Bonsoir à tou.te.s,
j’espère que vous lisez ce billet confortablement installé.e dans un bon fauteuil, avec une tasse de thé fumante et, qui sait, un chat roulé en boule pas loin. Peut-être êtes-vous parti.e à la campagne, loin de Paris et des grandes villes, dans une maison secondaire ou familiale, quelque part en France. J’espère surtout que vous allez bien, vous et vos proches.
On a peine à s’en souvenir parce que cela paraît loin mais il y a quelques jours encore on préparait ses vacances de Pâques, on préparait ses cours, on préparait tout un tas de choses ; et/ou on défilait contre la réforme des retraites ou contre les projets du gouvernement pour l’enseignement et la recherche, ou contre, ou pour autre chose… Tous ces combats et ces projets ne deviennent pas dérisoires ou futiles parce ce que le virus a pourri notre printemps mais la rapidité et la brutalité des événements les mettent soudain à une distance considérable, comme s’ils appartenaient déjà à un lointain passé. En quelques jours, en quelques heures, notre réalité a basculé. Je ne sais pas si « nous sommes en guerre », comme vient de le dire et de le répéter le président de la République (les civils syriens qui continuent de subir les bombardements russes et turcs trouveraient certainement à y redire). Mais je sais que ce lundi ne ressemble à aucun autre que j’aie déjà connu.
Je fais partie des inconscients que le président a tancés ce soir dans son discours très « chef de guerre », de ces mauvais citoyens qui ont dîné au restaurant samedi soir, qui sont allés se promener dimanche. A vrai dire, la mauvaise conscience qui devrait m’accabler ne m’effleure qu’à peine. Faut-il le rappeler à ceux qui aujourd’hui nous tirent les oreilles, aucune interdiction n’enjoignait de rester chez soi ce week-end. Juste de prendre des précautions, ce que bon nombre de ces mauvais citoyens ont fait. Après des jours de pluie – et pas seulement une pluie de mauvaises nouvelles – nous goûtions les premiers moments – et les derniers, mais nous ne le savions pas encore – de soulagement, les premiers rayons du soleil printanier. Maintenant que nous allons tous être confinés chez nous pendant les semaines qui viennent, ce bol d’air ressemble à la grande inspiration que prennent les apnéistes avant de descendre dans les profondeurs. Bien sûr, si cela a aggravé la situation, on ne peut que le regretter. Mais je pense très sincèrement que la décision de tout fermer était prise dès avant cette orgie de sociabilité. Les autorités savent que cette décision est nécessaire, au vu de ce qui s’est passé en Chine et en Italie. D’autres pays y viendront aussi, y viennent déjà. On se souviendra de ces derniers bons moments avant la plongée dans l’inconnu.
Sans doute, malgré toutes ces précautions et restrictions et celles, encore plus sévères, à venir, y aura-t-il beaucoup de morts. Le gouvernement ne peut pas le dire, sous peine d’aggraver des phénomènes de panique ou de dépression collectives. Mais si ce que les scientifiques, eux, disent et prédisent assez clairement (la moitié de la population infectée d’ici un mois ou deux), et même si la létalité de ce virus est relativement faible, ces morts se compteront peut-être par dizaines de milliers à l’échelle d’un pays comme la France. Ces chiffres font froid dans le dos, surtout qu’il ne s’agit pas que de chiffres mais de vie trop tôt interrompues, de familles en deuil. On ne peut cependant pas exclure que les mesures qui sont prises réduiront significativement les pertes humaines ; en Chine, nous serions entre 3000 et 4000 morts et l’épidémie semble déjà reculer. Espérons qu’il en sera de même en Europe.
En attendant le choc, ce qui disparaît déjà sous nos yeux, c’est, en partie, la qualité de ce qui fait la vie humaine. Les relations entre les gens. Chacun est sommé de rester chez soi, de limiter au maximum les contacts physiques et les déplacements. On ne se sert plus la main, on n’embrasse plus ses amis. On doit même se tenir à distance de ses parents, de ses proches les plus âgés, les plus fragiles, pour leur propre sécurité. C’est un crève-coeur. Plus de rassemblements, plus de fêtes. Restaurants et bars fermés, lieux de distraction et de culture fermés, écoles, crèches et universités fermées, parcs et jardins fermés à Paris. Je pense à tous ces comédiens, à tous ces artistes privés de public, à toutes ces oeuvres qui resteront lettre morte, au moins pour un temps. Je pense aussi à mes étudiants qui avaient trouvé un stage dans une structure culturelle, ou qui s’apprêtaient à partir en mobilité à l’étranger et qui vont devoir renoncer à leurs projets. Oui, le printemps 2020 s’annonce vraiment pourri.
Mais se lamenter n’y changera rien – ou alors pour le pire. Même si c’est plus facile à écrire qu’à faire, essayons de tirer le meilleur parti de la situation. Téléphonons-nous plus souvent. Prenons des nouvelles les uns des autres. Profitons de ce temps soudain libéré – du moins pour ceux d’entre nous qui le peuvent – pour lire, écrire, écouter de la musique, classer tous ces papiers qui s’entassent sur nos étagères, regarder la série qu’on se promettait de voir pendant les vacances, jouer aux jeux vidéo en solitaire ou en ligne, retrouver le plaisir de jouer avec ses enfants (même si j’ai conscience que la vie de famille dans de petits logements n’est pas toujours réjouissante…). Les plus bricoleurs bricoleront, les cuisiniers cuisineront, les amants s’aimeront… du moins s’ils vivent sous le même toit! Pour les autres, les lettres – électroniques, car la poste rechigne à prendre en charge lettres et paquets – restent possibles.
Je termine sur une note humoristique. Un journal occitan rappelait qu’en 2017, dans Astérix et la Transitalique, le héros gaulois affrontait déjà un certain Coronavirus. Et, bien sûr, c’est le Gaulois qui a fini par l’emporter, par Toutatis!
Qu’il en soit ainsi. Prenez soin de vous et des vôtres.
LM
