C’era una volta Ennio

Bonsoir,

Ennio Morricone est mort. C’est comme si Sergio Leone, disparu en 1989, était mort une seconde fois, tant leurs deux noms sont associés, de manière sans doute excessive puisque Ennio Morricone a travaillé pour bien d’autres réalisateurs que Sergio Leone, de Pasolini à Bellochio, d’Henri Verneuil à Quentin Tarantino. Mais c’est vrai que sa musique est indissociablement liée aux grands « westerns spaghettis » (ce terme dépréciatif désignant un sous-genre qui eut ses chefs-d’oeuvre et ses navets), « Le bon, la brute et le truand », « Pour une poignée de dollars » et bien sûr le chef d’oeuvre absolu qu’est « Il était une fois dans l’Ouest », « C’era una volta il West » dans la langue de Dante (qui s’entendait en western).

Zoom sur un classique»: Il était une fois dans l'Ouest de Sergio ...(une affiche pas très #metoo, on peut lui préférer l’affiche française :

Il était une fois dans l'Ouest - film 1968 - AlloCiné

Plutôt que de redire ce qui a été dit mille fois, et bien mieux que je ne pourrais le dire, sur l’oeuvre du Maestro (comme il aimait qu’on l’appelât), je me contenterai, en guise d’hommage, d’évoquer deux souvenirs d’enfance qui sont liés à sa musique et, en particulier, à celle d’Il était une fois dans l’ouest.

Le premier souvenir remonte à des temps presque immémoriaux. Je devais avoir 6 ou 7 ans, (peut-être moins?), je suis avec mes parents au camping de l’Espiguette au Grau du Roi (il existe toujours, j’ai vérifié), c’est l’été, il fait nuit, et je regarde mon premier western sur grand écran, en plein air, sous les étoiles. Ce n’était pas la première fois que je voyais un film sur grand écran, j’avais dû voir un ou deux Disney au cinéma, mais c’est le premier film « pour adultes », et c’est un western, et c’est Il était une fois dans l’Ouest.

La nuit est douce mais le film est violent. Les scènes s’impriment profondément dans mon esprit, en particulier, bien sûr, le massacre de la famille McBain (ce gamin roux, tué de sang froid, mais on ne voit pas sa mort, on entend juste la détonation et puis c’est le sifflet du train qui arrive) ; mais aussi le sourire cruel de Frank, joué par l’impeccable Henri Fonda, l’harmonica de Hombre (Charles Bronson), la beauté de Claudia Cardinale. Ou fus-je sensible plus tardivement à cette dernière? Car je revis plusieurs fois ce film par la suite, plusieurs dizaines de fois. Je crois que je pourrais jouer chaque scène, comme Joaquin Phoenix « joue » une scène d’un film de Hitchcock dans Arizona Dream. Je connais les dialogues par coeur. Et la musique aussi. Enfin, du moins c’est ce que je croyais.

A cette musique et à ce film s’attache en effet un second souvenir d’enfance, plus tardif et moins agréable. Je dois avoir une douzaine d’années, et j’ai la mauvaise idée de proposer d’interpréter des musiques de western lors de la fête de fin d’année du collège. Nous avions à la maison un disque 33 tours avec toutes les musiques d’Il était une fois dans l’Ouest, je revois encore la pochette…

Musique / Il était une fois dans l'Ouest par Ennio Morricone ...

(ce qui m’a longtemps troublé, dans cette photographie, c’est qu’elle montre une scène qu’on ne voit pas dans le film. Dans le film, on voit l’arche, le désert, les silhouettes des rochers de Monument Valley, Hombre jeune avec son frère sur les épaules, Frank et les trois larrons qui l’accompagnent, mais le cut intervient au moment où Hombre tombe à terre, la caméra ne montrant que le bout des bottes de son frère pendu.)

