. Cet écart abyssal étant causé, il faut le dire, par le manque crucial de moyens, à la fois financiers et humains. »

Francesca SABBEN
 francesca.sabben@sorbonne-nouvelle.fr

Université Paris III Sorbonne Nouvelle Master 2 Géopolitique de l’art et de la culture Séminaire : Diffusion de la recherche Professeur : Laurent MARTIN

LM

#JeSuisProf

Bonsoir,

un nouveau mot-clic (ou hastag, si vous préférez l’anglais au québécois) s’est répandu depuis deux jours sur les réseaux sociaux à la vitesse d’un chagrin : #JeSuisProf

Des milliers d’enseignants confient leur colère, leur tristesse, leur dégoût, leur peur aussi, devant la violence qui a frappé l’un des leurs, l’un des nôtres, vendredi soir.

La clameur des appels aux meurtres, les insultes et les menaces de mort au nom de la religion qui circulent si nombreux sur les réseaux ont dû cette fois reculer devant la marée de notre indignation, de notre révolte.

Ils étaient des milliers, nous étions des milliers à Paris, des dizaines de milliers en France, enseignants mais aussi citoyens de tous métiers, de toutes origines, de toutes religions, de toutes absences de religion pour nous réunir et clamer haut et fort que nous ne nous laisserions pas intimider par les barbares, de quelque cause qu’ils se parent pour nous agresser.

Il faisait beau, cet après-midi, sur la place de la République, à Paris, malgré les nuages et notre peine. Comme un appel aux Lumières contre l’obscurantisme. La statue de la République brillait au soleil de la raison au milieu de la foule qui applaudissait Samuel Paty.

La République, le dessinateur Michel Kischka la voit ainsi, depuis deux jours :

Dessin terrible et magnifique, qui exprime le sentiment éprouvé à l’annonce de la nouvelle du meurtre et de la décapitation de Samuel Paty. Michel décrit ainsi la façon dont lui est venue l’idée de ce dessin :

« J’ai réalisé ce dessin en souhaitant qu’il circule. J’habite à Jérusalem et ai suivi l’info d’ici depuis vendredi. Samedi matin les infos étaient un peu plus claires sur les faits objectifs et je me sentais en mesure de réagir par un dessin. Comme je l’avais fait après Charlie hebdo, après Hyper Cacher, après le Bataclan, Nice, …et il y a deux semaines après l’attaque des deux journalistes devant les anciens locaux de Charlie. C’est toujours très difficile et très délicat de faire un dessin dans ces circonstances mais quand c’est la liberté d’expression qui est attaquée, c’est un devoir et une obligation pour tout cartooniste.

La République dans tout ce qu’elle représente étant visée dans ces attentats, l’image de la statue Place de la République m’est venue immédiatement. Cette grande femme de bronze, allégorie de la république, bien droite dans ses bottes, porteuse d’espoir convenait parfaitement à mon idée. La dessiner décapitée me paraissait terrible et si terriblement juste, et surtout très compréhensible comme message. Il était clair que je n’allais pas dessiner la statue en fond et la tête dans une mare de sang à l’avant-plan. Un dessin de mauvais goût qui pourrait être récupéré par les islamistes. Je ne me complais pas dans le morbide et le macabre. Les faits sont suffisamment cruels, pas la peine d’en rajouter. Mon travail m’a appris que la retenue est dotée d’une grande force. Un murmure a sa place dans notre monde qui hurle sans mesure. La République décapitée me semblait parfaitement répondre à ce que je cherchais. J’ai hésité a ajouter la touche de rouge au cou tranché. Mais vu sa petite taille dans l’ensemble de ma composition je ne me suis pas auto-censuré. Il fallait aussi que mon dessin fasse mal.

