Meilleurs voeux 2020! Pour la défense des libertés académiques

Bonjour à toutes et à tous,

je vous adresse mes meilleurs voeux pour une belle et heureuse année 2020. Qu’elle soit propice à vos projets, douce à notre planète et plus sereine pour notre pays!

J’ai choisi cette année de reprendre, en guise de visuel, la carte de voeux de mon université (ici la version animée : https://www.youtube.com/watch?v=8N1trsXeEJo), la Sorbonne-Nouvelle, pour deux raisons.

D’abord, parce que 2020 sera l’année d’un grand changement pour cette institution, qui s’installera dans ses nouveaux locaux, près de Nation, à la rentrée prochaine. Les bâtiments sont en voie d’achèvement, ils sont beaux, j’espère surtout – nous espérons tous – qu’ils seront fonctionnels. Aux dernières nouvelles, les inquiétudes que nous avons de longue date concernant une possible diminution du nombre de salles de cours disponibles par rapport à ce dont nous disposons sur le site Censier (alors que ce nombre est déjà insuffisant et occasionne à chaque rentrée des maux de tête aux personnes chargées de répartir les cours dans les salles) seraient en partie infondées. Des simulations feraient apparaître un taux de correspondance entre l’existant et ce vers quoi nous allons de 95%. Si c’est effectivement le cas, tant mieux! Mais on ne m’enlèvera pas de l’idée que ce déménagement aurait dû être l’occasion de retrouver un peu plus d’aise dans l’occupation des locaux, au lieu que nous allons, au mieux, retrouver les difficultés que nous connaissons depuis tant d’années – et, au pire, les trouver aggravées. Ces nouveaux locaux auraient pu, auraient dû être le moyen de bâtir une université du XXIe siècle, ouverte sur la cité, non réservée à une mono-activité de cours et de délivrance de diplômes, accueillante pour des publics non étudiants ou pour des activités culturelles, artistiques variées… Mais je suppose que c’était trop espérer d’une tutelle attentive au moindre sou dépensé et qui nous fait déjà la « faveur » de nous laisser occuper de précieux mètres carrés intra-muros…

L’autre raison pour laquelle j’ai choisi le logo de l’université est que je souhaite parler dans ce billet des libertés académiques, lesquelles sont en danger dans ce pays comme en bien d’autres.

J’évoquerai d’abord le projet de loi de programmation pour la recherche.

Le projet de loi de programmation pluriannuelle pour la recherche
(LPPR), en cours d’élaboration, devrait être rendu public à la
mi-février, pour une adoption avant l’été, possiblement par cavaliers
législatifs. Les rapports préliminaires [1] et les prises de position
[2] publiques confirment qu’il s’agira d’une loi qualifiée par le
président du CNRS d’« inégalitaire » et de « darwinienne », mettant en œuvre une dérégulation des statuts des universitaires et des
chercheurs.

La « concertation » préparatoire au projet de loi n’a apporté aucune
réponse aux questions pressantes qui se posent à tous les
universitaires et chercheurs actifs. Nous éprouvons aujourd’hui
l’urgence d’ouvrir un débat public sur l’organisation de la recherche
à partir de nos pratiques, de sorte à renouer avec des institutions
qui soient au service d’une recherche libre et exigeante.

Pour initier ce processus de réappropriation et de réflexion sur nos
métiers, nous présentons une candidature collective au poste de
président de l’HCERES. Le conseiller Éducation, enseignement
supérieur, recherche et innovation du président de la République, M.
Coulhon [4], s’est lui aussi porté candidat.

Nous espérons que cette candidature collective réunira femmes et
hommes, issus de toutes les disciplines, de tous les corps, précaires
ou non, et appartenant à tous les établissements français. Pour vous y associer, inscrivez-vous ici :

http://rogueesr.fr/hceres/

Un texte doit être très prochainement publié dans Le Monde à ce propos.

RogueESR est un collectif de membres de la communauté académique. Il rassemble celles et ceux qui font vivre ses institutions au quotidien, et qui souhaitent défendre un service public de l’enseignement supérieur et de la recherche, ouvert à toutes et tous.

Contact : contact@rogueesr.fr

Twitter : @rogueesr

RogueESR

http://rogueesr.fr

[1] Rapports des groupes de travail en vue de la rédaction du projet de loi :

https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid145221/restitution-des-travaux-des-groupes-de-travail-pour-un-projet-de-loi-de-programmation-pluriannuelle-de-la-recherche.html

[2] Texte d’Antoine Petit paru dans Les Échos :

https://www.lesechos.fr/idees-debats/sciences-prospective/la-recherche-une-arme-pour-les-combats-du-futur-1150759
/

Réaction de la communauté :

https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/12/06/le-darwinisme-social-applique-a-la-recherche-est-une-absurdite_6021868_3232.html

[3] https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000039668523

[4] Thierry Coulhon a été l’un des instigateurs de la loi LRU en 2008,
avant d’être en charge du programme de l’enseignement supérieur de la
campagne électorale d’Emmanuel Macron.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Thierry_Coulhon

Autre pays, autre inquiétude quant aux libertés académiques (que d’aucuns jugeront sans doute plus grave), j’ai reçu dernièrement un texte de l’association des chercheurs français sur le Brésil présidée par Juliette Dumont, l’association ARBRE.