Ladite fête se passe au cinéma de la petite ville où j’habite. La salle est comble, toutes les familles sont là. Les numéros se succèdent, plus ou moins réussis, danse, chant, scènes de théâtre, musique. Ah, puisqu’on en parle, ça va être à moi. J’ai un chapeau, des jeans, des bottes qui voudraient être des santiags mais n’en sont pas, un trac fou. Et une flûte. A bec. Avec une flûte à bec, je prétends jouer Morricone sur la scène de ce cinéma, devant des centaines de personnes. A quel moment me suis-je dit que c’était une erreur? Dans la loge, les coulisses, en entendant mon nom prononcé par le maître de cérémonie? Je m’avance, je me plante au milieu de la scène, plutôt sur le devant. Et je commence à jouer. Dans mon souvenir, il n’y a pas que du Morricone, mais Il était une fois dans l’Ouest est le clou de mon numéro, c’est sûr. Je réussis pas mal le thème de Jill, si beau, si mélancolique ; beaucoup moins bien celui de l’Homme à l’harmonica. Je manque des notes, j’en oublie, j’en invente d’autres, je m’enferre, je m’enfonce, je me souviens avoir éprouvé un sentiment de vive chaleur, ce devait être le rouge qui me montait au front. Je ne sais plus comment je termine, mal sans doute, et je quitte la scène presque en courant, poursuivi par des applaudissements polis et, peut-être, quelques sifflets.

Des sifflets, justement, il y en a beaucoup, dans la musique de Morricone. Des sifflets de train et de lèvres, ça siffle souvent dans les films de Leone. Et l’on entend aussi des guitares électriques, chose peu courante à l’époque dans les westerns, et des guimbardes, des harmonicas…. Et des claquements, des battements, des cris, plein de bruits.  Pour Leone, la musique de Morricone était comme un second scénariste. D’ailleurs, cela a été rappelé à l’occasion des émissions spéciales qui se sont succédé depuis hier, la musique d’Il était une fois dans l’Ouest a été écrite avant que le film fût tourné et les acteurs ont donc joué non seulement selon les consignes de Leone mais aussi en suivant la musique de Morricone, chaque accent musical venant souligner, appuyer l’action voire la commander, comme une autre direction d’acteurs.

Un exemple entre mille : dans le duel final entre Frank / Fonda et Hombre / Bronson (dire que cela aurait pu être Eastwood!… Mais ce dernier avait refusé de rempiler pour un nouveau western spaghetti. Tant mieux d’ailleurs : Bronson est parfait en mexicain taciturne et revanchard), dans le duel final, donc, Fonda se déplace dans les nuages de poussière, ombre noire et fatale, tandis que Bronson (en habits clairs) reste immobile (mais on entend l’harmonica, et derrière lui, tout un orchestre), fixant son ennemi du regard (beaucoup de gros plans sur les yeux dans les westerns de Leone, Gotlib s’en est bien moqué dans une Rubrique à brac) et voici que Fonda s’immobilise, enlève sa veste qui risque de gêner ses mouvements et la laisse tomber au sol, au moment précis où la musique de Morricone fait entendre un accord de basse qui matérialise pour ainsi dire la chute du vêtement au sol (ou le contraire, c’est la chute qui matérialise la musique). Bref : si ce film apparaît réglé comme du papier à musique, c’est, précisément, parce qu’il est réglé sur une musique, géniale, celle du Maestro.

À la télé ce soir] Il était une fois dans l'Ouest - Télé - FocusVif

L’histoire (ou la légende?) raconte que Morricone avait composé une musique d’ouverture pour les premières scènes du film et qu’il s’attendait à l’entendre lors de la première projection de la copie 0, en présence de Leone et de l’équipe du film. Mais, comme on sait, il n’y a pas de musique dans les très longues premières minutes du film (ce n’est qu’au bout d’une dizaine de minutes que se fait entendre l’harmonica) ; pas de musique, mais des bruits : le bourdonnement d’une mouche qui agace l’un des tueurs envoyés par Frank pour « accueillir » Hombre, le flic-floc des gouttes qui tombent sur le chapeau du deuxième, les craquements des doigts du dernier, sans oublier le grincement de l’éolienne. Alors Morricone se tourne vers Leone et lui (aurait) dit : c’est la meilleure musique que j’aie jamais faite!

Cette anecdote est peut-être pure invention. Mais, comme le fait dire John Ford à l’un des personnages de cet autre excellent western (mais sans spaghettis) « L’homme qui tua Liberty Valance » : « When the legend becomes facts, print the legend ».

LM