Pour l’ambiance de couleur, les teintes de l’automne parisien étaient parfaites. Le dessin une fois esquissé rapidement directement à la plume, sans esquisse préable, m’a paru si fort, que j’ai estimé qu’il n’était pas nécessaire de le pousser plus loin. Le fignoler risquait de l’affaiblir. Je n’ai pas ajouté un seul mot au post que j’ai mis en ligne. Tout cela a pris trois quart d’heure, pet-être une heure. Réagir dans l’urgence fait partie des réflexes du métier. »

Merci, cher Michel, pour ce dessin et ces lignes qui le mettent en perspective.
Et  maintenant, à vos plumes, à vos pinceaux, à vos mots, citoyens!
LM

Mourir de son métier

Bonjour,

un homme a été tué hier parce qu’il enseignait la liberté de pensée et d’expression. Un enseignant, un professeur d’histoire-géographie dans un collège de la banlieue parisienne. On ne connaît pas son nom pour le moment, juste son prénom, Samuel. Samuel a été tué et mutilé par un jeune homme devant son collège, à l’arme blanche. Son assassin aurait voulu « venger Allah », que sa victime aurait bafoué en montrant en classe les caricatures de Mahomet republiées par Charlie-Hebdo voici quelques semaines. Ce professeur, rapporte la presse qui cite un membre d’une association de parents d’élève du collège, « se savait menacé de mort sur les réseaux sociaux suite à son cours sur la liberté d’expression ».

On tuait hier des journalistes, des dessinateurs, des policiers, voici qu’on s’en prend aujourd’hui à des enseignants. Que faut-il faire pour arrêter la spirale de l’intolérance, de la violence, de la barbarie?

Certainement pas se taire. Certainement pas éviter de parler de Charlie, des caricatures, du blasphème pour ne pas choquer, heurter, pour apaiser les esprits, comme certains nous y invitent, pas toujours animés des meilleures intentions. Il ne s’agit pas de déclencher une guerre des représentations ou des communautés, ni de pratiquer un amalgame à vocation d’exclusion, il s’agit de ne rien céder de ce qui fait le socle de la démocratie et de la république, il s’agit de réaffirmer en tout lieu, en toute circonstance, nos valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité, de laïcité, contre tous les fanatismes. Ne laissons pas les enseignants, les journalistes, les policiers seuls dans ce combat qui nous concerne toutes et tous.

J’adresse toutes mes condoléances à la famille et aux proches de Samuel, mort d’avoir fait son métier qui est de transmettre l’esprit critique aux élèves de toutes origines.

LM

PS : j’ajoute ces lignes le dimanche 18 octobre. Entretemps, nous avons appris le nom de la victime, Samuel Paty. Il avait 47 ans. Un rassemblement est organisé cet après-midi à Paris, place de la République, pour lui rendre hommage et exprimer notre indignation face à ce crime odieux. J’y serai, vous aussi j’espère.

Entre sourires et larmes (bis)

Bonsoir,

les semaines se suivent et se ressemblent un peu trop, hélas. De nouveau, l’esprit hésite entre deux sentiments contradictoires.

Joie d’abord devant le lancement officiel de la Revue d’histoire culturelle, que nous avons portée sur les fonts baptismaux il y a quinze jours, lors du congrès annuel de l’Association pour le développement de l’histoire culturelle et qui a fait ses premiers pas – déjà! l’enfant est précoce, elle ira loin – cette semaine, dévoilant ses premières « pages » à ses premiers lecteurs.

Si vous voulez les rejoindre, tapez simplement cette adresse dans votre navigateur habituel : https://revues.mshparisnord.fr/rhc/

La RHC, comme l’école selon Jules Ferry, est gratuite, sans doute laïque, mais pas (encore) obligatoire. En accès libre, elle propose un vaste échantillon des curiosités de l’histoire culturelle à la française, en attendant de s’ouvrir aux plumes étrangères, ce qui ne manquera pas d’être fait dans les numéros à venir.

Comme toute bonne revue universitaire, la RHC comporte un dossier, que j’ai coordonné pour ce premier numéro avec ma complice Evelyne Cohen. En écho au thème des Rendez-vous de l’histoire de Blois cette année – Gouverner – nous nous sommes interrogés sur le fait de savoir si la culture pouvait aussi servir à gouverner. A vrai dire, le point d’interrogation que nous avons placé à la fin de notre titre est une coquetterie : évidemment, oui, la culture sert à gouverner, entre autres fonctions qu’elle a remplies dans l’histoire.

Voici le court article de présentation du dossier, que nous avons eu l’occasion de présenter hier à Blois lors d’une table ronde qui, comme il est d’usage, était plutôt rectangulaire (en l’espèce, une tribune d’amphithéâtre devant un auditoire ma foi bien fourni, n’en déplaise au covid).

