Bonjour,
Alors que je m’apprête à partir dans deux jours à Poitiers participer à un jury de thèse sur « l’évolution du discours des milieux politiques et médiatiques français sur le jeu vidéo de 1972 à 2012 » (Julien Lalu), j’ai le coeur serré devant le spectacle qu’offre ma propre université, Paris 3, la « Sorbonne-Nouvelle » aux allures d’université-fantôme. Celle-ci est en effet bloquée-fermée depuis trois semaines : bloquée par un nombre indéterminé mais relativement faible d’étudiants et de collègues qui protestent – notamment – contre le projet gouvernemental d’augmenter les droits d’inscription des étudiants extra-communautaires, fermée par décision administrative de la présidence de cette université pour éviter que ce blocage ne se transforme en occupation des locaux.
Personnellement, je pense que cette augmentation des droits d’inscription a été mal pensée, mal préparée, mal annoncée, comme souvent de la part de ce gouvernement maladroit et brutal. Il y a un vrai problème de financement public de l’enseignement supérieur et de la recherche dans ce pays, depuis longtemps. L’augmentation des droits d’inscription peut être l’une des réponses à apporter, si l’on pense que l’on ne peut augmenter indéfiniment la dépense publique globale ; encore faut-il qu’elle soit justement répartie – pourquoi cibler cette population d’étudiants non européens dont beaucoup viennent de pays et de familles aux revenus modestes? Cela porte atteinte au rôle joué par l’Université française dans le cadre de la diplomatie culturelle comme de l’aide au développement. A tout le moins, cette mesure mérite débat contradictoire et explications étayées par des études.
Avant même que ce débat puisse se tenir, pourtant, quelques étudiants et collègues ont décider de bloquer l’université, empêchant cours et examens d’avoir lieu. L’université avait déjà fait l’objet d’un tel blocage au printemps dernier, pour protester contre la mise en place du dispositif Parcoursup ; avec ces trois nouvelles semaines de fermeture, ce sont sept semaines d’enseignement qui ont été supprimées par la volonté de quelques-uns contre celle d’une majorité hélas bien silencieuse et passive. A entendre les discours enflammés tenus devant des assemblées si peu générales par des leaders très politisés, on comprend que l’augmentation des droits d’inscription en décembre comme Parcoursup en mai ne sont en réalité que des prétextes. Le véritable enjeu est de construire une mobilisation politique et sociale contre le gouvernement, en lien avec toutes les protestations et contestations qui s’expriment en France. Et tant pis si les étudiants étrangers – ou français – que l’on prétend défendre sont sacrifiés pour cette cause supérieure.
Avec un collègue de Paris 3, j’ai pris l’initiative d’une pétition dénonçant le blocage de l’université. On peut en trouver le texte ici, avec les noms des douze premiers signataires :
Pour la fin du blocage du site de Censier(1)
Aujourd’hui, plus d’une centaine de collègues, de toutes disciplines, composantes et convictions politiques ont signé cette pétition qui réclame tout simplement la réouverture sans condition de notre lieu de travail, qui est aussi un lieu rare et précieux d’exercice de la pensée libre.
Dans une réponse que j’avais faite à l’un des leaders auto-proclamés du blocage, je rappelais ma conviction profonde : le blocage n’est pas un moyen légitime de négociation, surtout quand il tend à se banaliser comme c’est malheureusement le cas dans notre université. Je publie ici un extrait de ce courrier, qui pourra renseigner ceux de mes lecteurs, étudiants de Paris 3, qui se demandent quelle est ma position à ce sujet.
» (…) Je ne crois pas au Grand Soir. Je ne crois pas que l’université, la nôtre comme les autres, soit le lieu par lequel ce Grand Soir puisse advenir. Et je ne crois pas non plus que le blocage soit le moyen d’y parvenir. Fondamentalement, notre différence réside là. Pas dans l’hostilité à la hausse brutale et non concertée des droits d’inscription pour les étudiants extra-communautaires. Dans l’horizon politique dans lequel nous nous situons. Tu acceptes l’instrumentalisation politique de l’université, je la refuse.
Je crois, quant à moi, que l’université, plus modestement, plus prosaïquement, est le lieu dans lequel des enseignants et des chercheurs travaillent à former des étudiants pour qu’ils puissent devenir à la fois de bons citoyens et de bons professionnels. C’est là notre mission de service public, la mission que nous remplissons en tant que fonctionnaires de l’Etat. Notre engagement moral comme professionnel. Je ne nie pas les difficultés dans lesquelles nous effectuons cette mission, je me suis engagé par le passé pour les améliorer et suis prêt à recommencer, mais j’effectue néanmoins cette mission du mieux que je le peux, au service des étudiants. C’est cette mission que le blocage empêche. Le rapprochement avec le syndrome de Stockholm [que mon collègue osait dans son texte] me paraît très douteux pour caractériser ce dévouement. A moins que tu ne veuilles parler de la sympathie que nous devrions éprouver pour ceux qui prennent l’université en otage jusqu’à ce que leurs revendications politiques aboutissent?
Je ne m’élève pas contre le blocage uniquement parce qu’une minorité impose par la force sa loi à la majorité. Même si la majorité se prononçait pour le blocage, je n’en continuerais pas moins à protester au nom de ma liberté d’aller et de venir librement au sein de l’université, ma liberté de faire mon métier. Quand j’ai participé au mouvement de contestation du projet de fusion, j’ai participé à un blocage – mais c’était des instances qui prenaient des décisions contre le voeu des personnels (et contre tout bon sens, on l’a vu par la suite). En aucun cas je ne me serais opposé à la liberté des étudiants d’étudier, des enseignants d’enseigner. (…) Bloquer l’université pendant des semaines, faire du blocage un moyen normal, presque banal, de protestation revient à nier l’importance des tâches que nous effectuons tous les jours au service des étudiants. C’est mépriser ce que nous sommes et ce que nous faisons. Et c’est rendre un très mauvais service aux étudiants, notamment étrangers, que tu prétends défendre. »
Bien sûr, mon collègue ne changera pas d’opinion, non plus que les étudiants radicalisés qui le suivent ou le précèdent. Mais il est important que les autres, qui hésitent, s’interrogent, réfléchissent, doutent, puissent avoir quelques repères fermes en ces temps troublés où tous les moyens pour se faire entendre paraissent bons.
Maintenant, les vacances et les fêtes de fin d’année approchent. Je vous les souhaite reposantes et joyeuses. Espérons qu’elles apaiseront les esprits et que nous pourrons reprendre notre activité normale d’enseignement et de recherche à la rentrée. Si ce n’est pas le cas, il faudra en appeler à la mobilisation massive des étudiants, des enseignants et des personnels administratifs pour empêcher que notre outil de travail soit de nouveau confisqué par les idiots utiles du capitalisme et de l’ultra-libéralisme qu’on appelle en France les gauchistes.
LM

