Rentrée

Bonjour,

me voici de retour sur ce blog après un bon mois de vacances et à trois semaines de  la rentrée officielle à l’université. Un pied encore en vacances, l’autre déjà prêt à entamer une nouvelle année de travail!

J’espère que votre été fut bon (s’il ne l’a pas été jusque-là, il vous reste quelques semaines pour changer les choses), reposant mais aussi stimulant. J’ai une pensée particulière pour les thésard.e.s qui ont dû consacrer tout ou partie de leurs « vacances » à avancer leur dur labeur… Je parlerai dans un prochain post du travail de l’une d’elles, Aleksandra Humo, qui soutiendra en octobre sa thèse consacrée à la place du cinéma dans le softpower étatsunien.

L’une de mes destinations estivales a été l’Irlande, où ne je n’étais pas retourné depuis un quart de siècle (oui, j’atteins l’âge vénérable où je peux écrire ce genre de choses…). J’ai retrouvé avec émotion ces paysages de landes, de tourbières et de côtes rocheuses, l’ambiance chaleureuse des pubs et les ciels chargés de pluie… J’ai surtout découvert des coins où je n’étais pas allé dans ma folle jeunesse, en particulier l’Irlande du Nord. Il y a 25 ans, cette partie de l’île était encore en proie à des violences communautaires, bouclée par l’armée britannique et déconseillée aux touristes. En 2019, ma compagne et moi avons pu circuler tranquillement de part et d’autre d’une frontière invisible. Les accords de paix qui datent de 1998 ont apaisé les tensions et redonné l’espoir aux habitants de l’Ulster. Mais ceux-ci sont aujourd’hui inquiets, comme tous les Irlandais. La mésentente persistante entre les représentants des communautés catholique et protestante, qui empêche la formation d’un gouvernement régional depuis plusieurs mois, et surtout les conséquences d’une sortie sans accord du Royaume-Uni de l’Union européenne au 31 octobre, une perspective de plus en plus plausible depuis l’arrivée de Boris Johnson au pouvoir, assombrissent l’avenir. Si une frontière physique était rétablie entre les deux Irlande, il y a fort à parier que les violences recommenceraient.  Voilà (avec le regain du mouvement indépendantiste en Ecosse) un effet prévisible du Brexit dont BoJo et ses comparses se sont bien gardé de parler lors de leur campagne pour le « Leave »…

Nous avons parcouru les rues de Belfast et photographié quelques-unes des fresques qui ornent les « murs de la paix » (encore appelés « barrières d’interface ») érigés dans les années 1970. On en compte environ 80 en Ulster, dont la grande majorité se situent à Belfast. Hauts de plusieurs mètres, surmontés de fils barbelés, ils séparent les quartiers protestants des quartiers catholiques et ont occasionné des déplacements forcés de populations afin de constituer des quartiers homogènes sur le plan confessionnel. On pourrait croire que la paix étant revenue depuis plus de 20 ans, les habitants de Belfast souhaiteraient voir abattus ces murs qui les divisent. En réalité, les enquêtes d’opinion menées par les autorités locales ont montré que la plupart des habitants, quelle que soit leur confession (ou leur absence de confession, mais en Irlande du Nord, même les athées doivent se déclarer « protestants » ou « catholiques ») souhaitent leur maintien. Et pas seulement par attachement sentimental ou intérêt touristique : parce que ces murs les rassurent. La guerre civile peut être rallumée à tout moment par les extrémistes des deux bords et, dans ce cas, les murs reprendront leur fonction de protection. Nul doute alors que les groupes de touristes véhiculés par les fameux taxis noirs et guidés par d’anciens prisonniers politiques catho-républicains se feront plus rares dans les rues de Belfast…

(cartes tirées du blog de Bénédicte Tratjnek, Géographie de la ville en guerre : http://geographie-ville-en-guerre.blogspot.com/2008/10/gographie-politique-de-lirlande-du-nord.html. Voir aussi l’article d’Estelle Epinoux Les murs de la paix en Irlande du nord dans Guerres mondiales et conflits contemporains 2001/1 (n° 201), pages 23 à 33).

(Falls Road, au point de ralliement des guides touristiques, d’anciens prisonniers politiques, membres de l’IRA ou du Sinn Fein)

(cimetière catholique sur Falls Road)

(le grand mural pour Bobby Sand, de son vrai nom Robert Gerard Sands, militant de l’IRA et député irlandais à la Chambre des Communes britannique, mort en 1981 après une grève de la faim de 66 jours dans la prison de Maze).

(Deux fresques récentes, qui montrent que les murs de Belfast sont encore le support de la protestation politique aujourd’hui)

J’espère que les craintes des Irlandais et de tous ceux qui aiment la paix s’avèreront infondées. Le pire n’est jamais sûr, même s’il faut s’y préparer…

A bientôt,

LM