« On n’y pense pas toujours – et rarement en premier lieu : la culture, ça sert aussi à gouverner. Comme Malraux ajoutant, à la fin d’un célèbre discours reconnaissant la valeur artistique du cinéma, qu’il était « par ailleurs » une industrie – le codicille pouvant apparaître à certains égards comme plus important que l’énoncé principal –, on pourrait affirmer que la culture sert à créer, à communiquer, à comprendre le monde ou soi-même, à mieux vivre, à se donner une identité ou à se distinguer des autres – et qu’elle est par ailleurs un moyen de gouvernement. Si nous sommes réticents à l’envisager d’emblée, c’est parce que nous avons tendance à penser que la culture – ou l’art, avec quoi elle est souvent confondue – ne devrait servir à rien d’immédiatement profitable, qu’elle devrait être dégagée de toute instrumentalisation sociale, économique ou politique, et que c’est même la définir dans son essence que de lui dénier toute utilité directe ou pratique ; ou alors, s’il faut vraiment qu’elle soit bonne à quelque chose ou à quelqu’un, que ce soit à l’épanouissement de l’individu ou à l’émancipation du genre humain, qu’elle soit utilisée, et même mobilisée pour donner à tous, et d’abord aux plus faibles, les moyens de contester l’ordre établi. L’art pour l’art ou l’art social ; la culture pour rien ou pour armer les esprits contre les pouvoirs, à la bonne heure ! Mais, gouverner, vraiment ?

Vraiment. Les pouvoirs, en particulier celui qui a charge, ou privilège, d’administrer la chose publique, ont tôt entrevu tous les dangers potentiels de la culture mais aussi tous les avantages qu’il pouvait y avoir à la contrôler (version autoritaire) ou à l’orienter (version libérale). Le gouvernement des hommes n’étant pas l’administration des choses, ce que reconnaissait volontiers le comte de Saint-Simon, à qui l’on fait souvent dire le contraire, la culture est une arme de choix dans la panoplie de tout dirigeant (même et surtout pour celui qui sort son revolver au seul énoncé de ce mot), lequel veillera à fournir à sa population un décorum, des spectacles, un imaginaire et une imagerie, des ressources de sens, voire, dans les cas les plus systématiques, une idéologie et un art officiels ; il limitera l’expression de la contestation, jusqu’à l’interdire par la censure, dans le même temps qu’il vantera les mérites de son action par des formes plus ou moins ouvertes de propagande ; il usera tour à tour de la subvention, de la réglementation, de la labellisation… et dans certains cas de la coercition voire de la violence ; il s’appuiera sur les sciences et les savoirs, sans perdre de vue ni les arts ni les lettres, ni l’éducation ni les médias, étant entendu que la culture peut s’entendre au sens le plus large et que son administration comme ses acteurs peuvent s’envisager à toutes les échelles, du local au global. Symbolique du pouvoir et politique de la culture apparaissent ainsi étroitement liées sans coïncider tout à fait et sans éclipser d’autres instances – du religieux à l’économique. »

Pour ma part, j’ai tenté dans un article à la fois trop long et trop court de présenter la conception qu’ont eue de la culture et de son utilisation à des fins politiques trois « couples » célèbres, Charles de Gaulle et André Malraux, Georges Pompidou et Jacques Duhamel, François Mitterrand et Jack Lang. Où comment, malgré la sophistication croissante de ce que l’on a nommé, à partir des années 1960, la « politique culturelle » et la neutralisation tendancielle de ses enjeux politiques et sociétaux qui en a découlé, est demeurée intacte une approche à la fois personnelle, politique et affective de la culture qui l’apparente davantage à un art de gouvernement plutôt qu’à une science de l’Etat – ce qu’elle est aussi, par ailleurs.

Revenant, une nouvelle fois, sur l’action de Jack Lang en tant que (grand) ministre de la Culture, mes lignes me ramènent vers ces années où je travaillais sur les archives qu’il venait de déposer à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine, l’IMEC – et, par là, à la figure d’Olivier Corpet, qui fut à l’origine de cette institution unique en France, et qui vient de s’éteindre, cette semaine, à l’âge de 71 ans, après un long combat contre une saloperie de maladie.