« Le 8 janvier, nos collègues de la Fundação Casa de Rui Barbosa (FCRB, Rio de Janeiro) ont découvert que cinq d’entre eux avaient été relevés des fonctions qu’ils occupaient au sein du centre de recherche qu’abrite cette institution. Antônio Herculano Lopes, directeur, Flora Süssekind, Charles Gomes, Joëlle Rouchou et José Almino de Alencar, responsables des différentes équipes de recherche du centre, chercheuses et chercheurs reconnus en histoire, lettres, sciences politiques, communication, sociologie, ont été écartés au motif d’une “réorganisation administrative”.

La décision a été prise par la nouvelle directrice de la FCRB, Letícia Dornelles, ancienne présentatrice et scénariste pour les chaînes de télévision Globo et Record, proche des milieux évangéliques et sans la qualification exigée pour occuper ce poste. Elle-même avait été nommée par surprise en octobre dernier lors de la prise en main des grands établissements culturels du pays par le gouvernement de Jair Bolsonaro. Les employés de la FCRB – et l’ancienne présidente elle-même – avaient découvert sa nomination dans le Journal Officiel au retour d’un jour férié.

Outre la violence du procédé à l’égard des cinq chercheurs concernés et pour les équipes qu’ils animaient, cette décision menace directement ce centre de recherche, reconnu tant au niveau national qu’international pour son travail en termes de valorisation des archives, d’édition, de liens tissés avec le monde académique et de promotion d’activités destinées à un large public.

L’Association pour la Recherche sur le Brésil en Europe dénonce avec d’autant plus de véhémence le sabordage du centre de recherche qu’elle a réalisé de nombreuses activités (séminaires et journées d’études, publications, échanges) en partenariat avec la FCRB depuis l’organisation d’un premier colloque conjoint lors de l’année de la France au Brésil en 2009. La publication, en 2017, aux éditions FCRB et 7 Letras, du livre Como era fabuloso meu francês! Imagens e imaginários da França no Brasil (séculos XIX-XXI), coordonné par Silvia Capanema P. de Almeida, Olivier Compagnon et Anaïs Fléchet, de même que, plus récemment, la parution de l’ouvrage coordonné par Juliette Dumont, Anaïs Fléchet et Mônica Pimenta Velloso, Histoire culturelle du Brésil (XIXe-XXIe siècles), aux éditions de l‘IHEAL, ne sont que les fruits les plus récents de cette longue collaboration.

Cet épisode n’est malheureusement pas isolé et vient rejoindre la liste déjà longue des attaques contre le monde de la recherche et de l’enseignement supérieur au Brésil. Ce processus, qui a démarré sous la présidence de Michel Temer, s’est accentué de manière dramatique depuis l’accession au pouvoir de Jair Bolsonaro. Censure directe ou indirecte, intimidations contre des individus ou des institutions, asphyxie budgétaire, calomnies et injures constituent depuis un an le répertoire d’action d’un gouvernement qui fait ouvertement l’apologie de l’ignorance et dénie aux sciences et aux scientifiques toute légitimité. Cette entreprise de démolition et de démoralisation continue et protéiforme ne vise pas seulement à livrer la recherche et l’enseignement supérieur aux intérêts privés ; elle est le reflet d’une idéologie pour laquelle la liberté (notamment celle de penser) et la culture constituent une menace. S’attaquer aujourd’hui à l’institution qui porte le nom de Rui Barbosa (1849-1923), cheville ouvrière de l’abolition de l’esclavage au Brésil, juriste internationalement reconnu, orateur hors pair, est un symbole supplémentaire de la logique mise en oeuvre par un pouvoir obscurantiste et autoritaire.

L’Association pour la Recherche sur le Brésil en Europe manifeste sa solidarité aux collègues de la Fundação Casa de Rui Barbosa comme à l’ensemble des chercheurs, universitaires et étudiants qui, par leur travail, leur dévouement et leur engagement, continuent malgré tout de défendre une recherche et une université de qualité, libres de tout dogme idéologique, au service d’une société plus démocratique et plus juste. »

Nous partageons ce communiqué des étudiants de la FCRB, transformé en pétition.

 

Je continuerai régulièrement de donner des nouvelles du monde académique, du Brésil et d’ailleurs, des contraintes et des censures qui pèsent sur lui, considérant qu’il s’agit là d’un enjeu crucial non seulement pour les professionnels qui y travaillent ainsi que pour les étudiants, mais aussi pour la société tout entière.

LM