(photo Olivier Dion pour Livres Hebdo)

Olivier Corpet, que je ne connaissais pas au début des années 2000, m’avait accueilli à bras ouverts dans cet Institut , qu’il avait fondé avec quelques complices en 1988. Il l’avait installé dans une ancienne abbaye des Prémontrés, l’abbaye d’Ardenne, tout à côté de Caen, restaurée avec l’appui de la Région et du ministère de la Culture. Là, au milieu des champs, s’édifia sous mes yeux un lieu assez exceptionnel de conservation et de valorisation de collections d’écrivains, d’artistes et d’éditeurs qu’Olivier et ses amis – Albert Dichy, André Derval, Nathalier Léger, entre autres – avait patiemment rassemblées pour le plus grand bonheur des chercheurs, français et étrangers, qui vinrent à Ardenne chaque année plus nombreux.

Olivier Corpet, à l’automne 2001, cherchait quelqu’un pour inventorier et classer le fonds Jack Lang fraîchement arrivé à l’abbaye d’Ardenne. Et, si ma mémoire est bonne, c’est Pascal Ory qui suggéra mon nom au directeur de l’IMEC.  Au bout de trois mois – trois mois d’hiver, passés sous la charpente craquante au vent du nord-ouest d’un bâtiment qui n’était pas encore restauré – je n’avais guère classé que trois caisses. Il m’en restait environ 497. Après discussion, nous convînmes de la nécessité de changer de méthode et d’opter pour un classement par grandes masses. Dès lors, la cadence s’accrut considérablement et, trois ans plus tard, la majorité des caisses avaient été vidées, leur contenu classé et reconditionné, même si je n’eus pas le temps de faire un inventaire informatisé. En dépit de ces difficultés, je garde un très bon souvenir de cette période et des gens que j’ai été amené à côtoyer, archivistes, techniciens, responsables du Centre culturel ou encore chercheurs qui venaient parfois du bout du monde pour travailler sur tel ou tel fonds et avec lesquels j’aimais à discuter, le soir venu, dans le réfectoire sonore de l’abbaye.

J’aimais aussi discuter avec Olivier, qui était un homme très fin, excellent connaisseur de l’histoire intellectuelle française du dernier demi-siècle et qui se montra avec moi et avec d’autres d’une grande disponibilité et d’une grande générosité.

C’est lui qui me souffla l’idée de transformer ce travail archivistique en livre. Il est vrai qu’au fil des mois et des années passés à classer les archives de Jack Lang, à raison de deux semaines par mois, j’étais devenu par la force de choses un assez bon connaisseur non seulement de sa vie ou du moins de sa carrière d’homme public, mais aussi des questions de politique culturelle telles qu’elles se posent depuis le début de la Ve République. J’étais assez excité par l’idée de travailler un matériau arraché de si fraîche date à l’actualité et à l’action politique, même si je discernais les dangers et les difficultés qu’il y avait à tenter la biographie d’un vivant, qui plus est toujours actif et n’ayant renoncé à rien (en 2007 encore Jack Lang déclara sa candidature à l’élection présidentielle) ; mais cela ne me semblait pas interdire en principe une telle tentative. Mieux, certaines de ces difficultés pouvaient se révéler des atouts méthodologiques, comme je tentai de le démontrer dans l’introduction de mon livre qui parut en 2008 aux éditions Complexe sous le titre Jack Lang, une vie entre culture et politique.

Je suis resté quatre ans détaché à l’IMEC et je ne repense pas à ces années de labeur sans une certaine nostalgie. Et je pense à Olivier Corpet, avec qui je me suis si bien entendu, alors, et depuis, même si nous nous étions perdus de vue ces derniers temps. Où qu’il soit à présent, qu’il trouve dans ces lignes l’expression de ma vive, de ma profonde gratitude.

LM

PS : l’excellente Geneviève Gentil, ancienne secrétaire générale du Comité d’histoire du ministère de la Culture et trésor vivant de l’histoire de ce ministère, me rappelle aujourd’hui dans un mel que c’est par le travail accompli alors à l’IMEC sur les archives Lang que s’amorça notre amitié ; le travail commun sur la loi sur le prix unique du livre, qui donna lieu à une publication aux éditions de l’IMEC en 2006, amorça une collaboration entre l’IMEC et le Comité d’histoire du ministère de la Culture, dont je devins membre par la suite.